Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Humanisme : le Contrat social
4 juin 2021

La Malvenue (Claude Seignolle)

 

 

C1-Claude-SEIGNOLLE-La-MALVENUE-Recits-Diaboliques-MARABOUT

Claude fignole nous aide à mieux connaître l'état d'esprit de milliers de gens qui sont comme le terreau de la France. Il se fait le messager de milliers d'âmes muettes. Seignolle suit à la trace un fantastique qui hante des milliers d'humains. C'est un fantastique vérité, traditionnelle. Le cadre des récits de Claude Seignolle est la Sologne. Friches et landes sauvages en font un paysage fascinant. La Sologne est le pays du silence. Les Solognots vivent comme ils visaient il y a des siècles. C'est une sorte de microcosme où les griffes de l'espace et du temps n'ont pas de prise. Claude Seignolle avait dans le sang la passion de l'ethnographie populaire. On l'a vu, le carnet à la main, dépister les sorciers et noter les survivances païennes avec son frère puis seul.

La malvenue.

I

 

La ferme de la Noue laissait entrer le peu d'air et errant par ses fenêtres ouvertes. L'air de cette nuit d'août pesait. Sur les lits défaits, chacun dormait d'un sommeil commun, profond, pénible. Les muscles avaient gardé la cadence du labeur de la journée et par moment se mettaient à moissonner dans le vide. Les femmes geignaient d'épuisement. La moisson était faite. Antoine, le maître de la Noue, avait enfoncé d'un coup brusque et victorieux une branche de frais bouleau enrubanné de rouge le faîte est d'une haute meule. Ce geste avait amené le premier sourire sur chaque visage. Antoine avait annoncé que le repas de la Poilée serait pour le lendemain. Tout le monde était épuisé à part un vieux trimard qui s'était loué la veille et qu'avant personne n'avait jamais vu. Il avait pris son temps pour s'asseoir contrairement aux autres. Il avait attendu que la Galiotte lui apporte son assiettée de soupe. La vieille servante regarda l'homme avec bien plus d'attention qu'elle n'avait jamais consentie pour les dizaines d'autres trimardeurs de cette espèce qui avaient déjà frotté leur fond de pantalon sur les mêmes bancs.

Cet homme n'avait pas les manières de ces vagabonds traînant de bourg en ferme. Celui-là ne sentait ni bon ni mauvais et il avait travaillé comme quatre. De plus, il eut pour la servante un petit geste de la tête pleine de gratitude et de respect, si bien qu'elle ne plus se défendre d'un plaisir qui rosit ses joues. Il fut le dernier à aller se coucher et le seul à accepter la grange gorgée de foin au parfum entêtant.

Dans sa chambre, Jeanne était réveillée. C'était la fille de la maîtresse. D'autres travaux plus légers lui étaient réservés. Elle avait 16 ans et disait qu'à son âge, on faisait tout mal alors autant en faire le moins possible. Elle avait l'impression d'étouffer. Brusquement, elle sauta de son lit. Elle n'aimait pas rester ainsi éveillée. Elle avait la sensation d'une présence qui l'obligeait à se retourner vers la fenêtre. Elle savait pourtant que tous ceux de la ferme s'efforçaient de noyer leur fatigue dans le sommeil et que personne n'aurait envie de se promener dans la cour en pleine nuit.

Jeanne sortit de sa chambre. Elle se dirigea vers la cheminée et emplit son sabot avec les braises les plus grosses. Chose étrange, le feu solide n'enfonçait pas la douleur dans la peau de ses doigts. Puis elle se dirigea vers le chemin des Naullins. Un sourire farouche s'était figé sur ses lèvres serrées. Elle marchait pieds nus sur la terre chaude. Un plaisir sauvage échauffait son sang. Elle se mit à courir en tenant à deux mains le sabot dont le bois fumait, mordu par la braise. Elle s'approcha d'une meule. Son coeur battait à coups précipités car elle se trouvait là avec ce sabot qui fumait le mal. Elle jeta vivement les braises au pied de la meule et Jeanne se mit à rire. Le feu s'empara de la paille. Jeanne était effrayée et recula. À certains moments, elle ressentait l'angoisse. À d'autres, elle aurait voulu hurler la joie. D'un bloc, la récolte en fusion s'écroula et crépita. Les yeux de Jeanne buvaient ce carnage. Puis le feu décrut rapidement et la nuit se referma. Jeanne était déçue. Elle aurait aimé que le feu dure toujours.

Elle savait que son geste était pire qu'un crime car personne ne saurait qu'elle était coupable. Elle voulut s'enfuir mais elle resta figée sur place. Quelqu'un approcha. C'était Lucas. Elle était étonnée par l'intonation de sa voix. C'était à la fois de la stupeur et de la crainte. Elle s'attendait à la colère et aux coups. C'était un domestique alors qu'elle était la maîtresse. Elle saurait le faire taire. Il était sorti car il n'arrivait pas à dormir et il avait vu Jeanne partir. S'il avait su ce qu'elle comptait faire, il l’aurait arrêtée. Il aurait voulu avertir les fermiers pour qu'ils arrêtent la coupable et lui fassent payer son crime. Mais elle avait approché son corps contre le sien et il était sans volonté. Elle prit sa main et il la suivit. Elle lui dit que ça avait été plus fort qu'elle comme si on l'avait forcée à le faire. Elle lui demanda ce qu'il comptait alors dire. Il répondit qu'il y aura quelqu'un de prêt pour les gendarmes d’Angillon. Elle lui ordonna de se recoucher tout de suite et oublier ce qu'il avait vu. Elle se serra à nouveau contre lui. Elle voulait qu'il sache combien elle pouvait être femelle. Il rentra chez lui. Jeanne rentra sans bruit dans la grange où dormait le trimard. Dans le noir, elle chercha un des sabots de l'homme. L'ayant trouvé, elle se rendit dans la salle et remplit le sabot de braises. Puis elle retourna dans sa chambre pour prendre son second sabot.

Elle agit avec la même force qu'il avait poussée à se lever, à courir, à mettre le feu. Cette même force la poussait à présent vers la fosse. Devant la fosse, elle jeta ses deux sabots puis elle versa aussi la braise que contenait le sabot du trimard. Puis elle remit la pierre en place. Elle posa, bien en vue sur le chemin des Naullins, le sabot à moitié brûlé de l'homme.

Elle retourna sa chambre pour dormir.

Elle fut tirée de son sommeil par des cris qui frappaient les murs de la ferme. Elle reconnut la voix d'Antoine et celle de la Galiotte. Elle se rappela ce qu'elle avait fait et son coeur se serra. Elle courut à la fenêtre. Les gens de la ferme et les ouvriers loués pour la moisson faisaient cercle autour du trimard. Celui-ci se tenait immobile, les bras croisés. Il ne répondait pas aux insultes qui tombaient sur lui. Antoine avait appelé les gendarmes. Il lui cracha à la figure. Le trimard ne recula même pas. Il regardait tout le monde calmement. Personne n'osait braver le froid de ses yeux bleus. Son visage était pâle comme du plâtre et ses cheveux grisonnants étaient dépeignés. La Galiotte tenait le sabot brûlé à l'intérieur par la braise que les gens de la ferme avaient trouvé là où Jeanne l'avait laissé.

Jeanne était prise d'un tremblement. Sa culpabilité lui pétrissait la gorge et appelé le sanglot. Elle chercha du regard Lucas. Le domestique se tenait un peu à l'écart du groupe à présent silencieux. Elle craignait qu'il ne se trahisse par une parole ou une pâleur. Peu à peu, elle se faisait à l'idée d'avouer. Elle espérait qu'en tant que fille de l'ancien maître, on n’oserait peut-être rien lui reprocher. Alors elle s'habilla et s'apprêta à aller s'accuser devant tous. Elle voulait demander pardon au trimard. Après quoi, elle parlerait à Antoine, son beau-père. Elle pensait qu'elle recevrait deux gifles d'Antoine. Elle savait qu'elle les méritait. Quant à Lucas, elle se trouverait quitte avec lui et ce serait tant mieux parce qu'au fond, il n'était pas du tout à son goût. Mais après avoir attrapé la poignée de la porte, elle s'arrêta. Une lourdeur la força à baisser la tête. Elle aperçut sur le sol un morceau de pierre allongé qu'elle avait trouvé l'avant-veille dans un roncier. Elle la serra jusqu'à s'en laisser l'empreinte dans la peau. Elle sentit une ardeur nouvelle pénétrer en elle. Elle glissa la pierre sous le matelas et sorties. La déchirure étoilée marquant la peau juste au milieu de son front et qui lui valait le surnom de Malvenue perdit sa couleur bleuâtre pour devenir rouge.

Les gendarmes étaient arrivés. Ils avaient passé les menottes au trimard. Jeanne écarta les hommes qui injuriaient l'incendiaire.

Lorsqu'elle fut près de l'enchaîné, elle le toisa avec le mépris le plus sincère. Elle l''insulta. Antoine lui demanda de se calmer. Le brigadier annonça que le coupable aurait droit de se défendre et cela pouvait être long s'il était bon menteur. Les gendarmes s'en allaient avec le trimard. Jeanne fut prise de fureur et s'approcha de la Galiotte. Elle lui arracha des mains le sabot accusateur. Elle cria aux gendarmes d'arrêter car ils avaient oublié le sabot. Elle le leur donna. Le trimard la regarda et cela lui fit mal. Le trimard s'adressa à la foule pour annoncer qu'ils avaient chez eux une fille qui aimait faire le mal. Son front portait la marque de l'enfer. Un jour proche elle serait punie comme elle le méritait. Les ouvriers se lamentaient car ils savaient qu'Antoine n'avait plus aucune raison de faire le repas de la poilée. Un des ouvriers annonça à Antoine qu'ils s'en allaient en espérant que l'année suivante, pour le travail et le repas de fin des moissons, ils auraient plus de chance. Mais Antoine leur demanda de rester car il voulait tenir sa promesse. Chacun pourrait emporter un morceau de cochon et du vin. Antoine leur demanda simplement d'aller faire la fête ailleurs car dans la ferme on n'aurait plus le coeur à s'amuser.

Un des ouvriers regretta que le maître n'ait pas possédé un chien. On l'aurait entendu aboyer et on aurait peut-être pu faire quelque chose. Antoine était le seul de la région à ne pas posséder de chien.

Henriette, la femme d'Antoine répondit qu'ils avaient eu un chien mais il était devenu fou et une nuit s'était enfui. Depuis, ils avaient essayé d'en garder d'autres mais à chaque fois les chiens s'enfuyaient.

Jeanne s'adressa à Galiotte pour lui demander pourquoi on ne voulait pas qu'on sache comment était mort le père. Elle avait 16 ans et elle voulait savoir. Mais Galiotte refusa de répondre et rejoignit Henriette. À 11 heures du soir, ceux des Langlois arrivèrent à la Noue. Ils avaient croisé les gendarmes qui leur avaient appris le crime du trimard. Antoine leur raconta ce qui s'était passé. Germain et Léon Turpault hochérent la tête et lui dirent quelques mots de consolation. Le même trimardeur s'était présenté six jours avant chez eux. Ils l'avaient engagé sur sa bonne mine. Il était parti brusquement sans un mot, comme soucieux d'événements que lui seul devait savoir. Germain avait vu l'inquiétude sur son visage. Blaise, le fils de Léon parut. Jeanne l'aperçut et une lueur de plaisir courut dans ses yeux. Elle lui dit que les siens venaient de partir et il fallait qu'il se dépêche s' il voulait les rattraper.

Jamais elle ne lui avait adressé la parole aussi durement. Alors il lui sourit. Il l'aida à remonter le sceau qu'elle avait plongé dans le puits. Pour tout remerciement, elle le toisa de la tête aux pieds. Il ne comprenait pas car trois jours plus tôt elle avait été plus avenante avec lui. Elle était en colère car il l'avait appelée Malvenue. Elle lui dit que ceux qui l'aimaient ne devaient pas l'appeler comme ça. On lui avait raconté qu'on avait laissée tomber par terre aussitôt sa naissance. C'était l'origine de sa marque sur le front. Elle n'y était pour rien.

Il répondit qu'il n'avait pas voulu la blesser. Elle ne voulait pas que lui aussi ait l'air de se moquer d'elle. Blaise lui serra gauchement la petite main mouillée qu'elle lui tendait. Jeanne pensait que Blaise était fait pour elle mais depuis qu'elle avait trouvé cette pierre, il y avait en elle un besoin de le faire souffrir, lui et tout le monde. À ce moment-là, Lucas sortit de l'écurie. Lui aussi avait envie de Jeanne. Alors Jeanne repoussa Blaise. Elle prit son seau et s'en alla. Lucas dit à Blaise qu'il pouvait s'en aller à présent. Lucas entra dans la salle où Galiotte préparait le repas. Jeanne était dans sa chambre. Quand elle vit Lucas, elle lui fit signe de venir. Elle lui demanda de ne répéter à personne ce qu'elle allait lui dire. Elle lui montra la pierre en lui disant que cette pierre donnait un pouvoir. Il hésita à prendre la pierre mais Jeanne la lui mit de force dans la main. Il ressentit un apaisement car il s'était imaginé qu’elle allait lui dire qu'elle ne voulait plus de lui. Il ne croyait pas que la pierre pouvait donner du pouvoir. Alors Jeanne lui montra la pierre dans laquelle elle avait cru voir le creux d'un oeil et la forme d'un nez usé. Après quoi elle replaça la pierre dans sa cachette. Elle expliqua à Lucas qu'elle avait trouvé cette pierre dans un coin qu'elle voulait lui montrer après le dîner. Il y avait d'autre pierres que quelqu'un avait creusées pour leur donner des formes d'oreilles, de menton, de nez. Lucas demanda à Jeanne quel pouvoir cette pierre pouvait donner. Jeanne lui répondit que c'était cette pierre qui lui avait donné la force de se lever la nuit dernière et de mettre le feu à la meule. Elle pensait que la pierre pourrait lui permettre de prendre du plaisir quand elle voudrait. Lucas lui demanda si elle allait encore mettre le feu.

Mais elle n'en savait rien. Elle ferait ce qui lui viendrait dans la tête. Elle lui dit qu'à présent il était devenu son complice. Lors du dîner, Antoine regarda Jeanne et découvrit en elle certains détails qu'il n'avait encore jamais remarqués. Aussi, il ne put repousser la vision du défunt Moarc’h, ancien maître de la Noue. Instinctivement, il se signa alors qu'il n'était pas si croyant que ça.

C'était l'heure de la méridienne. Dans les fermes, chacun se laissait aller à une somnolence qui détendait les muscles noués par le travail. Sur le chemin de la Croule, Jeanne avançait sans se soucier du soleil. Lucas la suivait tant bien que mal. Il portait un sac de chanvre. Jeanne voulait emmener Lucas à l'endroit où elle avait trouvé les pierres de pouvoir. Elle en ramassa une sur laquelle on pouvait voir la forme grossièrement sculptée d'une oreille et d'un morceau de joue lisse comme du marbre. Jeanne était devenue irréelle de beauté. Il semblait aux yeux de Lucas que ce n'était plus la fille de la Noue mais une statue redevenue un instant vivante alors il poussa un cri de stupeur. Malgré lui, Lucas chercha à se souvenir ou il avait bien pu voir cette forme de caillou. Il demanda à Jeanne comment elle avait su qu'il y avait ce genre de pierres ici. Il lui semblait avoir déjà vu une oreille de pierre toute pareille.

Jeanne répondit que ç'avait été plus fort qu'elle. Deux jours plus tôt, elle s'était rappelée que la Galiotte et la mère se signaient toujours en passant par cet endroit. Et puis, le trimard s'était mis à lui faire des remontrances dès son arrivée, comme s'il avait toujours connu Jeanne. Le trimard lui avait dit qu'elle ne devait pas courir inutilement les endroits défendus. Il lui avait dit qu'elle serait punie et que cela lui jouerait un méchant tour. Le trimard avait forcé Jeanne à rester avec les ouvriers en la prenant par le bras. Mais finalement, c'est lui qui avait été puni. Une force avait attiré Jeanne vers cet endroit. Blaise apparut. Alors Jeanne obligea Lucas à courir vers le bois proche. Ils s'aplatirent au milieu des fougères desséchées. À ce moment-là, Lucas se rappela la première fois où il avait vu les cailloux mystérieux. Il dit à Jeanne qu'il fallait les laisser où ils étaient. Il raconta à Jeanne qu'on avait jeté là ces pierres un peu après qu'elle soit née. La Galiotte avait fait jurer à Lucas de ne plus penser à cette pierre qui donnait de mauvais sorts. Le pire pouvait leur arriver s'ils restaient là. Lucas savait que ces pierres avaient fait partie d'une tête de statue. Il se rappela également l'étrange fin de Moarc’h. Mais à l'époque, Lucas était très jeune et il n'avait jamais su en détail tout le mal apporté par cette tête de statue. 16 années d'oubli s'étaient écoulées. C'était en 1896.

II

 

C'était au mois de novembre. Moarc’h labourait son champ en pente qui se trouvait entre le bois et le marais. Il voulait gagner 20 sillons en sol neuf aux dépens de ce trou d'eau croupie. Le fermier de la Noue pensait à la bêtise du défunt beau-père qui, avant lui, n'avait jamais osé porter le soc dans cette terre redoutée. Tout ça parce qu’aux veillées, on racontait que le marais et ses bords étaient maudits. Mais le Breton ressentit tout d'un coup la fatigue d'un labeur double. Il avait dans la bouche un goût de fer et de feuilles mortes. Il n'osait plus respirer qu'à moitié souffles courts car quelque chose l'oppressait. Il se sentait seul avec le mystère dont il se gaussait un instant avant. Il avait hâte d'en finir. Alors il éprouva le besoin de se dire qu'une légende n'était, après tout, qu'une légende. Malgré lui, il imagina la puissance de ce marais mais aussi les spectres de ses victimes happées par cette Malnoue. Il se décida à interrompre le labour lorsque soudain la charrue entra profondément dans le sol.

Le Breton se ressaisit et alla à côté des boeufs. Le soc était comme pris dans du ciment. Il comprit que l'acier était coincé sous une pierre épaisse. Puis il frappa brutalement l'attelage. Surpris, les boeufs partirent d'un coup sec et le soc fendit ce qui le retenait prisonnier. La charrue quitta le trou où elle était prise. L'attelage se dirigeait droit vers le marais. Malgré lui, le Breton fit un signe de croix. Mais la course fut soudainement ralentie par la terre pourrie. Moarc’h détacha la charrue. Il tira la charrue tant bien que mal jusqu'au sillon à moitié ouvert. Il aperçut une grosse motte de terre. Alors il donna un coup de talon pour écraser cette boule qui semblait le narguer. Mais il s'aperçut que ce n'était pas de la terre mais une pierre. Le Breton jeta la pierre à terre avec toute la force de son dépit. En tombant, la pierre se dégagea par endroits de son enveloppe d'argile et de sable. Alors apparut la forme d'un visage usé par le temps.

Lorsque Moarch’h arriva à la Noue, il avait 26 ans. À l'époque, le maître c'était le père d'Henriette, le père Morin. Il était connu à 10 lieues à la ronde comme le plus juste et le plus franc des fermiers des pentes de Sologne. Moarch’h avait tout fait pour rester au service d'un tel maître. Quand Henriette devint femme, elle se mit à regarder Moarch’h autrement et à tourner autour de lui. Mais en cherchant à l'attirer, elle ne fit que se prendre à son propre piège. Le père Morin se disait que si Henriette était pour les uns tout à la fois un appât et un empêchement de travailler et pour Moarch’h une raison de s'appliquer, de servir les intérêts de la Noue, il n'y avait pas à hésiter, le Breton pouvait à la fois rendre sa fille heureuse et prendre en main ce bien qui avait besoin d'une tête nouvelle et d'une poigne solide. Alors il proposa sa fille en mariage au Breton. Au début, Henriette était heureuse. Le regret ne la prit seulement que l'année suivante. Deux ans plus tard, le père Morin fut emporté par une mauvaise fièvre et Moarch’h devint maître des destinées de la Noue. Le Breton avait tout fait pour maintenir la vie dans les terres de la Noue au détriment de sa femme. Henriette était lassée de ses vaines attentes. Alors elle fréquentait de plus en plus Antoine et le Breton ne semblait s'apercevoir de rien. Antoine avait pour le maître une haine qui s'enflait chaque jour. Il était résolu à agir par tous les moyens.

Lors du dîner, Moarch’h raconta ce qu'il avait découvert ce jour-là en faisant un travail qu'aucun avant lui n'avait osé risquer. Il se vanta d'avoir pris 20 sillons sur le marais de la Malnoue. Les convives furent surpris à l'exception du vacher qui ne semblait pas s'intéresser à la nouvelle. Il n'avait pas voulu croire aux légendes qui entouraient ce lieu. Il prétendait que c'était des racontars. Il se garda bien de dire les craintes qui l'avaient retenu pendant son travail. Il annonça à Antoine qu'il l'emmènerait dans le marais le lendemain pour y mettre le grain. Mais la Galiotte lui reprocha de ne pas croire les légendes qui venaient des anciens. Selon elle, il y avait toujours un jeune qui se faisait prendre par la Malnoue parce qu'ils ne voulaient pas croire qu'elle était mauvaise.

Elle cita l'exemple de Justin, le jeune frère du grand-père d'Henriette qui avait voulu poser des pièges dans cet endroit et qui n'était jamais revenu. Elle parla également de Louis qui avait voulu assécher les marais. Il était mort un mois plus tard d'une mauvaise fièvre. Moarch’h avait écouté ce récit avec angoisse. Mais l'appât du gain reprit le fermier et endormit aussitôt ses craintes. Mais Antoine était d'accord avec la Galiotte. Moarch’h lui ordonna de le laisser tranquille. Alors il rappela ce que disait le père d'Henriette quand il parlait du marais. Le père d'Henriette avait dit que le malheur s'y trouvait mais aussi des richesses. On prétendait qu'un trésor volé par un brigand dans un château de Sologne avait été englouti par la vase. Moarch’h ordonna au vacher d'aller chercher un sac dans l’étable. Lucas ramena le sac. La Galiotte posa une brosse sur la table. La Galiotte voulait qu'on se débarrasse du chien Patiaud car il devenait de plus en plus mauvais et ne semblait plus la reconnaître. Henriette était d'accord pour changer de chien.

Quand les convives virent la pierre, ils furent déçus car ils s'attendaient à voir des pièces d'or. En voyant la tête de la statue, chacun donna son avis : c'était une tête de saint ou de vierge. Le Breton pensait que cette pierre pouvait être aussi antique que le monde. Il demanda à Galiotte d'apporter l'eau et la brosse. Il nettoya la tête. Ils découvrirent des yeux larges et grands ouverts. Henriette trouvait que cette tête avait l'air méchant. Et malgré tout elle la trouva belle. Elle insista pour qu’Antoine touche également. Mais il refusa. Moarch’h commençait à penser qu'il avait peut-être eu tort de ramener cette tête à la ferme où elle n'avait rien à faire. Il demanda à Henriette d'en parler au curé. Puis il se ravisa car il avait peur que le curé conserve la statue. Il envisageait de montrer sa découverte au marchand d'antiques à Aubigny. Henriette serait contente d'être débarrassée de cette tête le plus tôt possible. Pour fêter ça, le Breton demanda à Henriette d'amener une bouteille de marc. Tout à coup, Lucas parut prix d'un mal subit et incompréhensible. Il croyait avoir vu la tête bouger. Tous regardèrent la statue dont les yeux pleins de haine les menaçaient. Ils crurent que la tête de femme en pierre allait parler tant la scène semblait étrange. Puis le Breton se mit à rire en comprenant que c'était une flamme du foyer qui avait recouvert la tête d'une ombre. Les autres l'imitèrent. Après quoi, le Breton mit la tête dehors contre le mur de la salle à côté de la niche. En revenant, il s'approcha d'Henriette et enserra sa taille en lui disant à l'oreille : « pas vrai que t'as envie qu'on soit vite seuls ce soir… ».

Cette nuit-là, la Galiotte n'arrivait pas à dormir. Elle entendait un bruit de chaîne. C'était la chaîne du chien. Elle pensait qu'il devait se passer quelque chose pour que le chien se taise tout en s'agitant de plus en plus. La Galiotte redoutait la présence d'un auteur. Le chien gémissait comme jamais la servante ne l'avait entendu faire. Elle crut voir s'animer les contours de la tête de pierre qui paraissait rouler lentement le long du mur. La tête brillait sous les coups de lune. Elle roulait devant le chien. Alors la servante effrayée retourna vite entre les draps restés tièdes. Le lendemain matin, le chien avait disparu. La Galiotte remarqua que le chien avait balafré le cou de la statue. Du poil était resté collé aux lèvres de pierre.

Un jour du mois de décembre, Moarc’h marchaient sur la route menant vers la Chapelle d’Angillon à côté de son cheval qui retirait-la charrette. Tout à coup, les roues craquèrent et le cheval galopa. Le Breton sauta sur la charrette pour empoigner le frein mais en vain. Alors il empoigna la bête par le mors et l'aida à résister. Il ne réussit pas à arrêter la charrette. Alors il saisit un rondin et le jeta sous une des roues. L'arrêt fut brutal. Le cheval glissa sur ses fers et manqua tomber. Moarc’h pensa qu'Antoine et Lucas avaient trop chargé la charrette. Le Breton dut reprendre le chemin à l'envers sans tenir compte de l'essoufflement du cheval. De retour à la ferme, Moarc’h appela Antoine pour le sermonner. Mais Antoine se défendit en disant qu'il n'avait pas trop chargé la charrette. Alors il lui ordonna de décharger la charrette avec Lucas. La Galiotte demanda au Breton ce qui se passait. Quand la charrette fut presque entièrement déchargée, Antoine remarqua que la tête de pierre était pressée sous un sac. Le Breton ne voulait pas qu'Antoine la retire de la charrette. S'il y avait un bon Dieu, il ferait que pour cette perte de temps, il pourrait vendre la statue pour le double du prix qu'il en voudrait.

À Aubigny, Moarc’h chercha le magasin d'antiquités. Après avoir hésité 10 fois, il se décida à pousser la porte du magasin. La boutique était obscure. D'un geste machinal, il se décoiffa comme il le faisait les rares fois où il allait à l'église. Il attendit l'arrivée de l'antiquaire. Il regarda les grands meubles poussiéreux et les plaques de cheminée. Il chercha un objet semblable à ce qu'il était venu vendre mais il n'en trouva pas. Il s'apprêta à repartir lorsqu'une voix forte et chantante arriva du fond de la boutique. En attendant le vendeur, Moarc’h s'approcha des plaques de cheminée. Il avait envie d'en acheter une. Il n'entendit pas arriver l'antiquaire. Il eut un sursaut lorsque ce dernier lui parla à même le dos. L'antiquaire proposa de lui vendre la plaque de cheminée que le Breton regardait pour 50 fr. Alors le Breton lui expliqua qu'il n'était pas venu pour acheter mais pour vendre. Il sortit la pierre de sa charrette pour la montrer à l'antiquaire. Le marchand trouva que la statue était une oeuvre étrange. Il remarqua que le coût avait été sectionné et en fit le reproche à Moarc’h. Il demanda au paysan si le reste de la statue avait été mis à jour. Mais le Breton n'était pas venu pour se laisser mener comme un écolier et il exigea que le marchand lui propose un prix. L'antiquaire n'avait pas entendu la question du paysan et continuait de demander des détails sur la découverte de la statue. L'antiquaire expliqua au Breton que Malnoue se traduisait par mauvaise fontaine. C'était certainement une fontaine divinisée par les Gaulois, puis par les Gallo-romains et christianisée par la suite. L'antiquaire pensait que la statue était peut-être le portrait de cette vieille Mélusine qui hantait les trous d'eau. Il conseilla au paysan de se méfier car il n'aurait pas dû provoquer cette sorcière aquatique. Il avait deviné que cette statue avait une facture nettement archaïque. Il pensait que l'auteur de cette culture avait voulu représenter une mauvaise déesse de sa religion en mettant la haine dans ses traits. L'antiquaire se rappela avoir vu une statue dans la Nièvre près d'une source. Cette statue était vénérée par les paysannes qui lui attribuaient le pouvoir de rendre fertiles les femmes stériles. Il pensait que la statue du Breton devait avoir la même histoire mais à une époque plus reculée. Ainsi la femme du paysan serait capable de lui faire un enfant de plus. Alors le Breton serait redevable à l'antiquaire, s'il achetait sa trouvaille, de lui avoir évité de justesse un malheur. L'antiquaire ne pouvait pas savoir qu’Henriette n'avait jamais pu avoir d'enfants. Jugeant qu'il en avait assez attendu, le paysan ordonna à l'antiquaire de lui fixer un prix. Alors le marchand lui proposa de laisser sa statue en dépôt dans le magasin et il s'engageait à la vendre au meilleur prix et de lui donner une part sur la vente. Ce n'était pas ce que désirait Moarc’h. L'antiquaire s'y attendait. Alors il proposa trois louis. Le Breton reprit la pierre à pleins bras et sortit de la boutique. L'antiquaire se ravisa. Le paysan demanda cinq louis. Alors l'antiquaire répondit que personne ne lui en donnerait cette somme. Il conseilla au paysan de ne pas montrer la statue car elle pourrait finir au musée départemental et l'État avait droit à une part de sa valeur. Alors Moarc’h demanda trois louis et la plaque de cheminée qu'il avait repérée. L'antiquaire accepta. En le quittant, l'antiquaire lui demanda quel était son nom, celui de sa ferme et d'autres petits détails nécessaires pour authentifier la sculpture. Après avoir hésité, le Breton répondit aux questions du marchand. Sur le chemin du retour, Moarc’h se sentit heureux d'avoir si bien vendu ce qui, après tout, n'était qu'un vieux morceau de pierre inutile.

Durant le mois de janvier, Moarc’h ressentait une forte joie car il imaginait le long travail de croissance qui continuait à se faire dans le champ neuf de la Malnoue dans lequel il avait jeté le grain au mois de novembre.

Henriette annonça à Moarc’h qu'elle allait avoir un enfant. Il était fier car il attendait cela depuis longtemps. Mais il se contenta de donner des tapes amicales sur l'épaule de sa femme. La Galiotte n'aurait jamais cru le Breton aussi peu montrant. Henriette était déçue. Elle pleura. Le Breton pensait qu'Henriette devait se tromper. Il n'y croyait toujours pas mais Henriette lui dit que les femmes ne pouvaient se tromper dans ce domaine. Elle était même sur du soir où elle était tombée enceinte. C'était le soir ou son mari avait rapporté cette tête de pierre. Alors Moarc’h se rappela sa visite à l'antiquaire. L'antiquaire lui avait dit que la vieille tête de pierre avait peut-être le pouvoir de conjurer les impuissances. Il en parla à Henriette et lui demanda si elle avait caressé la tête de la statue. Elle répondit qu'elle avait presque tout de suite touché la tête de la statue. Il en fut rassuré car lui-même n'avait pas osé toucher la statue et il avait peur d'être celui qui était stérile. Après quoi, il sortit faire du bois au-dessus de la Malnoue.

Il sentait que ce serait une année d'abondance et non de misère. Il prit plaisir à imaginer qu'Henriette lui donnerait un garçon. Il pensait que tout ce qui se trouvait en dessous de la neige, dans le champ qu'il avait cultivé, serait à son fils. Il lui apprendrait ses secrets pour mieux semer et pour repousser la mauvaise herbe. Il fallait que ce soit un garçon coûte que coûte. Il découvrit avec une rage subite que la partie basse du champ qui aboutissait au marais avait été débarrassé de son manteau de neige par le vent tourbillonnant. L'herbe avait été brûlée par le froid. C'était bien la première fois que l'hiver lui jouait un pareil tour…

III

 

Lucas continuait à repenser la part de crainte qu'il avait eue au temps de Moarc’h. La fille du Breton se faisait plus mauvaise d'instant en instant. La Malvenue cherchait à le provoquer en lui parlant de Blaise. Alors il s'avança et posa sa main sur le corsage de la fille. Elle se maîtrisa pour ne pas le repousser puis elle lui demanda de tenir le sac qu'elle lui tendait. Il lui demanda de jurer qu'à partir de ce jour elle repousserait Blaise. Elle accepta à condition qu'il fasse ce qu'elle lui demanderait. Il acquiesça. Après quoi, elle lui demanda de rassembler les morceaux de pierre et de les rapporter à la ferme pour les cacher dans la porcherie. Quand Lucas fut assez éloigné, elle partit à la recherche de Blaise. Ne les trouvant pas, pour chasser son dépit, elle essaya de remuer une souche. C'est alors que Blaise arriva pour l'aider. Il lui dit qu'il la voulait pour lui seul. Elle répondit que celui qui la voudrait rien que pour lui tout seul aurait le pire à faire pour cela. Il accepta et elle lui demanda de mettre le feu à la ferme de sa famille. Elle s'en alla sans lui laisser le temps de répondre.

En arrivant à la Noue, la Malvenue trouva Lucas. Il raconta que le sac de pierres avait été de plus en plus lourd à porter à mesure qu'il approchait de la ferme. À présent, Lucas avait moins de retenue vis-à-vis de cette fille qui s'était presque donnée pour un sac de pierres. Sa joie était telle qu'il en avait oublié sa peur de la Malnoue et cette vague histoire de Moarc’h aux prises avec l'antique tête de pierre.

Albin, le maître des Rudesses offrit à Lucas et à la Malvenue de l'eau-de-vie. Elle avait bu l'alcool d'un trait et Lucas en fut impressionné. Lucas voulait que la Malvenue se laisse faire mais elle lui porta un grand coup de genou dans le ventre. Elle s'enfuit jusqu'au bois de la Croule mais il la suivit. Il la rattrapa et tous les deux essayèrent d'attraper un lièvre et un faisan qui se laissaient approcher. Mais ils ne réussirent pas et à chaque échec, ils traversèrent la Croule sans se rendre compte. Brusquement, ils se trouvèrent au seuil de la terre morte de la Malnoue.

Lucas avait peur de franchir le bord de cette terre sur laquelle pesait une malédiction pour des générations entières. Mais Jeanne le poussa en avant. Jeanne continua de poursuivre le lièvre qui lui échappa encore. Elle reçut dans le dos la poussée d'une main invisible et tomba à plat ventre. Jeanne regarda le lièvre dont la face était affreuse. La tête du lièvre était morte sur un corps vivant. Loin derrière Jeanne, Lucas restait immobile. Jeanne retourna auprès de Lucas en lui demandant s'il avait vu la tête du lièvre. Lucas prétendit avoir vu le lièvre. Lucas voulait rentrer mais Jeanne tenait absolument à attraper le lièvre. Ils retournèrent dans le marais et entendirent des claquements inattendus. C'était le bruit régulier que font les lavandières en battant leur linge. Lucas et Jeanne avancèrent dans le marais, poussés par la curiosité. Jeanne et Lucas purent avoir une laveuse qui déroulait le linge qu'elle venait de battre avec force. Lucas prit peur et s'enfuit tandis que Jeanne ne bougea pas, fasciné. La lavandière n'avait pas de tête. Jeanne sentit ses forces la quitter. Elle ferma les yeux. Il lui sembla entendre des appels familiers. Le bruit du battage cessa. Elle rouvrit les yeux. L'étrange lavandière avait disparu. Des mains se tendirent vers elle et l'arrachèrent de force à la terre pourrie qui croyait tenir une proie.

IV

 

Moarc’h avait attendu le dégel pour préparer un nouveau lit pour le grain de printemps. En revenant chez lui, dans la nuit, le Breton reçu la visite de Turpin, le meunier de Ménétréol.

Le meunier discuta avec la Galiotte. Tous les deux étaient de la même ville Clémont et, de plus, ils avaient le même âge. Le meunier était de plus en plus lent a rapporté la farine car il vieillissait. Moarc’h lui conseilla d'arrêter de faire ses tournées lui-même et d'employer un jeune. Mais le meunier voulait avoir une raison de courir encore les routes. Moarc’h fut surpris de revoir la tête de la statue dans sa ferme. La Galiotte lui apprit que l'antiquaire était revenu. Il était venu tout exprès pour ramener la statue. Il avait l'air pressé de repartir. La Galiotte avait remarqué que l'antiquaire avait regardé la tête de la statue avec un drôle d'air. Il avait poussé un soupir comme quelqu'un content de se trouver débarrassé.

La Galiotte conseilla à Moarc’h de jeter cette pierre dans le marais. Le breton demanda à la Galiotte pourquoi l'antiquaire ne voulait plus de la statue. L'antiquaire avait expliqué qu'il avait eu assez d'ennuis comme ça et qu'il préférait perdre un peu d'argent et être tranquille. Il avait ajouté qu'il envoyait le Breton au diable avec sa pierre. Moarc’h expliqua au meunier qu'il avait trouvé cette pierre en labourant son nouveau champ de la Malnoue. Le meunier voulut prévenir le Breton du danger qu'il encourait. Il lui dit que la Malnoue était mauvaise au point de faire le pire. C'était une fille du diable. Si Moarc’h la bravaient, elle pouvait faire pourrir sa ferme, ses champs et rendre malade les siens. La Galiotte écoutait le meunier en hochant gravement la tête. Le meunier pensait que la statue c'était peut-être la tête de la mauvaise bergère de pierre gardait et dirigeait la Malnoue. Il conseilla à Moarc’h de remettre la statue là où il l'avait trouvée. Le breton n'en tint pas compte. Il ordonna à ses domestiques d'attacher la pierre à la corde pour la montée au grenier. La pierre tomba au pied du meunier. Il avait eu le temps de se rejeter en arrière et ne fut pas blessé.

Le meunier menaça encore le Breton. La fin du mois de mars attira une pluie épaisse et glacée. Un jour, Henriette s'occupait de traire les vaches et Antoine la regardait. Il la désirait. Elle lui dit qu'elle ne se sentait plus comme avant. Antoine répondit qu'on aurait dit qu'on lui avait jeté un sort. Elle le pensait également.

Moarc’h ne pensait pas avoir fait de mal en reprenant un peu de terre sur le bord du marais. En se couchant, il eut soudain envie de réveiller Henriette pour lui faire l'amour. Mais le froid lui fit oublier son désir. Moarc’h se réveilla en pleine nuit. L'eau de la pluie avait réussi à pénétrer dans la chambre par une fissure. Soudain, un choc sourd ébranla le plafond. Il pensa que c'était la grosse boule de bois du jeu de quilles qui avait roulé. Le lendemain, il grimpa au grenier. Il chercha la boule mais ne le trouva pas. Il passa à côté de la tête de pierre. À peine l'eut-il dépassée de quelques pas, qu'à nouveau il l'oublia. Il finit par trouver la boule de bois posée sur une vieille barrique. Elle était recouverte de poussière. Il en fut surpris. Dans le grenier, il n'y avait aucun autre objet capable de produire le bruit de l'autre nuit. Le Breton s'empara de la boule et il la jeta au pied de l'échelle. Moarc’h fut encore dérangé une nuit, un mois plus tard. C'était le même bruit que la première fois. Alors il se leva pour aller dans la remise. La boule de bois était toujours au pied de l'échelle. Alors il se rendit au grenier et put voir la tête de pierre qui se déplaçait au ras du sol. Il fut assailli par la stupeur et l'effroi. Pourtant il réussit à redescendre. Il réveilla sa femme qui lui demanda ce qui lui était arrivé. Mais la peur était allée trop profond et Moarc’h s'écroula dans un coin. Le lendemain, il était encore agité par la fièvre. Henriette était prise d'une grande pitié pour son mari. À la fin de la journée, il dit à sa femme et à ses domestiques qu'il avait vu quelque chose d'affreux. Il demanda qu'on aille chercher le sorcier de Ménétréol. Dans la nuit, Antoine revint avec le sorcier. Le sorcier était petit, maigre, bien rasé et il avait la soixantaine.

Moarc’h voulait être seul avec le sorcier alors il ordonna à Henriette, la Galiotte et Antoine de sortir de sa chambre. Après quoi, il expliqua au sorcier que sa ferme était hantée par une mauvaise pierre qu'il avait trouvée dans un labour. Il dit aussi que la nuit passée, il avait entendu du bruit dans le grenier. Il dit qu'il avait vu la tête de pierre vivante éclairée par le dedans. Elle se déplaçait dans le grenier sans que rien ne la porte. Le sorcier, qui savait faire désirer ses conseils, resta tout d'abord muet. Le sorcier lui demanda s'il était sûr de ne pas avoir révélé ce qu'il racontait. Le sorcier lui demanda s'il se souvenait d'un détail qui pourrait prouver qu'il n'avait pas rêvé. Le Breton se rappela être revenu de la remise en courant et d'avoir réveillé sa femme. Le sorcier comprit que Moarc’h avait décapité une statue dans son champ. Le sorcier essaya de conjurer le mal en endormant le pouvoir maléfique que dégageait la tête de la statue. Mais il expliqua au Breton qu'il avait mal agi en la séparant du reste de son corps. Il lui conseilla de la recoller sans plus tarder. Cette statue était peut-être le diable en personne. Mais Moarc’h refusa de retourner tout de suite son blé pour un morceau de pierre. Il voulait attendre que la moisson soit faite. Le sorcier se dégagea des conséquences de ce refus. Il conseilla au Breton de ne pas briser la tête et de ne pas la déplacer de l'endroit où elle se trouvait car sinon le malheur serait double. Il demanda au Breton si son entourage était au courant des malheurs qu'il subissait à cause de la statue. Le Breton répondit que ce n'était pas le cas. Alors le sorcier promis de dire à l'entourage de Moarc’h qu'il était venu pour autre chose. Il promit au Breton d'endormir cette pierre. Il ne demanda qu'un louis pour ses frais. Moarc’h paya. Il demanda au sorcier s'il pouvait lui enlever sa fièvre. Le sorcier tendit un feuillet au Breton en lui conseillant d'avaler ce papier le lendemain matin dès qu'il entendrait quelqu'un dire les premières paroles de la journée. Il lui conseilla de ne pas mêler le médecin à son histoire. Après le départ du sorcier, Moarc’h déplia le feuillet. Il put y lire des mots étranges.

V

Jeanne avait été ramenée dans la ferme. Elle se retenait comme si elle craignait de s'enliser à nouveau. À quelques minutes près, les paysans qui l'avaient sauvée seraient arrivés trop tard. Ils l'avaient vue s'enfoncer dans le marais. Lucas avait fait irruption dans la ferme en hurlant sa peur et avait prévenu les secours. C'étaient Antoine et Grattebois qui avaient tiré Jeanne du marais. Pour la faire revenir à elle, il avait fallu lui donner de grandes gifles. Quand elle se réveilla, Jeanne se crut dans un autre monde. Elle demanda où était Lucas. La Galiotte lui répondit qu'il était dans son coin et grelottait de peur. Henriette demanda à Jeanne de leur raconter ce qui s'était passé. Jeanne ne cacha rien de ce qu'elle avait vu. Mais les paysans n'arrivaient pas à la croire. Une lavandière, dans le marais, et sans tête, ce n'était pas possible. Si la Galiotte n'avait pas montré son anxiété, il y aurait eu des rires et des moqueries. La Galiotte versa deux larmes et tout le monde la vit pleurer. Jeanne ne comprenait pas pourquoi la Galiotte pleurait. La Galiotte avait envie de dire à Jeanne ce qu'elle savait mais Henriette l'en empêcha. Henriette voulut expliquer à Jeanne qu'elle avait eu des hallucinations. Mais Jeanne continua de penser que le lièvre l'avait attirée vers la lavandière sans tête.

Tout à coup, la Galiotte demanda à l'assistance si la tête de la lavandière qui manquait n'était pas tout simplement la tête de pierre. Puis Antoine ordonna à tout le monde d'aller se coucher. La Galiotte ramena Jeanne dans sa chambre. Antoine voulut aider à porter Jeanne jusqu'à son lit mais Henriette le fit sortir de la chambre.

La Galiotte emmena Antoine, Henriette et Gattebois dans la remise pour leur apprendre ce que la fille devrait ignorer à jamais. La Galiotte pensait que la statue était bien revenue pour réclamer les débris de sa tête. La Galiotte regrettait que les morceaux de la statue n'aient pas été jetés dans le marais. C'était la faute d'Antoine qui les avait laissés dans les broussailles d'à côté. À présent, la paresse d'Antoine pouvait coûter à celui qui mettrait la main sur les morceaux de la statue. Antoine se moqua de la Galiotte mais au fond de lui, il était troublé. Henriette demanda à la Galiotte ce que pouvait être les linges que la statue battait dans le marais. La Galiotte répondit que ça pouvait être deux suaires et qu'un malheur se préparait. La statue pouvait préparer deux suaires pour deux personnes qui étaient près de trépasser.

Le lendemain matin, le vacher alla parler à la Galiotte avant l'aube. Il n'avait pas pu dormir à cause de Lucas qui n'avait pas arrêté de lui faire peur en lui parlant du diable. Durant la nuit, Lucas avait dit que la place des pierres n'était pas dans la ferme qu'il fallait le dire à la Galiotte et aux autres. Lucas disait cela en croyant s'adresser au diable. Alors la Galiotte réveilla ses maîtres. Elle leur annonça que Lucas avait trouvé les morceaux de la tête de pierre et les avaient rapportés à la ferme. Alors ils traversèrent la cour et entrèrent dans la grange. Lucas dormait. Antoine l'empoigna par les cheveux pour le secouer. Lucas se réveilla en hurlant. Antoine lui demanda si c'était vrai qu'il avait trouvé les pierres défendues et lui demanda où il les avait mises. Lucas confirme que les pierres étaient bien dans la ferme et que c'était Jeanne qui lui avait ordonné de les ramener. C'était elle qui les avait trouvées vers la Croule. Lucas les emmena dans la cachette. C'était la porcherie. La Galiotte et Henriette comprenaient à présent en quoi les porcs étaient malades depuis la veille. Lucas leur montra le sac avec les morceaux de pierre. Il demanda à Antoine s'il n'allait pas raconter cela à Jeanne.

Antoine le gifla alors Lucas chercha la protection de la Galiotte. Lucas cria à Antoine qu'il allait lui apprendre ce que la Malvenue avait encore fait de pire. Lucas pensait que son salut était dans l'aveu. Il était grand temps de tourner cette colère vers la fille incendiaire. Mais Jeanne arriva à ce moment-là avec son rire léger. Elle ne paraissait nullement troublée. Sa peur de la veille paraissait n'avoir jamais existé.

Jeanne se moqua de Lucas en lui disant qu'il pouvait très bien l'accuser d'avoir mis le feu à la meule l'autre nuit comme il pouvait dire que c'était la Galiotte ou Antoine. Alors Lucas baissa la tête. Puis Antoine ordonna à Lucas de rapporter les pierres jusqu'à la Malnoue. Jeanne proposa d'aller avec lui. Lucas ne voulait plus y retourner alors Jeanne lui cracha en plein visage. Elle lui dit qu'elle n'avait pas besoin d'être aidée par un couard.

La Malvenue poussa la brouette chargée de pierres brisées en pensant avec mépris à la lâcheté de Lucas. Elle fut heureuse de rencontrer Blaise sur le chemin. Il demanda à Jeanne où elle allait avec sa brouette. Elle ne répondit pas alors il s'arrêta et il l'obligea à lui laisser la brouette pour qu'il puisse la pousser plus alertement. Jeanne savait qu'elle pourrait faire de Blaise ce qu'elle voudrait. Blaise redoutait la lueur du regard de Jeanne. Alors elle lui dit que s'ils n'étaient pas contents il n'avait qu'à son année. Il en fut blessé car elle savait bien qu'il était capable de l'aider même pour le pire. Jeanne lui dit qu'elle voulait qu'il mette le feu chez lui et que ce n'était pas une plaisanterie. Blaise ne reconnut pas la voix de Jeanne mais comment aurait-il pu savoir que le démon la tenait en son pouvoir.

Jeanne lui dit que s'il voulait la prendre pour lui, il devrait payer avec des flammes. Blaise commença inconsciemment à admettre l'idée du geste criminel. Alors il acquiesça tout de suite accablé par le poids du remords avant même d'avoir fait le mal. De retour au marais, Jeanne repensa aux apparitions. Elle voulut se convaincre que les hallucinations étaient dues à l'alcool qu'elle avait bu. Elle demanda à Blaise de vider le sac par terre. Il ramassa ensuite un des cailloux. Jeanne et Blaise jetèrent les cailloux en plein milieu de la Malnoue. La surface écuma en gros bouillons. Soudain la Malnoue ressembla à un immense chaudron bouillant sur une des bouches de l'enfer. Blaise et Jeanne jetèrent les cailloux avec ardeur et ne remarquèrent pas ces vagues qui montaient et se répandaient sur la terre, à leurs pieds. Il ne restait plus qu'un morceau que Jeanne s'apprêtait à jeter. Dans sa main, la pierre venait de remuer. Il semblait que le caillou soubresautait. Jeanne se mit à crier autant de griserie que de peur. Elle cria à Blaise qu'il tenait un coeur vivant alors il l'encouragea à jeter ce coeur de pierre avant qu'il ne saigne sur sa robe. Elle jeta la pierre avec la force du dépit. Ils virent monter une énorme gerbe d'eau plus écumeuses que les précédentes. Ils prirent enfin conscience de la tourmente qui agitait les eaux de la Malnoue. La Malvenue s'agrippa aux vêtements de Blaise. Le vent élargit sa course.

Jeanne s'accrocha à Blaise. L'orage arriva. Blaise secoua Jeanne. Afin de fuir, il repoussa Jeanne avec toute sa force. Jeanne lui montra son visage : ses yeux dans lesquels tournait des cendres pailletées d'or. Elle lui tendit les lèvres. Alors il l'embrassa. La pluie se mit à tomber. Puis il la porta mais au bout d'un moment elle devint lourde alors il la déposa dans la boue. Elle était nue et luisante de pluie. Elle ferma ses bras sur Blaise. Elle cria brusquement. L'orage disparut aussi vite qu'il était arrivé. Jeanne et Blaise se séparèrent. Jeanne riait parce qu'elle avait oublié ce qu'elle avait par deux fois demandé à Blaise. Le pouvoir maléfique semblait l'avoir quittée quand les pierres avaient disparu dans l'eau de la Malnoue. En rentrant à la ferme, Jeanne ne pensait plus qu'à cette joie nouvelle courant encore dans son corps révélé au plaisir. Elle fut gênée par la crainte d'être devinée quand la Galiotte lui demanda si elle avait vu où la foudre était tombée. Comme Jeanne ne répondait pas, la Galiotte lui apprit que la foudre était tombée dans sa chambre en passant par la fenêtre. Alors Jeanne s'enferma dans sa chambre. Elle se rappela subitement qu'elle avait oublié d'emporter et de jeter le dernier morceau de pierre. Ce dernier morceau de pierre avait dû être touché par la foudre.

En effet, la pierre était brûlante comme une grosse braise.

Jeanne se rendit au cimetière. Elle n'y était jamais allée. La Galiotte l'avait seulement envoyée au bourg dire à Guillon, le boucher, que le veau était à point. Jeanne appela le fossoyeur. Il lui demanda ce qu'elle voulait. Elle voulut savoir où se trouvait la tombe de Moarc’h. Le fossoyeur reconnut la fille du Breton. Il lui indiqua la tombe qu'elle cherchait. Jeanne regarda les dates 1857-1897. Elle remarqua que la dalle était plus enfoncée au pied. Vers la tête, près de la croix, il sembla à Jeanne qu'on avait essayé de soulever la pierre tombale. Un des angles de la dalle avait été ébréché récemment. Le morceau de dalle enlevé avait la grosseur du poing. Jeanne le chercha vainement. Alors elle demanda au fossoyeur de venir. Elle lui montra la dalle ébréchée. Il expliqua à Jeanne que le matin même il avait replanté la croix de cette tombe que l'orage avait envoyé jusqu'à l'autre bout du cimetière. Il avait l'impression que quelqu'un avait cherché à soulever la dalle et qu'un morceau lui était resté dans la main. Jeanne était angoissée d'avoir subi une force qui l'avait poussée à regarder cette dalle ébréchée. Le fossoyeur se moqua de Jeanne en disant que la mort avait peut-être cherché à sortir de son trou. Alors Jeanne s'en alla et ne se sentit soulagée que sur le chemin de la ferme. Le soir, Antoine et Lucas s'étaient querellés. Toute la journée, Antoine avait traîné sa rancoeur. Il avait demandé à Lucas de s'expliquer après ce qu'il avait raconté sur Jeanne. Lucas s'était défendu en disant à Antoine que Jeanne n'était pas à sa fille alors Antoine l'avait giflé. Les deux hommes s'étaient battus. Jeanne n'avait rien dit. Elle les avait simplement regardés se battre pour elle. Elle s'était sentie fière et heureuse. Finalement, Lucas avait quitté la ferme en jetant un vilain regard à Jeanne. Dans la nuit, Jeanne entendit les chiens d'Angillon aboyer. Puis ce fut à nouveau le silence dans la nuit. Jeanne imaginait quelqu'un qui faisait le chemin d’Angillon jusqu'à la Noue. Répondant à cette pensée, la porte de la salle répandit un bruit aigre. Quelqu'un s'approcha de sa chambre et Jeanne retint un cri. Jeanne ne voyait pourtant personne. Elle se demandait quel revenant pourrait avoir besoin de son aide à elle. Un frôlement allait et venait dans sa chambre. Elle entendit un poids s'écraser sur la chaise. Elle entendit de profonds soupirs comme des lamentations. Brusquement, la fenêtre se referma avec un bruit sec. Le chien de Boucheron se remit à aboyer. Un morceau de pierre se trouvait là. Jeanne se saisit du morceau de pierre. C'était le dernier morceau de la statue qu'elle aurait dû jeter le matin même dans la Malnoue. Elle se dirigea vers la porte. Celle-ci était bien fermée. Elle voulut se persuader qu'elle avait eu un cauchemar. Mais elle entendit encore les aboiements. Elle voulut jeter la pierre dans le puits et la force qui était dans la pierre retint son geste. La force de la pierre obligea Jeanne à marcher sur le chemin. Jeanne ne voulait plus obéir alors elle jeta le morceau de statue dans un creux d'ornière. Elle pensa que son père avait été damné et qu'il revenait à nouveau.

Elle rentra chez elle et s'enferma dans sa chambre. Elle fit un signe de croix. À ce moment-là, la pierre qu'elle avait jetée dans l'ornière venait de tomber juste à l'endroit o elle l'avait ramassée un peu plus tôt. Quelqu'un l'avait lancée de la cour. La vitre avait été brisée. Elle se précipita dehors. Elle remarqua un crapaud énorme Jeanne l'avait déjà vu 100 fois sans penser à lui faire le moindre mal. Pourtant elle ramassa un bâton et écrasa le crapaud. Sa propre peur s'effaça. Le bruit de la vitre brisée avait réveillé les gens de la ferme. Jeanne ne répondit pas aux questions. Elle continua de frapper dans la flaque de chair et de sang. Antoine s'approcha de Jeanne mais elle le repoussa. La Galiotte poussa un cri en remarquant qu'un incendie avait débuté chez les Langlois.

VI

 

Après le départ du sorcier de Ménétréol, Moarc’h sentit s'accroître la fièvre et la peur. Le lendemain matin, la Galiotte se leva de bonheur et se mit à parler toute seule alors le Breton tira le feuillet magique de dessous son oreiller et l'avala dévotement. Une heure plus tard, la fièvre et la peur étaient parties. Il mangea de bon appétit et ressentit le besoin de faire le tour de son bien et de le revoir en détail comme s'il avait failli le perdre à jamais.

Il sentit la vie battre à pleines artères. Une force le tira en arrière, vers le bois de la Croule. Il se rendit au marais. Il regarda la terre pour laquelle il avait en fait et vers laquelle allaient tous ses espoirs. Il ressentit pourtant un malaise grandissant. Le sorcier lui avait conseillé de retourner son champ pour retrouver cette pierre et lui remettre sa tête sur ses épaules. Le Breton se sentit prêt à envoyer le sorcier au diable. Il voulait attendre deux mois de plus avant de remettre la pierre là où il l'avait trouvée. De plus, il ne se souvenait plus de l'endroit précis où il avait trouvé la pierre.

Alors il rentra chez lui. Mais il entendit craquer le plancher du grenier et il pensa tout de suite à la tête de pierre. Mais c'était Antoine. Moarc(h le sermonna. Antoine pensait que le Breton était en colère après lui parce qu'il couchait avec Henriette mais Moarc’h croyait qu'Antoine était allé chercher la pierre pour la jeter dans le marais. Comprenant la maîtrise du breton, Antoine se défendit et ne cherche pas à se défendre lorsque son maître le força à partir. Moarc’h vit Henriette qui sanglotait en se cachant le visage entre les mains. Elle baissait la tête comme sous le coup d'une honte.

Le Breton rêva du marais. Il s'y enfonçait et la surface durcissait. C'était de la glace. Des  rats et des reptiles glissaient dans l'eau. L'eau s'épaississait et Moarc’h essayait de sortir du marais. Un long morceau de pierre flottait sur la vase. C'était une statue. C'était un corps de femme vêtue comme dans les temps anciens. Il réussit à sortir de la terre liquide pour s'allonger à côté de la statue et il découvrit qu'elle n'avait pas de tête. Il y avait du sang sur le cou sectionné. Puis brusquement, le Breton se trouva seul, debout, au milieu du carré de la Manoue.

Le champ avait été retourné comme par un gigantesque soc de charrue. Puis il aperçut la tête de pierre qu'il avait tranchée rouler en boule et rebondir sur le champ. Il sentit comme un coup de pioche dans le ventre. Il se retrouva seul au milieu du carré à blé. Mais jamais la tête ne parvenait à reprendre sa place sur la statue. Et à chaque fois, elle faisait ce bruit de pierre contre du bois. Le Breton réussit à la saisir mais la statue avait disparu et il ne pouvait pas rassembler les deux morceaux. Antoine apparut pour lui reprendre de force la tête de pierre et la jeter dans l'eau du marais. Et en se retournant, Moarc’h se retrouva face à la statue revenue trop tard. De surprise, il la prit à plein corps et la serra dans ses bras. La tête de pierre envoyait des bulles en s'enfonçant dans la vase. Un coeur battait dans la statue. Des corbeaux tournaient autour d'une boule blanche qui descendait du ciel. C'était la tête de pierre qui frôla le cou du Breton en tombant.

En se réveillant, Moarc’h étouffa un cri. Une grappe de poussière était tombée du plafond sur son visage. Soudain un bruit, semblable à celui de son cauchemar, ébranla le plafond. Une nouvelle grappe de poussière glissa entre les planches et tomba à côté de lui. Le bruit venant du grenier était celui de la pierre contre le bois. La tête de pierre demandait son corps. Moarc’h avait peur qu'elle descende et le force à retourner dans le marais. Il redoutait que la pierre l’attire dans l'eau du marais pour le noyer. D'un seul coup le silence revint. Moarc’h se précipita dans l'écurie pour monter dans la carriole et il partit voir le sorcier pour lui dire que la tête avait rompu le charme. Désormais, il serait prêt à faire tout ce que le sorcier lui dirait de faire.

À son retour, il vit les domestiques et Henriette dans l'étable. Le bruit les avait réveillés. Henriette pleurait et la Galiotte fixait avec stupeur la porte de la salle.

Le sorcier avait conseillé à Moarc’h de prendre une corde solide. Moarc’h monta dans le grenier avec la corde. Il se posta juste derrière la tête pour qu'elle ne le voie pas. Le sorcier lui avait conseillé d'attacher solidement la tête. Le Breton attacha donc la tête avec la corde à un pilier. Il fut saisi d'un mauvais hoquet. Il ferma les yeux et poussa de longs soupirs. Sa tête se mit à tourner.

Soudain, toute la bâtisse menaça de s'effondrer. Les poutres et crissèrent. Les plafonds craquèrent. Dans le grenier, la tête de la statue secoua le bois et la pierre. Le Breton hurla de frayeur. Il demanda pardon. Il jura de retrouver le corps de la statue alors, subitement, il se sentit plus léger. Le silence revint. Après quoi, il s'empara d'une pelle et d'une pioche et il sortit. Il ne s'arrêta même pas pour parler à Henriette et aux domestiques. Henriette voulut le suivre mais la Galiotte l'en empêcha. Il se rendit à la Malnoue pour chercher l'endroit où il avait trouvé la pierre. Il creusera dans le champ. Le soleil frappait à grands coups le crâne du Breton mais rien ne pouvait arrêter sa folie grandissante. Le sorcier lui avait dit qu'il fallait qu'il retrouve coûte que coûte cette statue mais après avoir creusé pendant des heures, il ne la trouva pas. Il retourna à la ferme et ordonna à la Galiotte de lui trouver une brouette. Puis il se rendit au grenier. Il avait hâte d'en finir. Il coupa la corde. Il serra la pierre contre son ventre. Dans ses bras, la pierre s'était faite chair. Il ferma les yeux et était en train de perdre la notion de tout lorsque le soudain la Galiotte l'appela. Elle apportait la brouette. Moarc’h reprit brusquement conscience. La pierre se fit de plomb et le poussa. Il tomba. La pierre rebondit sur lui et il hurla. La Galiotte arriva à la première et comprit ce qui venait d'arriver. Henriette aperçut son homme disloqué sur le sol et pleura. Le Breton mourut et la Galiotte abaissa ses paupières puis elle récita un bout de prière. Antoine arriva et demanda ce qui s'était passé. Henriette était en train d'accoucher. Antoine était ému.

La Galiotte emmena Antoine voir Moarc’h. Antoine poussa un cri de stupeur. La Galiotte lui expliqua que c'était à cause de la pierre. Puis, la Galiotte se saisit d'une masse pour briser la pierre en plusieurs morceaux. Puis elle aida Henriette à accoucher. La Galiotte vit immédiatement une étoilure bleue au milieu du front du bébé. Elle crut que c'était la marque d'une envie qu'avait eue Henriette. En réalité, c'était un signe plus inquiétant.

VII

Après avoir fui Antoine, Lucas était allé droit à la Maladrerie. Il avait bu l'alcool d'oubli avec Hervé, le fils de la ferme, son compagnon des dimanches. Puis il s'était endormi dans la grange. Le lendemain matin, Hervé lui avait montré les Naulins mis en braises. Lucas avait tout de suite pensé à Jeanne. Il pensait que c'était elle qui avait mis le feu et l'accuserait ensuite. Alors il se rendit à la gendarmerie. Les gendarmes lui demanda ce qu'il voulait. Lucas eut soudain peur de voir la loi se retourner contre lui. Le brigadier voyant son désarroi voulut rassurer. Alors il parla d'une traite. Il révéla que c'était Jeanne qui avait brûlé la meule. Les gendarmes lui demandèrent pourquoi il ne l'avait pas dit plus tôt et il répondit que Jeanne lui faisait peur. Cela fit rire les gendarmes.

Ils lui demandèrent pourquoi il avait peur d'elle. Il répondit qu'elle viendrait peut-être raconter d'autres mensonges comme l'accuser d'avoir mis le feu aux Langlois cette nuit. Les gendarmes le soupçonnèrent aussitôt d'avoir commis ce crime. Ils l'accablèrent de questions. Ils l'accusèrent d'avoir mis le feu à la meule. Lucas cria son innocence. Il accusa encore Jeanne d'avoir mis le feu à la meule et d'avoir accusé le trimardier. Il avait peur que Jeanne l'accuse d'avoir mis le feu cette nuit. Il leur demanda d'aller chercher Jeanne. La conviction du domestique les troubla. Son assurance n'apparaissait pas feinte. De plus, ils n'étaient pas mécontents de savoir que ce vieux trimard pouvait être innocent. Ils s'étaient pris d'amitié pour lui. Le trimard leur avait toujours parlé avec douceur. C'était bien la première fois qu'ils arrêtaient un vagabond qui avait l'allure de seigneur. À leur insu, ils s'étaient montrés aimables avec lui. Ils en étaient même venus à demander ses conseils. Les gendarmes s'étaient arrangés pour le garder quelques jours de plus et ils ne furent jamais tentés de l'interroger sur son crime. Ils écoutaient sa voix et c'était tout. Le trimard sermonnait bien mieux que le curé du bourg. Le trimard avait une voix charmeuse. L'avant-veille pourtant, le trimard avait eu une attitude étrange et incompréhensible. Il avait soudain poussé un cri. Il s'était mis à gémir. Le brigadier lui avait demandé la raison de son cri. Le trimard avait secoué les épaules comme pour dire : « vous ne pourriez pas comprendre ». Et voilà que ce domestique venait l'innocenter. Alors ils acceptèrent de se rendre à la Noue mais il voulut en avertir le prisonnier auparavant. Mais le cachot était vide.

Le lendemain matin, les voisins se rendirent à la ferme des Langlois. Les frères Turpault étaient désespérés. Léon Turpault avait tiré sur un homme qui s'enfuyait avec une torche. Antoine accompagna les deux frères à la ferme de Noue car c'était là qu'avait fui l'incendiaire. Léon trouva le trognon de torche sur le chemin avec des traces de sang. L'incendiaire ne pouvait pas être très loin. Germain Turpault se bâtit avec un adversaire qui lui griffait le visage. C'était Jeanne. Les hommes l'empoignèrent. Antoine s'interposait entre Jeanne et Léon. Il affirma que Jeanne était dans la ferme de la Noue quand l'incendie avait démarré. D'ailleurs Jeanne n'avait pas été touchée par le plomb du fusil de Léon. Pour le prouver, Antoine déchira le corsage de Jeanne. La poitrine nue de Jeanne frappa tous les hommes de gène. Mais Léon n’accusait pas Jeanne. Il voulait seulement savoir pourquoi elle lui avait bondi dessus. À ce moment-là, Germain découvrit le corps d'un homme dans une haie. C'était Blaise. Jeanne les accusa de l'avoir tué alors qu'il n'avait pas fait de mal. Elle leur dit qu'il était fait pour elle. Elle les haïssait. Antoine lui ordonna de rentrer à la ferme pour qu'elle ne se fasse pas tuer. Elle obéit.

Elle s'enferma dans sa chambre. Elle pleura.

Le dernier morceau de la statue était toujours sous le matelas. Jeanne s’en caressa la peau. Puis elle implora la pierre. Elle lui demanda de lui redonner Blaise. Les gendarmes arrivèrent. Jeanne comprit en voyant Lucas ce qu'ils étaient venus faire. Antoine s'interposa. Lucas accusa à nouveau Jeanne d'avoir mis le feu à la meule. Jeanne sauta vivement par la fenêtre et courut vers Lucas. Elle le frappa au visage avec la pierre tranchante. Lucas s'écroula en se tenant le visage. Jeanne sourit en pensant que sans cette pierre qui avait commandé son geste, Lucas serait encore à l'accuser. Elle se mit à rire d'un rire de démente. La Galiotte s'agenouilla contre Lucas et appliqua son tablier sur la balafre. Les autres paraissent sans voix devant cette gamine qui avait blessé Lucas. Elle dit aux gendarmes qu'il pouvait emporter Lucas avec mépris. Elle hurla que c'était lui le coupable. Elle serra la pierre plus fort et la pierre sembla se faire chair. Jeanne comprit que la vie était revenue dans cette pierre. Antoine lui ordonna de poser la pierre. Jeanne essaya de dominer la force qui était dans son bras. N'y parvenant pas, elle trouva la volonté de s'enfermer dans sa chambre. Alors, elle s'agenouilla sur son lit. La pierre était redevenue simple pierre. Brusquement, elle subit l'impression d'une présence. Elle se retourna. Le vieux trimardier était derrière elle immobile. Elle pensa que sur les accusations de Lucas, l'homme avait été relâché et qu'on l'avait envoyé pour la confondre et la faire avouer de force. Elle lui dit que Lucas était un menteur. Mais le trimardier ne bougea pas. Il ne parla pas non plus. Il regarda Jeanne simplement. Jeanne serra la pierre. Elle s'agenouilla. Elle pleura. L'homme leva une main et tendit deux doigts. Il lui dit que par sa curiosité elle était devenue un cheveu du diable et qu'elle allait retourner à son maître. Il était temps qu'elle avoue aux siens le mal qu'elle avait fait pour alléger ses souffrances à venir.

Jeanne crut voir l'homme s'élever comme un revenant ou le bon Dieu lui-même. Il lui dit qu'elle pouvait sauver l'âme de son père qui est l'inconscient de sa damnation. Pour cela il fallait qu'elle aille jeter dans la Malnoue la pierre. Seulement son maître l'attendrait et elle ne devrait pas répondre à son appel. Jeanne réussit à tirer un grand cri de sa poitrine oppressée. Antoine arriva et lui demanda ce qu'elle avait. Elle lui parla du trimardeur. Mais il avait disparu. Henriette et la Galiotte arrivèrent aussi dans la chambre de Jeanne. Ils poussèrent tous un cri de stupeur en voyant la large tache rouge qui marquait le front de Jeanne. La Malvenue ne paraissait pas se douter qu'elle se défigurait lentement. Jeanne voulut leur expliquer que le trimardeur n'était plus en prison mais dans sa chambre et qu'il était en train de s'enfoncer dans le mur. Henriette était tellement peinée pour sa fille qu'elle s'évanouit. Jeanne finit par avouer à Antoine que c'était elle qui avait mis le feu à la meule. C'était elle aussi qui avait poussé Blaise à mettre le feu aux Langlois. Elle savait qu'elle serait damnée à jamais mais elle voulait sauver l'amant de son père. La Galiotte se mit elle aussi à crier car un brouillard bleuâtre s'était formé. C'était le même brouillard qui avait pris Moarc’h. Dans le brouillard couleur de dégoût apparut à hauteur d'homme une tête écarlate coupée à mi-cou. C'était la tête de Jeanne. Le brouillard cachait le corps de la fille et ne laissait voir que son visage. Le soleil pénétra le brouillard et fit couler une lueur blanche. Alors Jeanne apparut entière, le corps bien droit. Antoine et les gendarmes prirent alors conscience de leur méprise. Une force apaisante attira Jeanne vers les hauts de la Sologne. Elle quitta la cour d'un pas tranquille et assuré. Antoine cria pour qu'elle revienne mais elle ne l'écouta pas. Alors il entraîna les gendarmes vers la fille. Elle s'enfuit à toutes jambes vers la Malnoue. Dans sa main, la pierre vivait à nouveau. Jeanne sentit des doigts qui crochaient les siens.

Jeanne arriva rapidement au trou d'eau. Elle se rappela de l'apparition de la lavandière et eut un serrement de coeur mais elle obéit à la pression des doigts de pierre. Elle avança. Les doigts de pierre desserrèrent leur étreinte. Jeanne s'arrêta. Elle s'enfonça. Jeanne tendit en l'air le bras qui tenait la pierre maudite. Elle fut soudain horrifiée mais ne pouvait hurler son horreur. Elle venait seulement de comprendre qu'elle était maudite. C'est par la seule volonté de Dieu ou du diable qu'un mort emmenait un objet avec lui dans son trépas. La main de Jeanne écarta ses doigts morts et laissa tomber dans le marais la pierre qui portait l'oeil, le nez et la bouche du mal. À ce moment-là, le fossoyeur qui approfondissait encore la tombe qu'il creusait, entendit un long soupir suivi d'un autre, plus bref. Mais il ne vit personne. Il se mit à penser à Jeanne sans savoir pourquoi. Alors il regarda la dalle de Moarc’h et sursauta. Elle avait été remise bien à plat. Le morceau qui manquait avait été recollé avec une telle adresse qu'il n'y paraissait plus rien. La croix avait été solidement fichée en terre. Tout autour de la dalle, l'herbe avait été arrachée. Personne n'avait pu faire ça sans que grâce la porte du cimetière.

Antoine arriva le premier à la Malnoue. Les gendarmes arrivèrent après. Antoine appela Jeanne. Deux hommes arrivèrent. C'étaient les domestiques des Bourrées. Il y avait Marcellin et Gervais. Ils avaient vu Jeanne aller dans le marais. Ils guidèrent les autres. Antoine emprunta un des crochets à tronc des domestiques et avança d'un pied ferme dans le marais. Le brigadier se saisit de l'autre crochet et suivit Antoine. Les domestiques les aidèrent avec des perches. Ils sondèrent la terre pourrie. Ils réussirent à arracher le corps de Jeanne de sa prison liquide. Ils découvrirent que ce n'était pas son corps mais celui de la statue sans tête. La statue ressemblait beaucoup à la Malvenue. Antoine reconnaissait le corps de Jeanne dans cette statue. Marcellin cogna du pied le ventre de pierre. Alors Antoine le repoussa comme s'il avait commis un geste de profanation.

Désirée la sangsue.

 

Désirée avait plongé ses jambes dans la vase de l'étang et attendait patiemment de s'enrichir. Son trésor, c'était les sangsues solognotes. Pour amasser de gros sous de bronze, il suffisait à Désirée de planter ses jambes dans un fonds vaseux puis de croiser les bras et de compter tranquillement les coups de scalpel des sangsues.

Puis, sur la berge, elle arrachait une à une ces bestioles pour pharmaciens qui lui servaient de gagne-pain. Elle les jetait dans un seau. Désirée avait besoin de deux ou 3 l de vin rouge chaque jour. Le vin la nourrissait de rêve. Elle prétendait que seul le vin lui donnait, en plus de l'énergie et du courage, un beau sang épais et attirait les sangsues. Les villageois la traitaient de pocharde. Elle était laide. Elle avait une jambe plus courte que l'autre et une branche plus grosse que l'autre. Son corps était mal fichu. Elle excitait la moquerie. Elle avait 30 ans et elle était petite comme une fillette. Elle pensait que si elle avait été une grande femme, on l'aurait doublement remarquée. Elle avait de la chance dans sa malchance.

Elle aimait tout le monde mais personne ne l'aimait. Désirée l'indésirée. Elle leur a tellement voulu qu'on l'aime. Elle imaginait être enlacée dans les bras de beaux et vigoureux garçons. Elle dormait dans un coin de grenier consenti par Cahuit, le fermier des Genets. Elle avait décidé de s'acheter une robe et un corsage. Elle voulait une robe bleue ou rose. Les hommes ne l'en aimerait que plus ardemment. Elle retourna à la berge pour attirer les sangsues. Ce jour-là, elle avait de la chance car son rival, Martin, l'équarrisseur était absent. Il lui faisait concurrence sur l'autre rive.

Elle rentra au village. Elle se dirigea vers l'auberge. Chênaux attelait sa carriole. Il lui proposa de l'emmener à la ville. Elle se demanda comment il se faisait que Chênaux soit si prévenant. D'habitude il se conduisait toujours avec elle comme un rustre. Arrivée à la ville, elle courut jusqu'à la pharmacie. Le pharmacien lui acheta ses sangsues à un bon prix. Après quoi, elle entra fièrement dans la boutique aux étoffes. Elle s'acheta une jupe et un corsage. Revenue au village, Chênaux l'aida à descendre comme une princesse. Elle avait maintenant suffisamment de dignité pour être enfin écoutée et ce qu'elle voulait dire à tous tenait en trois mots : « je vous aime ». Elle croisa Martin qui s'arrêta net devant elle, béat. M. le maire sortit de sa boulangerie et en apercevant Désirée il se frotta les yeux comme ébloui. Il courut au presbytère pour voir M. le curé qu'il n'aimait pourtant pas beaucoup. Elle trouvait que la vie était belle grâce à ses nouveaux vêtements qui avaient fait éclore sa beauté et sa vérité. Le curé sonna les cloches en son honneur. Chênaux alla chercher une bouteille de vin bouché rare et coûteux pour qu'elle le boive devant le village réunit qui l'encourageait et l'applaudissait comme si elle réussissait un exploit. Chênaux lui offrit d'autres bouteilles. Les garçons se battaient pour la mériter mais c'était Chênaux qu'elle voulait. Elle l'avait toujours aimé en secret. Il lui fit signe de le suivre dans la cave. Entre eux deux barriques pleines, Chênaux prit Désirée dans ses bras et l'embrassa. L'Ubu énormément.

On avait jeté un sac d'engrais sur le corps de Désirée qui gisait au bord de l'étang. Le cantonnier ne la trouvait pas belle à voir. Elle s'était noyée. Son corps était couvert de sangsues. Seul Désirée saurait la belle fin qu'elle s'était imaginée grâce aux sangsues,

 

La huche.

 

À peine la laborieuse fermière des Renaudes avait été enterrée que ses trois gaillards de fils et ses trois gaillardes de brus se hâtèrent de l'abandonner sans le moindre regret. Ils partirent en maudissant le curé qui avait pris son temps pour prier sur l'inutile bonne femme. Ils avaient peur que l'orage détruise leurs récoltes. Grains et gains sonnaient mieux dans leur coeur que lamentations et tristesse. Le dernier des fils, le jeunot, le malingre était tout le contraire de ses frères. Il vivait dans les nuages et ne ressemblait pas à une brute. Il pleurait désespérément sa mère en griffant le sol et ne voulait pas se relever. Il avait tout perdu : la connivence avec un être d'amour ; le fils d'or de la compréhension ; le mur de tendresse qui lui épargnait les assauts de ses frères.

Les trois frères et leurs femmes mangèrent le petit salé pas assez cuit à cause de l'enterrement.

Pendant ce temps, le jeunot était dans sa chambre à geindre. Un mois après la mort de la mère, les trois frères et leurs femmes n'y pensèrent plus. Le jeunot était toujours triste. Les trois frères et leurs femmes engraissaient tandis que le jeunot de manger plus. Mais, comme le parasite ne crevait pas assez vite à leur gré, ils décidèrent d'activer les choses. Il suffirait de le gaver de chagrin. Ils lui firent croire que la mère n'arrêtait pas de se plaindre de sa bêtise et qu'il fallait le pendre mais que la corde valait trop cher. Le jeunot semblait reprendre goût à la vie et recommencer à manger.

Un soir, la femme du fils aîné leva le couvercle de la huche pour y prendre pain et jambon et poussa un cri d'horreur avant de s'évanouir. Les autres voulurent savoir ce qui lui avait fait peur et regardèrent dans la huche. Ils s'enfuirent en courant. Alors, bouleversé, le jeunot s'appuya sur son frêle courage et alla voir dans la huche. Il trouva le pain doré, le jambon ou jour, le sel et le beurre… Rien de plus. Il mangea comme quatre. Les trois fils et leurs femmes n'osèrent plus lever le couvercle de la huche pendant huit jours. Ils restèrent avachis et regardèrent sans comprendre avec jalousie le jeunot qui s'approchait de la rue plusieurs fois par jour pour y prendre à sa guise de quoi manger.

Le jeunot avait retrouvé ses nuages et s'y était confortablement réinstallé. Il ne prêta aucune attention aux six autres ni à leur incompréhensible refus de nourriture, de travail et de santé. Cela faisait maintenant un mois que les trois frères et leurs femmes se laissaient partir de faim dans leur lit. Les gens du pays contournèrent les Renaudes ou le mauvais sort s'était agrippé ses fusils terriens les fermiers et le bétail laissé à lui-même. Une des trois femmes trépassa. Son mari trouva un désespéré reste de force pour braver le dedans de la huche. Le jeunot put voir son grand frère ouvrir la huche avec un geste d'affamé. Le jeunot distingua alors allongée, serrant violemment pain, beurre, jambon dans ses bras et ses mains en partie décharnés, contre sa poitrine putréfiée, la mère figée, le visage recouvert de lambeaux de peau verdâtres mais la mère avait encore les yeux vifs et miraculeusement animés par la haine et ses yeux donnaient vie au cadavre.

Marie la louve.

 

C'était au mois de juin en Sologne. Marie se promenait sur le chemin. Elle était à la poursuite d'une biche. Elle suivait les traces de l'animal. Elle finit par la trouver et lui lança un caillou mais la bête s'enfuit. Les yeux de Marie Ribaud n'avait pas leurs semblables et faisait penser à ceux des bêtes sauvages. Elle avait 18 ans. Au travail, elle était rude comme un garçon. Les travaux de la ferme avaient forci ses épaules. Ses longues jambes s'étaient façonnées autant à courir pour le plaisir que pour le labeur. Elle n'était pas pressée de rejoindre son père et ses frères qui récoltaient le foin. Son père savait qu'elle n'était pas faite pour peiner dans les champs et ses frères savaient qu'elle était faite pour les aider à vivre la vie.

Martin Malgrain était son amoureux. La mère de Martin lui demanda s'il voyait toujours Marie. Chaque jour, Martin subissait les reproches de sa mère qui ne pouvait supporter qu'il recherche Marie. Aussi, il en était arrivé à ne plus faire attention à ce que sa mère disait. Mais ce jour-là, sa mère était en colère. Elle espérait que son fils n'avait qu'une amuserie avec cette fille. Martin répondit à sa mère qu'il avait l'intention de se marier avec Marie. Sa mère lui dit que son père n'accepterait pas cela facilement. Son père était autoritaire de stature et de caractère. C'était le régisseur du château Rerin. Il avait gagné de l'argent dans son moulin du côté d'Orléans. Il avait la réputation de grippe-sou et d'insensible. On le disait cupide et on racontait beaucoup d'autres méchancetés sur son compte. Dans le pays lui et sa femme étaient appelés « les étrangers ». Ce qui était le pire des mépris.

Sa mère lui déconseilla de se marier avec Marie. Elle lui demanda s'il connaissait l'histoire qui courait sur la Marie. Pour lui c'était des racontars. Mais sa mère lui expliqua qu'on disait qu'elle avait un mauvais don et qu'elle était damnée. C'était des gens qui avaient appris cela par la grand-mère Ribaud qui avait raconté l'histoire à la mère de Martin. Mais Martin pensait que la vieille Ribaud radotait. Sa mère voulut lui faire comprendre que Marie pactisait avec le diable. Martin ne voulait rien savoir. Martin s'en alla. Il avait besoin d'être seul. Il passa devant la grille du château qui, en réalité, n'était qu'une vieille gentilhommière. Autrefois du temps du grand monsieur des Gardettes, le père, la bâtisse était flambant neuve. Aujourd'hui, avec M. des Gardettes, le fils, le savant, il n'y avait plus que cette ruine et une vieille fille de servante. Le plus grand souci du comte était de découvrir des vestiges du temps des anciens.

Le père Malgrain attendait son heure pour acquérir le château car le comte s'endettait pour ses recherches. Martin ne partageait pas les desseins de son père. Martin arriva à l'orme ombrageant l'entrée de la locature des Bâtards. C'est là qu'il attendait Marie. Elle arriva. Martin lui répéta les paroles de sa mère. Il avait voulu en rire mais Marie n'avait pas répondu à ses rires. Elle voulut savoir pourquoi on racontait qu'elle avait un don. Alors ses parents lui expliquèrent. L'histoire commençait pendant l'hiver 1870 en Sologne. Chez les pauvres gens, cet hiver avait achevé bien des vieillards et reprit les quelques jours de vie de bien des nouveau-nés. Un homme se présenta à la ferme des Ribaud. Elle a vu de l'étranger immobile sur la pierre de seuil, chacun s'arrêta. Le chien aboya et tout d'un coup son regard devint craintif comme si la bête avait été ensorcelée. L'inconnu semblait sans âge et de tous les temps des hommes.

L'homme déclara qu'il avait faim ainsi que ses bêtes. Il en avait six. Il les amena. C'étaient des loups. Alors Ribaud décrocha son fusil. Mais l'inconnu lui ordonna de lui donner à manger. Le fermier obéit comprenant que les menaces ne serviraient à rien. Craignant pour ses enfants, Ribaud demanda à l'inconnu de faire sortir ses loups. Une fois les loups dans la cour, les vaches se mirent à meugler, affolées. La fermière rapporta un grand plat creux que l'inconnu donna à ses bêtes. L'homme ne remercia pas. L'inconnu mangea à même le plat avec contentement en se mettant à genoux et il écarta les museaux de ses bêtes. Le fermier regarda cette scène avec stupeur. L'inconnu lui demanda quel âge avait son plus jeune enfant. Le fermier répondit, un an. C'était sa fille. L'inconnu voulu la voir. Inquiète, la mère ne voulait pas montrer sa fille. Mais son mari lui ordonna de le faire. Marie fut montrée à l'inconnu. L'inconnu mit Marie sur ses genoux et il parla à l'enfant sans la moindre méchanceté. Il lui fit un don. Comme il parlait à voix basse, personne ne comprit ce qu'il dit à l'enfant. Il prononça des mots gutturaux suivis des gestes mystérieux. Marie le regardait avec la bouche ouverte. Dans son sac, l'inconnu avait un louveteau. Il prit la main de l'enfant et la plaça dans la gueule du louveteau. La mère étouffa un cri et voulut reprendre sa fille mais son mari l'arrêta du regard. L'inconnue expliqua à Marie qu'elle avait désormais le don de comprendre les loups. Elle pourrait également guérir les morsures faites par les loups. Seulement, elle perdrait son pouvoir à la mort de l'inconnu. Après quoi, il rendit Marie à sa mère et s'en alla sans regarder quiconque.

Marie se réveilla. Elle avait rêvé cette scène et se demanda si l'inconnu avait vraiment mis sa main d'enfant dans la gueule du louveteau. C'était le jour de la Saint-Jean. Après s'être rafraîchie, ses craintes de la nuit lui parurent naïves.

Durant le crépuscule, le curé s'avança dignement pour bénir la montagne de fagots sur la place à l'angle des routes de Nançay et de Souesmes. Tout le monde se signa. Le sacristain enflamma le bûcher. Martin chercha Marie. Sans elle, Martin trouvait la Saint-Jean bien triste. Il aperçut ses frères. Puis Marie apparut et prit place dans la ronde à côté de Martin. Martin retrouva sa joie et se mit à chanter avec les autres. Des garçons sautèrent au-dessus des braises. Ceux qui retombaient trop court était hués et ceux qui réussissaient étaient censés pouvoir se marier prochainement. Marie sauta également au-delà des braises mais son pied nu écrasa un charbon encore chaud. Personne ne s'aperçut de sa souffrance. Elle retourna auprès de Martin en souriant car elle ne voulait pas lui montrer qu'elle souffrait. La foule encouragea Martin à sauter Marie ne voulait pas et l'entraîna loin des restes du feu. Il lui en fit le reproche car il voulait montrer à tous que leurs noces seraient pour cette année. Elle était sur le point de lui dire ces craintes et de lui raconter le récit de son père. Mais elle se serra contre lui et il l'embrassa. Baptiste des Guépreux annonça à la foule qu'il allait sauter tellement loin que celle qu'il voulait serait obligée de ne rien lui refuser. Il annonça qu'il voulait Marie dans son lit avant la fin de l'année. Martin se précipita près du brasier pour voir si Baptiste réussirait. Marie le rejoignit. Elle voulut lui faire comprendre que Baptiste était ivre qu'il ne savait pas ce qu'il disait. Baptiste Grodafieu était le fils de la locature des Guépreux. Il n'était pas aussi travailleur que ses parents. De plus, il était hypocrite et lâche. C'était un coureur de filles. Il avait tenté sa chance avec Marie qui l'avait repoussé plusieurs fois. Martin se plaça de l'autre côté de la braise à l'endroit où l'ivrogne devait retomber. Baptiste était tellement ivre qu'il ne le reconnut pas. Baptiste ne put même pas sauter et s'effondra. Martin sauta le feu à rebours pour rejoindre Baptiste. Il le frappa. Il menaça de le frapper à nouveau si il s'en prenait à Marie. D'autres garçons arrivèrent pour soutenir Martin. Durant tout ce temps, Marc était resté à côté de sa soeur Marie pour la calmer car elle voulait frapper Baptiste. Il lui expliqua qu'il fallait laisser faire Martin et que ça lui ferait du bien.

Après le feu de la Saint-Jean, Marie et Martin marchèrent lentement. Ils étaient en train d'observer les étoiles quand des gens essoufflés les interpellèrent. Le fils Maujin était malade et seule Marie pouvait le sauver. Marie comprit que Maujin avait été mordu par un loup. Elle affirma qu'elle était incapable de guérir ce mal-là. Elle ordonna de partir en prétendant que ce qu'on avait pu leur raconter était des mensonges. Martin leur demanda aussi de partir en affirmant que Marie n'était pas une sorcière. Mais une vieille femme à la voix lamentée arriva. Marie entendit les sanglots de la mère de Maujin et décida d'intervenir. Ni Martin ni Marie ne pressentaient les tristes lendemains qui allaient naître de cette nuit-là.

Le petit Maujin reposait à même la grande table de la ferme. Il était parti braconner vers les Fons-Chauds. Il avait placé un piège dans lequel avait été pris le loup. Le loup avait réussi à se libérer et d'un bond avait sauté en direction de Maujin. Le garçon avait été mordu à l'épaule. Marie se pencha sur la blessure. Elle était indécise. Il fallait agir avant que le pire arrive. Devant l'inaction de tous, l'émotion de Marie disparut peu à peu. Elle réclama du pain et ordonna à tout le monde de s'en aller.

Tout en mâchant le pain, Marie regarda le gars dans les yeux. Le petit Maujin regarda Marie avec crainte. Elle passa ses mains sur l'épaule meurtrie. Le gars sursauta. Puis, peu à peu, il se laissa aller à une somnolence. Marie appliqua le pain mâché sur la blessure. Marie allait enfin savoir si elle avait le don. Elle plaça ses mains sur l'emplâtre et demanda au gars comment il se sentait. Il répondit qu'il ne sentait plus la blessure. Alors elle retira l'emplâtre et le jeta. Les parents du gars entrèrent. La mère crut son fils mort car il était évanoui. Elle se mit à crier et Marie ne comprenait pas pourquoi. À présent, Marie était fière de son pouvoir et prête à le défendre. Le maire désigna Marie comme coupable et tout le monde cria « louve ». Un dîner, Martin écarta les gens. Mais le père Maujin le traita de fils de voleur et lui ordonna de s'en aller.. Martin voulut le frapper mais les autres le jetèrent dehors. Marie voulut défendre Martin mais le venin agissait déjà. Elle put voir la haine dans les visages alors elle s'enfuit pour cacher cette honte injuste.

Martin, une fourche à la main, retourna dans la salle. Les femmes crièrent et les hommes s'emparèrent d'armes de fortune. La mère Maujin emmena son fils. Les femmes crurent que son fils était mort.

Les paysans comprenant que Martin n'en voulait qu'au père Maujin, s'écartèrent. Alors Martin avança sur Maujin qui resta immobile. Martin s'arrêta. Il n'osa plus frapper cet homme qui n'avait comme arme que la rage de son regard. Maujin accusa Martin d'avoir été envoûté par Marie. Martin le provoqua en lui demandant de répéter que Marie était une louve et qu'elle était maudite. L'autre prit peur et les hommes purent voir son brusque désespoir. Puis Martin enfourcha le père Maujin. Puis, les hommes se jetèrent sur lui. Baptiste arriva à ce moment-là. Il avait le visage ensanglanté et il était tenu par deux gars. Les trois hommes étaient ivres. En entrant chez Maniin, ils aperçurent Martin inanimé. Baptiste s'approcha du corps de Martin et le frappa lourdement. En cognant, il se dégrisa et put voir le corps du père Maujin. Alors, pris de terreur, il regarda partout autour de lui et se rendit compte qu'il était seul.

Les autres s'étaient enfuis le laissant quasi coupable du sort de ces deux hommes. Baptiste trouva juste assez de force pour fuir à son tour. Marie erra longtemps, poussée par son désespoir. Il lui sembla que des gémissements naissaient de la terre stérile. Elle entendait « tu es louve… Marie… Marie la louve… ». Elle répondit qu'elle n'était pas une louve et se signa. Elle perdit conscience au milieu d'un bourdonnement de rire et de menaces. Elle se réveilla écrasée par le soleil au bord d'une clairière. En marchant, ses pensées redevinrent claires. Elle prit résolument le chemin des Rouges, la ferme des Maujin.

Une des domestiques était en train de couper l'herbe et cria en apercevant Marie. Quand Marie s'approcha, la domestique la traita de maudite louve. Elle chercha à s'enfuir mais Marie l'arrêta. Elle lui demanda si elle avait réussi à guérir le garçon. La domestique répondit oui. Elle dit aussi que Martin c'était le démon et qu'il avait voulu tuer son maître. Mais les autres avaient réussi à le neutraliser. Marie lui demanda s'ils avaient tué Martin et elle répondit que non. Au petit matin, le vieux guérisseur était venu. Se penchant sur le corps du père Maujin il put voir les marques rouges de la fourche. Il demanda qu'on le laisse seule pour agir car ses secrets avaient besoin de mystère. Puis, le guérisseur avait demandé la raison de tout ça. On le lui expliqua. Les hommes s'aperçurent que Martin avait disparu de la pièce où il avait été enfermé. Le guérisseur regarda l'épaule du fils Maujin. Il confirma que ç'avait été vivement guéri. La nuit suivante, Marie se réfugia dans la cour des Bâtards. Elle aurait voulu entrer dans la ferme pour parler aux Malgrain. Le père n'avait pas l'air de s'inquiéter de l'absence de son fils. La mère pensait que son fils était avec Marie. Cela mit en colère le père. Des enfants aperçurent Marie et la traitèrent de louve. Marie voulut courir après eux pour les forcer à se taire. Mais elle se retint. Marie courut partout comme un animal chassé. Elle entendit quelqu'un qui l'appelait. C'était Baptiste. Il lui avait joué un tour en se faisant passer pour Martin. Elle lui cria qu'il donnait l'impression de vouloir la tuer et cela l'arrêta. Elle se jeta à terre et sanglota sans retenue. Baptiste bénit cette faiblesse de Marie que la providence lui envoyait juste au moment où il fallait. Il allait pouvoir mieux que jamais apaiser son désir. Il se pencha sur Marie pour la serrer à la taille. Marie se défendit en lui donnant un coup de pied Marie le regarda souffrirait et c'était une revanche.

Baptiste se vengea en disant qu'elle était la femelle d'un loup. Il annonça à Marie que Martin avait été étripé la veille et laissé aux bêtes des bois. Marie lui hurla d'arrêter. Honteux de tout ce qu'il venait de dire, Baptiste s'enfuit. Il se rendit chez les Malgrain. Il leur dit qu'il ne savait pas ou se trouvait Martin puis il leur raconta l'histoire que sa haine avait forgée pour la vengeance. Il prétendit qu'il sortait depuis longtemps avec Marie. Il assura qu'il avait l'intention de se marier avec elle et qu'elle avait accepté. Il affirma que les parents de Marie avaient accepté également. Voyant l'intérêt que les Malgrain lui portaient, Baptiste donna toute sa mesure de méchanceté.

Il prétendit que le père de Marie lui avait confié quelque chose de grave. Marie avait été ensorcelée et il n'y avait que son père qui était au courant. Même sa fille ne le savait pas. À ce moment-là, la mère Malgrain était heureuse de voir la rumeur confirmée.

Baptiste prétendit avoir annoncé au père de Marie qu'il voulait malgré tout se marier avec elle pour la guérir de sa malédiction. Il mentit en affirmant que Marie avait failli achever le petit Maujin qui avait été mordu par un loup. Baptiste affirma que c'était à ce moment-là qu'il avait enfin compris de quoi était capable Marie. Il continua son mensonge en disant que Martin était venu avec Marie chez les Maujin pour la défendre et que les Maujin avaient failli le tuer. Baptiste affirma qu'il avait sauvé la vie de Martin. Martin lui aurait répondu qu’il avait raison, Marie était bien une damnée.

Baptiste raconta avoir vu Martin partir avec Marie parce que celle-ci l'avait ensorcelé. Le père malgré un sermonna Baptiste de ne pas lui avoir raconté son histoire plus tôt. La mère Malgrain lui fit également des reproches car si Baptiste était venu plus tôt les Malgrain auraient pu défendre leur fils contre Marie. Alors Baptiste se leva et annonça qu'il allait chercher Martin et le ramener chez ses parents. Le père Malgrain lui répondit que s'il faisait salle il lui donnerait deux louis.

Le père et la mère Malgrain décidèrent de se rendre chez les parents de Marie. La mère de Marie leur offrit de s'asseoir mais ils refusèrent. La mère Malgrain accusa Marie d'être une fille de démon. La mère de Marie ne répondit pas dans l'espoir que cela donnerait du temps aux siens pour arriver. La mère Malgrain accusa Marie d'avoir ensorcelé son fils. Le silence de la fermière exaspéra la mère Malgrain et elle cria dans son dos que Marie était maudite. Le père Malgrain demanda où se trouvait Marie. Les Malgrain réclamaient leur fils. La mère Ribaud ne put retenir un sanglot. Les Malgrain ricanèrent. La mère Ribaud finit par répondre que Marie n'était pas encore rentrée. Alors le père Malgrain maîtrisant son désir de brutaliser la mère Ribaud accusa Marie de découcher avec Martin. Avant de s'en aller, le père Malgrain cracha par terre aux pieds de la Ribaud et fit signe à sa femme de le suivre. La mère Ribaud entendit de nouveaux cris et courut à la fenêtre. Marie était revenue. Mais les Malgrain lui demandèrent où se trouvait Martin. La mère de Marie aurait voulu sortir pour prendre pour elle seule cette haine mais elle ne pouvait faire un geste. Le père Malgrain gifla Marie. Marie rendit à coups nerveux les gifles du père Malgrain. Puis elle ramassa vivement un bâton. Elle ordonna aux Malgrain de rentrer chez eux. Comme elle menaçait de frapper, ils obéirent.

Le domestique des Basses arriva chez les Ribaud. Il voulait voir Marie. Il dit à Marie qu'il avait vu la sorcière, la Juine. Il prétendit que la Juine lui avait demandé de courir chercher Marie car elle voulait lui parler tout de suite. Elle attendait sur le chemin près de la grand-route. Marie demanda au domestique s'il savait qui elle était. Il répondit étonné : « t'es plus la Marie Ribaud ? ». Comme ils visaient loin du monde il ne savait pas encore la malédiction de Marie. Puis il s'en alla. À présent le sort était vraiment jeté. Inconsciemment, les domestiques des Basses allait apporter tout le fiel aux gens du bourg. Il allait rapporter que la vieille sorcière lui avait demandé de chercher Marie. Marie songea que la sorcière pouvait beaucoup si elle voulait. Elle savait peut-être où se trouvait Martin. Alors, elle partit en courant.

Marie ne trouva personne sur la grand-route. La Juine était cachée derrière un arbre. Marie s'en rendit compte et alla vers elle. La sorcière était contrariée d'avoir été si vite devinée. Marie fut décontenancée par l'aspect repoussant de la sorcière. Elle eut soudain envie de fuir cette ridicule rencontre. Chacune de ses rides devait être la marque ineffaçable d'une mauvaise action et Marie en était effrayée. Pour lui faire comprendre tout son dédain, Marie avait envie de cracher vers cette femme hideuse. Mais la sorcière lui proposa de l'aider contre ceux qui lui voulaient du mal. Marie lui répondit qu'elle n'avait pas besoin de son aide. La sorcière posa sa main couverte de verrues sur le bras de Marie qui repoussa ce contact avec dégoût. Mais elle lui demanda quand même si elle savait où se trouvait Martin et si elle pouvait le faire revenir.

La sorcière répondit qu'elle pouvait l'aider à condition que Marie accepte de faire le mal. La sorcière insinua que Marie était du même côté qu’elle avec le même maître.

La sorcière prétendit que son maître était le diable et qu'elle pouvait lui demander de faire revenir Martin. Seulement il faudrait donner quelque chose au diable en échange. Alors Marie s'enfuit, folle à la pensée que le retour de Martin pouvait être à ce prix. La sorcière lui avait conseillé de dire le nom de quelqu'un qu'elle haïssait et Martin reviendrait. L'image de la sorcière poursuivait Marie. Sur le chemin, elle rencontra son frère et courut vers lui.

Le dimanche, dans l'église du bourg, les fidèles étaient nombreux. Les femmes étaient plus nombreuses et paraissaient plus à leur aise que les hommes. La mère Ribaud arriva en retard et ses voisines s'écartèrent d'elle. La fermière ne comprenait pas la réprobation qui était dans les yeux de ces femmes. Durant son sermon, le prêtre annonça que le démon avait marqué une fille de la paroisse. Les femmes s'écartèrent encore plus de la mère Ribaud. Le prêtre évoqua l'exorcisme et invita les fidèles à prier avec ferveur. Les fidèles évoquèrent Marie et la mère Ribaud s'agenouilla sur son prie-Dieu. Elle entendit les mots acides des femmes et les sourdes menaces des hommes. Le prêtre regrettait déjà les paroles de son sermon et il chercha à apporter l'apaisement. Il ne fit qu'attiser le brûlot qu'il venait d'enflammer. La mère Malgrain accusa la mère Ribaud d'avoir mis au monde cette maudite Marie. Le prêtre lui montra la croix et lui demanda de se taire. La mère de Marie se redressa péniblement et s'en alla. Le sacristain referma la porte derrière elle.

La mère Ribaud raconta à sa fille ce qui était arrivé à l'église. Alors Marie décida de partir loin pour ne plus attirer d'ennuis à ses parents. Ses frères ne voulaient pas qu'elle s'en aille et son père ne voulait pas qu'elle ajoute à leurs peines. Son frère Julien promit de la défendre. Sa mère regrettait de lui avoir dit qu'elle avait un don. Elle se rappela que la sorcière lui avait conseillé de prononcer le nom de celui qu'elle détestait le plus et Marie se rappela également la haine qu'elle vouait envers Maujin. Les Ribaud sentirent leur impuissance comme jamais. Marie s'efforça de se faire à l'idée du mal et au conseil de la sorcière. Alors elle maudit les Malgrain. Il y avait tant de haine dans sa phrase que tous en eurent le souffle raccourci. Tout à coup, Marie eut la vision de Martin. C'était aussi un Malgrain ! Alors elle demanda pardon à Dieu. Sa famille la laissa seule et elle sanglota. Quelque temps plus tard, Martin frappa à la porte des Ribaud. Marie en fut saisie de stupeur et de joie. Marie pressa Martin contre sa poitrine. Martin gémit et demanda où se trouvait Marie. Il était incapable de voir quelle était en face de lui. Alors Marie le força à la reconnaître. Elle connaissait à présent le degré du délire de Martin.

Alors elle l'allongea dans le foin pour qu'il puisse se reposer. Puis elle regagna le chemin du pré où travaillait sa famille. Elle rencontra Baptiste. Mais elle ne s'arrêta pas. À présent, elle était inquiète comme une bête craignant qu'on découvre sa bauge. M. des Gardettes se rendit aux Bâtards. En voyant le châtelain, le père Ribaud s'immobilisa et attendit son maître avec respect. Le châtelain lui annonça que sa locature prendrait fin à la Toussaint. Il ne voulait pas garder une famille qui lui attirait des ennuis. Le père Ribaud lui répondit qu'il n'arrivait pas à se mettre dans l'idée que c'était lui qui parlait ainsi. Mais le châtelain s'en alla sans rien dire. Il fut reconduit par le père Malgrain dans sa carriole. Malgrain était allé se plaindre auprès du châtelain et avait réclamé le départ des Ribaud. Le châtelain ne s'était pas attendu la recevoir des ordres de son régisseur. Le châtelain demanda des explications et Malgrain répondit que les Bâtards étaient entre les mains du démon. Le châtelain tenta de raisonner son régisseur. Pour lui ce n'était que des sornettes colportées par des vieilles sottes. Le régisseur avait été profondément blessé par les propos moqueur du châtelain à l'égard de son fils. Alors il menaça de s'en aller et de ne plus aider le comte dans ses recherches archéologiques. Avec cet argument, Malgrain avait mené l'humeur de la discussion. Le châtelain se sentit alors près aux ultimes sacrifices.

Une nuit, Malgrain entendit un frôlement contre la grille. Il regarda à la fenêtre. La nuit semblait avoir retrouvé son habituelle quiétude. Alors il se recoucha. Il ne trouva pas le sommeil. Il réveilla sa femme. Elle entendit, elle aussi, le bruit continu de la sonnette. Ils entendirent, de la cour, monter un hurlement.

Le père Malgrain tremblait au lieu d'agir. Des griffes crissaient contre le rebord de la fenêtre. La mère Malgrain pensait que c'était le loup-garou. Malgrain se dégagea de sa femme qui s'était accrochée à lui comme autant des amours. Il s'empara de son fusil. Il entendit un brutal cri d'horreur, un cri de femme caressée par la mort. Alors, il redescendit l'escalier rapidement. Il voulut retrouver sa femme pour savoir ce qui lui arrivait et pour la rassurer mais elle n'était plus là. Elle était à côté de lui. Elle lui demanda de regarder dans le coin de l'armoire. Il regarda et vit des yeux qui brillaient plein de fureur intense. Sa femme l'encouragea à tirer. Elle se mit à prier. Un griffement de pattes faisait gémir le plancher. La bête de la nuit sauta sur le lit découvert. Les Malgrain tombèrent au sol. Puis, au-dehors, un appel à peine perceptible arrêta l'animal. Les Malgrain purent voir s'enfuir la longue forme de loup. Les Malgrain restèrent sans bouger jusqu'à l'aube. Le père Malgrain était sûr que c'était Marie qui était venue. La mère Malgrain dit à son mari qu'il ne fallait pas se laisser faire car Marie reviendrait. Elle donna à son mari une fiole d'eau bénite et lui demanda d'aller aux Bâtards. Il n'aurait qu'à verser l'eau bénite sur une balle de son fusil. Le père Malgrain partit résolu.

Marie et sa mère sursautèrent en entendant la chevrotine briser la fenêtre de la salle. Surpris, les hommes qui travaillaient dans l'étable accoururent à elles d'un pas rapide. Le père de Marie et son frère consolèrent les deux femmes. Une nouvelle rafale de plomb claqua et le père Ribaud se précipita vers l'origine du coup de feu. Marie et ses frères suivirent. Ils purent voir Malgrain qui fuyait avec son fusil. Il se retourna et menaça Marie. Il lui ordonna de lui rendre son fils. Marie voulut rester au milieu du chemin mais Julien l'obligea à les suivre. Ils se réfugièrent derrière un châtaignier. Le père Malgrain pointa son arme au hasard. Puis il partit à grand bruit de galoches.

Marie était en larmes.

Marie n'avait pas quitté Martin depuis trois jours. Sa présence avait calmé son délire. La vue seule de Marie était son meilleur remède. Personne ne se doutait qu’aux Bâtards se trouvait un grenier. Pas même la mère. Mais deux langues pour un secret, c'était beaucoup trop. Marie avait voulu rassurer Martin en disant que c'était un chasseur qui avait mal vu et que son père l'avait fait aller plus loin. Mais il reviendrait peut-être. Marie annonça à Martin qu'elle allait l'emmener dans un coin des bois où on ne pourrait pas le trouver. Martin devrait s'y cacher tout le temps que Marie lui demanderait d'y rester. Martin trouvait cela inutile car il comptait voir son père et sa mère mais Marie l'en dissuada. Marie retourna voir la Juine. L'intérieur de la maison était pire dedans que dehors. À l'image de la malfaisante. Marie suffoqua mais elle chercha à coups de regard pénétrant. Dans le fond de la pièce, la sorcière observait Marie sans bouger. Marie sursauta en apercevant la vieille femme. La sorcière savait que Marie avait besoin de ces conseils. La sorcière évoqua son mari en disant qu'il était obéissant. Marie comprit combien la vie de cet homme avait dû être misérable. Marie dut faire appel à son courage pour rester et surtout dire ce qu'elle avait à dire. Elle dit à la sorcière qu'elle était la cause de l'éviction dont elle était victime avec ses parents. Elle lui ordonna de la désensorceler. Alors la vieille lui répondit que si Marie voulait lui jeter un sort elle avait intérêt à le jeter vite avant qu'elle-même ne lui en donne un deuxième. Marie voulait s'en aller mais la sorcière s'en rendit compte et ferma la porte. Alors Marie recula jusqu'à la cheminée. La sorcière avait compris que Marie avait peur du pouvoir qu'elle possédait. Mais la sorcière n'y pouvait rien car ce pouvoir venait du démon lui-même. Elle ouvrit la porte et ordonna à Marie de s'en aller. Alors, humiliée, Marie supplia la sorcière. La sorcière lui répondit que seul le diable pouvait l'aider. Il suffisait qu'elle se rende à la croix de mission à minuit.

Elle devrait emmener une poule noire sous son bras. Puis la sorcière s'en alla.

La sorcière marcha longtemps et ne s'arrêta que dans les Fons Chauds. Elle écarta des taillis et appela quelqu'un. Un loup bondit et se dirigea vers la sorcière. Puis un homme apparut. Il était vieux et misérablement vêtu. La sorcière connaissait cet homme et elle lui demanda de protéger Marie. Elle lui expliqua ce qu'il devrait faire.

Marie se rendit à l'endroit indiqué par la sorcière avec une poule noire sous le bras. Marie hésita avant d'aller jusqu'au socle de la croix puis elle traversa vivement la route et s'immobilisa. Une peur sournoise la pénétra. Elle aperçut sur la lande deux pointe rouges qui se balançaient et se déplaçaient avec lenteur. Ils arrivaient droit sur elle en la menaçant. Pour ne pas crier, Marie se mordit la main. Elle tomba à genoux en serrant la poule qui gloussa d'affolement. Soudain, une grande silhouette enveloppée d'un halo apparut. Marie se releva et se plaqua à la croix. Marie demanda à l'apparition de ne pas avancer davantage. Elle entendit un rire de métal qui disait la force du diable. L'ombre vivante se mit à parler. Elle lui demanda pourquoi elle se cachait en la désignant sous le nom de petite louve. L'apparition dit à Marie qu'elle était un peu son père. Il voulut la rassurer en lui demandant qui lui faisait des méchancetés pour qu'il puisse punir les responsables. Marie put distinguer le grand corps large et plat revêtu d'une blouse sombre. Il portait une ceinture de toile qui montrait bien qu'il venait d'un ailleurs mystérieux. Comme pour se moquer, l'homme tint un instant ses bras en croix au-dessus de sa tête. Marie se souvint de tout ce qu'elle avait entendu dire sur le diable quand elle était enfant. On disait que celui qui était malin pouvait ruser avec le diable. Le diable demanda à Marie de le laisser faire avec les Malgrain. Il voulait venger Marie. Il promit de ne rien faire à Martin. Il lui demanda si elle désirait d'autres pouvoirs. Le diable se rapprocha de la croix. Marie put distinguer un visage osseux. Alors, redoutant que le diable la prenne dans ses bras et l'emporte à jamais dans son enfer, Marie obéit à une idée subite. Elle saisit le coût de la poule noire et le tordit. Elle ne fut pas surprise de voir la route vide. Elle se mit à douter avoir vu ce qu'elle venait de voir. Puis elle s'en alla.

Martin était toujours aux Bâtards. Il dormait. Marie le regarda dormir. Elle s'allongea à côté de lui. Il se réveilla. Elle lui dit qu'elle était maudite mais il lui répondit qu'elle ne devait pas croire à ces sornettes. Alors elle lui expliqua que les coups de fusil de l'autre jour étaient pour elle. Elle lui dit que celui qui avait tiré était son père parce qu'il croyait qu'elle était une louve.

Une lointaine détonation troua le calme de la nuit. Elle dit à Martin que son père les avait fait chasser des Bâtards et qu'il racontait partout qu'elle l'avait ensorcelé. Martin ne voulait pas croire Marie. Alors elle lui expliqua que son père était capable de tout. Ils restèrent longtemps l'un contre l'autre et s'endormir.

Le lendemain matin, Martin rentra chez lui. Il trouva son père avec un fusil qui semblait suivre une piste fraîche. Quand il aperçut son fils, le père Malgrain semblait à la fois craintif et joyeux. Son père lui demanda s'il voulait revenir. Martin répondit que cela dépendait de beaucoup de choses. Son père lui demanda où il était et Martin ne voulait pas répondre. Le père Malgrain savait que Martin était avec Marie. Martin ne voulait pas avouer. Il mentit avec assurance et son père commença à le croire. Il raconta qu'il était parti dans le Sancerrois pour une histoire d'argent à gagner. Le père Malgrain répondit que Marie était une sorcière, une louve. Il raconta avoir tiré sur elle la nuit dernière. Alors Martin défendit à son père de s'occuper de Marie. Il s'empara du fusil de son père. Mais le cou partit et le père Malgrain accusa son fils d'avoir voulu le tuer. Il accusa Martin d'avoir été envoyé par Marie et de s'être laissé ensorceler. Puis il se jeta sur son fils pour le frapper mais un appel lointain arrêta le père Malgrain brusquement. C'était Marie. Le père Malgrain dit à son fils qu'il était un menteur et lui ordonna de rejoindre la louve. Alors Martin se retourna vers Marie.

Le père Malgrain regretta les paroles qu'il venait de dire à son fils. Il voulait le sauver malgré cette louve. Sans un mot, il écarta sa femme qui venait s'accrocher à lui. Il prit le flacon d'eau bénite et versa le reste du contenu dans le tube de son fusil. Il raconta à sa femme la scène qui venait de se passer. Alors sa femme tomba à genoux et remercia Dieu.. Le père Malgrain s'en alla. Il entendit un grognement et crut que c'était la louve. Son arme lui parut soudain aussi inutile qu'un bâton. Alors il rentra chez lui. Il ordonna à sa femme de consolider la porte avec la barre. Il annonça à sa femme qu'il irait à la gendarmerie. Il alla se coucher en demandant à sa femme de ne pas laisser la lumière pour que le noir ne se mette pas contre eux. Il y avait une vipère dans son lit alors le père Malgrain se mit à crier. Il se releva et saisi un tisonnier pour frapper la vipère. Il réussit à la tuer mais elle l'avait mordu au pied. Il ordonna à sa femme de lui donner la bouteille de Talbo. La bouteille était cassée. Il restait du liquide dans un coin plus creux. Le père Malgrain aspira le reste du remède. Il tira son couteau de sa poche pour entailler sa chair en feu.

Le châtelain faisait des fouilles archéologiques avec le père Brunin. Les deux hommes venaient de trouver un sarcophage. Le châtelain promis de laisser une part du trésor à son domestique pour le convaincre de rester avec lui. Le vieux paysan pensait que c'était une part de malheur. Il refusa car le malheur retombait sur les gens qui ouvraient les tombes. Devant cette détresse indomptable, le comte essaya de plaisanter. Mais le père Brunin s'en alla à grands pas. Alors le châtelain décida de se rendre aux Bâtards pour trouver quelqu'un capable de l'aider. Sur le chemin, il retrouva le père Brunin et lui proposa de monter dans sa carriole. Brunin put voir alors combien le châtelain était soucieux. Monsieur des Gardettes n'avait pas dit au père Brunin la vérité sur le brusque départ de son régisseur. Il repensait à la scène de ce matin. Il se souvenait des violents propos du régisseur. Le régisseur lui avait montré des traces de griffes sur le sable de l'allée. Le père Malgrain avait refusé de l'accompagner pour faire ses fouilles. Il pensait que cela lui avait porté malheur de déterrer les morts. Le père Malgrain avait annoncé au châtelain que le mal irait à sa rencontre. Le châtelain avait remarqué que le père Malgrain boitait et portait un pansement sanglant autour de la cheville. Son régisseur lui avait expliqué que la maudite avait voulu sa mort. Le châtelain sortit de ses pensées en arrivant aux Bâtards. Le père Brunin descendit lourdement et partit à la hâte. Il n'y avait personne dans la cour de la ferme. Le châtelain appela en vain. En retournant à la voiture, il aperçut Baptiste. Batiste chercha à se cacher. Mais le châtelain l'appela. Il le force à aller suivre. Même en lui promettant de l'argent, Baptiste refusa de l'accompagner. Batiste demanda un louis pour proposer au châtelain de trouver un homme solide qui ferait l'affaire. Le châtelain lui donna la pièce et Baptiste lui montra le grenier des Bâtards. Puis il s'enfuit. Le châtelain se rendit au grenier et découvrit Martin. Une surprise réciproque les dérouta un instant. Le châtelain dit à Martin que son père le cherchait et qu'il était la cause d'histoires qui lui étaient préjudiciables. Le châtelain demanda à Martin de venir l'aider aux Fons-Chauds. Martin accepta. Martin demanda au châtelain s'il comptait garder les Ribaud à la ferme. Le châtelain répondit qu'il était d'accord mais il fallait qu'avant la nuit il sache ce que contenait la tombe.

Baptiste ne désespérait pas d'avoir Marie. Une fois Martin repris par les Malgrain, Marie viendrait à lui. Alors il se rendit chez les Malgrain. Mais personne ne lui répondit. Il força la porte et un éclair jaillit. Un tonnerre déchira l'air. Batiste s'écroula. Le père Malgrain avait solidement attaché au banc un fusil et la corde qui tenait la gâchette était reliée à la clenche. Baptiste avait été victime de ses propres machinations.

Dans le pré, Marie entendit la détonation. Pourtant elle reprit le labeur qui assouplissait sa taille. Le châtelain et Martin réussirent à dégager de sa gangue de sable durci, le sarcophage. Ils réussirent à soulever la dalle de la tombe. Mais la dalle retomba avec un bruit sourd. Ils recommencèrent. Martin coinça le manche de pioche pour retenir la dalle. Ils n'entendirent pas les pas d'un vieil homme qui s'était approché. Cet homme était accompagné d'un animal. Il épiait les deux hommes qui voulaient lui ravir le trésor. Le châtelain partit chercher une torche dans sa carriole. Il voulait voir sa découverte en pleine lumière. En passant à côté de sa jument, il sentit qu'elle tremblait comme d'un émoi. Puis il retourna à la tombe. Il découvrit ce qu'il y avait à l'intérieur. C'était un long squelette avec des vases antiques. Le châtelain cria de joie. Soudain, un hurlement féroce leur arracha le coeur. Le châtelain réussit à s'enfuir tandis que Martin s'empara de la torche et recula au fond de la longue tranchée.

À la ferme des Bâtards, les paysans entendirent des bruits violents dans la cour. C'était la carriole du châtelain. Sur la banquette, le châtelain gesticulait en criant. Il se laissa glisser à terre. Le père Ribaud et ses fils accoururent. Le châtelain était exténué. On le conduisit dans la salle de ferme. On lui donna un fortifiant. L'alcool lui rendit la parole.

Il expliqua qu'un loup avait bondi sur lui. Martin avait été attaqué également. Alors Marie lui demanda affolée où était Martin. Le châtelain lui répondit que Martin était encore au cimetière romain. Marie enfourcha la jument. Elle demanda du pain et son père lui donna une lanière de fouet. La jument arrêta sa course brutalement et Marie fut projetée loin dans les bruyères. Elle se remit sur pied mais la jument était déjà loin. Elle se précipita vers le cimetière romain. Une torche de résine éclairait à moitié la longue tranchée. Elle aperçut un corps allongé sur le fond de sable. Elle s'empara de la torche. Martin gisait sur le ventre alors Marie souleva ce grand corps. Marie put voir un gros caillot sang sur la gorge de Martin. Les parois de sable portaient encore les marques du combat entre Martin et le loup. Marie comprit que le trou étroit et profond s'était fait complice du mal en empêchant Martin de se défendre. L'espoir tintait encore en Marie qui retrouva le pain contre son sein. Elle le mâcha rapidement. Elle plaça le remède sur la plaie de Martin. Martin râlait toujours mais de plus en plus faiblement. Subitement le loup apparut au-dessus de Marie sur la butte de sable rejeté du trou. Alors Marie brandit la torche. Le loup recula. Il culbuta dans la tranchée. Au même moment, Marie aperçut le sarcophage et poussa un cri. La lourde dalle était retombée sur le corps d'un homme. Le loup se coucha contre la pierre en gémissant. L'homme était mort, la poitrine écrasée. Marie reconnut le diable et ses habits rouges qu'elle avait vu l'autre soir. En voyant le loup lécher les vêtements de l'homme, elle comprit. C'était le meneur de loups. Elle se rappela ce qu'il lui avait dit : elle perdrait le don à sa mort. Alors devant le corps figé de Martin, Marie chancela.

Le gâloup (le loup-garou).

Le loup-garou, pour raviver sa haine et sa douleur avait besoin de meilleures pâtures que le noir et le froid. Les hommes lui prêtaient bêtise et lourdeur. Il pensait que la terre était dominée par un éternel et puissant souverain fourchu qui l'avait confiée à deux métayers instables mais de forces égales : la nuit et le jour. Il se pensait maître de la peur des hommes. Il vivait la nuit et mourait le jour. Ses faims étaient la terreur des hommes. Il ne pouvait les contraindre. Il ne pouvait rester sur place et sans besoin sinon les hommes détruiraient ses forces afin d'apaiser leur constant appétit de quiétude. Pendant sept ans, Lune-la-Borgne viendrait l'épier avec son unique oeil blême. C'était la lune qui le forçait à hurler contre son impassible provocation. Durant sept ans les hommes prièrent et implorèrent un autre maître que le vrai comme si leur Dieu pouvait quelque chose contre celui du loup-garou. Le loup-garou devait rester damné pendant sept ans. Ses soupirs seraient des hurlements ; sa boisson, du sang ; sa nourriture, des animaux tendres et chauds puis il se nourrirait d'hommes.

Quatre hommes étaient à la recherche du loup-garou. Tillet avait perdu 40 moutons. Girard pensait que c'était l'oeuvre d'un loup. Thévau le pensait également. Seul le vieux Loreux pensait que c'était le gâloup le vrai coupable. Il pensait que le jour le loup-garou lui-même ignorait son identité de la nuit.

Le loup-garou se sentait bien plus adroit que le commun de son clan adoptif. Par privilège, lui seul savait combien les hommes pouvaient facilement faire pousser dans leur tête ces pensées rusées qui étaient leurs véritable force alors que les autres loups ne savaient même pas que les hommes pouvaient penser. Pour les loups, les hommes n'étaient que des bêtes à deux pattes et couardes la nuit que fanfaronnes le jour… Le loup-garou pensait que l'homme sans son chien et sans son fusil ne serait rien de rien alors que le loup serait tout même le dieu des hommes. Il pensait que les hommes étaient des hypocrites car ils avaient mis le plus honnête des leurs sur une croix. Les loups seraient moins cruels ; ils ne crucifieraient que les faux loups… les chiens. Il imaginait des troupeaux d'hommes gardés par de vrais loups secondés par des moutons vifs et hargneux, heureux de mordre les flancs de ce bétail blême.

Le loup-garou imaginait que les hommes forts porteraient sur leur dos des chevaux et des ânes menaçant qui les fouetteraient à mort. Les femmes seraient traites par des vaches brutales. Les enfants des loups s'amuseraient avec les enfants des hommes. Les porcs seraient chargés de nourrir les troupeaux d'hommes, vautrés dans de fétides hommeries. Mais tout cela, le loup-garou était le seul à pouvoir l'imaginer car il considérait les autres loups comme trop stupides. Le loup-garou ne partageait pas sa vie avec celle des loups car il ne voulait pas partager sa nourriture. Le loup-garou aurait faim durant sept années avant d'être quitte avec son maître. C'était sa punition. Il se consolait avec la vertigineuse terreur qu'il infligeait aux hommes. 

Le loup-garou avait encore sévi. Les paysans pensaient que c'était l'oeuvre des loups. Mais le vieux Loreux leur disait que c'était la faute du loup-garou. Tillet voulait se venger mais s'il devait y consacrer sa vie. Thévaut promit de l'aider. Et les autres offrirent leur concours. Les autres animaux témoignaient du respect pour le loup-garou. Cela renforçait son orgueil. Son pouvoir l'aidait à percer les mystères du monde animal. Le loup-garou trouvait que son maître était noble et beau. Il ne l'avait vu qu'une seule fois, la nuit où il lui avait donné son état présent. Le diable laisserait le loup-garou attendre pendant sept ans d'être délivré de son sort et le tiendrait la nuit dehors dans un constant besoin de chair vive. Et durant cette période, les hommes trembleraient sans jamais oser venir l'affronter.

Le diable avançait vers une immonde boule de reptiles qui se multipliaient. Il ne redoutait pas les morsures de vipères. Il était venu pour régénérer un des clans de ses suppôts. Chaque mouvement de sa bouche ne lâchait pas un mot mais un serpent. En les regardant plus près, le loup-garou perçut des visages humains sur les serpents. Certains serpents reconnaissaient le loup-garou car ils avaient dû le connaître dans une autre vie.

Cette fois c'était Mirmont qui avait perdu son troupeau. Une fois encore, le vieux Loreux annonça que c'était la faute du loup-garou. Un des paysans demanda s'il existait une magie pour lutter contre le loup-garou. Le vieux Loreux conseilla de tirer avec du plomb. Mais il fallait, de plus, faire bénir le plomb. Tous les paysans décidèrent de s'associer pour en finir avec le loup-garou.

À la fin de la nuit, le loup-garou redevenait un homme. Il était nu et ne pouvait plus grogner ni mordre. Il n'avait plus de crocs. Il devait se méfier de la lune espiègle qui pouvait le transformer. Le loup-garou s'était définitivement condamné en déchiquetant le corps d'Antoine, le berger des Graudes. Les paysans s'étaient rassemblés dans la cour de la ferme de Tillet. Maintenant tous ceux de Sainte-Métraine était prêts à guerroyer.

Ils étaient 40, en tout. Tillet menait le groupe. Mais personne ne remarqua qu'il manquait une arme puissante : le vieux Lorreux, si utile dans ses sages et judicieux conseils. Le loup-garou fut surpris de voir des hommes s'avancer vers lui en pleine nuit. Les paysans tirèrent des balles de plomb bénies. Le loup-garou fut blessé mais réussit à s'enfuir. Les femmes des paysans étaient serrées les unes contre les autres chez Tillet. Elles se réconfortaient en pensant aux forces engagées et commandées par Tillet. Venant de la chambre de Tillet, grattant le mur avec l'ardeur d'un parasite, une faible plainte réussit à le transpercer pour venir s'éteindre dans l'oreille des femmes à présent sans défense. Elles seraient mortes si les paysans n'étaient pas revenus. Tillet était mort. Les paysans avaient ramené son corps. Les jambes et les bras de Tillet se dépouillèrent lentement d'éparses touffes de poils.

 

Le diable en sabots.

C'était en décembre, en Sologne. Le village des Brandes garder sur lui l'écharpe légère de son haleine bleutée sentant le bois flambé. Dans la longue rue boueuse et affroidie toute vie humaine avait cessé. Chacun était resté chez soi. Maître dans sa forge, Christophe balança le poids de la lourde masse pour pétrir le fer. Christophe n'était pas pressé d'en finir. Sa femme n'avait pas envie non plus de le voir revenir car il n'y avait plus jamais rien de nouveau entre eux. Ils s'étaient lassés l'un de l'autre et n'avaient pas eu d'enfants. Sans enfants, il n'y aurait pas de lendemain pour la forge. Christophe songeait à l'avenir qu'il devrait traverser en solitaire, traînant une femme plus inutile qu'une ombre. Son sort à lui était d'attendre la fin en souffrant. Il s'aperçut soudainement qu'il n'avait presque plus de patience. Il sentit la présence d'un être invisible et mauvais conseilleur. Il se sentit devenir un instrument docile et obéissant. Il lui était ordonné d'en finir. Il pleurait. Il se dirigea vers l'établi et s'empara d'une longe. Il monta sur l'enclume et tendit les bras vers une solive complaisamment détachée du plafond pour y glisser la corde. Il fit cinq noeuds. Il plaça la corde autour de son cou et se signa. À ce moment, porté par des claquements de bois sec, un immense gaillard dépassa la première maison des Brandes, celle de Sabeur, l'ancien garde-chasse. Il portait une ample pèlerine noire. Il se dirigea vers l'auberge. Mais l'auberge était fermée. Le père Graubois, l'aubergiste, était seul dans la salle. En voyant ce grand gaillard, l'aubergiste eut la sensation de recevoir de plein fouet l'image d'une calamité faite homme. Il le laissa quand même entrer. L'homme s'assit à la place de Graubois sans la moindre hésitation comme si tout dans la salle et lui appartenait. L'aubergiste n'osa lui faire remarquer que c'était sa propre place. La femme de l'aubergiste arriva avec un plat de saucisses. Elle reçut le regard de l'inconnu comme une perçure d'aiguille.

Agacés, les Graubois déplacèrent les assiettes et le plat sur une autre table. L'inconnu ne prêta même pas attention à la femme qui l'observait. Un drame collectif venait d'être semé pour envahir l'âme même des Brandes. Les Graubois ne pouvaient même pas le deviner. L'aubergiste demanda à l'étranger ce qu'il désirait boire l'inconnu demanda du vin blanc. Il avait l'accent berrichon avec un ton autoritaire. La femme de l'aubergiste demanda à l'étranger où il souhaitait se rendre. L'étranger répondit évasivement : « peut-être ici… Peut-être ailleurs… ». Il n'y avait dans sa voix pas la moindre amorce d'amabilité. La Graubois remarqua combien les doigts de l'étranger étaient longs et minces comme s'il ne s'était jamais servi de ses mains pour travailler d'une occupation d'homme. L'aubergiste pensa que c'était peut-être le maître d'école d'un village voisin. Le père Graubois revint avec un verre et une fiole de vin blanc.. Les aubergistes mangèrent dans leur coin. L'inconnu prit son temps pour boire. Il regardait la porte d'entrée. À la longue l'inquiétude saisit pour de bon les aubergistes qui se demandaient si le nouveau venu ne préparait pas un mauvais coup. L'étranger ne semblait pas avoir dépassé la quarantaine. Il avait les cheveux noirs et les yeux verts. L'étranger demanda un nouveau flacon de vin blanc. Il eut enfin son premier sourire. Une puissante beauté, fière et cruelle, coulait de ses yeux. L'inconnu tira de sa bourse un beau louis tout neuf qu'il le jeta sur la table. L'aubergiste s'en empara tout de suite craignant que l'étranger ne le reprenne ou le fasse disparaître. En se penchant, l'aubergiste put remarquer que l'intérieur de la bourse était plein de pièces d'or. L'aubergiste tenait enfin un intéressant sujet de conversation. Il dit à l'inconnu qu'avec cette fortune il pouvait acheter le bourg. L'étranger répondit que s'il y avait quelque chose à acheter, il achèterait. Il expliqua qu'il était forgeron. L'aubergiste répondit qu'il n'y avait rien à vendre dans ce genre au pays. De plus, le forgeron du village n'était pas prêt de les quitter. Mais le nouveau venu amorça un bref sourire que ne remarqua pas le couple d'aubergistes.

Il annonça qu'il voulait forger en Sologne et à sa convenance. Les aubergistes répondirent que la Sologne avait déjà son plein de forgerons. Les aubergistes s'ingénièrent à soutirer à l'inconnu un peu de son or. Ils lui proposèrent de manger et de loger chez eux. En se penchant pour le servir, la Graubois tenta de lire dans les yeux de l'étranger. Elle s'y connaissait en devinances et personne ne pouvait lui cacher ses plus secrètes pensées. C'est une sorte de don qu'elle avait et que tout le monde redoutait. Mais l'étranger avait des yeux solides et résistants. Tout ce que la Graubois pouvait y lire fut l'avertissement que mieux valait pour elle ne pas trop insister. Penaude, elle se rassit face à son mari. Soudain, des bruits forts parvinrent du dehors. Des hommes arrivèrent pour avertir les aubergistes que le forgeron venait de se suicider. L'inconnu semblait indifférent vis-à-vis de cette scène pourtant digne d'attention. La Graubois demanda à un des hommes si le forgeron n'avait pas été pendu de force. Tout en disant cela, elle désigna l'étranger qui était en train de manger. Mais l'interlocuteur de l'aubergiste lui répondit que personne n'aurait pu prendre de force Christophe. La Graubois commencer à craindre que son mari soit pendu par l'étranger. Alors elle demanda à l'étranger s'il avait connu Christophe. L'étranger répondit non. Les aubergistes s'attendaient à voir la joie de l'inconnu quand il apprendrait que Christophe était le forgeron du village. Mais ce ne fut pas le cas. L'étranger alla se coucher. La Graubois lui demanda quel était son nom. Étranger sembla hésiter puis répondit qu'on l'appelait Roc. Alors, les aubergistes sentirent soudain combien la présence de cet inconnu dans l'auberge leur pesait.

Denys, le garde champêtre était bouleversé. Il entra dans la forge avec les villageois. Christopher était encore pendu et personne n'avait osé le descendre. C'était au garde champêtre de le faire.

Denys demanda à un homme de l'aider à détacher Christophe. Puis le corps fut étendu à terre. Denys retira la corde du cou de Christophe. Il pensa que plus tard il devrait donner un bout de cette corde à ceux qui voudraient de la chance. Personne n'aimait la femme de Christophe car elle n'aimait personne. Aussi personne n'avait envie de la consoler ou de l'aider à passer cette heure avec des gestes amicaux. Mais elle ne montrait aucune douleur. Le corps du Christophe fut porté jusqu'à son lit. La femme de Christophe ne pensait qu’à retirer la rouille qui couvrait le corps de son mari pour ne pas salir les draps.

Pour ne pas faillir à la tradition, chacun à tour de rôle passa devant la veuve en lui touchant brièvement la main. Mais ils plaignaient bien plus le défunt que sa compagne insensible. Quand tout le monde fut parti, deux vieilles voisines restèrent pour besogner le forgeron. Elle l'endimanchèrent tout en disant du mal de la femme de Christophe. La femme de Christophe était seulement ennuyée par son changement de condition. Cette nuit-là dans le village le visage terrifiant de Christophe étranglé parcourut les pensées. Tout le monde se demandait pourquoi Christophe s'était pendu. Christophe n'avait aucune raison de s'avouer vaincu devant la vie. Il travaillait en maître et régnait dans sa profession sur des lieues à la ronde. On ne se pendait sans une vigoureuse raison sans finalement en trouver une pire que les autres. Ainsi le Mauvais entra-t-il en scène. Certains pensèrent que le forgeron avait dû payer son don qu'il avait reçu de l'enfer.

Les villageois se souvenaient que Christophe était capable de couper la queue d'un cheval de calmer la douleur de la bête simplement en posant deux doigts sur sa croupe. Christopher avait dû engager son âme pour obtenir un tel pouvoir et sa pendaison ne pouvait qu'en être le paiement. D'autres villageois se souvenaient que Christophe avait un lien de parenté avec Jean-patte-de-loup dont la puissance était redoutée et qui avait juré de frapper à malheur, après sa mort, tous les hommes du village. Gentil et sa femme se souvenaient de Jean-patte-de-loup et cela les empêchait de dormir. Adèle Gentil se souvenait avoir vue de Jean-patte-de-loup emporter bébé Christophe dans les bois de la Vieille-Morte afin de l'offrir aux puissants de ce monde. Elle n'osait avouer à son mari qu'elle venait juste de penser que la force du forgeron ne pouvait être qu'un don rapporté des bois maudits par l'entremise de l'oncle.

Malgré eux, les Gentil passèrent la nuit à évoquer Jean-patte-de-loup. Jean-patte-de-loup avait accepté le don de tout guérir et surtout celui de se faire l'ami des loups. Les villageois pensaient que Christophe avait dû payer la dette familiale. Heureusement que Christophe n'avait pas eu d'enfants.

Le chant de l'enclume manquait au réveil du village. À croire que Christophe était un fier chef bruiteur donnant le ton à tous. Et combien, enveloppés dans le brouillard égarant, s'étaient laissés ramener par l'oreille grâce aux appels sonores du labeur de Christophe… Roc entra chez Christophe. Deux femmes se trouvaient là. Il s'adressa à la veuve. Chose étrange, il ne la connaissait pas et pourtant il la devinait sans se tromper. Elle se sentit menacée quand il proposa de reprendre la forge. L'autre femme s'en alla veiller le mort. Quand elle revint, Roc la chassa. Il proposa de l'or à la veuve et cela coupa net ses dernières retenues. Elle demanda combien il pouvait proposer et il répondit ce qu'elle voudrait. Elle proposa la forge et la maison. Elle comptait vivre chez sa soeur. Elle regarda les pièces d'or qui étaient toute neuves. Cela lui fit peur et elle dévisagea craintivement l'inconnu.

L'inconnu lui offrit cinq poignées de Louis d'or. Puis il lui dit qu'il ne voulait plus la voir dans cette maison dès que son homme serait enterré. Elle acquiesça. Il lui aurait demandé d'aider Denys à creuser la fosse avec ses ongles qu'elle l'aurait faits aussitôt tant elle désirait ne pas lui déplaire. Elle voulait l'accompagner pour lui montrer la forge mais il refusa. Dans la forge, Roc se délectant des senteurs déjà refroidies depuis la mort de Christophe. Il s'empara d'une des masses pour montrer à l'outil quel était son nouveau maître. Quelqu'un était derrière lui. Il se croyait seul et jamais personne n'avait encore réussi à le surprendre. Une femme l'avait donc suivi à son insu. Il se retourna mais ne vit rien. Puis une fille vint vers lui. C'était une adolescente qui ne devait pas avoir plus de 16 ans. Le calme de son regard déconcerta Roc. Il ferma violemment les paupières redoutant soudain que l'adolescente ne voit qui il était.

Il était troublé par les formes lissées douces de l'adolescente. Il lui demanda ce qu'elle faisait ici. Elle s'agenouilla près du foyer. Roc comprit qu'elle avait repris une longue et patiente attente qui lui était familière. Troublé, il la rejoignit, et malgré lui, posa sa main sur son épaule. Il sentit tout de suite un bref frisson. Roc ralluma les charbons éteints. Elle le remercia en l'appelant Christophe. Roc rit. Il lui dit qu'il n'était pas Christophe mais Roc. Alors elle demanda où était Christophe.

À ce moment-là, la veuve de Christophe entra dans l'entrebâillement car elle avait entendu le bruit du soufflet et voulait voir la forge fonctionner sans son défunt mari afin de remplacer dans sa mémoire une vieille image par une nouvelle. Apercevant l'adolescent, elle s'empressa de venir la secouer sans ménagement. Roc repoussa alors durement la veuve. Surprise, elle dit à Roc qu'il ne savait pas qui était adolescente. Il répondit que ce n'était pas assurément sa fille. Elle voulait être préservée d'un tel malheur. Alors il lui ordonna de se taire et de s'en aller. Mais la veuve dit que l'adolescente était la Benette sur un ton de mise en garde. C'était une demeurée. Elle conseilla à Roc de se méfier d'elle. Elle ordonna à la fille de s'en aller mais l'adolescente resta dans sa douce indifférence. Pendant que la veuve jacassait, Roc prit la main de la fille. Des étincelles revinrent dans le regard perdu de l'adolescente et cela rassura Roc. Il lui dit que Benette était un joli nom. Mais il avait la sensation de parler à rien. L'adolescente demanda encore où se trouvait Christophe et la veuve lui montra le bout de corde qui dépassait de la solive. L'adolescente demanda si Christophe allait revenir par la corde. La veuve lui répondit qu'on ne pouvait pas revenir quand on était mort. Alors l'adolescente pleura. Les villageois qui étaient venus voir la forge furent surpris de voir surgir cette inconnu. Une semaine après l'enterrement de Christophe une voiture arriva au village. L'homme qui la conduisait semblait riche. Il demanda aux villageois où se trouvait Roc. On lui répondit qu'il fallait aller à la forge. Une belle dame tout en fourrure sortie de la voiture. Elle était majestueuse mais grandement triste. On pouvait entendre les pleurs de douleur d'un enfant. Les villageois se demandaient qu'était donc venus faire ce couple appartenant à un monde si différent de celui des forgerons. Roc ne fut pas surpris par l'arrivée des visiteurs et referma sa porte. Décontenancé, le nouveau venu comprit qu'il faudrait parler avec des mots condescendants. Il dit à roc que son fils avait des convulsions et que la science était incapable de le guérir. Mais Roc pouvait le guérir et il était son dernier espoir. La jeune femme voulut rompre le silence de Roc et posa sa main gantée de dentelle sur le puissant bras de Roc. Elle le supplia de sauver son enfant et lui proposa beaucoup d'argent. Mais Roc repoussa la femme. Il dit qu'il n'acceptait jamais d'argent mais pour son seul plaisir il voulait être parrain de cet enfant. Le couple ne comprit pas l'intérêt d'un tel marché mais le père de l'enfant accepta. Roc demande à l'homme de signer d'abord un engagement. L'homme accepta. Roc empoigna l'enfant et le dénuda prestement. Puis il le posa à même l'enclume.

L'enfant était terrorisé mais était fasciné par le visage de Roc. La mère voulut reprendre son enfant mais Roc l'atteignit à son tour avec ce regard qui broyait tout le monde. Il ordonna au père de tenir fermement l'enfant. Benette entra et s'immobilisa devant cette scène inquiétante avec sur son visage une vive rougeur de crainte. Au moment où l'enfant paraissait le plus confiant, Roc rugit soudain et arracha sa chemise pour laisser jaillir son torse. Il s'empara de la plus lourde des masses et la leva hautement. Il abattit la masse sur le ventre de l'enfant. Instinctivement, le père tira à lui son fils mais, reprenant le dessus, sa volonté d'homme l'aida à se maîtriser afin de participer jusqu'au bout à ce simulacre qu'on lui avait longuement décrit. La mère s'écroula et la Benette plaqua une main sur sa poitrine pour modérer de confuses émotions. Roc bloqua net son geste et la masse termina sa chute meurtrière en un léger frôlement contre la peau de l'enfant lui dénouant enfin de spasmodiques cris de frayeur qui étaient sa délivrance. C'était tout. Puis le père enroula son enfant dans ses linges. La mère se releva en sanglotant. Puis le couple s'en alla avec l'enfant. Roc offrit à l'adolescente le sourire qu'elle quémandait. L'adolescente lui dit qu'il était fort et elle embrassa sa poitrine. Remarqua-t-elle l'imperceptible senteur de souffle qui était le fond tenace de son odeur d'homme ?

Quand la nuit arriva, la température descendit au-dessous de 20°. Les sapins éclatèrent. Le froid fit mourir les moutons. Le froid se poursuivit durant sept interminables jours. Roc interrompit son travail et l'adolescente continuait de le contempler inlassablement. Au huitième jour, Roc redonna voix à l'enclume. Une voiture arriva amenant trois hommes pleins d'autorité. Parmi eux il y avait le sous-préfet.

L'un des voyageurs demanda à l'aubergiste où se trouvait la forge. Il dit à l'aubergiste que ce froid le surprenait car à une lieue de là, la température était bien plus clémente. La Graubois envoya son mari épier aux abords de la forge. Le sous-préfet était venu demander secours à Roc. Graubois put voir le maigrichon qui accompagnait le sous-préfet dérouler un large rouleau de papier. Les trois hommes restèrent chez le forgeron durant une bonne heure à palabrer. L'aubergiste comprit que le forgeron savait déjà depuis longtemps ce qu'on attendait de lui. Après le départ des trois hommes, Roc reprit son travail. L'aubergiste était resté trop longtemps dans le froid et mourut dans la nuit. Elle avait appelé le barreur de pneumonie à la ressource mais il n'avait pu sauver son mari. Durant un mois, Roc fracassa le métal, de jour comme de nuit. Le froid durait toujours et trois enfants moururent. Pendant que les malheurs bouleversaient le village, Roc dirigeait inlassablement son vacarme. Une noire flamme de tristesse se posait sur son visage empourpré lorsqu'il regardait l'adolescente. À la fin du mois, une autre voiture arriva avec six hommes vigoureux. Ils étaient venus voir Roc. Ils lui avaient commandé une dizaine de portes. Le chef d'équipe se demanda comment le forgeron avait-il pu accomplir une telle besogne. Les villageois trouvaient étrange que Roc ait pu forger seul une montagne de portes et de grilles sans que l'on ait vu entrer chez lui 1 g de métal brut. Après le départ des hommes, le forgeron s'allongea et l'adolescente exténuée d'avoir veillé durant le labeur de Roc se coucha près de lui en prenant un de ses longues mains qu'elle glissa sous sa joue fraîche.

La Benette se baignait le visage avec l'eau qu'elle avait trouvée dans un seau. Roc regardait la fille et s'éveillait à un croissant plaisir. Ne se sachant pas épiée, l'adolescente écarta son corsage et déboutonna sa robe. Meurtri par son propre trouble, Roc peina à se maîtriser. L'adolescente continua à se dénuder. Le forgeron avait envie de l'étreindre et il soupira. L'adolescente surprise se retourna. Elle porta ses deux mains sur sa poitrine nue. Elle avait si peur qu'elle se jeta de tout son long sur la poussière de la forge. Le désir de Roc était avivé. Benette avait peur et en même temps elle était portée par l'irrésistible l'envie de Roc. Elle se jeta dans les bras du forgeron.

Le forgeron avait obéi à l'instinct des hommes. Il lui semblait avoir quitté son invincibilité au point de se sentir dépouillé de toute puissance. Alors il ranima la braise et frappa l'enclume.

La folie de l'adolescente commença à chanceler. Elle commença à regarder le forgeron comme un homme et plus comme le maître du feu. Elle lui dit merci. Alors, à la découvrir ainsi sortant du chaos, Roc ressentit pour la première fois grande joie et immense amertume. Denys aperçut la Benette se pencher plus que de raison sur la margelle du puits commun. Il s'empressa d'aller la ceinturer et la ramener dans une position moins dangereuse. En regardant la fille, il se rendit compte que son regard clair était dépouillé de son habituelle absence. Elle se mit à parler et sa voix était pure et quasiment neuve. Elle remercia Denys en rendant chaque mot transparent. Denys n'en croyait pas ses oreilles.

Peu de temps après, c'est le boulanger qui entendit parler la Benette. Elle lui demanda clairement une tourte et elle compta minutieusement la monnaie qu'il lui rendit. Alors que d'habitude le boulanger faussait la somme à son avantage. La Benette salua la Graubois avec légèreté et elle reçue ce salut comme un coup de bombarde.

L'événement se colporta et le village fut obligé de convenir que cette simplette avait dû être touchée par quelque grâce mystérieuse et qu'il était grand temps de se défendre. Personne ne pouvait se douter que c'était le fruit du plus simple des miracles… Celui provoqué par l'amour. Cet inattendu jaillissement de raison entraîna les villageois à déraisonner à leur tour.

La Graubois portait de la haine au forgeron et elle n'arrêtait pas médire contre lui. Elle réussit à rassembler les villageois et à les monter contre le forgeron. Elle leur expliqua que s'il avait redonné la raison à la simplette, c'était que, d'un moment à l'autre, il allait faire inverse sur les villageois. L'aubergiste demanda à tous les villageois de chasser Roc immédiatement. Elle donna le fusil de son mari à un des villageois. Les autres s'armèrent à leur tour. Mais, à mesure qu'ils se rapprochaient de la forge, les hommes sentirent leur colère vaciller. Alors l'aubergiste les encouragea. Mais ils avaient peur que Roc leur jette un maléfice et transforme cette partie de vengeance en mauvaise affaire pour eux. Gerly, le cantonnier qui avait reçu le fusil du défunt mari de l'aubergiste avait bu en cachette plusieurs goulées d'eau de vie pour se donner du courage et reprit entièrement à son compte la rancoeur de l'aubergiste. Il brandit son fusil et il hurla. Il ordonna au forgeron de sortir. Mais c'est la Benette qui sortit. Elle s'approcha d'un cantonnier qui lui ordonna de partir car elle était la vermine du diable. Mais la jeune fille lui demanda pourquoi il criait contre le forgeron et voulut savoir ce qu'il lui reprochait. Elle voulait arranger les choses car le forgeron l'écoutait toujours.

Pour l'obliger au calme, elle posa sa petite main sur le bras agité de Gerly. Mais il menaça de tirer sur le forgeron et sur elle si elle ne s'en allait pas. Puis il écarta la fille d'une rude gifle. Alors, brusquement grande ouverte, la porte de la forge laissa paraître Roc, torse nu, nimbé d'une prodigieuse lumière de feu. Gerly en reçu un tel choc que les vapeurs d'alcool l'abandonnèrent le laissant désarmé devant l'homme. Il se retourna et ne vit pas les autres paysans. Il laissa tomber son fusil et s'empressa de fuir. Mais il trébucha sur une trique de vacher oubliée à terre et un tesson de bouteille qui lui ouvrit promptement la gorge. Les paysans qui s'étaient cachés ressentirent la vive douleur du cantonnier et le virent s'écrouler. Seule la Benette s'empressa vers le moribond et elle implora Roc.

Les paysans entendirent les supplications de la jeune fille et leur espoir alla également vers celui qu'ils étaient venus chasser. La Graubois, elle-même, se surprit à souhaiter un mouvement de la part du forgeron. Roc demanda à la jeune fille de venir vers lui. Elle obéit. Alors les paysans avancèrent d'un pas vers la forge.

La Benette sentit que pour forcer le forgeron à agir elle devait lui montrer l'immensité de son amour. Elle se jeta à genoux et étreignit une jambe du forgeron. Mais il la repoussa. Elle s'écroula à terre le visage entre les mains. Elle continua de l'implorer sans répit. Mais le forgeron refusa d'intervenir jugeant que le cantonnier n'avait eu que ce qu'il méritait. Stupéfaite par la dureté du ton du forgeron, la jeune fille se releva et le toisa avec lucidité. D'une voix lente et sonore elle l'accusa de n'être pas bon. Il le reconnut. Alors elle sortit. En la voyant s'élancer, le forgeron poussa un cri. Les paysans la criblèrent de balles. Malgré cela elle continua d'avancer encore vers celui qu'elle était venue sauver. Elle s'effondra et les paysans restent moulés sur place par la stupeur. Ils avaient cru seulement menacer le forgeron. Ils venaient de tuer une enfant. Le forgeron sortit et recouvrit la jeune fille de sa vaste pèlerine noire. Il dévisagea durement les paysans l'un après l'autre. Puis il ramassa le corps de la fille. Puis il reprit le chemin ne menant à nulle part et de brèves larmes coulaient sur son visage. Les paysans furent jugés et condamnés à la prison. Derrière les solides barreaux et les massives portes du fer de la nouvelle prison d'Orléans qui avaient été forgées par Roc ils furent rongés par ce sournois mal d'enfer qui était en réalité leur incurable remords.

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Humanisme : le Contrat social
Publicité
Archives
Publicité