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Humanisme : le Contrat social
23 juillet 2019

Le confident

confident

Le confident (Hélène Grémillon).

Paris, 1975.

Camille Werner venait de perdre sa mère. Dans sa vie, elle n'avait jamais reçu beaucoup de courrier. Sa mère lui avait épargné la lecture des lettres de condoléances qu'elle avait reçues suite à la mort de son mari. Le père du Camille s'était illustré pendant la guerre d'Indochine.

Camille avait un frère. Après la mort de leur mère, ils voulurent se débarrasser de la maison familiale. Camille était persuadée que son père s'était suicidé et l'avait dit à sa mère. Camille avait reçu la médaille militaire de son père. Sa mère tenait à lui donner.

Camille lut les lettres de condoléances reçues après la mort de sa mère. Elle ne répondit pas à tout le monde et personne ne lui en tenu rigueur. La mort accepte tous les écarts de politesse.

Parmi toutes ces lettres, Camille remarqua en particulier une lettre beaucoup plus épaisse et plus lourde que les autres. Elle avait été envoyée par Louis. Elle la lue.

Annie avait toujours fait partie de la vie de Louis. Ils avaient deux ans d'écart.

Louis voyait Annie à l'école, pendant les promenades et à la messe. Pour Louis le meilleur terreau de l'ennui, c'était la messe. Mais un dimanche, Louis eut peur de mourir alors il pria Saint Roch. Le dimanche qui suivit, Louis ne voulait pas aller à la messe. Il pensait que cette fois la mort ne le raterait pas.

Mais il y alla quand même et comprit quelle avait été l'origine de son trouble une semaine plus tôt. C'était l'absence d'Annie à la messe. Louis était amoureux d’Annie depuis ses 12 ans.

La mère de Louis tenait la mercerie du village. La mère d'Annie y passait la moitié de sa vie car elle passait son temps à coudre. Un jour, Louis réalisa qu'il ne connaissait de la peau d'Annie que ce que son visage ses mains et ses pieds pouvaient lui en offrir. Exactement comme pour les poupées de porcelaine. Annie était asthmatique et venait se faire soigner par le père de Louis qui était médecin.

Elle venait toujours toute seule en consultation. Toute ressemblance étant réciproques, les poupées de porcelaine que Louis voyait lui faisait penser à Annie. Alors, il les volait. Mais il se rendait bien compte qu'elles ne ressemblaient pas du tout à Annie alors il allait à l'étang et faisait couler les poupées en leur attachant des pierres aux pieds.

Louis se croyait à l'abri de l'histoire alors que pendant son enfance il se passait plein de choses dont il se fichait éperdument. En Allemagne, Hitler devenait chancelier et Brecht et Einstein s'enfuyaient pendant que Dachau se construisait.

Camille mit plusieurs jours à lire la lettre de Louis. Elle pensa que c'était une erreur car elle ne connaissait pas de Louis ni d'Annie. Mais pourtant la lettre avait bien été adressée à son nom. Peut-être s'agissait-il d'un homonyme. Le dénommé Louis se rendrait bien compte qu'il s'était trompé. Mme Merleau, la concierge, s'était rendue compte que la déferlante de courrier que Camille avait reçue était signe d'un deuil.. Elle lui avait glissé un petit mot, en cas de besoin, elle serait là. La concierge allait lui manquer. Camille allait déménager. Sa mère aurait été heureuse de savoir que Camille déménageait car elle n'aimait pas cet appartement. Camille allait avoir la concierge pour le remercier de son petit mot. Avant d'être conservé, Mme Merleau avait été locataire de l'immeuble. Elle était arrivée très peu de temps après Camille. Elle donnait des leçons de piano. Et puis un jour, Mme Merleau ne donna plus de leçons et devint la concierge de l'immeuble. Elle avait des rhumatismes articulaires aigus. Elle finirait par perdre le contrôle et la mobilité de ses doigts et ne pourrait plus s'en servir pour jouer du piano. En quelques semaines, elle allait perdre la précieuse maîtrise que ses mains avaient mis tant d'années à acquérir.

Cette nouvelle l’avait complètement anéantie.

Mme Merleau avait renversé du café sur l'épaule de Camille et s'excusa. Camille avait complètement oublié de lui dire qu'elle déménageait mais au moins écouter Mme Merlea parler de ses problèmes de rhumatismes lui avait évité de parler de sa mère.

En rentrant chez elle, Camille fut surprise de ne pas trouver de lettres dans sa boîte, s'en était déjà fini des condoléances. Mme Merleau-Ponty avait tout rangé et du plus avait lavé et repassé le linge de Camille. Elle avait pris le courrier de Camille et l'avait déposé sur la table. Camille fut prise d'émotion mais en découvrant une nouvelle lettre de Louis son attention fut détournée.

Louis reprenait son histoire là où il s'était arrêté.

Louis et Annie étaient dans la même école. En bas, c'était l'étage des filles, et en haut celui des garçons. Louis haïssait ces étages. D'autant plus qu'avant les filles étaient en haut. Son cousin Georges lui avait dit qu'il voyait les petites culottes des filles qui descendaient l'escalier quatre à quatre et qu'il admirait cet arc-en-ciel de culottes déferlant miraculeusement par tous les temps. Leur reluquage  graveleux n'avait pas échappé à la directrice et les garçons finirent par atterrir en haut.

Un jour béni, Louis se brisa le tibia. Le lendemain soir, Annie se présentait à la porte de sa chambre. Elle s'était portée volontaire pour lui faire suivre ses devoirs. Elle avait affronté les sarcasmes de ses camarades qui l'avaient désignée comme l'amoureuse de Louis.

Louis savait qu’Annie était passionnée par la peinture alors il demanda à sa mère d'emprunter des livres sur ce sujet à la bibliothèque. Il les lus pour impressionner Annie. En lui parlant de sa passion, Annie l'écoutait attentivement sans jamais s'étonner que Louis sache tout cela. Pendant ce temps-là, Hitler rejetait la suprême clause militaire du traité de Versailles et un Noir américain fut couronné aux jeux olympiques de Berlin.

Camille était persuadée que Louis se trompait de destinataire. Mais elle n'avait aucun moyen de remonter jusqu'à lui pour lui renvoyer ses lettres. Il n'avait pas noté d'adresse au dos de l'enveloppe.

Les lettres de Louis ne commençaient jamais par « Mademoiselle » ou « chère Camille ». De plus, il n'y avait pas d'indication de lieu ni de date en entête. Le Louis en question ne s'adressait semble-t-il à personne.

Camille reçut un appel téléphonique en pleine nuit. C'était Pierre.

Pierre était le frère de Camille. Il lui demanda si elle se rendait compte qu'à présent ils étaient orphelins. Cela l'empêchait de dormir. Alors elle accepta qu'il vienne la voir.

Selon Louis, ce ne sont pas les autres qui nous infligent les pires déceptions, mais le choc entre la réalité et les emballements de notre imagination.

Annie et lui faisaient toujours la route ensemble de l'école à la mercerie. Ils ne partaient pas en même temps mais la distance qui les séparait se réduisait au cours du chemin. Des années plus tard, le jour de leurs retrouvailles, le 4 octobre 1943, à Paris, Annie avait ri en lui faisant remarquer que c'était toujours lui qui tenait les deux rôles, soit il la rattrapait, soit il la laissait le rattraper. En tout cas elle n'avait jamais modulé son pas, elle le jurait.

Louis appelait ces trajets leurs « promenades en amoureux ». Il avait eu très longtemps l'espoir être avec Annie. Mais quand il l’avait retrouvée, elle était mariée. Il lui demanda si elle était heureuse. Elle lui répondit qu'il avait toujours été le premier. Le premier à l'avoir embrassée, premier à lui avoir caressé la joue, les seins, le premier qui sut que sous ses jupes, parfois, elle ne portait rien.

Peut-être qu'Annie espérait que Louis lui pardonnerait tout ce qui ne s'était jamais passé entre eux. En fait, Annie avait commencé à changer quand elle s'était mise à fréquenter cette Mme M.

Louis n'avait pas vu Annie pendant trois ans. À aucun moment il n'avait imaginé qu'elle puisse habiter Paris, comme lui. Ces retrouvailles lui semblaient trop belles pour être vraies.

Il eut envie d'elle. Elle lui demanda s'il se souvenait des M. Comment pouvait-elle lui poser cette question.

Camille appela à la poste dès le lendemain matin pour savoir s'il y avait un moyen de savoir d'où venait les lettres qu'elle recevait. Mais la réponse avait été claire : il n'y avait aucun moyen de le savoir.

Elle pensait qu'il devait exister une autre Camille Werner qui attendait ces lettres. C'était elle qu'elle devait retrouver. Alors elle se lança dans une grande chasse aux homonymes.

Elle téléphona à tous les Werner de l'annuaire mais aucun ne connaissait une certaine Annie et aucun n’avait une Camille dans sa famille..

Le mardi suivant, une nouvelle lettre de Louis arriva. L'odeur du papier rappelait quelque chose ou quelqu'un à Camille. Mais elle n'arrivait pas à savoir quoi.

Les M. étaient un jeune couple très fortuné. Ils avaient hérité très jeune. Ils avaient choisi de s'installer à L'Escalier pour le plus grand malheur de Louis. L'Escalier, c'était le nom donné à une belle demeure qui se dressait au milieu du petit village où habitait Louis. Cette maison appartenait davantage à l'inconscient collectif qu'un quelconque propriétaire. Quand le couple M. s'y installa, ce fut comme un viol, tout le monde se sentit spolié par l'intrusion de ces étrangers.

Tout le monde, sauf Annie qui se réjouit de l'occasion de peindre de nouvelles toiles.

Annie peignit l'emménagement du couple. Elle montra ses toiles à Louis qui les trouva réussies. Mais elle trouva qu'elle avait raté l'homme. Il boitait et ça ne se voyait pas sur sa toile.

Elle n'avait pas vu qu'elle avait peint un landau et un berceau. Alors Louis lui fit remarquer que c'était une famille qui allait s'installer. Louis remarqua que le pinceau d'Annie courait déjà autour d'un enfant pris dans les jupes de sa mère.

Quand Louis cherchait le pourquoi de ce drame, il en arrivait toujours à la même conclusion, si Annie n'avait pas eu le goût de la peinture, rien de tout cela ne serait arrivé.

Mme M. avait été attirée par une jeune fille qui peignait et c'était pour cela qu'elle l'avait invitée à entrer quelques minutes chez elle. Le village entier  essaya de trouver des raisons à cette amitié contre nature entre cette bourgeoise et leur petite Annie. Les riches aiment les artistes fut l'explication finalement retenue par le bon sens populaire.

Tout le monde finit par tirer une certaine fierté de cette relation. Tout le monde, sauf Louis. Annie perdit toutes ses autres habitudes, dont Louis. Elle lui donna aucune explication de son détachement.

En 1943, Annie avoua quelque chose à Louis. Elle raconta ce qui s'était vraiment passé chez les M. Louis était le seul à qui elle pouvait le dire.

Camille était éditrice. Il y avait quelque chose de littéraire dans la lettre de Louis. Elle pensait que les lettres de Louis lui étaient bien destinées mais que c'était tout simplement un auteur qui lui envoyait son manuscrit par ce biais. C'étaient les morceaux d'un livre qu'elle recevait semaine après semaine. C'était culotté mais pas bête. Camille se demanda si c'était quelqu'un qu'elle connaissait qui lui envoyait ces lettres. Ça ne pouvait pas être mal Annie, la petite stagiaire de la maison d'édition. Elle était trop jeune et en plus elle était trop jolie pour écrire comme ça. Son correspondant avait les manies d'un tueur en série. Il envoyait toujours ses lettres le même jour. À cette période, Camille trouvait encore les lettres distrayantes, presque amicales. Elle avait envie de connaître la suite. Elle n'imaginait pas un seul instant ce qui l'attendait.

Annie se sentait bien chez les M. Mme M. lisait, à voix haute. Elle faisait tous les personnages. Annie se sentait bien en sa compagnie. Ça ne lui était jamais arrivé avec personne. Elle était généreuse avec Annie. Elle avait mis une pièce entière à la disposition d'Annie. Elle avait même demandé à un ami de donner des cours à Annie. Alberto était un peintre formidable et un formidable sculpteur. Annie remarquait que Mme M. n'était pas heureuse mais sans savoir pourquoi. Un jour, Annie vit les M. se disputer. M. M. ne reconnaissait plus sa femme et ne comprenait pas pourquoi elle se coupait du reste du monde.

Il reprocha d'être en train de devenir pire que celle qu'elle fuyait. Quand Mme M. réalisa qu’Annie avait tout entendu elle lui reprocha d'écouter aux portes. Alors Annie s'enfuit mais Mme M la rattrapa et s'excusa. Annie accepta ses excuses mais le regretta par la suite.

Après cette dispute, elles se mirent à se parler davantage. Elles avaient presque 10 ans d'écart mais ça ne les séparait pas vraiment. Elles se mirent à lire les journaux. Elles finissaient toujours par le courrier des lecteurs. Elles ne comprenaient pas comment ces femmes pouvaient raconter leurs problèmes à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas.

Mme M. ne supportait pas les réponses de la journaliste. Annie était surprise car d'habitude le courrier des lectrices les faisait plutôt rire.

Annie pensait que Mme M n'était pas malheureuse par nature mais pour quelque chose de précis.

Annie proposa à Mme M d'écrire une lettre à la journaliste qui signait « Marie-Madeleine » pour lui dire tout le mal qu'elles pensaient de ses conseils.

Alors elles écrivirent à « Pourrie-Baleine » comme elles la surnommèrent.

Mais elles n'envoyèrent jamais les lettres. Le simple fait de les écrire les amusait.

Un jour, Annie arriva à l'escalier en pleine crise d'asthme. Elle pensait qu'elle allait mourir car elle saignait. Mme M sourit car elle aussi n'avait rien osé dire à ses parents le jour où ça lui était arrivé. Pour calmer la douleur, elle avait demandé à Sophie (sa servante) de lui faire couler un bain chaud. Annie était surprise par ce qui sortait de son ventre. Mme M entra dans la baignoire souillée de sang dès qu'Annie en sortit. Annie en fut gênée. C'est à ce moment-là qu'elle sut que Mme M avait tout lui raconter.

Tout avait commencé juste après leur mariage. La mort brutale de leurs parents les avait terrassés. Ils étaient malheureux et noyés sous de lourdes responsabilités. Son mari ne voulait pas reprendre les affaires familiales. Il avait décidé de tout vendre. Et puis leurs réflexes d'héritier s'étaient déclenchés, à quoi leur servait leur fortune s'ils n'avaient personne à qui la léguer ?

Mais au bout de deux ans il n'avait toujours pas d'enfant. Mme M était désespérée. Elle avait fini par s'infliger une véritable torture mais elle ne tomba jamais enceinte. Elle s'était installée à L'Escalier pour s'éloigner de ces atroces souvenirs.

Annie avait voulu rassurer Mme M en lui disant qu'un jour, ça pouvait marcher, que ses parents, eux aussi, avaient attendu très longtemps avant de l'avoir.

Mais Mme M n'avait pas répondu.

Alors Annie trouva enfin le moyen de remercier Mme M pour tout ce qu'elle avait fait pour elle. Elle écrivit à haute voix à Pourrie-Baleine : « une femme que j'aime de tout mon coeur ne peut pas avoir d'enfants. Moi je n'en veux pas. La seule chose qui compte dans ma vie, c'est la peinture. Alors j'aimerais porter le sien. Comme ça, à mon tour, je pourrais lui offrir ce qui lui manque ».

Mme M se mit à pleurer. Elle répondit que la jeune fille qui écrivait cette lettre était d'une extrême gentillesse mais qu'elle ne savait pas ce qu'elle disait et que Pourrie-Baleine n'allait pas manquer de la ramener à la réalité.

Deux mois plus tard, Mme M dit à Annie qu'elle était d'accord. Mais à présent, cette idée lui semblait un peu folle. Elle se dit que le mari de Mme M n'accepterait jamais. Mais le mari était d'accord. Annie n'en revenait pas qu'il soit d'accord. Elle voulut remettre au lendemain. Elle ne voulait pas faire l'amour avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Mais Annie tomba enceinte avec l'efficacité d'une vierge.

Annie dut quitter le village le temps de sa grossesse. Elle pensait qu'elle pourrait revenir après avoir accouché. Elle ne pouvait pas croire que les choses ne seraient pas aussi simples.

En 1943, Annie venait de raconter cette histoire à Louis. Elle avait écrit cette histoire dans une lettre à ses parents mais il ne l'avait jamais reçue.

Sophie n'avait jamais posté la lettre. Louis était jaloux et il agressa Annie. Il lui dit que M. M n'avait pas eu plus de chance que lui. Décidément, une seule fois, c'était leur lot à tous avec elle.

Annie pleura. Et pour une fois, Louis s'en fichait. Il ne pensait qu'à lui et il voulait lui faire payer son dépit amoureux.

Annie ignorait que Sophie avait bel et bien tenu parole et que sa mère avait bel et bien reçu la lettre. Alors, Louis connaissait déjà l'histoire. La mère d'Annie lui avait montré la lettre. Louis recopia un les feuilles dans un cahier. Il avait décidé de ne pas lire la lettre en intégralité à la mère d'Annie. Eugénie était trop fragile pour subir un tel choc. Annie était enceinte du bébé d'une autre. Eugénie ne le supporterait pas. Louis pensait sincèrement agir pour le bien de tout le monde. Il avait laissé la lettre sous la pluie et avait menti en disant à Eugénie qu'il avait oublié la lettre sur son bureau avec la fenêtre ouverte. Alors il avait inventé un autre contenu et Eugénie le crut.

Eugénie ne savait pas lire et avait toujours réussi à le cacher. Mais quand son mari avait été arrêté, elle n'avait plus d'autre choix que de demander à Louis de lire les cartes qu'elle recevait d'Annie.

Camille eut une impression désagréable, l'auteur de ces lettres s'adressait donc vraiment à quelqu'un. Elle comprit qu’elle avait peur.

Louis s'en voulut avoir voulu changer le cours des choses. Mais il venait à peine de retrouver Annie et il n'aurait pas supporté de la perdre à nouveau en lui avouant la vérité.

Et puis il aurait été obligé de trahir Eugénie en avouant que la mère d'Annie ne savait pas lire.

Louis se rappela de la fois où il avait fait l'amour avec Annie. Cela avait été rapide. Elle avait vite rabaissé sa jupe et lui relevé son pantalon. Une fois rhabillés, il s'était senti mieux l'un et l'autre et surtout l'un avec l'autre.

Il regretta de n'avoir pas pu l'empêcher de se rendre à ce rendez-vous avec Monsieur M.

Rien de tout cela ne serait arrivé. Il comprit que si elle avait été enceinte avec l'efficacité vierge, c'est qu'en réalité elle était déjà enceinte avant et qu'il était donc le père de l'enfant qu'elle avait eu. Il en était sûr en se rappelant à quel moment elle était partie avec Mme M. C'était au lendemain de Noël.

Annie revint avec un cadeau d’Alberto qu'elle voulait montrer à Louis. C'était une statuette de femme tout en longueur assise sur une sorte de chaise, les mains écartées autour du vide comme si elle tenait un objet invisible devant son ventre.

Puis elle lui proposa d'aller aux bains municipaux. Elle poursuivit son récit.

Mme M avait tout prévu. Elle s'installa avec Annie le temps de sa grossesse dans leur maison de Paris. Elle avait fait croire au village qu'elles partaient à Collioure. Mme M proposa à Annie d'avertir ses parents. La mère d'Annie était trop triste pour donner le change. Mais son père avait demandé à Annie si elle avait vraiment envie de partir là-bas et Annie avait répondu oui alors le père d'Annie avait demandé à Mme M de quitter sa maison sur-le-champ.

Le père d'Annie accusa sa fille de les abandonner pour une bourgeoise enceinte d'un capitaliste. Annie n'arrive pas à les rassurer. Les dernières semaines avant son départ avaient été délicates. Son père lui avait offert un chevalet à Noël et il n'avait pas voulu qu'elle l'embrasse pour lui dire merci. Elle partit le lendemain de Noël. Pendant le trajet Mme M lui expliqua que personne ne devait se douter de sa présence. Elle devrait rester tous les jours dans sa chambre. Annie pensait découvrir Paris. Mme M était pleine d'une joie de vivre qu'Annie ne lui connaissait pas. Elle sortait beaucoup et racontait à Annie ce qu'elle faisait. Annie la trouvait attentionnée.

Annie avait des idées noires et ne savait plus quoi peindre. Mme M avait accroché un plan de Paris dans la chambre d'Annie pour qu'elle ne se sente pas trop loin de tout. Mme M a rapporté également à Annie des cartes postales de Paris et lui avait promis qu'elle se promènerait dans la ville après l'accouchement. Elle faisait des tas de projets pour l'avenir, « pour après », comme elle disait. Annie aurait dû essayer d'y voir plus clair dans son jeu mais ne pouvait pas se douter un seul instant de ce que Mme M préparait. Elle était vraiment très gentille avec Annie. Mme M avait apporté un chaton pour quelle se sente moins seule. Annie avait appelé le chat Alto.

Mme M avait aussi installé la TSF dans la chambre. Mais Annie remarqua que Mme M n'arrêtait pas de lui donner des conseils. Ce qui était bon ou pas bon pour son bébé, c'était tout ce qui l'intéressait.

Mme M copiait tous les gestes d'Annie. Annie détestait ça. On aurait vraiment dit qu'elle était enceinte. En tout cas, dans son entourage, tout le monde le croyait. Plus Annie répondait à toutes les questions de Mme M plus elle s'éloignait de sa promesse. Peut-être que cette idée de faire un enfant pour une autre n'était qu'une illusion depuis le début.

Annie avait proposé des prénoms pour l'enfant à Mme M qui était d'accord. Elle voulait un enfant. Pas un prénom. Annie aurait voulu reprendre sa parole mais elle savait que c'était impossible. Elle avait envie de s'enfuir. Mais elle savait ce que l'on pensait des filles-mères.

Le véritable malheur, c'est qu'au fond d'elle, Annie était persuadée que son enfant aurait plus de chances d'être heureux dans le monde de Mme M que dans le sien.

Mme M rassurer Annie en lui expliquant qu'elle pourrait rester avec elle jusqu'au retour de son mari et peut-être même après. Elle serait la nourrice de l'enfant et plus tard, quand l'enfant serait en âge de comprendre, on tacherait de lui expliquer. Annie avait besoin de croire ce que lui disait Mme M car elle ne pouvait plus supporter l'idée de perdre son enfant.

Pendant tout son séjour à Paris, Annie ne reçut aucune lettre de ses parents. Son père voulait la punir d'être partie.

Mme M disait à Annie que ses parents allaient bien. Annie écrivait à ses parents mêmes s'il lui était difficile de trouver un sujet de conversation car il fallait qu'elle fasse comme si elle était à Collioure et surtout comme si elle n'était pas enceinte.

Ses parents croyaient que ces lettres faisaient partie d'un colis que Mme M envoyait à Jacques. Tout ça pour éviter que le cachet de la poste les trahisse.

Mme M avait réussi à se procurer une vingtaine de cartes postales de Collioure. Elle lisait les lettres d'Annie avant de les donner à Jacques. Annie l'appelait la Giraudoux de son courrier car elle censurée tout ce qu'elle pouvait écrire comme Jean Giraudoux censurait les médias français à cette époque.

Souvent Mme M scrutait le ventre d'Annie. Cela la troublait. Annie finit par répondre aux questions de Mme M en mentant. Elle prétendait ne pas sentir l'enfant ce qui était très faux. Elle s'imaginait alors Mme M répondre aux interrogations sur sa prétendue grossesse en disant qu'elle ne ressentait rien et ainsi provoquer le regard méfiant que les femmes pouvaient lui lancer.

La seule chose qu'Annie pouvait peindre c'était son corps. Mais elle savait que Mme M ne supporterait pas ça. Alors elle se dépêchait de recouvrir ses peintures par autre chose. Cette sinistre comédie durera 174 jours. Pendant cette période elle fut quasiment en prison sauf une période de 16 jours au cours de laquelle Mme M avait emmené Annie dans un moulin. Annie avait retrouvé un peu d'inspiration pour sa peinture. Mme M restait à l'intérieur et sursautait au moindre bruit comme si elle avait peur d'être découverte.

Annie dormait avec Mme M. Mme M était agitée et parlait pendant son sommeil. Annie avait envie de l'étouffer avec son faux ventre, de lui arracher tous ses linges menteurs et lui enfoncer dans la bouche jusqu'à ce qu'elle meure.

Annie se confiait à Sophie. Elle se plaignait de la puanteur de Mme M qui transpirait pendant son sommeil. La nuit suivante, Mme M ne dormit pas avec Annie. C'est Sophie qui prit sa place. Deux mois plus tard, Annie accoucha. Mme M était entré dans sa chambre en tenant une poupée qui disait maman. Une violente contraction avait alors saisi Annie.

Camille avait de nouveau pris un peu de recul par rapport à cette correspondance. Elle était persuadée qu'il s'agissait d'un roman, certainement des mémoires. Camille avait souvent remarqué qu'une naissance appelle une mort comme s'il y avait un numerus clausus des âmes sur terre. Sa mère était morte quatre jours après qu'elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte. Sa mère s'était tuée sur une route de campagne. Camille était enceinte de Nicolas mais elle lui avait caché sa grossesse. Elle savait qu'il ne voulait pas d'un enfant. Elle avait 35 ans et la nature n'allait pas l'attendre. Alors elle avait décidé de garder l'enfant. La mère de Camille avait compris même si elle avait dit à sa fille que c'était mieux d'avoir un enfant à deux.

Alors Camille s'était promis d'en parler à Nicolas.

Pendant son accouchement, Annie eut la pire crise d'asthme de toute sa vie. C'est Sophie qui l'accoucha. Mme M n'avait pas voulu chercher un médecin. Elle aurait préféré voir Annie et son bébé crever plutôt que de voir son secret découvert.

Le bébé était une petite fille prénommée Louise. Annie avait compris jusqu'où Mme M était capable d'aller. Si elle était capable de laisser Annie mourir, elle était aussi capable de la tuer.

Elle en parla à Sophie qui veillerait à ce que Mme M n'approche plus des repas d'Annie.

Louise était née le 16 mai 1940.

Annie avait alors écrit une lettre pour ses parents qu'elle avait confiée à Sophie. Sophie avait juré de le faire. Plus tard, Annie crut que Sophie n'avait jamais posté la lettre. Parce qu'elle naimait bien ses patrons qui avaient même réussi à la faire naturaliser, elle était juive.

Annie et Mme M étaient devenus des ennemies silencieuses. Quand Annie allaitait son bébé, elle sentait le regard jaloux de Mme M. Annie était obligée de laisser Mme M s'occuper du bébé. Quand Annie commença à se remettre de l'accouchement, Louise avait presque un mois. Mme M avait noyé Alto, le chat d'Annie. Annie l'avait retrouvé dans la baignoire pleine de sang. Mme M en était venu à penser qu'Annie était folle à lier, qu'elle n'avait jamais eu du bébé et qu'elle voulait lui voler le sien. Annie comprit que Mme M tuerait Louise plutôt que de la perdre. Annie découvrit que les Allemands venaient d'arriver à Paris. Mme M ne lui avait pas dit.

Avis que les Allemands clouaient déjà leurs pancartes en allemand pour indiquer les directions. Des soldats accrochaient les drapeaux nazis. Les croix gammées commençaient à flotter partout. Annie voulut trouver Alberto. Elle se souvenait que Mme M lui avait montré ou il habitait sur le plan de Paris. Mais Annie ne le trouva pas. Alors elle attendit devant la porte de son appartement. Trois jours plus tard il arriva. Il était trop bouleversé par ce qu'il venait de vivre pour poser à Annie la moindre question. Il avait quitté Paris au dernier moment avec son frère Diego. Tous les deux voulaient rejoindre Bordeaux et s'embarquer pour l'Amérique. Mais sur les routes, c'était la débâcle. Alberto était sur les routes avec son frère Diego. Ils avaient vu l'affolement des gens. Ils étaient arrivés à Moulins mais le lendemain les Allemands occupaient la ville. Ils comprirent que la fuite n'était plus possible alors Alberto avait décidé de repartir tout de suite vers Paris. Annie avait voulu dire à Alberto tout ce qu'elle venait de vivre pendant six mois. Mais le décalage entre ses sensations et les sensations du reste du monde était si terrible qu’elle se mit à douter de ce qu'elle avait vécu.

Alors elle demanda à Alberto de lui prêter son vélo mais il ne voulait pas qu'elle parte seule. Alors elle attendit qu'il s'endorme pour s'enfuir.

Camille avait peur que les lettres parlent d'elle. Louise était née le 16 mai 1940. Camille était née le 28 juin 1940. Et puis son père n'était pas journaliste, après la guerre il avait repris une imprimerie. Et surtout, Camille avait un frère, Pierre, la plus belle preuve que sa mère n'était pas stérile.

Le soir, Camille dîna avec Nicolas et elle lui raconta l'histoire des lettres qu'elle recevait. Il se moqua de sa propension à se faire des romans.

Annie rentra chez elle. Son père était assis dans la cuisine. Sa mère avait disparu. Il était désespéré. Le père d'Annie n'était revenu que le 3 juin 1940. Le gouvernement ne voulait pas que les journalistes communistes tombent entre les mains des Allemands. Depuis le pacte germano-soviétique, les Boches avaient les communistes à la bonne.

Alors le père du Camille avait été arrêté mais un surveillant l'avait poussé hors du groupe et lui avait dit de foutre le camp vite fait bien fait. Annie en voulait à Mme M qui lui avait menti et à Jacques qui veillait soi-disant sur ses parents.

Si Mme M avait dit que son père était en prison, Annie serait revenue à la maison sur-le-champ et Mme M le savait. Annie croyait que son père était rancunier parce qu'il ne lui répondait pas mais en fait il était prisonnier. Sa mère avait dû se défendre d'écrire pour ne pas gâcher le séjour « à Collioure » de sa fille.

Le mal que s'était donné Mme M pour avoir Louise laisser imaginer le mal qu'elle se donnerait pour la garder. Le père d'Annie avait menti à sa fille quand il avait juré qu'il avait quitté le parti communiste après le pacte germansoviétique. Alors Annie lui cria dessus parce qu'à cause de lui les nouveaux copains de Staline avaient peut-être tué sa mère. Le père d'Annie la gifla et lui montra sa carte du parti communiste déchirée en morceaux.

Les gendarmes l'avaient arrêté. Il serait condamné pour propos défaitistes. Le père d'Annie avait dit que les mecs sur la ligne Maginot étaient des bons à rien qui préféraient taper le carton plutôt que de travailler.

Et puis il reprocha à Annie d'être partie avec sa grande bourgeoise car alors sa mère ne se serait jamais retrouvée toute seule. Et il pleura. La première fois qu’Annie avait vu son père pleurer c'était pour le pacte germanosoviétique. Et puis après un long moment, le père d'Annie avait posé la main sur l'épaule de sa fille et lui demanda si au moins elle avait bien peint pendant tout ce temps mais elle n'avait pas eu la force de lui répondre.

Annie fouilla dans les affaires de sa mère et découvrit toutes les lettres qu'elle avait envoyées. Toutes sauf la dernière. La seule qui avait de l'importance. Celle où elle racontait toute l'histoire.

C'est là qu'elle comprit que Sophie ne l'avait pas postée.

Si sa mère avait su pour le bébé, elle ne serait pas partie. Annie en était persuadée. En un certain temps, Annie et son père avait fait comme tout le monde, ils avaient mis des petites annonces dans les journaux. Mais il n'avait pas beaucoup d'informations. Le père d'Annie ne savait pas où sa femme était partie. Ni même comment elle était habillée. Alors ils avaient mis son nom et son âge, ses cheveux blancs, le grain de beauté sur sa nuque.. Ils continuèrent d'attendre jusqu'au 30 novembre 1940. Ils apprirent par un télégramme qu'Eugénie Gallois était morte durant le bombardement.

Ils reçurent un colis contenant ses affaires. Annie avait tendu l'alliance de sa mère à son père et il lui avait lancée au visage.

Annie et son père étaient devenus des étrangers se retrouvant au repas.

Le père Daniel avait recueilli un chien errant est élu lancer des petits morceaux en lui disant quelques mots. C'étaient les seuls mots qui sortaient de sa bouche. Ils considéraient celle-ci comme responsable de la mort de sa femme. Alors Annie partie. Elle demanda pardon à Louis d'avoir quitté le village sans lui dire au revoir mais si elle était venue le voir, elle lui aurait tout raconté.

Camille se sentait exsangue, assommée après avoir lu cette dernière lettre. Elle faisait et refaisait sans cesse le même geste, passant et repassant son doigt dans le creux de sa nuque, sur son grain de beauté.

Louis attendit Annie dans le café situé en face des bains municipaux.

Il se demanda ce qu'elle avait bien pu faire à Sophie pour lui faire payer de ne pas avoir envoyé la lettre. Ce qu'il imaginait était en dessous de la vérité et il s'en voudrait toute sa vie d'en être le responsable. Annie revint. Elle s'était mis un peu de rouge à lèvres. Louis se rendit compte que c'était vraiment une femme maintenant. Il enviait le mari d'Annie. Louis apprit à Annie que c'était lui l'auteur du télégramme annonçant la mort de sa mère. Il avait vu la mère d'Annie mourir sous ses yeux. La mère de Louis avait insisté pour qu'il quitte le village. Elle ne voulait pas qu'il tombe entre les mains des Allemands. La mère de Louis avait laissé tomber la mercerie pour reprendre la classe des petits car l'institutrice s'était évanouie dans la nature. La mère de Louis voulait qu'il parte pour les défendre si ça dégénérait. Lui avait promis à la mère d'Annie de passer lui dire au revoir. La mère d'Annie lui proposa de partir à Collioure pour rejoindre l'endroit où elle croyait retrouver Annie. Lui et la mère d'Annie arrivèrent sur la route au milieu d'un groupe de villageois. Ils avancèrent lentement. Des stukas foncent vers sur les civils pour les mitrailler. Un cheval qui était devenu fou à cause des avions fonça sur la mère d'Annie qui eut le temps de protéger une petite fille et reçut le coup de sabot du cheval. Elle mourut sur le coup. Louis avait lu l'annonce dans la gazette et avait fini par y répondre. Il demanda à Annie de lui pardonner le fait qu'il n'ait pas été capable de protéger sa mère.

Mais Annie ne lui en voulait pas. Ce n'était pas sa faute. Elle voulut savoir quel jour il était parti avec sa mère. Louis répondit que c'était le 23 mai. Alors Annie comprit que si Sophie avait posté la lettre le lendemain de son accouchement, comme elle l'avait promis, sa mère l’aurait reçue et elle ne serait jamais partie. Louis se sentit encore plus coupable.

Ils ne virent pas le temps passé et ils durent rentrer à cause du couvre-feu. Annie voulut aller chez Louis.

Ils prirent le métro mais il leur restait encore 500 m pour arriver chez Louis. Il ne fallait pas se faire prendre. Alors il demanda à Annie de monter sur son dos car elle avait des semelles de bois qui a auraient pu les faire repérer.

Camille essaya de ne pas céder à la panique. Celui qui écrivait ces lettres souhaitait visiblement lui faire croire qu'il parlait d'elle.

À part les hommes qu'elle avait connus, personne ne savait pour son grain de beauté. Elle avait les cheveux longs et ne les attachait jamais. Son dîner avec Nicolas avait été un véritable fiasco. Nicolas lui accusa de lui avoir fait un bébé dans le dos. Elle s'était alors levée en lui disant que Cendrillon devait rentrer, qu'elle ne perdrait pas sa chaussure et qu'elle l’emmerdait, profondément.

Camille se posait des questions sur Mme M. Peut-être que le M était en fait à l'envers donc un W. Ce serait donc une Mme W comme Élisabeth Werner, la mère de Camille. Camille voulait trouver un indice lui permettant de savoir qui lui envoyai ces lettres. Elle attendit le mardi suivant avec l'espoir que l'auteur anonyme allait lui donner le mot de la fin.

Louis éprouvait de désir pour Annie qu'il portait sur son dos. Il avait les mains sous les fesses d'Annie. Il se souvenait du jour où il pensait l'avoir perdue pour toujours.

Annie n'avait pas pu être présente lors de la cérémonie en hommage à sa mère. Elle avait quitté son village le jour où s'était tenue la messe en mémoire de sa mère. Louis n'avait aucun mal à trouver l'adresse de Mme M à Paris. Un type de la poste l'avait renseigné en lui souriant bizarrement.

Louis s'il y rendit et c'est Mme M qui lui ouvrit. Elle tenait le bébé dans les bras. Louis n'arrivait pas à y croire. Mme M prétendit qu'Annie n'était pas là. Elle dit qu'elle n'avait pu aucune nouvelle d'elle. Elle lui raconta une histoire. Elle prétendait qu'Annie était tombée amoureuse d'un homme appelé Henri. Elle avait accepté d'être la marraine de guerre d'Henri  et avait fini par en tomber amoureuse.

Louis regarda le bébé une dernière fois et il lui dit au revoir comme s'il disait au revoir à Annie.

Il pensait que si Annie avait décidé d'abandonner son enfant à cette femme, il ne pouvait pas s'y opposer. Il était arrivé chez Mme M avec l'aplomb d'un sauveur et en était reparti avec la fébrilité d'un éconduit.

Il avait honte de ne pas avoir pensé qu'Annie pouvait tomber amoureuse d'un soldat. Il la connaissait suffisamment pour savoir que si un homme avait réussi à lui plaire, elle ne vivrait plus que pour lui.

Louis comprit pourquoi le postier lui avait souri bizarrement en évoquant le nom de la rue de Mme M. Mme M habitait à côté d'un bordel.

Louis trouva un emploi dans un bureau de poste. Un jour, Annie se présenta dans ce bureau. Elle fut surprise de tomber sur son ancien ami. Il ne fut pas capable de se lancer dans une conversation avec elle comme s'il l’avait quittée la veille. Alors elle s'en alla. Il était bouleversé. Il croyait avoir pu enterrer son souvenir au bout de trois ans sans la voir. Il la haït de revenir dans sa vie comme ça, sans crier gare. Comme elle n'avait pas donné signe de vie pendant trois ans, Louis devait continuer la sienne.

Le soir, Louis rompit avec Joëlle, ce petit ami de l'époque. Après quoi, il se mit à attendre Annie. Il se mit à sa recherche. Et elle revint dans sa vie au moment où il s'y attendait le moins.

Une semaine plus tard, elle l'attendait à la sortie, sur le trottoir.

Ils se firent arrêter par les Allemands dans la rue. Annie avait eu une crise d'asthme ce qui les avait fait repérer. Annie dit à Louis qu'ils ne risquaient rien. C'était déjà arrivé à des amis à elle et ils avaient été relâchés. Elle lui dit qu'elle n'était pas entrée dans son bureau de poste par hasard. Elle savait qu'il y travaillait. C'est la mère de Louis qui lui avait dit. Annie lui proposa le mariage et Louis lui promit de l'aider à récupérer Louise. Il pensait qu'elle s'était mariée mais il n'en était rien. Il en fut surpris. L'alliance qu’Annie portait était celle de sa mère. Elle avait aimé quelqu'un mais c'était fini. Louis accepta de se marier avec Annie.

Camille calcula l'âge de Louis par rapport aux lettres qu'elle avait reçues. S'il avait 12 ans en 1933, cela voulait dire qu'aujourd'hui il avait 54 ans, peu ou prou l'âge de Mme Merleau.

Camille devait maintenant retrouver le visage de Louis. Dans les lettres de Louis, le village était mentionné par son initiale N. Camille avait déduit des lettres que le village était situé à moins de deux heures de Paris. Dans une lettre il était mentionné que Jacques montait une fois par semaine donner des nouvelles des parents d'Annie. Camille en déduisit que le village était situé au sud de Paris. Camille s'était acheté une carte routière sur laquelle elle avait tracé un demi-cercle au compas : 2 heures de Paris, au sud. Son faisceau de recherche demeurait encore très vaste.

Elle cherchait les villages commençant par la lettre N. Il en avait beaucoup. Les amis de Camille arrivèrent chez elle. Elle leur parla de sa grossesse et de Nicolas qui ne voulait pas de l'enfant. Charlotte, une des amis de Camille évoqua les églises de Champagne qu'elle aimait parce qu'elles étaient en bois. Alors, Camille repensa à une des lettres dans laquelle il était question de l'odeur de bois si particulière de l'église du village. Le village de N devait donc se trouver en Champagne. Louis ne pouvait plus échapper à Camille maintenant. Pourtant aucun village de cette région comportant une église en bois ne commençait par la lettre N. Le passé révélé par les lettres demeurait encore verrouillé.

Annie et Louis furent libérés le lendemain matin par les Allemands. Louis emmena Annie chez lui. Il voulut lui faire l'amour mais elle refusa car elle voulait le faire avec son « mari » et pas avec un homme comme les autres. Elle lui proposa de l'épouser le soir même, s'il voulait. Elle voulait se marier à l'église. Louis ne le savait pas si pieuse. Moustique, l’ami de Louis, arriva. Il n'était pas surpris de voir Annie. Louis découvrit qu'Annie s'était renseignée auprès de Moustique pour avoir des renseignements sur lui. Louis habitait avec Moustique depuis trois ans. Moustique c'était le postier au sourire grivois. C'est toujours par lui que Louis avait rencontré ses petites amies.

Annie avait donné rendez-vous à Louis à 14:00. Mais quand il sortit de son travail, Louis ne la trouva pas. Il attendit en vain. Elle lui avait laissé un message chez lui. L'avait écrit « ici, enfin, je repose… ». C'était l'épitaphe qu'Élisabeth Vigée-Lebrun avait fait graver sur sa tombe à la fin de cette triste existence. Louis retourna la feuille et lut ce qu'il y avait écrit : « c'est pas beau les cachotteries. Qui va dire à votre nouveau petit ami qu'il couche avec une putain». Annie avait dû recevoir cette lettre anonyme le jour même. D'un seul coup, Louis se rappela des détails qui firent sens. Sa précipitation à aller se laver à peine rentrée. Annie était donc une prostituée. La chambre ou Annie avait fait venir Louis n'était donc pas sa chambre mais une chambre où elle recevait ses clients. Annie avait dessiné quelque chose sur la feuille. C'était un petit garçon qui jouait avec une poupée au bord d'un lac. Louis comprit que c'était le lac où il plongeait les poupées de porcelaine. Annie était donc au courant de son secret. Il comprit aussi qu'Annie avait l'intention de se suicider en se jetant dans ce lac. Alors il prit son vélo et roula le plus vite possible vers le lac. Mais il n'arriva trop tard. Il trouva le vélo d'Annie au bord du lac. Le corps d'Annie ne remonta jamais.

Louis avait 20 ans quand Annie mourut.

Camille ne reçut plus de lettres pendant deux semaines. Le type qui lui envoyait ces lettres avait déboulé dans sa vie en lui balançant que sa mère n'était pas sa mère. Il lui annonçait également qu'Annie était sa prétendue mère et qu'elle s'était suicidée. Après quoi, il l'avait laissée se débrouiller avec ça.

Rien dans les souvenirs de Camille ne correspondait aux descriptions des lettres reçues. Elle ne s'appelait pas Louise, ses parents ne lui avaient jamais parlé d'une maison appelée L'Escalier. Était mentionnée également dans les lettres l'adresse de l'atelier d'un certain Alberto. Camille s'y était rendue. C'était l'atelier d'Alberto Giacometti. Rien que ça !

Cela semblait trop gros à Camille pour être vrai. Ses parents lui auraient parlé de lui.

Un jour, au bureau, Camille reçut l'appel du professeur Winnicott. Il savait que Camille faisait des recherches sur les églises à pans de bois. Winnicott était un universitaire installé à Paris depuis bientôt 15 ans. Il avait été dépêché par un musée américain au moment de l'affaire de l'église de Nuisement-aux-Bois. Ce village avait disparu suite aux inondations subies par Paris de 1910 à 1955. La Ville de Paris avait été obligée de construire plusieurs barrages-réservoirs sur la Seine et ses affluents. Mais l'implantation du lac du Der- Chantecoq avait engendré une véritable tragédie faisant disparaître du jour au lendemain trois villages. Ces trois villages avaient été rasés pour que Paris ne soit plus inondée. Mais une église avait pu être sauvée, une église et son cimetière. Celle de Nuisement.

L'église en question était d'une construction à pans de bois. L'église avait été sauvée parce qu'elle intéressait un conservateur aux États-Unis. L'église avait donc été démontée et remonter pièce par pièce dans un petit village juste à côté, Sainte-Marie du lac. Le cimetière avait été également déplacé derrière l'église.

Camille se rendit à Nuisement. Juste avant Mme Merleau lui remis un paquet qui n'entrait pas dans la boîte aux lettres. L'enveloppe contenait un paquet entouré d'un papier marron et une petite lettre très courte.

Louis lui écrivait qu'il lui avait fallu des années pour comprendre ce qui s'était réellement passé. Dès que Camille lut le début de l'être « cher Camille », elle sut que Louise c’était elle-même. Le papier marron recouvrait un cahier d'écolier. Il contenait l'écriture de Louis, plus serrée, plus nerveuse, mais surtout les mots d'une autre.

Louis avait su toute l’histoire par Mme M. Elle lui avait expliqué qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfants avec son mari journaliste. Ils avaient perdu leurs parents respectifs dans un accident de voiture alors qu'ils fêtaient leur nuit de noces. Ils avaient pleuré ensemble pendant des semaines.

En n’arrivant pas à avoir d'enfants, Mme M avait le sentiment que le destin s'acharnait de plus belle. Trois années avaient passé sans que rien ne vienne. Elle n'avait personne à qui se confier. Son mari Paul n'abordait jamais le sujet. Alors elle s'était accrochée aux livres pour trouver une réponse à son problème. Elle était allée dans une librairie parisienne. Mais elle trouva aucun ouvrage contemporain sur le sujet. Le livre de référence avait été écrit en 1885 par Auguste Debay.

Annie se jeta sur ce livre à corps perdu. En croire Debay, ce n'était pas difficile de faire des enfants, ce n'était qu'une question d'hygiène. Annie suivit tous ses conseils. Elle dut s'astreindre à une alimentation « excitante » : roquette, céleri, artichauts, asperges, truffes… Elle suivit toutes les recommandations en vain. Annie était devenue son propre cobaye et seul le fait de tomber enceinte aurait pu l'arrêter. Elle avait honte de sa stérilité quand elle devait affronter sa famille. Elle ne pouvait plus tenir de conversation.

Pour fuir cette honte, Paul et Mme M avaient déménagé à Nuisement.

Personne ne venait leur rendre visite. Sauf Alberto Giacometti qui était un des amis de Mme M qui avait accepté de donner des cours de peinture à Annie. Annie était la première personne, depuis longtemps, à ne pas considérer Mme M comme une mère ratée. Elle se fit une joie de lui procurer tout ce dont elle avait besoin pour peindre. Son instinct maternel frustré avait enfin trouvé sur qui s'apaiser. Quand Mme M parla de sa stérilité à Annie, c'était avec beaucoup d'émotion et elle le regretta tout de suite. Elle avait tout gâché, elle le savait.

Annie était trop jeune pour entendre ce genre de confidences. Mme M se dégoûta elle-même. Annie confia qu'elle ne voulait pas d'enfant et Mme M comprit mieux pourquoi sa stérilité, à ses côtés, lui avait semblé si légère.

Annie lui avait parlé de Louis. Elle avait proposé à Mme M de faire un enfant à sa place, c'était le 7 février 1939. Mme M accepta et en parla à son mari le jour de l'anniversaire de leur mariage. Paul prit sa femme pour une folle. Il ne voulait pas coucher avec la première venue. Il dit à Mme M qu'elle était tombée enceinte une fois et qu'elle tomberait à nouveau enceinte un jour. C'est alors que Mme M lui révéla qu'elle avait menti le jour elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte. En fait elle souffrait d'aménorrhée et son médecin avait couvert son mensonge.

Quand Paul accepta la proposition de Mme M ce fut à condition de ne faire l'amour avec Annie qu'une seule fois. Si Paul avait refusé, Mme M aurait pensé qu'il ne l'aimait pas. Mais même en lui disant oui, elle continua de penser qu'il ne l'aimait pas. Elle fixa les conditions. L'accouplement ne devrait pas durer plus de trois minutes, dans un lit, et dans l'obscurité. Mme M, pour compenser sa jalousie fit comme tout ce qui venait de se passer continuait d'accomplir sa volonté.

Mme M pensait à son avenir. Elle allait rentrer à Paris et quitter le statut de paria auquel on l'avait reléguée.

Elle allait pouvoir reprendre ses ébats avec son mari dans la légèreté de leurs actes. Mais le 9 mai, Paul lui apprit qu'Annie n'était pas enceinte. Il est l'avait su par Annie. Ils avaient convenu d'un code entre eux. Elle devait coincer le rideau de sa chambre dans la fenêtre si elle n'était pas enceinte. Alors Mme M lui demanda de recommencer. Il refusa. Mais Annie était d'accord pour recommencer jusqu'à tomber enceinte.

Mme M se dit que Paul devait faire cet enfant par n'importe quel moyen et prit la pire décision de sa vie, celle de refuser son lit à son mari. Elle voulait l'acculer d'une manière ou d'une autre à coucher avec Annie. Elle voulait le pousser dans ses retranchements avec le sadisme d'un ennemi tout en oubliant qu'elle l'aimait.

Un matin, Paul rentra après avoir assisté à l'exécution d'un condamné à mort. Il avait été dégoûté par le comportement des femmes qui avaient débordé le service d'ordre et s'étaient précipitées sur le sol pour tremper leurs mouchoirs dans les flaques de sang.

C'est Eugène, un collègue de Paul, qui lui expliqua que les femmes pensaient que le sang d'un condamné à mort les rendrait fertile. Paul avait pris peur. Il pensait qu'un jour sa femme serait capable de faire la même chose. Alors il accepta de coucher à nouveau avec Annie. Tous les samedis, ils firent l'amour. Pendant ce temps, Mme M allait au cinéma.

Pour se rapprocher de son mari, Mme M qui refusait toutes les invitations depuis qu'ils étaient installés à L'Escalier lui proposa de l'accompagner à la réception de l'ambassade de Pologne et au mariage de Sacha Guitry. À l'ambassade, le 4 juillet 1939, Paul était inquiet à cause de la situation politique alors que sa femme ne pensait qu'à leur futur enfant.

Un jour Sophie avait dit à Mme M qu'Annie allait faire tourner bien des têtes. Alors Mme M avait voulu espionner Annie et son mari un samedi. Ils ne s'étaient pas allongés, ils étaient assis. Tous les deux sur le rebord du lit. Ils s'embrassaient sur la bouche. Annie avait peint le portrait de Paul. Mme M les regardait faire l'amour. Après quoi elle vomit. Elle les avait vus se donner du plaisir mais sans que son mari ne pénètre Annie. Ils faisaient l'amour pour ne pas faire d'enfant. Mme M avait vomi de savoir qu'elle ne pourrait jamais lutter contre ça. Elle venait de découvrir que son mari aimait Annie.

Cette année-là, ils ne partirent pas en vacances. Paul prétendait que c'était à cause de la situation politique mais Mme M savait que c'était une excuse. En réalité, il ne voulait pas partir loin d'Annie. Mais à la mi-août, Paul se ravisa et proposa à Mme M de passer quelques jours à Deauville. Dans son malheur, Mme M appelait la guerre de tous ses voeux. Son salut pouvait seul venir d'une séparation d'avec son mari. Paul avait deviné que si la France entrait en guerre contre l'Allemagne, elle la perdrait. Il avait enquêté pour son journal sur la réalité de la préparation militaire de la France : l'armée de terre était déficiente, les canons obsolètes et les troupes manquaient d'instruments d'observation et de mesure.

Mais Mme M préférait que la guerre lui prenne son mari plutôt que ce soit à Annie.

Elle préférait même que ce soit la mort qui lui prenne son mari plutôt qu'Annie.

Le 1er septembre 1939, Paul réveilla sa femme et lui annonça que la guerre était déclarée. Il était mobilisé. Elle n'avait trouvé aucun mot de réconfort.

Mme M demanda à Jacques de la conduire à l'escalier. Était obligé d'y retourner sinon Annie aurait compris que Mme M savait quelque chose. La veille de son départ au front, Paul s'était effondré. Il avait fait promettre à sa femme de rester à Paris. Il lui dit qu'il l'aimait et il lui fit l'amour pour la première fois depuis des mois. Au mois d'octobre, Annie annonça à Mme M qu'elle était enceinte. Mme M pensait que c'était impossible car elle avait vu la nature de ses rapports avec son mari. Mais elle comprit que ce n'était pas un mensonge à cause du ton solennel employé par Annie.

Mme M embrassa Annie car elle était heureuse. Elle redevenait soudain la maîtresse des événements et elle décida de retourner à L'Escalier.

Mme M avait d'abord pensé à emmener Annie à Collioure mais elle trouva plus prudent de retourner à Paris. Elle écrivit à son mari pour le lui annoncer. Elle lui annonçait également qu'elle était enceinte et qu'elle emmenait Annie avec elle. Quand elle avait proposé à Annie d'aller s'installer à Paris, elle avait tout de suite accepté. D'ailleurs, Annie avait tout accepté pendant ces cinq mois, même de ne pas sortir de la maison. Mme M lui faisait croire que toutes ces décisions étaient prises de concert avec son mari. Mme M profitait sans aucun scrupule de l'état amoureux d'Annie pour Paul pour la gagner à sa cause.

Mme M sortait beaucoup avec son faux ventre pour exhiber sa fausse grossesse. Il lui était plus facile de faire semblant d'attendre un enfant que de faire semblant d'aimer Annie.

Par exemple, elle lui annonça la prime de 3000 fr. allouée à la première naissance créée par Daladier. Mme M savait qu’Annie n'avait pas fait cet enfant pour de l'argent, mais cette somme lui revenait de plein droit. Elle lui faisait miroiter le nombre de toiles, de pinceaux et de fusains qu'elle pourrait s'offrir avec cet argent.

Mme M avait demandé à Sophie de ne jamais s'éloigner d'Annie et de la surveiller. Mais au fond d'elle-même, Mme M savait qu'Annie allait rester. Son meilleur allié pour qu'Annie ne parte pas, c'était Paul, Annie l'attendait. Quand Mme M recevait une lettre de Paul, elle prenait un malin plaisir à l'annoncer à Annie et à lui donner de ses nouvelles brièvement.

Invariablement, les lettres de Paul terminaient par : « dis bonjour à Annie pour moi ». Cette femme n'était donc pas sortie de son esprit. Mais au mois de mars, Paul reçut six jours de permission. Mme M était complètement paniquée. Alors elle ordonna à Sophie de faire les valises et elles partirent la nuit même. Annie ne s'en formalisa pas. Mme M lui avait présenté cette brusque escapade comme une idée de son mari pour faire « prendre l'air au bébé ».

Pendant leur séjour au moulin, Mme M était angoissée. Comme elle parlait pendant la nuit, elle avait peur de se trahir et avait fini par s'installer dans la cuisine sur le matelas de Sophie.

Mme M retourna seule à Paris pour vérifier que son mari était bien retourné sur le front. Dans leur appartement de Paris, Paul avait laissé une lettre. Il lui demandait où elle était partie. Il ne comprenait pas qu'elle n'ait pas reçu son télégramme. Il était accablé du fait qu'ils ne se soient pas vus. Il aurait aimé sentir le bébé sous ses doigts et voir le ventre de sa femme bouger.

Paul lui apprenait qu'il les avait cherchées partout. Mme M aurait peut-être trouvé sa lettre belle s'il n'avait pas écrit « cherchées ». Mais il n'avait pas terminé sa lettre par un bonjour à Annie. Mme M pensait que cela signifiait qu'il en avait caché une pour Annie. Mme M trouva en effet une lettre cachée dans les draps du lit d'Annie dans l'appartement de Paris. Il pensait à Annie jour et nuit. Il avait tellement attendu cette permission pour la voir. Pour rien. Il espérait que Mme M lisait toutes les lettres qu'il envoyait à Annie car c'était aussi pour elle qu'il racontait ses journées.

Paul terminait sa lettre en disant à Annie qu'il l'aimait et qu'il l'embrassait de tout son corps.

Sur l'enveloppe réservée à sa femme était écrit « Élisabeth » mais sur la lettre que Paul avait réservée à Annie était écrit « mon amour ».

Les choses ne pouvaient pas être plus claires.

Alors Mme M décida que l'enfant serait le sien. C'était tout ce qui lui restait. Une femme trompée est une mère en puissance.

Quand Annie eue contraction, Mme M décida de ne plus rien lui dire qui serait susceptible de la bouleverser, ni même de l'inquiéter. Elle savait qu'Annie appréhendait que la guerre s'engage dans de véritables combats où la vie de Paul serait alors vraiment en danger.

Et surtout Annie n'aurait plus personne pour l'empêcher de lui prendre son bébé si elle apprenait que Paul était mort à la guerre. Mme M rêvait de faire du mal Annie mais elle voulait qu'elle demeure un ventre heureux pour son enfant.

Elle lui mentait en lui disant que rien ne changerait après la naissance, qu'Annie resterait avec eux et qu'elle pourrait voir son bébé et s'en occuper plus tard quand il serait en âge de comprendre. Malgré l'affolement des Français quand les Allemands attaquèrent le 10 mai, Mme M n'avait pas envisagé de partir car Annie pouvait accoucher à tout moment. Le 15 mai, Annie eut les premières contractions et Sophie inquiète demanda à Mme M d'aller chercher le médecin. Mais Mme M ne voulait pas que son secret soit révélé alors elle fit semblant d'aller chercher un médecin. Elle prit sa voiture et tourne en rond dans Paris. Elle espérait que Sophie meurt en couches. Cela aurait tout simplifié.

Mme M était sortie de sa torpeur en voyant qu'on avait mis le feu à de la paperasse dans le jardin du Palais-Royal. C'étaient probablement des archives qui ne devaient pas tomber entre les mains des Allemands.

Mme M rentra chez elle et Sophie lui remit le bébé entre les bras, Annie était endormie. Elle regarda le bébé, Camille, elle ne ressemblait pas à Annie.

Annie demanda à Mme M si elle avait envoyé les chaussons à Paul. Elle n'avait tricoté deux paires-une bleue et une rose-et elles étaient convenues que Mme M enverrait à Paul la couleur qui serait née.

Mme M avait acquiescé alors que l’on venait d'annoncer l'arrêt de l'envoi de colis aux soldats sur le front. Le 3 juin, quand les Allemands avaient commencé à bombarder Paris, Mme M avait dû annoncer à Annie que la guerre avait éclaté.

Le 10 juin, le gouvernement quitta Paris. Mme M trouvait les Parisiens lâches. Mme M offrit 200 fr. à un gardien pour qu'il libère un prisonnier qu'il était chargé de transférer vers une autre prison. Le gardien avait accepté et Mme M avait le sentiment de s'être rachetée.

Mme M savait que le père d'Annie avait été arrêté mais elle ne put l'annoncer à Annie. Annie aurait alors voulu rejoindre sa mère et Mme M aurait pu dire adieu à son bébé.

Soir, le 12 juin, une coupure d'électricité plonge à Mme M dans le noir complet. À la recherche de bougies, elle tomba sur le revolver de Paul. Il l'avait laissé à Annie. C'était la promesse qu'il lui reviendrait. Il offrait à la femme qui comptait le plus pour lui l'objet qui comptait le plus pour lui. Sophie annonça l'arrivée des Allemands à Paris. Paniquée, Mme M s'empara du revolver et tua Alto. Mme M pensait que le revolver n'était pas chargé. Paul n'avait pas l'habitude de charger ses armes de collection. Mme M était persuadée que c'était Annie qui avait trouvé les balles et chargé le revolver.

Annie avait donc songé à tuer Mme M. Alors Mme M s'empara de Camille et quand Annie et lui demanda où elle avait mis son bébé, Mme M lui répondit qu'elle ne savait pas de quoi elle parlait. C'est à ce moment que Mme M dit à Annie qu'elle savait tout sur sa liaison avec Paul. Elle lui fit croire que c'était Paul qui lui avait tout raconté pour salir leur intimité et salir le plaisir qu'Annie avait pris avec Paul.

Mme M sentit encore en disant à Annie que jamais Paul ne l'avait embrassée dans ses lettres. Elle voulut lui faire croire que pour les hommes la famille était plus forte que le sexe. Après quoi, Mme M congédia Annie.

Annie était retournée à Nuisement et Mme M avait demandé à Jacques de la surveiller. Mme M se réjouit de la mort de la mère d'Annie. Elle pensait qu'elle ne bougerait plus de Nuisement pour s'occuper de son père.

Sophie avait fait la morale à Mme M. Mme M lui avait conseillé de partir car elle était juive et cela devenait trop risqué pour elle. Mais Sophie ne voulut à partir tant que Paul ne serait pas rentré. Elle avait promis à Paul de veiller sur Mme M. Alors Mme M se laissa convaincre et Garonne à Sophie avec elle.

Sophie fut arrêtée par les Allemands, un matin. Plusieurs mois plus tard, Mme M reçut la visite de Louis et elle eut peur qu'il vienne chercher Camille. Mais ce n'était pas un piège, Louis était vraiment à la recherche d'Annie. Alors Mme M inventa un mensonger et prétendit qu'Annie était tombée amoureuse d'un soldat et qu'elle s'était mariée.

Quand Louis dit au revoir au bébé en l'appelant Louise, Mme M comprit qu'il était au courant. En effet, Annie avait proposé d'appeler le bébé « Louise ».

Mme M avait triché sur la date de naissance de Camille prend la déclarant née le 28 juin. Mme M ne voulait pas qu'Annie détienne aucune vérité officielle sur Camille. Mais Louis représentait un danger pour Mme M alors elle décida de le surveiller. Quand Camille eut un an, Annie réapparut. Mme M avait emmené Camille voir un spectacle de Guignol. Mme M devina que Camille se cachait pour voir sa fille. Alors Mme M décida de la suivre et découvrit qu'Annie logeait dans un bordel.

Mme M comprit qu'Annie se prostituait. Elle ne voulait pas en être responsable. Pour elle c'est Annie qui en avait fait le choix. Elle comprit qu'Annie s'était mise hors d'état de lui nuire en se prostituant. Elle ne pourrait plus jamais lui reprendre Camille. En monnayant son orgueil de femme, elle avait perdu son orgueil de mère. De plus, si Paul avait pu partir avec une fille d'ouvrier, il ne serait jamais parti avec une traînée.

Mme M finit par s'habituer à voir la silhouette d'Annie hanter l'espace de sa vie. Après avoir découvert qu'Annie se prostituait, Mme M avait accepté de se rendre aux fêtes organisées par les Allemands. Elle avait peur qu'Annie profite de ses charmes pour s'attacher un officier et lui reprendre ainsi Camille. Mme M chercha donc elle aussi des protecteurs, des connaissances. Paul n'avait jamais compris pourquoi sa femme avait collaboré pendant qu'il était prisonnier. Il était revenu le 20 août 1942. Il avait accusé sa femme d'avoir couché avec les Allemands. Elle l'avait giflé. Camille ne se laissa jamais approcher par son père. Elle se précipitait dans les bras de Mme M dès qu'elle le voyait s'approcher.

Un jour, Paul lui demanda des nouvelles d'Annie. Mme M mentit en répondant elle était mariée. Elle avait resservi son histoire de marraine de guerre. Elle avait découragé en amoureux, il fallait qu'elle décourage Paul. Elle prétendit qu'Annie l'avait chargée de lui remettre le pistolet qu’il lui avait offert. Paul en fut gêné. Il devait se justifier. Il prétendit l'avoir perdu.

Quelques jours plus tard, Mme M reçut un appel du type qu'elle payait pour surveiller Louis. Un certain Maurice, le collègue de Louis. Il avait annoncé qu'Annie était réapparue au bureau de poste et que Louis avait l'air déstabilisé. Louis allait découvrir que Mme M lui avait menti. Mme M avait peur que lui et Annie viennent reprendre Camille.

Maurice lui apprit que Louis avait quitté sa petite amie pour Annie. Mme M se dit que dès que cette fille réapparaissait quelque part, toutes les autres étaient balayées.

Alors elle eut peur que Paul la retrouve.

Maurice apprit à Mme M qu'Annie et Louis avaient été arrêtés par les Allemands pendant le couvre-feu mais qu'ils avaient été relâchés. D'après Maurice, Annie habitait au 17 rue de Turenne. Mme M voulait en avoir le coeur net. Elle alla au bordel et la maquerelle lui confirma qu'Annie avait bien travaillé dans ce lieu mais elle venait de le quitter la veille. Mme M se rendit au 17 rue de Turenne. Elle envoya un petit crieur de journaux frapper à chacune des portes de l'immeuble. Le petit crieur lui avait rapporté qui il avait vu. D'après sa description, Mme M comprit qu'Annie se trouvait bien à cette adresse. Mme M guetta le départ d'Annie. Après quoi, elle glissa une feuille sous la porte de l'appartement d'Annie. Elle se rendit dans un parc et savait qu'Annie viendrait lui parler car Mme M était venue sans Camille et s'était habillée en noir. Quand Annie arriva, Mme M lui raconta un nouveau mensonge. Elle prétendit que Camille avait trouvé le pistolet de son père et avait joué avec. Elle dit à Annie que la petite était morte en se tirant une balle dans le ventre. Annie hurla. Et elle partit en courant.

En rentrant chez elle, Annie avait découvert la feuille que Mme M avait laissée sous la porte. Mme M avait écrit : « c'est pas beau les cachotteries. Qui va dire à votre nouveau petit ami qu'il couche avec une putain ».

Mme M était convaincue qu’Annie n'avait pas avoué à Louis qu'elle se prostituait. Il n'aurait pas compris pas qu'elle se soit ainsi compromise ces deux dernières années.

Mme M savait qu’Annie ne penserait pas à elle comme auteur de la lettre anonyme. Elle pensa peut-être que c'était un ancien client. Une simple explication avec Louis aurait suffi mais il venait de vivre un drame en apprenant la mort supposée de sa fille. Si Louis apprenait qu'elle se prostituait elle pensait qu'il voudrait plus jamais entendre parler d’elle.

Mme M ne sut que le lendemain qu'Annie s'était suicidée en se jetant dans l'étang.

Mme M n'avait pas vraiment prémédité ce meurtre mais il lui fallait trouver le moyen d'éloigner Annie définitivement. Elle voulait simplement l'accabler pour qu'elle n'entrevoit d'autre issue que la mort. Mme M n'eut jamais ni remords ni culpabilité. Elle pensait que c'était Paul et Annie qui l'avait poussée à commettre ce qu'elle avait commis.

Paul n'avait jamais rien soupçonné de la vérité.

Puis il y avait eu la naissance de Pierre, éclaircie dans la vie de Paul et Mme M. Paul buvait. Il n'avait jamais oublié Annie. Il s'était fait tuer pendant la guerre d'Indochine. Mme M n'avait jamais envisagé que son mensonge lui survive.

Mme M demanda à Louis de tout raconter à Camille. C'était sa dernière volonté.

Louis retranscrit fidèlement tout ce que Mme M lui avait confié.

Camille se rendit à Nuisement. Elle alla à l'église. Le prêtre, c'était Louis. Louis avait pris beaucoup de soin pour qu'elle ne le retrouve pas alors elle ne lui parla pas. Elle s'en alla. En lui infligeant sa confession, Mme M l'avait forcé à replonger dans ses souvenirs. Camille ne voulait pas les raviver en se présentant à lui. Elle ne voulait pas lui imposer une quelconque ressemblance avec cette femme qu'il avait tant aimée.

Camille se rendit compte que sa mère avait tué pour elle et qu'elle s'était tuée pour Louis. Mme M s'était suicidée en accélérant dans un virage, sûrement le virage où ses parents étaient morts. Camille monta dans un avion pour survoler Nuisement.

Il ne s'était rien passé entre Paul et Annie le premier soir.

Annie n'était pas morte. Jacques avait vu Annie remplir ses poches de cailloux et se jeter dans l'étang. Jacques avait couru et avait réussi à sortir Annie de l'eau. Il l'avait transportée à l'Escalier.

Élisabeth avait soudain découvert un jour qu’Annie avait survécu. Annie avait cédé sa place de mère et réclamerait un jour celle de grand-mère. Élisabeth le savait. Elle n'avait plus la force de se battre. Pour cette raison Élisabeth se suicida. Annie était devenue la concierge de l'immeuble de Camille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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