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Humanisme : le Contrat social
6 novembre 2006

Les relations humaines 2

Les relations durables
Gérard Apfeldorfer

Ce livre d’Apfeldorfer, excellent psy et savant pédagogue permet de mieux comprendre comment fonctionnent les relations humaines et constitue un très bon remède contre la solitude.

Certaines personnes ne parviennent pas à nouer des liens satisfaisants en raison de leur personnalité. Elles veulent améliorer leur apparence physiques ou développer leur culture. D’autres, au contraire, pensent que le problème vient des autres comme la froideur des Parisiens par exemple. Mais ceci est une croyance irrationnelle. La vraie question à se poser est celle-ci : « Si, entre moi et l’autre, les choses ne se passent pas comme je le souhaite, ce n’est pas parce que l’un d’entre nous est défectueux, c’est parce que nous ne nous y prenons pas de la bonne façon ». Il n’y a donc pas à changer sa nature, mais sa façon de faire, son système relationnel. Tout d’abord, il ne faut pas considérer que plus on donne plus on reçoit. La trop grande générosité entraîne la méfiance ou le mépris. Les gens qui on affaire à des personnes qui donnent sans contrepartie supputent des intentions cachées. Entre deux personnes, un don est loin d’être gratuit, car il implique l’obligation de rendre. Non seulement il faut rendre cadeaux, services et politesses, mais il est impossible de se tenir en dehors de ce circuit de l’échange sans encourir le risque d’être socialement hors jeu. A contrario des politesses et des cadeaux, les sentiments n’ont pas de prix et n’obligent à rien. Un sentiment est un événement mental et n’est pas, en tant que tel, un acte de communication. Les sentiments les plus ambivalents, c’est face à ses parents qu’on les ressent. Selon la Bible, l’amour pour ses parents n’est pas exigé : ce qui est commandé, c’est de les honorer ce qui ne nécessite pas qu’on les aime. Ressentir l’amour et la compassion n’engage à rien. Personne ne nous est redevable de ce que nous ressentons. En revanche l’étalage des sentiments est perçu le plus souvent comme une forme de chantage. En Occident, le système de la dette fonctionne de manière dissimulée car il est obscurci par les valeurs de la société marchande. Dans le système moderne d’économie de marché, l’idéal es de ne rien devoir à personne. Etre trop longtemps débiteur est moralement et économiquement condamnable. Ce système ne nécessite plus de se lier avec d’autres autrement que de façon superficielle pour obtenir des liens et des services mais il isole les individus les uns des autres. Alors que le système du don est centré sur les rapports entre les personnes, les objets et les services n’étant que des moyens de concrétiser ces rapports. Un don oblige l’autre mais il reste désintéressé car il n’existe pas d’obligation de le rendre. Mais si on ne fait pas un don tout aussi généreux, c’est son honneur que l’on perd. Donc on ne peut donner sans compter car pour l’autre il devient déplaisant de s’apercevoir qu’il ne pourra parvenir à donner à la hauteur de ce qu’il a reçu. De là à haïr celui qui nous crée ces obligations non désirées, il n’y a qu’un pas. Trop donner peut rendre le donateur esclave. Les esclaves doivent tout et on ne leur doit rien. Est servile celui qui donne sans que la réciproque soit nécessaire. L’amour, la tendresse concernent les alter ego, les personnes libres de donner ou non, celles qui décident de leur propre chef. Pour sortir de la position d’esclave, il faut se placer dans un rapport d’égalité et donc savoir ce qu’on a donné et faire comprendre à l’autre la valeur de ce qu’on a donné. Dans la société moderne, l’Etat a pris la place autrefois occupée par dieu. Comme l’Etat nous impose par la contrainte de nous acquitter de nos impôts guère assimilables à un don, la tutelle de l’Etat aboutit à un monde sans reconnaissance, dans lequel il n’existe que des droits. Un monde sans pitié. Ce système repose sur la réduction de chacun à un individu identique aux autres dépendant de l’Etat ou d’une multinationale. La matrice de ces systèmes relationnels est la relation parents/enfants. La relation mère-enfant est parfaite quand l’enfant est encore un bébé. L’enfant n’a rien à demander à qui que ce soit d’autre qu’à sa mère, il a tout à attendre d’elle. Plus tard, la bienveillance, la douceur, le confort évoqueront l’image de cette mère. Dans ce monde-là, paradisiaque, on possède ce dont on a besoin et on le consomme à son gré. N’est-ce pas justement de cela dont on rêve, quand un peu plus tard, on court après le Grand Amour ? Apparaît une nouvelle idée irrationnelle : l’amour est tout, constitue le sens de la vie sans que rien d’autre ne compte. Il convient de s’y laisser prendre, de se laisser englober par cet amour. En fait, une telle idée est non seulement terriblement réductrice, mais ne fonctionne pas.
Les personnes qui manquent d’estime de soi et qui ne s’affirment pas suffisamment n’aiment pas être obligées car elles ne se croient pas capables de rendre la pareille. Alors que, quand on s’aime bien, recevoir des compliments est délicieux et les rendre est un plaisir. La parole doit être considérée comme un moyen de communication et non seulement d’expression quant à se plaindre auprès de ses amis sans leur témoigner sa reconnaissance pour leur apitoiement et leurs bons conseils, c’est sans aucun doute un bon moyen de ne plus avoir d’ami. Il convient de garder à l’esprit que, les paroles données cachent des intentions et engendrent des dettes. Se confier à l’autre, c’est lui permettre d’accéder à une partie de notre intimité. On lui donne alors un pouvoir sur nous, et il nous en est redevable. A l’inverse, la formulation des plaintes fait de nous des débiteurs. Apfeldorfer évoque le concept de persona qui pour Jung correspond à une posture qu’un individu adopte dans sa vie en société et qui n’est pas le reflet exact de son moi. La persona entre en compte dans la communication. Elle est liée à la réputation d’une personne. Cette persona est ce qui nous rend prévisible aux yeux des autres. C’est pourquoi il est essentiel de polir sa persona en tenant sa parole et en réclamant son dû. Ne pas demander son dû expose à perdre la face, les autres ont tôt fait de penser que ce qu’on a donné ne valait rien et que soi-même, on ne vaut guère plus, que peut-être on est à considérer comme un esclave. Si la persona est l’histoire de moi que je tente de raconter aux autres et l’image qui en résulte, mon moi est fait d’histoires dont je ne suis pas toujours l’auteur. Pour préserver sa persona, on est parfois obligé de mentir puisque mentir permet de conserver une image honorable aux yeux des autres. On se ment à soi-même pour notre propre survie mentale. Par ailleurs, ne pas demander de services, ne pas formuler clairement ce qu’on a fait pour l’autre, avaler des couleuvres, faire perpétuellement bonne figure autorisent les autres à continuer à se conduire mal à notre égard et dévalorise notre image sociale. Il convient donc de savoir signaler ce qu’on nous doit et de formuler ce qui nous blesse.

Apfeldorfer définit l’empathie et la sympathie. La capacité d’empathie est ce qui permet de percevoir le point de vue de l’autre. La sympathie consiste à ressentir les émotions en phase avec celles d’une autre personne. C’est pourquoi la sympathie que nous éprouvons face à des gens tristes nous pousse souvent à éviter leur compagnie. Il existe des personnes dénuées d’empathie, ce sont les paranoïaques enfermés dans leur propre monde et les pervers pour qui les autres se réduisent à des objets à manipuler.

Dans les relations où règnent la violence, il existe une solution selon Apfeldorfer : donner est sans aucun doute le moyen le plus efficace qui soit pour mettre un terme à la violence, puisqu’on met l’autre en demeure de devenir empathique et de se transformer en obligé. Donner ainsi, ce n’est pas pardonner, ni oublier ni tendre l’autre joue : ce qu’on désire, c’est entamer des relations équitables. L’auteur s’interroge également sur la séduction. En quoi consiste-t-elle ? C’est le fait d’être détourné de soi-même, puis recentré sur quelque chose d’autre qui séduit. Parfois on est si avide de s’oublier qu’un rien suffit à nous séduire. Tout oppose séduction et empathie : alors que l’empathie permet de comprendre les émotions et les points de vue de l’autre, donne accès à son intimité, confère le sentiment d’un partage, permet des dons qui obligent, la séduction est au contraire une violence sans partage, qui répond à la loi du tout ou rien, qui ne fonctionne que dans l’instant présent. Le séducteur capture notre attention, abolit notre esprit critique, nous conduit à désirer fusionner avec l’objet de séduction. Nous éprouvons du bonheur à être sous influence, dérobés à nous-mêmes, pilotés par notre animalité. Mais passer d’un état mental sophistiqué à un autre, plus primitif nécessite une violence. On séduit en mettant en place un leurre. Ce leurre est un message à l’intention de la personne à capturer, destiné à refléter ses désirs, un artifice trop beau pour être vrai. Les pervers s’amusent des autres. On pourrait même dire qu’ils y sont contraints par leur ennui. Car privés de capacité d’empathie, de ce talent qui consiste à comprendre les autres en s’accordant à eux, et donc se sentant bien vides, que leur reste-t-il, sinon à utiliser les uns et les autres comme jouets ? Séduire est ludique, mais vient un moment où on désire que la relation devienne sérieuse, empathique, humaine. La séduction et l’empathie sont deux formes de communication qui s’opposent et qu’on a bien de la peine à pratiquer simultanément. La vérité oblige à dire que, lorsqu’on se séduit mutuellement, on ne se comprend pas. Car pour se comprendre, il convient de s’ouvrir à l’autre et, dans un mouvement empathique, de partager avec lui son intimité. Séduction et empathie ne peuvent coexister dans un même moment mais peuvent se succéder alternativement. Le mieux est de rechercher une relation de séduction mutuelle qui s’agrémentera ensuite d’un partage des intimités. Question relation empathique, il faut savoir doser car une trop grande profusion aboutit à donner le sentiment qu’on accule l’autre dans un piège, ce qui risque de le faire fuir.

Apfeldorfer évoque un fait tenace, présent dans les contes et l’inconscient collectif, les gens beaux sont bons et les gens laids sont mauvais. C’est ce qu’on appelle l’effet Pygmalion. La vie serait plus facile pour les beaux, les portes leur seraient plus facilement ouvertes et inversement pour les laids. Dans un monde où on peut acheter ce dont on a l’air la beauté s’assimile à un capital qui s’obtient par le labeur. Dès lors qu’on a de quoi se payer de la beauté on conçoit que le chirurgien esthétique soit un prestataire de service très demandé. Avoir des rides aujourd’hui signifie qu’on n’a pas les moyens de les faire effacer. L’apparence ne renseigne plus sur l’âme, ni sur la personnalité mais seulement sur le statut socio-économique. Dans ce monde, dans lequel les rapports humains sont fondés sur la seule séduction, on ne peut demander à quelqu’un de voir au-delà des apparences, car dans cet au-delà, il n’y a rien à voir. Il est pourtant facile de séduire grâce à ses défauts. En effet, tout défaut des traits et des formes peut-être utilisé pour séduire, puisqu’il fait saillie et hypnotise. Ce n’est pas vraiment la beauté qui séduit, c’est sa mise en scène. Ce n’est pas vraiment le manque de beauté qui empêche de séduire, c’est l’absence de mise en scène. Séduire est un acte radicalement différent de ce qui fonde la sympathie, qui est une contagion émotionnelle, et ce qui fonde l’empathie, qui est une compréhension des sentiments et des points de vue de l’autre. Mais se laisser séduire n’est pas un signe de faiblesse, c’est un plaisir qui présente l’avantage de rendre séduisant. C’est bien en cela que la séduction est une forme de communication.

Apfeldorfer s’intéresse au Grand Amour. Il appartient au dieu Eros qui réunit, intègre les principes opposés, qui rétablit l’unicité du monde, tandis que son contraire, Thanatos, le principe de mort, sépare et désorganise. L’amour-passion est délirant, irrésistible, possessif, tragique. L’amour authentique ne doit rien à une séduction calculée. Bien au contraire, c’est l’absence de tout effort de séduction qui signe l’authenticité du véritable amour : la séduction relève du calcul, de l'effort, alors qu’on tombe amoureux comme dans un précipice. Les amoureux sont bizarrement assez peu curieux l’un de l’autre. L’unique souci des amoureux est de savoir si leur amour est partagé : l’autre se meurt-il aussi d’amour avec la même intensité que soi ? En fait, les amoureux sont amoureux de leur amour, plus que de l’objet de cet amour. Pour les Romantiques, la vie ne vaut la peine d’être vécue que si on vit de manière passionnée, enthousiaste, si on ressent des émotions violentes. Eprouver des sentiments douloureux, c’est se sentir vivre avec davantage d’intensité. Le modèle d’amour qu’on a en tête, culturellement construit, sert de médiateur externe à l’amour qu’on tente de vivre : on se fait certaines idées sur l’amour, puis on tente de calquer sa propre réalité sur ces idées. On est moins amoureux de quelqu’un que de l’idée de tomber amoureux, de vivre une grande passion. La réalité s’avère toujours en deçà du rêve filmé en technicolor. Le sentiment amoureux n’est pas le grand amour, il n’est pas pur comme le mélange de l’huile et du vinaigre. A certains moments, on entretient une relation empathique avec l’autre, à d’autres moments, on se met à considérer l’autre sous un angle légèrement différent et on éprouve du désir. A force de basculer de l’un à l’autre, on a le sentiment que tout cela ne fait qu’un. C’est comme une vinaigrette mais cette émulsion, qui mélange deux liquides non miscibles, est par nature instable et exige de l’entretien. Les attentions, les gestes tendres sont autant de dons qui véhiculent une intention, celle d’être agréable à l’autre. C’est l’assemblage de tout cela qui, sans doute, constitue le sentiment amoureux. Les gens qui croient au Grand Amour et l’attendent comme quelque chose qui doit arriver tout cuit sont possessifs et s’empêchent de profiter des occasions qui se présentent, des amours à la petite semaine. Or, il n’est pas rare, dans la pratique, que ce soient les petites aventures qu’on croyait sans lendemain qui évoluent en relations durables.

Couples et familles durables

Former un couple uni et avoir de beaux enfants ne sont-ils pas des ingrédients essentiels pour réussir une vie ? C’est depuis le milieu du XIXè siècle qu’on considère qu’il faut s’aimer d’amour romantique pour se marier, que les hommes et les femmes se choisissent essentiellement selon des critères qui leur sont propres, sans y être contraints par leur famille. Dans la famille contemporaine, le mariage concerne deux individus en quête de relations intimes et d’épanouissement sexuel, qui s’unissent pour une durée relative. La dévolution de l’autorité parentale devient de plus en plus problématique au fur et à mesure de l’augmentation des divorces. Garçons et filles veulent faire couple parce que le corps social l’encourage par toutes sortes de moyens et réprouve les solitaires et pas seulement pour le sentiment amoureux et les enfants. En revanche le couple peut être perçu comme une perte d’indépendance. Mais le refus de toute dépendance, qui nous fait rejeter toute appartenance, aboutit à nous priver d’identité. En effet, nous appartenons à une famille, une culture, un pays, une philosophie, qui nous permet de savoir qui nous sommes.

La commercialisation des sentiments

Certains couples, remplis de bonnes intentions, tentent de se redéfinir en permanence : J’ai fait cela, c’est donc à toi de faire ceci. Le problème est une vision de couple sur le modèle de la prestation de service : le conjoint est là pour fournir une prestation amoureuse.

Comment faire la paire

L’appariement, c’est parvenir à faire une paire d’humains qui s’accommodent l’un de l’autre. Les denrées les plus prisées en ce qui concerne les femmes sont la jeunesse et la beauté car le niveau d’études et culturel sont considérés comme des handicaps par les hommes qui restent machistes et qui veulent des partenaires qui ne leur soient pas supérieures. Comme le degré socio-économique et culturel se répartissent grossièrement dans la population selon une forme de pyramide, avec beaucoup de pauvres incultes et peu de riches cultivés, plus on est haut perché, et moins il y a de monde de disponible à son étage et au-dessus de soi. Contrairement à ce qu’elle racontent dans les questionnaires, les femmes ne recherchent pas d’hommes gentils et attentionnés et sans souci du physique. En réalité elles cherchent des hommes en fonction de leur statut social ou pour celles qui sont indépendantes financièrement en fonction de leur belle gueule. La recherche d’une personne convenable se bricole en amateur. On fait appel à son réseau d’amis et aux connaissances. Ayant jeté son dévolu sur une personne qui semble convenable, il reste à se faire connaître d’elle et à voir qu’on s’accorde bien sur tous les points, on envisage alors une période d’essai avec possibilité de rétractation sans frais. Le couple a besoin de se reposer sur des mythes, des histoires qu’il a vécues sinon un éternel présent, tissé de séduction et d’empathie serait bien trop fatigant. Ce mythe fondateur est la façon dont on s’est rencontrés, ce qu’on s’est dit et ce qu’on a fait. Le couple fonctionne également sur un réseau de routines qu’on peut appeler des rituels et qui rythment la vie de couple et le définissent aux yeux des autres. Le perfectionnisme et l’intolérance à la moindre faille, le désir d’en avoir tant et plus sont sans aucun doute ce qui explique la montée du nombre des divorces. Les sociétés matriarcales, ou bien les sociétés aux structures à la carte qui nous pendent au nez, nous soulagent de bien des névroses : réaliser ses désires n’est plus interdit, et c’est même tellement conseillé que cela vire à la tyrannie. Les impérieuses nécessités de se trouver, de se réaliser, de ne pas gâcher ses potentialités, d’aller jusqu’au bout de ses possibilités, de trouver le bonheur et de ne pas gaspiller une miette, se convertissent en moteurs de nouveaux troubles psychiques. On déprime alors parce qu’on n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Ce n’est plus la névrose qui occupe le devant de la scène, mais la perversion, dans le sens où jouir est devenu la condition de l’existence et où les objets et les personnes dont nous jouissons nous sont indispensables pour nous faire exister.

Quel monde bizarre que le nôtre ! Au nom d’une indépendance sans partage, qui nécessite qu’on ne doive rien à personne, et qui veut qu’on se refuse à contraindre qui que ce soit à nous devoir quelque chose, on aboutit à une addition de solitude. N’a-t-on pas versé dans la barbarie ? Une barbarie dont la principale caractéristique serait l’affirmation de soi à tout prix, non pas dans le cadre d’une relation, mais comme expression de l’individu envers et contre tous.

apfel

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