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Humanisme : le Contrat social
5 décembre 2021

Le contrat de mariage/La Fille aux yeux d'or/Melmith réconcilié (Balzac)

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Ce roman est dédié à A. G. Rossini.

Monsieur de Manerville le père était un bon gentilhomme normand bien connu du Maréchal de Richelieu, qui lui fit épouser une des plus riches héritières de Bordeaux. Le Normand alla s'installer au château de Lanstrac qui appartenait à sa femme.

Il traversa fort heureusement la Révolution en se rendant à la Martinique où sa femme avait des intérêts et il confia la gestion de ses biens de Gascogne à un honnête clerc de notaire, appelé Mathias, qui donnait alors dans les idées nouvelles. À son retour, le comte de Manerville put retrouver ses propriétés profitablement gérées. Mme de Manerville mourut en 1810. Et M. de Manerville devint progressivement avare. Il ne donna presque rien à son fils unique. Paul de Manerville resta sous la domination paternelle pendant trois années. Paul n’osa lutter contre son père et perdit cette faculté de résistance qui engendre le courage moral. Sa timidité s'exerça dans les combats qui demandent pourtant une volonté constante. Il était lâche en pensé mais hardi en action. Il était emprisonné dans le vieil hôtel de son père car il n'avait pas assez d'argent pour frayer avec les jeunes gens de la ville. Son père l'emmenait dans une société royaliste composée des débris de la noblesse parlementaire et de la noblesse d'épée.

Paul s'ennuyait au milieu de ces antiquités sans savoir que plus tard ses relations de jeunesse lui assureraient cette prééminence aristocratique la France aimera toujours.

Paul trouvait de légères compensations à la maussaderie de ces soirées dans le maniement des armes, la pratique de l'équitation et de l'escrime. Il lisait aussi des romans. Il fut délivré de la tyrannie quand son père mourut. Il trouva des capitaux considérables accumulés par l'avarice paternelle. Il avait Bordeaux en horreur. Il acheta des rentes avec ses capitaux et laissa la gestion de ses domaines au vieux Mathias. Il devint attaché d'ambassade à Naples puis secrétaire à Madrid, à Londres et fit ainsi le tour de l'Europe. Après avoir dissipé les capitaux liquidés que son père avait amassés, Paul dut prendre les revenus territoriaux que son notaire lui avait accumulés.. Il décida de mener une vie du gentilhomme à Lanstrac pour se marier et arriver un jour à la députation. Comme il était comte, la noblesse redevenait une valeur matrimoniale. Paul avait acquis pour une somme de 700 000 fr., mangée en six ans, cette charge qui ne se vend pas et qui vaut mieux qu'une charge d'agent de change : il était enfin un homme élégant. Mais il n'avait pas fait le malheur d'aucune femme il avait trop de probité pour tromper qui que ce fût. Il n'avait pas cette témérité qui conseille de grands coups et attire l'attention.

Il confia son projet à son ami Henri de Marsay. Henri lui répondit que s'il devenait un bon père et un bon époux alors il deviendrait ridicule pour le reste de ses jours. Il pensait que Paul n'avait pas le poignet assez fort pour gouverner un ménage. Il lui conseilla de devenir le roi de Bordeaux pour y promulguer les arrêts de Paris mais surtout il ne devait pas se marier. Il voulut savoir pourquoi Paul tenait tant à se marier et lui dit que les enfants étaient des marchandises très difficiles à soigner. Paul répondit qu'il était modeste et qu'il se résignait. Il pensait que sa future femme ferait ce qu'il voudrait. Il était las du qu'en-dira-t-on et ne voulait plus se ruiner pour paraître. Il voulait jouer le jeu selon les règles de la société dans laquelle il était forcé de vivre. Henri pensait que Paul n'était pas encore assez moral pour se marier. Mais Paul se sentait propre aux joies de la famille. Alors Henri lui donna un dernier conseil. Celui de rester encore célibataire pendant 13 ans et de s'amuser comme un damné ; puis, à 40 ans, il pourrait épouser une veuve et être heureux. Alors que si Paul se mariait avec une jeune fille alors il mourrait enragé. Il considérait que l'état de mariage engendrait des échecs irréparables. Henri pensait qu'une femme était disposée à refuser ce qu'elle devait ; tandis que, maîtresse, elle accordait que qu'elle ne devait point. Le code avait mis la femme en tutelle en la considérant comme un enfant. Et on gouverne les enfants par la crainte.

Cette conversation ébranla Paul mais ne l'empêcha pas d'exécuter son dessein. Il retourna un Bordeaux en 1821 pour restaurer son hôtel. Il s'est servi de ses anciennes relations pour être introduit dans la société royaliste de Bordeaux. Son éducation parisienne enchanta la société bordelaise. Uni marquise se servit d'une expression de jadis pour lui trouver un surnom : la fleur des pois. Il arriva un Paul ce qui arrive aux acteurs médiocres : il devint presque bon. Sa fatuité n'était qu'un soin de sa personne qui le rendait agréable. Tout en lui s'harmonisait avec son surnom. Il était bien cette fleur délicate qui veut une soigneuse culture. Il introduisit le luxe et le confort anglais dans son château et cela absorba les capitaux que depuis six ans lui plaçait son notaire. Il s'était secrètement épris de la reine de Bordeaux, la célèbre Mlle Evangélista. Son mari s'était établi à Bordeaux au début du siècle. Elle était issue de la monarchie espagnole. Son mari mourut en 1813 en laissant à sa femme une immense fortune et la plus jolie fille du monde. Mais la Restauration altéra sa position. Quelques familles quittèrent Bordeaux. Elle ne voulut pas changer sa manière de vivre. Sa fille, Natalie Evangélista était une personne remarquablement belle mais sa mère avait dissipé des sommes énormes. Elle voulait entretenir le public dans la croyance où il était des richesses de la maison Evangélista. Natalie avait 19 ans et nulle proposition de mariage n'était parvenue à l'oreille de sa mère.

Dans les salons et les coteries on disait que seul un prince pouvait épouser Mlle Evangélista. Les mères de famille et les jeunes personnes jalouses de Natalie envenimaient soigneusement cette opinion par des propos perfides. Natalie ne connaissait rien de l'existence. Elle trouvait autour d’elle chacun prêt à combler ses désirs. Elle ignorait le prix des choses et comment conserver les revenus. Elle bondissait dans le monde comme un coursier sans brides et sans fers. Six mois après l'arrivée de Paul, la haute société l'avait mis en présence de Natalie. Ils se trouvèrent réciproquement charmants. Mme Evangélista devina les sentiments de Paul et commença à se dire qu'il deviendrait son gendre. Paul avait gardé en mémoire un préjugé d'enfance, celui de la fortune des Evangélista. Bien sûr, Paul entendit les commentaires cruels sur Natalie mais il y répondit par le dédain. Alors les jeunes filles et les douairières ne tentèrent pas de le décourager. Mme Evangélista invita Paul à ses fêtes. Il s'engageait à petits pas dans la voie du mariage. Le monde, qui n'est cause d'aucun bien, est complice de beaucoup de malheurs ; puis, quand il voit éclore le mal qu'il a couvé maternellement, il le renie et s'en venge. Paul avait l'habitude du luxe et de l'élégance au milieu de laquelle vivait Natalie. Il venait de disposer pour lui-même son hôtel comme personne à Bordeaux n'aurait disposé de maison pour loger Natalie. Les personnes de la haute société royaliste disaient à Paul des phrases engageantes qui flattaient sa vanité. Malgré son amour, Paul voulait garder son libre arbitre. Mme Evangélista avait connu les cours d'Espagne et de Naples et les gens célèbrent des deux Amériques ainsi que plusieurs familles illustres de l'Angleterre. Cela lui prêtait une instruction si étendue qu'elle semblait immense. Sa réputation de vertu lui servait à donner une grande autorité à ses actions et à ses discours. Elle s'entendait bien avec sa fille. Cela expliquait les sacrifices qu'elle avait faits pour Natalie. Elle s'était, disait-on, éprise d'un homme auquel la Seconde Restauration avait rendu ses titres. Cet homme avait fort décemment rompu les relations avec Mme Evangélista en 1816. Mme Evangélista ressemblait à toutes les royautés : aimable, douce, parfaite, facile dans la vie, elle devenait terrible et implacable quand son orgueil de femmes était froissé.

Elle ne pardonnait jamais. Elle croyait à la puissance de sa haine. Elle en avait fait un mauvais sort qui devait planer sur son ennemi. Cet homme se ruina complètement alors qu'il était pair de France. Un jour, alors qu'elle était dans son brillant équipage, elle le croisa à pied dans les Champs-Élysées. Elle l'accabla d'un regard de triomphe. Cette mésaventure l'avait empêchée de se remarier. Ses espérances et ses déceptions lui avaient fait perdre du temps et à présent elle n'avait plus d'autre rôle à prendre dans la vie que celui de mère. Elle espérait que Paul pourrait l'introduire dans le monde parisien. Elle n'avait connu qu'à de rares intervalles le Paris de l'Empire. Elle voulait briller au milieu du Paris de la Restauration.

Elle avait été forcée, par les affaires de son mari, d'habiter Bordeaux. Elle en avait épuisé les jouissances. Dans son propre intérêt, elle fut donc à Paul une grande destinée. Paul fut captivé par cette femme d'autant mieux qu'elle parut ne pas vouloir exercer le moindre empire sur lui.

Paul se crut beaucoup plus spirituel qu'il n'avait été en voyant ses réflexions et ses moindres mots sentis par Mlle Evangélista et par sa mère. Il passa bientôt tout son temps à l'hôtel Evangélista.

Paul espérait que Mme Evangélista pourrait lui faire donner une belle ambassade avant même qu'il ne devienne député. En ce moment Paul était optimiste il voyait un avantage à tout. Il ne pensait pas qu'une belle-mère ambitieuse pouvait devenir un tyran.

Il commençait à énumérer les avantages qui se rencontraient pour lui dans le mariage. Paul commença à ressentir un amour déraisonnable pour Natalie pour lequel il eut le bon sens de garder le secret. Il le fit passer pour une envie de se marier. Mais les terribles paroles de son ami de Marsay ronflaient parfois dans ses oreilles. Mais Natalie avait une figure impénétrable. Comme toute femme espagnole, Natalie avait reçu une instruction purement religieuse. Néanmoins, un homme habile à manier le scalpel de l'analyse aurait surpris chez Natalie quelque révélation des difficultés que son caractère devait offrir quand elle serait aux prises avec la vie conjugale ou sociale. Mais la gentillesse de la jeune fille colorait ses traits d'un vernis délicat qui trompait nécessairement les gens superficiels. Puis sa mère lui avait de bonne heure communiqué ce babil agréable qui joue la supériorité et séduit par une gracieuse volubilité. Enfin, Natalie avait le charme des enfants gâtés qui n'ont pas connu la souffrance. Mais à travers ces défauts en germe brillaient quelques belles qualités. Pour rendre ductile une femme si peu malléable, ce poignet de fer dont parlait de Marsay à Paul était nécessaire.

Quelle force conciliatrice, quelle expérience maintiendrait ce jeune ménage ? Tout était péril pour un homme faible.

Au commencement de l'hiver, en 1822, Paul de Manerville fit demander la main de Mlle Evangélista par sa grand-tante, la baronne de Maulincour. La demande avait été acceptée. Mais Mme Evangelista ne donnait rien de son chef à sa fille. Malgré tout, la grand-tante donna sa bénédiction à Paul et retourna à Paris. Elle lui avait conseillé de donner de bonnes instructions à son notaire. Le contrat de mariage était le plus saint des devoirs. Elle lui avait conseillé d'aller voir Me Matthias, le vieux notaire de la famille. Paul était perplexe. Sa future belle-mère était une fine mouche ! Il devrait donc défendre ses intérêts dans le contrat de mariage. Il se rendit chez Mme évangéliste pour parler du contrat de mariage. Elle avait accepté qu'il choisisse son notaire. Elle avait deviné les observations de la grand-tante dans le regard embarrassé et la voix émue qui trahissaient en Paul un combat intérieur. Elle annonça que son notaire était M. Solonet. Elle réunirait les deux notaires chez elle. Paul en fut rassuré.

Mme évangéliste devait à sa fille douze cent mille  fr. soit le tiers de la fortune laissée par son défunt mari mais elle se trouvait hors d'état de s'acquitter. Elle allait donc être à la merci de son gendre. Si le contrat de mariage échouait, tout Bordeaux en saurait les motifs et le mariage de Natalie deviendrait impossible. Elle allait être obligée d'avouer une détresse intérieure à son notaire. Elle pensait que Paul était un homme nul à qui elle ferait faire un beau chemin dans le monde pour qu'il lui devienne redevable. Solonet vint le lendemain avec l'empressement de l'esclave et fut reçu dans la chambre à coucher par la coquette veuve qui se montra dans le désordre d'un savant déshabillé.

Elle lui exposa crûment sa situation. Il voulut savoir comment elle s'était comportée avec Paul. Elle lui répondit qu'elle avait agi constamment comme s'il le compte de Manerville lui avait été inférieur. Elle était persuadée d'avoir un ascendant insurmontable sur son futur gendre. Le notaire lui demanda si elle avait des concessions à faire. Elle répondit qu'elle voulait en faire le moins possible. Mais il lui rappela qu'elle restait reliquataire d'une quittance de onze cent cinquante-six mille francs d'après le compte de tutelle à présenter à son futur gendre. Elle voulait garder 30 000 livres de rente. Le notaire allait réfléchir aux moyens nécessaires pour atteindre ce but. Il conseilla à Mme Evangélista de faire sa fille bien belle pour le soir de la discussion avec Paul. La robe du contrat contenait selon le notaire la moitié des donations. Alors Mme Evangélista assista à la toilette de Natalie pour en faire une innocente complice de sa conspiration financière.

Puis elle demanda à sa fille si elle aimait sincèrement M. de Manerville. Natalie lui demanda pourquoi elle lui posait cette question et pourquoi elle lui avait laissé voir Paul. Elle répondit qu'elle voulait savoir si elle tenait au mariage sans être folle du mari.

Elle conseilla à sa fille d'être un peu coquette et tout irait bien. Paul arriva avec un bouquet de fleurs pour Natalie. Ils se mirent à causer en attendant les deux notaires. Paul devait soutenir une lutte dont l'importance lui échappait entièrement et il avait pour tout défenseur son vieux notaire. Les deux notaires représentaient les anciennes et les nouvelles moeurs. Me Matthias était un vieux bonhomme âgé de 69 ans. La plupart des Bordelais lui témoignaient un respect amical et une déférence pleine d'estime.

Son sens divinatoire lui permettait d'aller au fond des consciences pour y lire les pensées secrètes. Matthias était un de ces notaires qui se croyaient responsables de leurs erreurs dans les actes et les méditaient longuement. Il était religieux et généreux. Aussi sa parole était-elle sacrée. Quand il mourut il y eut 3000 personnes à son convoi.

Solonet était le jeune notaire qui arrive en fredonnant et en prétendant que les affaires se font aussi bien en riant qu'en gardant son sérieux. C'était le genre de notaire qui va au bal, au spectacle, capable de risquer les capitaux en placements douteux. C'était aussi le genre de notaire dont la science vient de la duplicité et que beaucoup de gens craignent comme un complice qui possède leurs secrets. Me Solonet communiqua le plan de la bataille à sa souveraine.

Mme Evangélista ne voulut pas dire à son notaire son désir de quitter Bordeaux. Mais elle lui parla de la vente de son hôtel. Après le dîner, les deux notaires laissèrent les amants près de la mère et se rendirent dans un salon voisin destiné à leur conférence. Solonet proposa à Matthias un contrat de mariage sous le régime de la communauté avec donation générale des biens des époux l'un à l'autre en cas de mort sans héritier. La somme mise dans la communauté serait du quart des apports respectifs et le survivant garderait le mobilier.

Mais Matthias annonça que la dot était la terre de Lanstrac, du produit de 23 000 livres de rente. Il y avait également les fermes du Grassol et du Guadet, le clos de Belle-Rose, un hôtel patrimonial à Bordeaux, une belle maison à Paris. Matthias demanda à Solonet de lui montrer l'inventaire des biens de Mlle Evangelista. Solonet répondit qu'après la mort du mari, Mme Evangelista n'avait pas fait d'inventaire car elle était espagnole et ne connaissait pas les lois françaises. Alors Matthias insista et Solonet répondit que Mme Evangelista possédait un hôtel, son mobilier et 400 000 fr. placés pour recevoir 40 000 fr. de revenus.

Matthias fut atterré. Il demanda comment Mme Evangelista pouvait mener un train de vie qui exigeait 100 000 livres de rente. Le jeune notaire répondit que Mme Evangelista aimait la dépense. Il ajouta que la plus belle fille du monde devait toujours manger plus qu'elle n'avait. Solonet était persuadé de faire triompher sa cliente.

Paul souhaitait sa prétendue comme un lycéen désirait une courtisane et il dit à l'oreille de sa belle-mère que Natalie était si belle qu'il concevait la frénésie poussant à payer un plaisir par sa mort. Mme Evangelista lui répondit que son mari l'avait épousée sans fortune et ne lui avait causé aucun chagrin pendant 13 ans. Elle conseilla à Paul et à Natalie d'aller vivre à Paris juste après leur mariage pour ne pas avoir à craindre le ridicule en se comportant comme deux amants. Me Matthias entra dans le salon car il voulait parler à Paul. Il apprit à son client qu'il n'avait pas un sou de dot. Il proposa de remettre la conférence à un autre jour. Mme Evangelista souffrait d'angoisse. Elle dût peut-être son triomphe à la désobéissance de sa fille. Elle voulut savoir si Paul l'aimait assez pour surmonter les difficultés prévues par sa mère et que lui dénonçait la figure un peu nuageuse de Me Matthias. Elle dit à Paul qu'elle le relevait de ses engagements et Paul crut au désintéressement de Natalie. Paul demeura songeur : il comptait avoir environ 100 000 livres de rente, en réunissant sa fortune à celle de Natalie. De plus il devait accepter une femme habituée au luxe. Matthias annonça à Mme Evangelista qu'il y avait un empêchement dilatoire. Me Solonet arriva. Il prétendit qu'il existait un moyen d'acquitter Mme Evangelista envers sa fille. Il suffisait qu'elle transporte par le contrat la nue propriété de ses valeurs à sa fille.

Mais le notaire voyait le piège tendu. Solonet affirma que Paul n'aurait qu'à reconnaître dans le contrat avoir reçu la somme totale revenant à Mlle Evangelista sur la succession de son père. Il prétendait que cela représentait 1 156 000 fr. Matthias en fut outré. Il répondit à Solonet qu'il n'avait qu'à demander à Paul le délaissement de sa fortune à sa future épouse car cela aurait été plus franc. Après quoi, il se retira. Mais il revint pour dire à Mme Evangelista qu'il la tenait pour un honnête femme mais qui ne savait rien des affaires. Solonet le remercia.

Matthias conseilla à Mme Evangelista de se remarier. Mais comme elle ne le souhaitait pas, il lui conseilla d'abandonner l'usufruit de la fortune de son mari à sa fille et à son gendre. Solonet conseilla à Mme Evangelista de délaisser ses inscriptions 5 % et de vendre son hôtel. Elle pourrait garder les 50 000 écus restants sur le prix de son hôtel à condition que Paul lui arrange une demeure chez lui. Mme Evangelista pourrait compenser le déficit actuel par les bénéfices d'une pension qu'elle donnerait à Paul. Matthias chercha à surprendre quelques indices du complot dont la trame commençait à se laisser voir. Matthias surprit un regard de Solonet jeté à Mme Evangelista. Celle-ci s'écria dans un accès de joie qu'elle pouvait donner à Natalie ses diamants qui devaient valoir au moins 100 000 fr. L'apparition soudaine des diamants confirmèrent les soupçons de Matthias. La scène avait été préparée dans le but de ruiner le pigeon. Plein de pitié pour son client, Matthias jeta un long regard sur l'avenir et n'y vit rien de bon. Paul, Solonet et Mme Evangelista attendaient la probation de Matthias. Le vieux notaire nord répondit qu'il connaissait l'arithmétique. Les placements territoriaux de Paul représentaient un capital énorme tandis que les revenus de la dot étaient soumis à des diminutions d'intérêt. Paul dit à son notaire qu'il était en train de le perdre en ce moment. Il pleura. Alors Matthias proposa une solution. Il déclara que par son nom et par sa fortune, Paul était appelé à siéger un jour à la Chambre élective ou à la Chambre héréditaire. Mme Evangelista répondit que c'était son plus cher désir. Matthias proposa la création d'un majorat. Paul emmena Matthias dans le salon. Il demanda des explications. Le notaire lui répondit que Paul risquait de voir sa fortune dévorée en cinq ans et devenir débiteur de sommes énormes envers sa femme. Mais Matthias ne voulait pas lui donner de détails sur sa solution car il savait les amoureux indiscrets. Il voulait mettre l'amour de Paul sous la protection de son silence. Matthias conseilla à Paul de se défier de Mme Evangelista. Puis ils retournèrent voir les autres. Solonet accepta la proposition de Matthias. Solonet expliqua à Mme Evangelista qu'un majorat était inaliénable car aucun des époux n'y pouvait toucher. C'était de la prévoyance. Mme Evangelista voyait sa fille mariée et n'en demandait pas davantage. Il fut alors convenu que Matthias rédigerait le contrat et que Solonet minuterait le compte de tutelle et que ces actes seraient signés quelques jours avant la célébration du mariage. Les deux notaires s'en allèrent dans le même cabriolet. Matthias garda le secret sur les motifs de sa proposition. La lutte odieuse où le bonheur matériel d'une famille avait été si curieusement risqué n'était plus pour les deux notaires qu'une question de polémique notariale. Matthias proposa à Solonet d'assister au contrat de vente des terres à joindre au majorat.

Mme Evangelista se demandait si Matthias n'avait pas détruit en quelques minutes son ouvrage de six mois en soustrayant Paul à son influence lors de leur conférence secrète dans le petit salon. Paul dit que grâce aux deux notaires, il avait su à quel point à Mme Evangelista était grande et généreuse. Nathalie fit des caprices en disant qu'elle ne voulait pas se marier si cela signifiait que sa mère devait se dépouiller de ses biens. Alors Paul la calma. Mme Evangelista annonça vouloir partir à Paris pendant l'hiver. Cela réjouit Nathalie. Même si tout s'était passé dans les meilleurs termes et selon les lois de la plus exquise politesse, la discussion sur les intérêts des deux parties avait néanmoins jeté chez le gendre et chez la belle-mère un germe de défiance et d'inimitié.

Paul pensait que, grâce à l'habileté de son notaire, sa fortune était presque entièrement garantie de toute ruine. Il trouvait sa belle-mère une excellente femme et pensait que le mal était venu de Solonet qui avait voulu faire l'habile. Mme Evangelista s'attribue également la victoire. Elle voulait se charger de la fortune politique de son gendre. Elle ne voulait pas suivre les conseils de son notaire pour ne pas retirer un liard de sa fortune à sa fille. Elle expliqua à Natalie que la tempête s'était apaisée quand elle avait offert ses diamants. Elle dit à sa fille que d'après le contrat les diamants lui appartiendraient. Tous étaient donc enchantés de cette première rencontre. Il vient un moment où cesse l'erreur du vaincu. Pour Mme Evangelista, son gendre était le vaincu. Le lendemain matin, Elis Magus se présenta chez Mme Evangelista, croyant, d'après les bruits qui couraient sur le mariage de Nathalie et de Paul qu'il s'agissait de parures à leur vendre. Le juif fut donc étonné en apprenant qu'il s'agissait au contraire d'une prisée quasi-légale des diamants de la belle-mère. Avec instinct, il avait compris que la valeur des diamants allait être comptée dans le contrat de mariage. Alors il décida de les priser comme s'ils devaient être achetés par un particulier chez un marchand. Il estima les diamants de Mme Evangelista 350 000 fr.. Mme Evangelista demanda si elle pouvait avoir cette somme immédiatement. Alors le juif répondit qu'il pouvait donner 75 000 fr. pour le brillant et 160 000 pour le collier et les boucles d'oreilles. Elle voulut savoir pourquoi alors il répondit que plus les diamants étaient beaux, plus longtemps ils devaient être gardés avant de trouver preneur. Puis le juif considéra l'or des montures et les perles mais Mme Evangelista ne voulait pas les vendre. Cette rencontre entre Mme Evangelista et Magus fut connue et corrobora certaines rumeurs sur le contrat de mariage. Huit jours plus tard, il circulait à Bordeaux les bruits les plus étranges : Mme Evangelista vendait son hôtel, elle était donc ruinée. Elle avait proposé ses diamants à Magus. Les gens se demandaient si ce mariage se ferait. Les deux notaires questionnés démentirent ces calomnies. Mais les doucereuses calomnies continuèrent. Quelque personne se vengèrent de 20 ans de luxe et de grandeur que la maison espagnole avait fait peser sur leur amour-propre. Le temps que demandait l'érection du majorat confirmait les soupçons des politiques bordelais.

Les rumeurs furent telles qu'il se fit des paris pour ou contre le mariage. Paul se rendit à Lanstrac pour faire une partie de chasse avec plusieurs jeunes gens de la ville. Cela fut considéré par la société comme une éclatante confirmation des soupçons publics. Mme de Gyas voulait marier sa fille et trouva convenable de sonder le terrain et alla s'attrister joyeusement de l'échec reçu par les Evangelista. Nathalie et sa mère furent assez surprises en voyant la figure mal grimée de la marquise. La marquise expliqua les bruits qui circulaient dans Bordeaux. Elle leur raconta les dires de chacun, sans épargner un seul coup de poignard à Mme Evangelista et sa fille. Mme Evangelista répondit à la marquise qu'elle comprenait les médisances qui émanaient de mères incapables de marier leurs filles et elle leur pardonnait leurs propos envenimés. En revanche, elle ne comprenait pas pourquoi la marquise qui n'avait rien de provinciale et dont la fille était spirituelle ait pu prendre le moindre souci. À ce moment-là, Paul arriva. Il revenait de la chasse. Quand il apprit les calomnies qui couraient dans Bordeaux, il se mit à rire au lieu de se mettre en colère. Alors il décida d'organiser un bal le jour de la signature du contrat de mariage. Mme Evangelista invita tout Bordeaux pour le jour de la signature du contrat et manifesta l'intention de déployer dans sa dernière fête un luxe qui donnerait d'éclatants démentis aux calomnies de la société.

Les préparatifs durèrent 40 jours. La fête fut nommée la nuit des camélias. Quand les bancs furent publiés, les doutes se dissipèrent. Amis et ennemis ne pensèrent plus qu'à préparer leurs toilettes pour la fête indiquée. Dans la matinée du jour où devait se signer le contrat, Mme Evangelista se rappela un détail de la conférence avec les deux notaires. Elle se rappela de l'instant où Matthias avait accédé aux conditions de Solonet. Elle pensa que si Matthias s'était apaisé c'était qu'il avait dû trouver satisfaction aux dépens de l'un des deux époux. L'intérêt lésé ne devait donc pas être celui de Paul comme elle l'avait espéré. Cette journée influa sur la vie conjugale de Paul. L'hôtel évangéliste devant être vendu, la belle-mère de Paul n'avait reculé devant aucune dépense pour la fête. Ainsi la somptueuse atmosphère d'une fête agissait sur les esprits au moment de signer le contrat. Les deux notaires dînèrent avec les fiancés et la belle-mère. Le premier clerc de Matthias fut également invité.

Natalie s'était parée de dentelles et de satin pour que sa beauté soit incomparable et Mme Evangelista portait son collier de perles et son diamant le plus cher pour démentir les calomnies. Paul et Nathalie demeurèrent assis au coin du feu et n’écoûtèrent aucun article du compte de tutelle. Mme Evangelista écouta avec la plus scrupuleuse attention le compte de la tutelle rédigé par Solonet. Elle demanda quel serait l'effet de ce majorat et Solonet lui répondit que c'était une fortune inaliénable constituée au profit de l'aîné de la maison. Elle voulut comprendre quel en serait le résultat pour sa fille. Matthias lui expliqua que le majorât serait plus favorable à Paul qu'à Natalie et Mme Evangelista comprit que sa fille était ruinée. Mathias lui expliqua que constituer à sa famille une fortune indestructible ce n'était pas se ruiner. Solonet voulut expliquer que la somme perdue par Natalie serait versée au profit de ses futurs enfants. Natalie était hors d'état de comprendre qu'elle perdait la moitié de sa fortune et Paul continua de rires et de causer avec sa fiancée. Mme Evangelista venait de comprendre quelle était la dupe d'un vieillard probe. Elle avait peur que Matthias explique à Paul la conspiration qu'elle avait préparée contre Paul et à laquelle celui-ci venait d'échapper. Les bans étaient publiés et le mariage devait être célébré deux jours plus tard. Mme Evangelista ne pouvait donc plus ajourner le mariage. Elle était obligée de céder. La contrariété se voyait sur son visage et Solonet ne manqua pas de la remarquer. Alors il entraîna sa cliente dans le petit salon car il ne voulait pas perdre ses honoraires. Il lui conseilla de remettre la signature en prétextant une erreur commise à Paris. Mais elle savait que c'était impossible pour éviter d'être la risée de tout Bordeaux.

Solonet lui expliqua que Natalie pourrait mener Paul par le bout du nez. Ainsi, le sort du comte Paul était encore entre les mains de Mme Evangelista.

Puis Solonet alla trouver Matthias pour lui dire que le majorat pouvait donner lieu à des procès dans le cas où Paul décéderait sans enfants ou s'il ne laissait que des filles. Il préconisa donc de stipuler dans le contrat la donation générale de biens faite entre les époux ou que le majorat devienne caduque dans le cas où les enfants seraient des filles. Mathias accepta. Paul et Natalie ne prêtèrent aucune attention à cette nouvelle clause. Mme Evangelista accepta de signer. Elle déclara que sa fille ne serait pas ruinée quand elle s'apercevrait qu'elle n'aimait pas son mari et Paul serait banni de France tandis que Natalie serait libre, heureuse et riche. Mathias connaissait l'analyse des intérêts mais ne connaissait pas l'analyse des passions humaines. Il n'avait pu donc déceler dans les propos de Mme Evangelista une déclaration de guerre. Mathias prit Paul à part dans l'embrasure d'une croisée pour lui expliquer le secret des stipulations qu'il avait inventées pour le sauver d'une ruine certaine.

Il termina son explication en disant que Paul pourrait bientôt obtenir 50 000 livres de rente et il aurait donc fait un excellent mariage. Paul serra très affectueusement les mains de son vieil ami. Ce geste ne put échapper à Mme Evangelista ce qui provoqua sa rage intérieure. Mme Evangelista forçat Paul à accepter les bijoux qu'il avait tenté de refuser par pudeur. Mais aussitôt Paul les offrit à Natalie. Après quoi, la fête commença.

Mathias conseilla à Paul de profiter de la lune de miel pour vendre les diamants. Durant la fête, les médisances continuèrent. Paul fut le dernier à quitter la fête. Après quoi, Mme Evangelista alla trouver sa fille pour discuter. Natalie voulut rassurer sa mère en disant que Paul ne serait jamais un obstacle à leur bonheur.

La haine rendit avare la prodigue Mme Evangelista. Dans la nuit, elle prépara un plan qu'elle mit en oeuvre dès le lendemain.

Paul voulut rester sur ses gardes dans le cas où Matthias avait eu raison et il se dit qu'il n'était pas obligé d'épouser sa belle-mère.

Mme Evangelista entreprit d'utiliser sa dernière journée avec sa fille pour influencer sa future vie de femme mariée. Elle lui expliqua que l'influence que devait avoir une femme sur son mari dépendait de son débutant le mariage. Elle préconisait donc de ne pas habiter avec Paul et avec sa fille durant les premiers mois. Ainsi, Paul ne pourrait pas interpréter l'influence de Mme Evangelista sur les premiers mois qu'il passerait avec sa femme. Elle dit à sa fille que pour qu'une femme commande, elle devait avoir l'air de toujours faire ce que voulait son mari. Elle expliqua à sa fille qu'elle comptait rester à Lanstrac pour refaire sa fortune à force d'économies. Elle reviendrait quand son retour ne causerait plus d’ombrage et quand Paul l’aurait jugée. Natalie lui demanda ce qu’elle devrait faire et ne pas faire avec Paul. Sa mère lui répondit qu’elles s’écriraient trois fois par semaine. Puis Madame Evangelista passerait un mois ou deux à Paris. Natalie voulut des conseils conjugaux et sa mère lui dit que conserver le cœur de son mari ou le gouverner était une seule et même chose. La cause principale des désunions conjugales se trouvait dans une cohésion constante qui n'existait pas autrefois et qui s'était introduite avec la manie de la famille. Depuis la révolution, les moeurs bourgeoises avaient envahi des maisons aristocratiques. Cela était dû à Rousseau, hérétique infâme qui n'avait eu que des pensées antisociales, selon Mme Evangélista. Rousseau avait prétendu que toutes les femmes avaient les mêmes droits et que dans l'État de société l'on devait obéir à la nature. Et depuis toutes les femmes avaient nourri leurs enfants et avaient élevé leurs filles en restant à la maison. Mme Evangelista expliqua à sa fille qu'elle se comportait avec elle comme avec une amie et que c'était une exception à cause de l'évolution des moeurs. Le contact perpétuel n'était pas moins dangereux entre les enfants et les parents qu'il l'était entre les deux époux. Mme Evangélista conseilla donc à sa fille de mettre avec son mari les barrières du monde en se rendant au bal ou à l'opéra et de dîner en ville le soir. Elle ne devait accorder que peu de moments à Paul. Natalie ne devait pas épuiser les ressources du sentiment. Mme Evangelista estimait que l'affection éteinte ne se remplaçait que par l'indifférence ou par le mépris. Natalie ne devrait jamais ennuyer son mari. Natalie ne comprenait pas sa mère. Alors Mme Evangelista lui expliqua que si elle aimait Paul au point de faire tout ce qu'il voudrait alors elle ne serait pas la maîtresse. Mme Evangelista pensait qu'une femme était née pour être femme à la mode ou une charmante maîtresse de maison. La vocation de Natalie serait donc de plaire. Natalie devrait être la grande dame représentant le luxe et le plaisir de la maison. Natalie serait guidée par son instinct. Sa mère lui expliqua qu'en ce moment Paul désirait plus Natalie qu'il ne l'aimait. L'amour enfanté par les désirs était une espérance, et celui qui succédait à leur satisfaction était la réalité. Si Paul cédait à Natalie une première fois alors il cèderait toujours. Une femme ardemment désirée pouvait tout demander. Mme Evangelista conseilla à sa fille de se servir de l'empire que lui donnerait la première passion de son mari pour habituer celui-ci à obéir à sa femme. Si Paul faisait une sottise pour Natalie alors Natalie le gouvernerait. Natalie ne devrait jamais faire la folie de se livrer en quoi que ce soit à son mari. Elle devrait garder une constante réserve dans ses discours et dans ses actions. Si Paul croyait en Natalie alors celle-ci pourrait tout. Natalie devrait persuader Paul qu'elle ne comprenait. Le meilleur moyen d'accorder les deux volontés de Paul et de Natalie était pour Natalie de s'arranger à ce qu'il n'en ait qu'une seule au logis. Natalie baisa les mains de sa mère en y laissant des larmes de reconnaissance.

Mais Natalie voulut savoir pourquoi quelques jours plus tôt sa mère prétendait pouvoir préparer la fortune de Paul alors que maintenant elle voulait laisser Paul seul avec Natalie. Mais Mme Evangélista à ne voulut pas dire son secret.

Ensuite elle annonça sa fille qu'elle allait lui donner le Discreto, son diamant le plus précieux.

Quand Paul arriva, Mme Evangélista put voir sur son front les nuages que les conseils de la nuit et les réflexions du réveil y avaient amassés. Elle devina que Matthias avait parlé. M. promis à elle-même de détruire l'ouvrage du vieux notaire. Alors elle conseilla Paul de rendre les diamants pour subvenir au premier payement des terres qu'il venait d'acquérir. Mais Paul répondit que ces diamants ne lui appartenaient plus car ils avaient offert à Natalie. Alors Mme Evangelista proposa à Paul ses boucles d'oreilles et son collier en échange des bijoux que Paul avait offerts à Natalie. Paul accepta en se demandant ce que Matthias avait bien voulu lui dire. Solonet vint à ce moment-là pour annoncer une bonne nouvelle à sa cliente. Il avait trouvé deux entrepreneurs intéressés par l'hôtel de Mme Evangelista. Ils en offraient 250 000 fr..

Mme Evangélista accepta à condition que Solonet lui réserve le mobilier. Puis Madame Evangélista conduisit Solonet au salon pour lui livrer ses intentions. Elle voulait réunir 450 000 fr. de capitaux et rester à Lanstrac.

Quand Mme Evangelista retourna auprès de sa fille et de Paul, Paul lui demanda pourquoi elle ne voulait pas venir avec eux à Paris. Mme Evangélista répondit qu'elle ne voulait pas les déranger. Puis elle voulait laisser sa fille tout entière à Paul. Elle lui fit croire qu'elle voulait que l'influence qu'elle avait sur sa fille cède à celle que Paul aurait sur sa femme. Quand il le faudrait, elle viendrait seconder Paul à Paris dans ses projets d'ambition. Hall fut très heureux d'avoir sa liberté et les soupçons que Matthias lui avait inspiré sur le caractère de sa belle-mère furent en un moment dissipé. Natalie avait remarqué que Paul était fort content de savoir sa femme séparée de sa mère. Elle se demanda pourquoi et c'était donc le début de sa défiance envers Paul.

Il est certains caractères qui, sur la foi d'une seule preuve, croient à l'amitié. Chez les gens ainsi faits, le vent du Nord chasse aussi vite les nuages que le vent d'Ouest les amène ; ils s'arrêtent aux effets sans remonter aux causes. Paul était une de ces natures confiantes. Il se riait de la mélancolie de sa future femme en se disant que les plaisirs du mariage et l'entraînement de Paris la dissiperaient. Mme Evangélista se réjouissait de la confiance de Paul car la première condition de la vengeance est la dissimulation. Mais si Natalie aimait Paul Mme Evangélista aimait trop sincèrement sa fille pour ne pas respecter son bonheur.

L'avenir de Paul dépendait donc encore de lui-même. S'il se faisait aimer, il était sauvé.

Mme Evangelista donna le long repas qui suit le mariage légal avec les époux et les amis ainsi qu'une centaine de personnes curieuses. Le mariage fut célébré nuitamment comme un sinistre présage. Les commérages allaient bon train. Paul était accusé d'avoir mis sa belle-mère à la porte. Mme Evangelista conseilla à sa fille de songer à ses dernières recommandations. Natalie devrait donc toujours être la femme de Paul et non sa maîtresse.

Puis Madame Evangelista joua la petite comédie de se jeter dans les bras de son gendre en pleurant. Elle put obtenir ainsi de Paul ces concessions que font tous les maris. Natalie avait obtenu déjà de son mari la plus parfaite obéissance.

Conclusion

Cinq  ans plus tard, au mois de novembre, le comte Paul de Manerville entra mystérieusement chez M. Mathias à Bordeaux. Le bonhomme avait vendu son étude. Une affaire urgente l'avait contraint de s'absenter quand Paul arriva. Paul fut reçu par la vieille gouvernante de Mathias. Dans la soirée, Mathias arriva et trouve Paul endormi dans le lit de sa femme, morte depuis un an. Il ne savait pas qu'il trouverait Paul dans ce même lit, quasi mort. Natalie avait ruiné Paul. Paul avait 33 ans mais en paraissait 40. Physiquement, il se portait bien mais il avait reçu des secousses morales. Mathias était chagriné d'avoir vu placardée dans Bordeaux l'annonce des ventes des immeubles de Paul. Il était honteux comme s'il s'agissait de sa propre ruine. Paul était venu annoncer à Mathias qu'il partait pour Calcutta. Il espérait pouvoir reconstruire l'édifice ébranlé en gagnant une belle fortune en sept ans. Il allait partir sous le nom de Camille pour faire du commerce. Il annonça à Mathias qu'un ami lui avait prêté de l'argent. Le vieux notaire lui répondit que pendant 50 ans, il n'avait jamais vu les gens ruinés avoir des amis qui leur prêtent de l'argent. Durant son mariage, Paul avait fait cent cinquante mille fr. de dettes. Il s'était endetté de près de 200 000 fr. dès le premier mois de son mariage. Mathias lui annonça que Solonet allait se retirer avec 100 000 livres de rente. Mathias espérait que Solonet pourrait acheter l'hôtel de Bordeaux de Paul. Paul croyait encore sa belle-mère dévouée car elle payait toujours les dettes de Natalie pendant les trois mois qu'elle venait passer à Paris. Mathias n'en revenait pas que Mme évangéliste soit devenu économe. Paul se croyait toujours aimé par sa femme et par sa belle-mère. C'est ce qui l'avait perdu car il avait satisfait aux moindres caprices de Natalie. Il avait proposé à sa femme la séparation de biens. Il dit à Mathias qu'il n'avait pas eu d'enfants.

Mathias répondit qu'il avait entendu dire que les jeunes mariés qui s'aimaient comme des amants n'avaient pas d'enfants. Pour lui, le but du mariage était le bonheur de la famille. Pourtant, la nature du contrat de mariage de Paul l'obligeait à commencer par faire un garçon. Paul lui dit qu'il ne connaissait pas les femmes car, pour être heureux, il fallait les aimer comme elles voulaient être aimées. Paul ne voulait pas que le vieux notaire aggrave ses douleurs par une morale après la chute. Le lendemain, Mathias reçut une lettre de change de 150 000 fr. payable à vue qui avait été envoyée par Henri de Marsay. Mathias essaya de combattre la détermination de Paul sans y parvenir. Le jour du départ, il y avait sur l'embarcadère quelques personnes qui connaissaient personnellement Paul. Son désastre le rendait aussi célèbre en ce moment qu'il l'avait été jadis par sa fortune, il eut donc un mouvement de curiosité. Les gens se moquaient de Paul en disant qu'il était devenu un gros petit homme en redingote qui avait l'air d'un cocher. On disait aussi qu'il s'était laissé manger la laine sur le dos et qu'il était incapable de quoi que ce soit. Mathias resta sur le quai pour regarder son ancien client qui s'appuyait sur le bastingage en défiant la foule par un coup d'oeil plein de mépris. Paul remarqua que la vie gouvernante était arrivée en toute hâte près de Mathias. Elle semblait agitée par un événement de haute importance alors Paul demanda au capitaine d'attendre encore un moment et d'envoyer un canot afin de savoir ce que lui voulait le vieux notaire qui lui faisait énergiquement signe de débarquer. Mathias remit deux lettres à l'un des matelots qui amenèrent le canot. Il lui fit comprendre que le débarquement de Paul était urgent. Mais le matelot ne voulut rien dire à Paul pour que le capitaine ne perde pas un passager. Paul reconnut l'écriture de sa femme et celle de son ami de Marsay.

Il ne voulait pas se laisser influencer par les offres que leur inspirait le dévouement. Alors il rangea ces lettres dans sa poche. Paul eut le mal de mer et dut demeurer pendant trois jours étendu dans sa cabine. Puis il eut une sorte de convalescence et revint à son état ordinaire. Il sentit ses lettres en mettant les mains dans ses poches et les saisit aussitôt pour les lire. Il commença par celle de Natalie. Il avait écrit à Natalie pour lui annoncer son intention de refaire fortune aux Indes. Il n'avait pas eu la force de lui annoncer de vive voix son départ. Il avait toujours caché à Natalie le prix de ce qu'elle souhaitait et s'était ruiné pour elle avec plaisir. Dans sa lettre, Paul avait écrit à Natalie qu'un ami viendrait lui expliquer de quelle ville il était parti et quel jour craignant qu'elle ne l'empêche de s'en aller. Il lui demandait de s'amuser et de conserver toutes ses habitudes de luxe. Il lui avait également annoncé dans sa lettre que de Marsay serait locataire de leur hôtel. Cela avait pour but d'empêcher la saisie du mobilier et l'usufruit de l'hôtel. Paul demandait à Natalie d'être bonne pour de Marsay. Il avait chargé de Marsay de veiller à la liquidation. Natalie lui avait répondu que son départ la plongeait dans l'affliction. Elle aurait voulu que Paul la consulte. Elle avait du mal à croire qu'il pouvait faire fortune en six ans et lui demandait s'il comptait revenir. Elle lui disait qu'il n'avait jamais été si grand à ses yeux qu'il l'était en ce moment. Elle le trouvait sublime. Elle lui disait qu'elle serait partout où il serait, lui. En lisant sa lettre, Natalie avait été fière d'apprendre que son amour était bien senti. Elle considérait la lettre que Paul lui avait envoyée comme sa gloire. Elle la conserverait sur son coeur pendant l'absence de Paul. Elle irait demeurer à Lanstrac avec sa mère. Elle économiserait pour payer les dettes de Paul intégralement. Elle lui annonçait qu'elle était enceinte. Elle prétendait que sa mère était venue avec 30 000 fr. pour pouvoir arranger les affaires de Paul. Mais Augustinus avait remis la lettre de Paul à Natalie et elle avait lu la lettre en pleurant. Natalie annonçait à Paul que jusqu'alors elle avait été une femme frivole et maintenant elle allait être une mère de famille. Natalie n'appréciait pas de Marsay car il prenait les moqueries des accusateurs de Paul en raillerie au lieu de leur répondre. Néanmoins, pour obéir à Paul, elle accepterait d'en faire son ami. Elle promettait de faire en sorte, avec sa mère, d'acquitter intégralement les dettes de Paul et de racheter le clos de Belle-Rose. Natalie annonçait à Paul que sa mère était au désespoir de savoir Paul parti dans les Indes. Mme Evangélista voulait que Paul ne se laisse pas séduire par les femmes. Natalie terminait sa lettre en demandant à Paul de reprendre les baisers qu'elle mettait dans un carré au bas de sa lettre.

Paul était heureux après avoir lu la lettre. Il la relut deux fois, sans pouvoir en rien conclure ni pour ni contre sa femme. La lettre que son ami Henri lui avait envoyée était une réponse suite à la demande que Paul lui avait faite de recevoir les revenus de son majorat pendant quatre années et de devenir le locataire de son hôtel par un bail simulé. De plus Paul lui avait demandé de l'argent pour aller tenter la fortune. Il avouait à son ami s'être ruiné par amour pour sa femme. Dans sa lettre, Paul demandait à son ami de s'occuper de sa femme pendant ses six ans d'absence. Il pensait que Natalie sera un monstre si elle le trompait. Enfin il lui expliquait qu'il était l'homme le plus malheureux du monde.

Il souhaitait que de Marsay accepte d'être le chaperon de sa femme. Il lui demandait de prouver à Natalie qu'en trahissant son mari, elle serait vulgaire et ressemblerait à toutes les femmes. Si quelque événement grave devait aller, Paul demandait à son ami de lui envoyer des lettres sous l'enveloppe du gouverneur des Indes, à Calcutta. Il connaissait quelqu'un qui pouvait lui garder les lettres qui arriveraient d'Europe.

Henri avait répondu à Paul qu'il aurait pu l'éclairer sur sa position si Paul ne s'était caché de lui. Natalie avait refusé sa garantie. Les lettres de change avaient été protestées à la requête de Lécuyer, ancien premier clerc de Solonet. Henri estimait Mme Evangélista pire que Gobseck. Elle allait continuer de ruiner Paul avec l'aide de Solonet. Lécuyer était venu offrir à Henri le remboursement de la somme qu'il avait prêtée à Paul contre un transport en bonne forme de ses droits. Ainsi, Mme Evangélista et Nathalie avaient déjà calculé que Paul devait être en mer. Henri avait réussi à faire parler Lécuyer et à comprendre les éléments qui lui manquaient pour faire apparaître la trame entière de la conspiration domestique ourdie contre Paul. Henri avait l'intention de se rendre à l'ambassade d'Espagne pour offrir ses compliments d'admiration à la belle-mère de Paul et à sa femme. Il voulait savoir comment Paul avait réussi à mettre Mme Evangélista contre lui. Henri pensait que si Paul avait réussi à séduire la mère avant la fille, il serait devenu pair de France. Henri avait l'intention d'être assez près de Mme Evangélista pour apprendre d'elle la raison de la haine qu'elle avait vouée à Paul. Pour y appris à Paul que Natalie était amoureuse de Félix de Vandenesse. Henri expliquait à son ami que les belles âmes restaient dans la solitude, les natures faibles et tendres succombaient, il ne restait que des galets qui maintenaient l'océan social dans ses bornes en se laissant frotter, arrondir par le flot, sans s'user. Pour Henri la conclusion était facile à tirer : elle n'aimait pas Paul alors que Paul l'aimait comme un fou.

Dans sa lettre, Henri expliquait à Paul qu'il n'avait pas d'enfant. Nathalie aimait les bénéfices sociaux du mariage mais elle en trouvait les charges un peu lourdes et les charges, c'était Paul. Il ne manquait plus à Paul, pour être aussi bête que le bourgeois trompé par son épouse et qui s'en étonne, que de parler de ses sacrifices et de son amour pour Natalie à son ami Henri. Henri estimait que l'amour était une croyance comme celle de l'Immaculée Conception de la saint vierge. Il pensait que les jeunes gens comme Paul qui voulaient être aimés par balance de compte étaient d'ignobles usuriers. Henri expliquait à Paul que l'amour est un désir incessamment mouvant, incessamment satisfait et insatiable. L'amour est la conscience du plaisir donné et reçu, la certitude de le donner et de le recevoir. Ainsi, Natalie avait oublié les fanfaronnades amoureuses de son mari le jour au Vandenesse avait remué la corde du désir dans son coeur. Paul était devenu, pour elle, une victime à égorger sur l'autel. Une émotion d'amour avait effacé les trésors de passion de Paul qui n'étaient plus que de la vieille ferraille.

Henri expliquait à Paul que le mandat dont il voulait le charger était nul et non avenu car le mal à prévenir était accompli. Henri pensait que Paul venait d'être dégagé d'un souci : le mariage qui le possédait. Henri estimait les gens trompés. Il pensait que son ami s'était rendu justice en disparaissant. Le monde prêtait à Paul les péchés à la Don Juan. Henri avouait à son ami avoir envie de renverser le système et de réussir en politique. Il était prêt, pour triompher, à se réunir à Lafayette, aux orléanistes, à la gauche quitte à les égorger le lendemain de la victoire.

Henri s'était enrichi en devenant le mari d'une vieille fille anglaise que sa mère lui avait recommandée. Elle avait aussi peu d'intelligence qu'Henri en voulait chez une femme. Il savait que jamais cette fille ne le contrarierait. Henri prenait cette femme pour une machine capable de manger, de marcher, de boire, de faire des enfants et les soigner. Sa mère lui avait dit que Dinah Stevens ne dépensait que 30 000 fr. par an. Sa future femme consacrerait une partie de sa fortune à un majorat de revenus de 240 000 fr. et à l'achat d'un hôtel qui en dépendrait. Henri pourrait bénéficier d'une dot d'un million. Il espérait pouvoir obtenir 600 000 livres de rente quand l'oncle de sa future femme, brasseur, serait mis en bière. Henri avait écrit à son ami que c'était à Paris qu' il fallait faire fortune et pas dans les Indes. Il conseilla à Paul de revenir à Paris pour se battre en duel avec Félix de Vandenesse. Ainsi il pourrait devenir un homme respectable. Après quoi, sa femme tremblerait et sa belle-mère également. Il deviendrait un héros. Henri pensait que la vie était une galère quand une femme était toute la vie. Pour lui, le grand secret de l'alchimie sociale était de tirer tout le parti possible de chacun des âges par lesquels nous passons. Quand Paul termina la lecture de la lettre de Paul il fut saisi par une rage froide. Il cria :- Henri, Henri ! Puis il alla se coucher et dormit de ce profond sommeil qui suit les immenses désastres, et qui saisit Napoléon après la bataille de Waterloo.

La fille aux yeux d'or (Balzac).

C'est le troisième épisode de l'histoire des Treize. Le titre original de cette nouvelle était La femme aux yeux rouges.

La nouvelle est dédiée au peintre Eugène Delacroix.

L'aspect général de la population parisienne est un des spectacles les plus épouvantables. À la place des visages, les parisiens portent des masques de faiblesse, des masques de force, des masques de misère, des masques de joie, des masques d'hypocrisie.

Quelques observations sur l'âme de Paris peuvent expliquer les causes de sa physionomie cadavéreuse. Paris a été nommé un enfer. Tenez ce mot pour vrai.

À force de s'intéresser à tout, le Parisien finit par ne s'intéresser à rien. Indifférent la veille à ce dont il s'enivrera le lendemain, le Parisien vit en enfant quel que soit son âge. Il se console de tout, se moque de tout, oublie tout, goûte à tout et prend tout avec passion pour tout quitter avec insouciance. À Paris l'amour est un désir et la haine une velléité.. Le vrai parent de Paris c'est le billet de 1000 fr. et l'ami c'est le Mont-de-piété. À Paris tout est toléré, le gouvernement et la guillotine. L'ouvrier outrepasse ses forces et attelle sa femme a quelque machine. Il use son enfant et le cloue à un rouage. La population ouvrière est préparée à l'incendie révolutionnaire par l'eau-de-vie. Le peuple ouvrier est constitué de 300 000 individus à Paris. Sans les cabarets, le gouvernement serait renversé par les ouvriers tous les mardis. Peut-être l'ouvrier qui meurt vieux à 30 ans, l'estomac tanné par les doses progressives de son eau-de-vie, sera-t-il trouvé, au dire de quelques philosophes, plus heureux que ne l'est le mercier. L'ouvrier périt d'un seul coup et le mercier en détail. Juste au-dessus de l'ouvrier, on trouve le commerçant, les gens de la petite banque, le clerc de l'huissier ou de l'avoué. La petite bourgeoisie ne boit pas de l'eau-de-vie et ne se vautre pas dans la fange des barrières. Chez elle, la torsion physique s'accomplit sous le fouet des intérêts et sous le fléau des ambitions. Quand l'ouvrier meurt à l'hôpital, le petit-bourgeois persiste à vivre mais crétinisé. Son lundi à lui, c'est le dimanche et son repos est la promenade en voiture et la partie de campagne. Les petits-bourgeois sont estimés du gouvernement et sont alliés à la haute bourgeoisie. À 65 ans, le petit-bourgeois peut obtenir la Légion d'honneur. Les enfants des petits-bourgeois tendent fatalement à s'élever jusqu'à la haute bourgeoisie. Dans le troisième cercle parisien se trouve la foule des avoués, médecins, notaires, avocats, gens d'affaires, banquiers, spéculateurs et magistrats. C'est là que l'on rencontre encore plus de causes pour la destruction physique et morale que partout ailleurs. Le temps de ce troisième cercle est son tyran. Les grands bourgeois supportent le poids des misères publiques et ils voient l'envers de la société dont ils sont les confesseurs et qu'ils méprisent. Le grand bourgeois a remplacé l'idée par la parole et le sentiment par la phrase. Les grands bourgeois vivent à toute heure poussés par les affaires de la grande cité. Ils mangent tous démesurément. Ils peuvent disposer de tout et font la morale de la société.

Leur stupidité réelle se cache sous une science spéciale. En effet, ils savent leur métier mais ils ignorent tout ce qui n'en est pas. Pour sauver leur amour-propre, les grands bourgeois mettent tout en question et critiquent à tort et à travers. Presque tous adoptent commodément les préjugés sociaux, littéraires ou politiques pour se dispenser d'avoir une opinion.

Au-dessus de la grande bourgeoisie, il y a le monde artiste. Les artistes sont excédés par un besoin de produire et dépassés par leurs coûteuses fantaisies. Les artistes cherchent vainement à concilier le monde et la gloire, l'argent et l'art. La concurrence, les rivalités et les calomnies assassinent ces talents. Les artistes sont détruits par la passion et la passion, à Paris, se résout par deux termes : or et plaisir.

À Paris, on n'y aime jamais autrui.

Ce sont le mouvement exorbitant des prolétaires, la dépravation des intérêts qui broient les deux bourgeoisies et les cruautés de la pensée artiste ainsi que les excès du plaisir incessamment cherché par les grands qui expliquent la laideur normale de la physionomie parisienne.

Les rares visages frais et reposés, vraiment jeunes sont ceux des ecclésiastiques ou des jeunes provinciaux récemment débarqués ou des hommes de science ou de poésie.

Il existe à Paris néanmoins une portion d'êtres privilégiés auxquels profite ce mouvement excessif des fabrications, des intérêts, des affaires, des arts et de l'or. Ce sont les femmes.

Dans la haute aristocratie il y a quelques ravissants visages de jeunes gens, fruits d'une éducation et de moeurs exceptionnelles.

Par une matinée de printemps, le fils naturel de Lord Dudley et de la célèbre marquise de Vordac se promener dans la grande allée des Tuileries. Il s'appelait Henri de Marsay. Il était né en France. Lord Dudley maria la mère d'Henri à un vieux gentilhomme appelé M. de Marsay. Le vieux gentilhomme mourut sans avoir connu sa femme. Mme de Marsay épousa depuis le marquis de Vordac. Les parents d'Henri ne furent pas soigneux de leur progéniture. Henri fut élevé par une demoiselle de Marsay, la vieille soeur du gentilhomme. Elle lui donna un précepteur, un abbé. L'abbé apprit à l'enfant ce qu'on lui eût appris en 10 ans au collège. L'abbé de Maronis acheva l'éducation de son élève en lui faisant étudier la civilisation et le nourrit de son expérience. Il lui enseigna la politique au coeur des salons. L'abbé mourut en 1812, en évêque. La guerre continentale empêcha Henri de connaître son vrai père pas plus que sa mère. Il fit élever un petit tombeau quand Mlle de Marsay, sa seule mère, mourut.

L'évêque avait fait émanciper son élève en 1811. Puis il avait chargé un honnête acéphale d'administrer la fortune de son élève dont il voulait conserver le capital. En 1814, Henri se trouvait libre autant que l'oiseau sans compagne. Il avait 22 ans mais en paraissait à peine 17. Pour une femme, voir Henri c'était en être folle. Henri avait un courage de lion et une adresse de singe. Il savait se battre, monter à cheval et jouer du piano. Mais il ne croyait ni aux hommes ni aux femmes, ni à Dieu ni au diable. Henri avait une soeur mais ne le savait pas. Elle s'appelait Euphémie et était mariée avec un vieux et riche seigneur espagnol qui demeurait rue Saint-Lazare. C'était le marquis de San-Réal. En 1816, Lord Dudley se réfugia à Paris pour éviter les poursuites de la justice anglaise.

Il croisa son fils sans le reconnaître. C'est en l'entendant nommer qu'il sut. Henri rencontra Paul de Manerville, un jeune provincial qui avait hérité de la fortune paternelle et voulait découvrir Paris. Henri avait pris Paul en amitié pour s'en servir dans le monde. Paul, de son côté, se croyait fort en exploitant à sa manière son ami intime. Paul craignait Henri. Paul ne pouvait se classer dans la grande et puissante famille des niais. Henri raconta à son ami avoir rencontré une femme qui avait des yeux jaunes comme ceux des tigres ; un jaune d'or. Il l'avait donc surnommée la fille aux yeux d'or. Paul avait entendu parler de cette fille et il l'avait vue. Et justement, la fille aux yeux d'or arriva devant les deux amis. Elle se mit à rougir et passa. Elle serra la main d'Henri. Puis, elle se retourna, sourit avec passion mais la duègne qui l'accompagnait l'entraîna fort vite vers la grille de la rue Castiglione. Ils la suivirent et la virent monter dans un coupé. La fille aux yeux d'or agita son mouchoir à l'insu de la duègne. Henri aperçut un fiacre et demanda au cocher de suivre le coupé de la fille aux yeux d'or. Le coupé rentra rue Saint-Lazare, dans un des plus beaux hôtels de ce quartier. Henri n'était pas un étourdi. Il avait demandé au cocher de continuer la rue Saint-Lazare et de le ramener à son hôtel. Il était trop adroit pour compromettre l'avenir de sa bonne fortune en cédant à son désir. Le lendemain, Henri envoya son valet de chambre aux environs de la maison habitée par un l'inconnue. Laurent, le valet attendit le passage du facteur et feignit d'être un commissaire en peine de se rappeler le nom d'une parisienne à laquelle il devait remettre un paquet. Le facteur lui apprit que l'hôtel appartenait à Don Hijos, marquis de San Réal. Laurent expliqua au facteur que le paquet était pour la marquise. Le facteur répondit que les lettres de la marquise étaient retournées sur Londres. Laurent donna quelques pièces d'or au facteur en échange de l'adresse de la marquise. Elle s'appelait Paquita Valdès. Laurent voulut remercier le facteur en lui offrant un repas. Durant le repas, le facteur expliqua alors on que si son maître était amoureux de cette fille, il s'infligeait un fameux travail. En effet, personne ne pouvait pénétrer dans l'hôtel du marquis sans un mot d'ordre. Le suisse qui gardait l'hôtel était espagnol et ne parlait pas un mot de français et la première salle de l'hôtel était fermée par une porte vitrée dans laquelle se trouvaient le majordome et les laquais. Le voisinage devait recevoir des gages pour ne pas parler. Enfin, Paquita était toujours accompagnée de la duègne comme Conchita Marialva.

Laurent demanda au facteur si on pouvait compter sur lui. Le facteur acquiesça et il donna son nom. Il s'appelait Moinot. Il habitait rue des Trois Frères et avait une femme et quatre enfants. Laurent lui serra la main. Laurent raconta son périple à son maître. Henri pensait que Paquita était la maîtresse du marquis, un vieil espagnol de 80 ans ami du roi Ferdinand. Henri obtenait toutes les femmes qu'il daignait désirer. Aussi, il en était venu à implorer du hasard quelque obstacle à vaincre qui demandât le déploiement de ses forces morales et physiques inactives. Pourtant une satiété constante avait affaibli dans son coeur le sentiment de l'amour. Il y avait donc des caprices extravagants et des goûts ruineux.

Ses fantaisies ne lui laissaient aucun bon souvenir au coeur. Henri avait besoin d'aventures pour stimuler sa curiosité. Le rapport que lui avait fait Laurent venait de donner un prix énorme à la fille aux yeux d'or. Il s'agissait de livrer bataille à quelque ennemi secret qui paraissait aussi dangereux qu'habile. La duègne paraissait incorruptible. Ainsi, la pièce vivante était plus fortement nourrie par le hasard qu'elle ne l'avait jamais été par aucun routeur dramatique. Paul arriva chez son ami. Il fut surpris par le temps que consacrait Henri à s'habiller, se laver et se coiffer. Alors Henri lui expliqua que la femme aimait le fat. Les fats étant les seuls hommes qui ont soin d'eux -mêmes. Pour Henri, la femme était un ensemble de niaiseries et un fat qui s'occupait de sa propre personne, s'occupait d'une niaiserie.

Henri était persuadé qu'une femme était sûre que le fat occuperait d'elle puisqu'il ne pensait pas à de grandes choses. Aussi le fat était le colonel de l'amour pour les femmes. Henri pensait qu'un homme aimé par plusieurs femmes passait pour avoir des qualités supérieures. Henri proposa à son ami d'aller aux Tuileries pour voir la fille aux yeux d'or.

Elle n'y était pas. Henri eut l'idée d'acheter le facteur pour décacheter une des lettres que Paquita recevait de Londres et y glisser un petit billet doux. Le mari de la fille aux yeux d'or devait sans doute connaître la personne qui lui envoyait des lettres de Londres et ne s'en défiait plus.

Le lendemain, Henri rencontra la fille aux yeux d'or de la terrasse des Feuillants. Il s'affola sérieusement de ses yeux dont les rayons semblaient avoir la nature de ceux du soleil. Il réussit à dépasser la duègne pour atteindre Paquita et Paquita lui pressa la main. En un instant toutes ses émotions de jeunesse lui sourdirent au coeur. Paquita baissa les yeux. Il la suivit au bout de la terrasse et il aperçut le marquis au bras de son valet de chambre. La duègne qui se méfiait d'Henri fit passer Paquita entre elle et le vieillard. Avant de monter dans sa voiture, la fille aux yeux d'or échangea avec Henri quelques regards dont l'expression n'était pas douteuse. La duègne en surprit un et dit vivement quelques mots à Paquita qui se jeta dans le coupé d'un air désespéré. Pendant quelques jours, Paquita ne se rendit plus aux Tuileries. Le lien si faible qui unissait les deux amants était donc déjà rompu.

Quelques jours après, Henri était arrivé à son but, il avait un cachet et de la cire absolument semblables au cachet et à la cire qui cachetaient les lettres envoyées de Londres à Paquita et du papier pareil à celui dont se servait le correspondant. Il avait écrit une lettre à Paquita en lui donnant toutes les façons d'une lettre envoyée depuis Londres. Dans cette lettre, il prétendait s'appeler Adolphe de Gouges et habiter rue de l'Université. Il expliquait que si elle ne pouvait pas répondre à sa lettre, un homme attendrait dans le jardin de son voisin, le baron de Nucingen le lendemain pour lui glisser par-dessus le mur, au bout d'une corde, deux flacons contenant de l'opium pour endormir la duègne et de l'encre. Il était prêt à donner sa vie pour obtenir un rendez-vous d'une heure avec elle.

Cette lettre remise par le facteur le lendemain matin au concierge de l'hôtel de San Réal. Le lendemain, Henri était venu déjeuner chez Paul. Dans l'après-midi le cocher d'Henri vint chercher son maître pour lui présenter un personnage mystérieux qui voulait absolument lui parler. C'était un Africain. Il était accompagné d'un homme à l'air malheureux et à l'apparence misérable. Ce dernier se présenta comme un écrivain public et interprète demeurant au palais de justice et se nommant Poincet. Le mulâtre tira de sa poche la lettre écrite à Paquita par Henri et la lui remit. Henri la jeta dans le feu. L'interprète lui expliqua qu'il avait traduit la lettre pour le mulâtre lequel l'avait conduit à Henri en lui promettant deux louis. L'interprète traduisit ce que le mulâtre a dire Henri. Il fallait qu'Henri se trouve le lendemain à 10:30 sur le boulevard Montmartre auprès du café pour attendre une voiture dans laquelle il devrait monter en disant le mot cortejo, un mot espagnol signifiant amant. Le mulâtre voulut donner de l'argent à l'interprète mais Henri s'y opposa car il voulait lui-même récompenser l'interprète. Le mulâtre menaça d'étrangler l'interprète s'il commettait la moindre indiscrétion. La personne qui donnait rendez-vous à Henri le prévenait de prendre la plus grande prudence car son existence était menacée. Puis le mulâtre et l'interprète s'en allèrent.

Henri dit à son ami Paul qu'il avait fini par rencontrer dans Paris une intrigue accompagnée de circonstances graves et de périls majeurs. Cela lui rendait la fille aux yeux d'or hardie. Mais à présent que cette belle-fille, ce chef-d'oeuvre de la nature était à lui, l'aventure avait perdu de son piquant. Il se rendit au rendez-vous donné par Paquita. Il donna le mot d'ordre à un homme qui lui paraît être le mulâtre. L'homme ouvrit la portière de la voiture et déplia vivement le marchepied. Henri ne sut pas où la voiture s'arrêta. Le mulâtre l'introduisit dans une maison mal meublée comme le sont celles dont les habitants sont en voyage. Enfin, le mulâtre ouvrit la porte d'un salon. Il y avait une vieille femme assez mal vêtue et coiffée d'un turban Paquita était également présente sur une causeuse dans un voluptueux peignoir.

L'embarras de ce moment fut singulièrement augmenté par la présence de la vieille femme. Paquita profita de ce moment de stupeur pour se laisser aller à l'extase de cette adoration infinie qui saisit le coeur d'une femme quand elle aime véritablement.

Paquita parut alors merveilleusement belle à Henri que toute cette fantasmagorie de haillons, de vieillesse, de draperies rouges usées, que tout ce luxe infirme et souffrant disparut aussitôt.

Henri demanda à Paquita qui était cette vieille femme. Mais Paquita ne répondit pas. Elle fit signe à Henri qu'elle ne comprenait pas le français et lui demanda s'il parlait anglais. Henri répéta sa question en anglais. Paquita lui expliqua que cette vieille femme était sa mère. Elle avait été une esclave achetée en Géorgie pour sa rare beauté dont il restait peu de choses à présent. Elle ajouta qu'ils avaient peu de jours à eux et qu'ils ne seraient pas libres. Henri fut fasciné par cette riche moisson de plaisirs promis et fut affolé par l'infini rendu palpable. Paquita était heureuse d'être admirée. Alors il s'écria que si Paquita ne devait pas être à lui seul alors il la tuerait.

Paquita se voila le visage de ses mains et s'écria naïvement : « Sainte vierge, où me suis-je fourrée ! ».

Elle pleura sur le sein de sa mère. Henri se disait que ces femmes se moquaient de lui. Mais Paquita le regarda et elle parut si belle qu'il se jura de posséder ce trésor de beauté. Il demanda à Paquita d'être à lui et elle répondit qu'il voulait la tuer. La vieille prit d'autorités la main d'Henri et celle de sa fille puis elle les regarda longtemps. Paquita accepta d'être à lui mais pas ce soir. Elle avait donné trop peu d'opium à la duègne qui pouvait se réveiller. En ce moment, toute la maison croyait Paquita endormie dans sa chambre. Elle demanda à Henri d'être au même endroit et de dire le même mot au même homme qui était son père nourricier Christmio. Paquita embrassa Henri et le mena lentement jusqu'à l'escalier. Après quoi, le mulâtre emmena Henri jusqu'à la rue. Ensuite il le remit dans la voiture et le déposa sur le boulevard des Italiens. Jamais rendez-vous n'avait plus irrité les sens d'Henri.

Henri pouvait ce qu'il voulait dans l'intérêt de ses plaisirs et de ses vanités. Cet invisible action sur le monde social l'avait revêtu d'une majesté réelle mais secrète. Henri pouvait condamner froidement à mort l'homme ou la femme qui l'avait offensé sérieusement. Aussi, personne ne se sentait l'envie de le choquer. Il résulte chez ses hommes une conscience léonine qui réalise pour les femmes un type de force qu'elles rêvent toutes. Une fois chez lui, Henri rêva de la fille aux yeux d'or. Ce fut une des images monstrueuses.

Deux jours plus tard, il se rendit au deuxième rendez-vous et le mulâtre s'approcha de lui pour lui dire en français une phrase qu'il paraissait avoir apprise par coeur. Henri dût consentir à se laisser bander les yeux. Il refusa alors le mulâtre fit un signe et la voiture partit.

Henri accepta donc d'avoir les yeux bandés et le mulâtre siffla pour que la voiture revienne. Une fois dans la voiture, Henri essaya de dompter le mulâtre mais en vain. Henri fut forcé de plier et d'accepter le foulard. Christemio lui banda les yeux.

Le trajet dura une demi heure. Quand la voiture s'arrêta, elle n'était plus sur le pavé. Le mulâtre et le cocher prirent Henri à bras-le-corps pour le porter sur une espèce de civière et le transporter à travers un jardin. Henri fut conduit à travers plusieurs pièces et laissé dans une chambre dont l'atmosphère était parfumée. Une main de femme le poussa sur un divan et lui retira son foulard. Henri put voir Paquita dans sa gloire de femme voluptueuse.

Il se trouvait dans un boudoir avec un matelas posé par terre. Les meubles étaient couverts en cachemire blanc. Le moindre détail semblait avoir été l'objet d'un soin pris avec amour. Tout aurait réchauffé l'être le plus froid. Paquita s'agenouilla devant Henri, l'adorant comme le dieu de ce temple où il avait daigné venir. Elle lui dit que cette retraite avait été construite pour l'amour. Henri voulut savoir qui avait conçu ce boudoir mais Paquita refusa de répondre. Alors il il la repoussa. Elle tomba à la tête la première puis se releva pour prendre dans un meuble un poignard qu'elle offrit à Henri avec un geste de soumission qui aurait attendri un tigre. Elle lui demanda de l'enivrer puis de la tuer. Elle se reprit en disant qu'elle aimait la vie.

Henri comptait dominer quelques heures plus tard cette fille et en apprendre tous les secrets.

Paquita habilla Henri d'une robe de velours rouge puis elle le coiffa d'un bonnet de femme et l'entortilla d'un châle. Chose étrange, si la fille aux yeux d'or était vierge, elle n'était certes pas innocente. Les deux amants rencontrèrent les délices. Après quoi, Paquita demanda à Henri de revenir le lendemain.

Il lui demanda ce qui arriverait au cas où il refuserait de se laisser bander les yeux. Elle répondit qu'il causerait plus promptement sa mort car à présent elle était sûre de mourir pour lui. Alors il se laissa faire. Il se trouvait sous l'empire de ce sentiment confus que ne connaît pas le véritable amour. L'amour vrai règne surtout par la mémoire. À l'insu d'Henri, Paquita s'était établi chez lui par l'excès du plaisir et la force du sentiment. Une fois rentrée chez lui, il s'endormit. Quand il se réveilla, il déjeuna avec son ami Paul. Paul avait imaginé que son ami s'était enfermé depuis 10 jours avec la fille aux yeux d'or. Mais Henri prétendit ne plus penser à cette fille. Il lui expliqua qu'il voulait rester discret sur sa relation.

Henri s'aperçut qu'il avait été joué par la fille aux yeux d'or en voyant dans son ensemble cette nuit dont les plaisirs avaient graduellement ruisselé pour finir par s'épancher en torrents. Tout lui prouva qu'il avait posé pour une autre personne. Il fut blessé d'avoir servi de pâture à Paquita. Alors il proposa à son ami d'aller jouer. Ils se rendirent au Salon des Etrangers. Le soir, il se rendit au rendez-vous et se laissa complaisamment bander les yeux. Il se concentra pour deviner par quelles rues passait la voiture. Il sentit l'odeur du réséda. Cette indication devait l'éclairer dans les recherches qu'il se promettait de faire pour reconnaître l'hôtel où se trouvait le boudoir de Paquita. Paquita avait pleuré. Elle ne ressemblait plus à la bondissante créature qui avait transporté Henri dans le septième ciel de l'amour. Il lui demanda ce qu'elle avait. Elle répondit que si elle restait ici, elle serait perdue. Henri lui dit qu'il n'appartenait pas car il était lié par serment au sort de plusieurs personnes. Il ne pouvait donc pas quitter Paris. Elle lui dit que si elle obtenait sa grâce, ce serait peut-être à cause de sa discrétion. Mais la duègne soupçonnait déjà Henri. Elle lui révéla que depuis l'âge de 12 ans, elle était enfermée sans avoir vu personne et qu'elle ne savait lire ni écrire. Henri lui demanda des explications sur les lettres qu'elle recevait de Londres. Elle lui montra les lettres en question. Elle contenait des figures bizarres semblables à celles des rébus tracées avec du sang. Il voulut savoir comment elle avait réussi à sortir. Elle répondit que c'était l'origine de sa perte. Elle avait mis la duègne entre la peur d'une mort immédiate et une colère à venir. Elle voulait tout quitter pour lui et lui demanda de l'emmener. Si Paquita ne lui devait aucun compte du passé, le moindre souvenir devenait un crime à ses yeux. Elle semblait avoir été créée pour l'amour avec un soin spécial de la nature. Henri avait l'espérance d'avoir enfin l'Etre idéal avec lequel la lutte pouvait être constante et il ouvrit son coeur. Il fut bon, tendre et communicatif. Il rendit Paquita presque folle.

Il lui proposa de l'emmener à l'étranger. Elle répondit que l'Asie était le seul pays où l'amour pouvait déployer ses ailes. Il ne proposa de l'emmener aux Indes. Elle accepta à condition de partir sur-le-champ avec Christemio. Mais il fallait de l'argent. Paquita lui proposa celui qui était dans la maison. Henri ne voulait pas car cet argent ne leur appartenait pas. Au moment même où Henri oublié tout et concevez le désir de s'approprier à jamais Paquita, il reçut au milieu de sa joie un coup de poignard qui traversa son coeur mortifié pour la première fois. Paquita s'était écriée « Oh ! Mariquita ! ». Henri voulut étrangler Paquita avec sa cravate mais elle se défendit. Elle repoussa Henri et profita du répit que lui laissa cet avantage pour pousser un bouton auquel répondait un avertissement. Le mulâtre arriva brusquement. Il terrassa Henri. Paquita demanda Henri pourquoi il voulait la tuer. Henri garda l'attitude flegmatique de l'homme fort qui se sent vaincu en restant silencieux. Paquita insista pour avoir une réponse. Alors Henri lui jeta pour réponse un regard qui signifiait si bien : tu mourras ! Elle fit signe à Christemio de relâcher Henri. Le mulâtre s'en alla. Henri dit à Paquita qu'elle avait en cet homme un véritable ami. Paquita demanda à Henri une bonne parole mais il ne répondit pas. Il ne savait pas pardonner. Paquita déclara que si Henri ne l'aimait plus alors tout était fini. Elle tomba demi-morte. Le mulâtre jeta sur Henri un coup d'oeil épouvantablement significatif. Il menaça de le tuer s'il n'aimait pas bien Paquita. C'était le sens de ce regard. Il recondusiit Henri en dehors de l'hôtel. Christemio savait qu'Henri avait juré la mort de Paquita. Henri savait que Christemio voulait le tuer avant qu'il ne tue sa maîtresse. Henri se fit conduire chez Paul. Pendant plus d'une semaine Henri fut absent de chez. Cette retraite le sauva de la fureur le mulâtre et causa la perte de Paquita. Henri retourna à l'hôtel San-Réal avec trois hommes. Le premier se tint dehors de la porte, dans la rue ; le deuxième resta debout dans le jardin et le dernier accompagna Henri jusque dans l'hôtel. Il s'appelait Ferragus. C'était le chef de la société secrète des Dévorants. Il avait remarqué une lumière dans l'hôtel. Il avait deviné que la marquise était revenue de Londres. La marquise avait calculé sa vengeance. Elle avait dissimulé sa colère pour s'assurer du crime avant de le punir.

« Trop tard, mon bien-aimé ! » dit Paquita mourante en regardant Henri. Henri remarqua que la marquise avait torturé Paquita car l'appartement était couvert de sang.

La marquise avait gardé à la main son poignard trempé de sang. Elle était couverte de morsures.

La marquise n'avait pas vu Henri. Elle était trop enivrée de sang chaud. Elle était en train de dire à Paquita d'aller en enfer sans confession et quand elle comprit que Paquita était morte elle affirma qu'elle en mourrait de douleur. Quand elle aperçut Henri, elle lui demanda qui il était en courant à lui le poignard levé. Henri lui arrêta le bras. Une surprise horrible leur fit couler à tous deux un sang glacé dans les veines. Ils dirent ensemble le même mot :  Lord Dudley doit être votre père. Henri déclara que Paquita était fidèle au sang. Margarita affirma que Paquita était aussi peu coupable qu'il était possible et se jeta sur le corps de la morte. Elle lui demanda pardon. En ce moment apparut l'horrible figure de la mère de Paquita. La marquise alla prendre un sac d'or dans un meuble d'ébène et le jeta dédaigneusement aux pieds de la vieille femme. Henri dit à la marquise qu'il arrivait à temps pour la dénoncer à la justice. La marquise répondit qu'une seule personne pouvait demander justice. C'était le mulâtre. Mais il était mort. Henri demanda si la mère de Paquita ne continuerait pas à demander une rançon pour sa fille. La marquise était la soeur d'Henri. Il lui demanda quelle était la passion qui animait la mère de Paquita. C'était le jeu. Henri demanda à sa soeur comment elle comptait effacer les traces du meurtre. Elle répondit qu'elle se ferait aider par la mère de Paquita. Henri sentit la nécessité de partir mais prit le temps de dire à sa soeur qu'il comptait bien la revoir. Elle lui annonça qu'elle retournerait en Espagne pour se mettre au couvent. Il lui répondit qu'elle était encore trop belle pour cela. La marquise affirma que rien ne pouvait la consoler d'avoir perdu ce qui lui avait paru être l'infini. Huit jours plus tard, Paul rencontra Henri aux Tuileries. Paul lui demanda de quoi était morte la fille aux yeux d'or. Henri répondit qu'elle était morte de la poitrine.

Melmoth réconcilié.

Ce conte est dédié au général baron de Pommereul en souvenir de la constante amitié qui a lié le père de Balzac au père du général.

C'est l'histoire d'un caissier, véritable produit anthropomorphe, arrosé par les idées religieuses et maintenu par la guillotine. Il habitait Paris, cette ville aux tentations, cette succursale de l'enfer. Si le caissier a de l'imagination, si le caissier a des passions, ou si le caissier le plus parfait aime sa femme, et que cette femme s'ennuie, ait de l'ambition ou simplement de la vanité, le caissier se dissout. Il n'existe pas un caissier parvenant à ce qu'on nomme une position.

Le peuple des caissiers était un peuple-dupe d'où pouvait s'échapper cinq ou six hommes de génie capables de gravir les sommités sociales.

Par une sombre journée d'automne, le caissier d'une des plus fortes maisons de banque de Paris travaillait encore à la lueur d'une lampe allumée déjà depuis quelque temps. Sa caisse était située dans la partie la plus sombre d'un entresol étroit et bas d'étage. Les bureaux étaient déserts et les employés partis. Les deux banquiers dînaient chez leurs maîtresses. Tout était en ordre. Les coffres-forts se trouvaient derrière la loge du caissier. Le caissier de la maison Nucingen, rue Saint-Lazare était dans une solitude profonde. Il y avait un poêle qui diffusait une chaleur tiède capable d'hébéter le caissier. Les bureaux sont la grande fabrique des médiocrités nécessaires aux gouvernements pour maintenir la féodalité de l'argent sur laquelle s'appuie le contrat social actuel. Le caissier était un homme âgé d'environ 40 ans dont le crâne chauve reluisait sous la lueur d'une lampe qui se trouvait sur sa table. Son teint était d'un rouge de brique. Il avait la main potelée de l'homme gras. Il portait de vieux habits. Il portait le ruban de la Légion d'honneur à sa boutonnière. Il avait été chef d'escadron dans les dragons sous l'empereur. Il recevait 500 fr. d'appointements par mois par Monsieur de Nucingen. Ce militaire était caissier depuis 1813. Ancien officier, le caissier s'appelait Castanier. Il avait le grade honoraire de colonel et 2400 fr. de retraite. Il inspirait au banquier une grande confiance. Il dirigeait également les écritures du cabinet particulier situé derrière sa caisse et où descendait le baron par un escalier dérobé. C'était là que se décidaient les affaires. C'était là que se trouvait le Journal ou se résumait le travail des autres bureaux. Castanier contemplait plusieurs lettres de crédit tirées sur la maison Watschildine à Londres. Il avait contrefait au bas de toutes ces lettres la signature Nucingen. Il leva la tête en obéissant à un pressentiment. Derrière le grillage, à la chatière de sa caisse, un homme le regardait. L'ancien militaire éprouva pour la première fois de sa vie de la peur. L'étranger avait une figure oblongue, le front bombé et une couleur aigre. Cet homme puait l'Anglais. L'éclat que jetaient les yeux de l'étranger était insupportable et causait à l'âme une impression poignante qu'augmentait encore la rigidité de ses traits. Il avait un peu de la majesté fauve et tranquille des tigres.

L'étranger demanda à Castanier le fruit d'une lettre de change. Le caissier lui répondit que la caisse était fermée. Mais l'étranger ne voulait pas attendre. Il réclama la somme de 500 000 fr. fr.Castanier demanda à l'étranger comment il avait réussi à entrer. L'Anglais sourit et son sourire terrifia Castanier. Alors Castanier obéit mais il fut pris par une sorte de tremblement convulsif en voyant les rayons rouges qui sortaient des yeux de cet homme. Il dit à l'étranger qu'il manquait l'acquit sur la lettre de change. L'Anglais réclama une plume et signa John Melmoth. L'étranger disparut sans un bruit. Castanier poussa un cri. Mais il se croyait protégé par Dieu car si cet étranger s'était adressé le lendemain aux banquiers, il était cuit. Alors il jeta dans le poêle les fausses lettres inutiles qui s'y consumèrent. Il cacheta la lettre dont il voulait se servir et prit dans la caisse 500 000 fr. en billets. Il s'en alla tranquillement et remit une des deux clés de la caisse à Mme de Nucingen. La femme du banquier lui annonça qu'il pourrait partir à la campagne car elle aurait une fête lundi. Castanier lui demanda de dire à son mari que la lettre de change des Watschildine venait de se présenter et que les 500 000 fr. étaient payés. Ainsi, il n'aurait pas à revenir avant mardi. Avant de son ami, Castanier remarqua la présence d'un jeune homme alors à la mode nommé Rastignac qui passait pour être l'amant de Mme de Nucingen. Rastignac dit à Mme de Nucingen que cet homme avait l'air de vouloir lui jouer quelque mauvais tour. Mais la femme du banquier pensait que c'était impossible car ce caissier était trop bête. Castanier reprocha au concierge avoir laissé monter un étranger dans sa loge. Le concierge protesta en répondant qu'il n'avait vu personne entrer dans les bureaux.

Une fois dehors, Castanier s'est mis à penser à son projet. Il avait jusqu'à mardi avant qu'on commence à le chercher. Il avait deux passeports et deux déguisements différents ce qui lui permettrait de dérouter la police. Il pourrait donc toucher 1 million de francs à Londres. Il pensait passer le reste de ses jours heureux en Italie sous le nom du comte de Ferraro. C'était le pauvre colonel que lui seul un lui mourir dans les marais de Zembin. Mais il devait traîner une femme avec lui et songea à la quitter. Cependant personne ne connaissait Aquilina.

« Tu ne l'emmèneras pas ! Lui dit une voix qui lui troubla les entrailles. Castanier se retourna brusquement et vit l'Anglais.

Castanier hésitait encore à poursuivre son entreprise. Il s'était trouvé dans le ramas d'hommes enrégimentés par Napoléon beaucoup de gens qui, semblables à Castanier, avait le courage tout physique du champ de bataille, sans avoir le courage moral qui rend un homme aussi grand dans le crime qu'il pourrait l'être dans la vertu. La lettre de crédit qu'avait falsifiée Castanier était conçue pour qu'il puisse toucher 25 000 livres chez Watschildine, le correspondant de la maison Nucingen, avisé déjà du payement par lui-même ; son passage était retenu par un agent pris à Londres au hasard, sous le nom du comte Ferraro, à bord d'un vaisseau qui menait de Portsmouth en Italie une riche famille anglaise. Puis, Castanier comptait gagner Naples où il espérait vivre sous un faux nom.

Malgré toutes ces précautions, Castanier était tourmenté par sa conscience. Il était probe encore et ne se souillait pas sans regret.-Tu ne partiras pas, lui dit l'Anglais dont la voix étrange fit affluer au coeur du caissier tout son sang. Melmoth monta dans un tilbury qui l'attendait et fut emporté rapidement. Castanier se rendit chez sa maîtresse, une jeune fille connue dans le quartier sous le nom de Mme de La Garde. Elle était la cause du crime commis par Castanier. Elle cachait son véritable nombre à tout le monde, même à Castanier et prétendait être piémontaise. Elle exerçait un métier que la misère lui avait imposé. Elle était prostituée depuis l'âge de 16 ans. Castanier avait résolu de la sauver du vice. Il en fit d'abord sa maîtresse. La piémontaise avait choisi comme nom de guerre celui d'Aquilina. C'était l'un des personnages de Venise sauvée, tragédie du théâtre anglais qu'elle avait lue par hasard.

Quand Castanier lui vitmener la conduite plus régulière et la plus vertueuse que put avoir une femme jetée en dehors des lois et des convenances sociales, il lui manifesta le désir de vivre avec elle maritalement. Elle devint alors Mme de la Garde. Mais elle voulait se marier avec lui. Le caissier révéla piteusement l'existence d'une certaine Mme Castanier. Il avait été piégé à Nancy par une femme qui cherchait à marier sa fille. Il avait reçu 15 000 fr. de dot et une demoiselle que deux ans de mariage en firent la plus laide et la plus hargneuse femme de la terre. Quand Castanier ne reconnut plus la femme qu'il avait épousée, il la consigna à Strasbourg.

Quand Aquilina connut ses malheurs, elle s'attacha sincèrement à Castanier mais sans le savoir elle causa la perte du caissier.

Un amoureux ressemble au joueur qui se croirait déshonnoré, s’il ne rendait à ce qu'il emprunte au garçon de salle, et qui commet des monstruosités, dépouille sa femme et ses enfants, vole et tu pour arriver les poches pleines. Il en fut ainsi de Castanier. Il dépensa presque toutes ses économies pour meubler l'appartement d'Aquilina avec le luxe spécial de la fille entretenue. L'amour qui économise n'est jamais le véritable amour et Castanier prenait donc tout ce qu'il y avait de mieux. Il s'endetta progressivement. Castanier dût recourir à des artifices commerciaux pour se procurer de l'argent car il ne voulait pas renoncer à ses jouissances. Il emprunta d'abord. Il résolut d'escompter la confiance que lui méritait sa probité réelle et d'augmenter le nombre de ses créanciers en empruntant la somme nécessaire pour vivre heureux le reste de ses jours en pays étranger. Aquilina ne se demandait pas comment venait l'argent.

Aquilina avait pour confidente sa femme de chambre, Jenny. Elle lui demanda comment elle pourrait voir le soir même son amant Léon qui venait de lui écrire une lettre. Castanier en était arrivée à ce degré de passion inspiré par l'habitude qui ne permet plus de rien voir.

Il lui proposa de passer la soirée au Gymnase mais elle refusa. Il lui expliqua qu'il comptait partir quelque temps sans revenir, elle lui répondit qu'à son retour Naqui serait toujours Naqui pour lui. Il voulut savoir si elle était capable de le suivre et elle répondit non. Elle lui montra la lettre qu'elle venait de brûler en souriant prétextant qu'elle ne pourrait pas abandonner l'amant qui lui écrivait de si doux billets. Elle se moqua de lui, de son âge et de son visage. Il croyait qu'elle voulait plaisanter. Alors elle lui dit qu'elle pensait que lui aussi plaisantait en annonçant son départ. Quand il confirma que son départ était réel, elle répondit qu'elle l'attendrait. Elle ne voulait pas partir avec lui en Italie. Alors il la traita d'ingrate. Mais elle se défendit en répondant qu'elle lui avait donné tous les trésors que possède une jeune fille. Alors Castanier prétendit qu'il avait inventé ce voyage. Ce ne serait qu'un petit voyage qui ne durerait pas longtemps. Puis il lui proposa à nouveau d'aller au gymnase. Elle accepta. Au théâtre, Castanier voulut aller se montrer à quelques personnes de sa connaissance afin de détourner le plus longtemps possible tout soupçon sur sa fuite. Il rencontra Melmoth ce qui le terrifia. L'Anglais le traita de faussaire. Castanier voulut le gifler mais il se sentit le bras paralysé par une puissance invincible qui le clouera sur la place. L'Anglais lui expliqua que personne ne pouvait lui résister et qu'il pouvait voir dans les coeurs, voir l'avenir et connaissait le passé. Il s'annonça comme celui qui porte la lumière. Il connaissait le crime de Castanier. Il avait donc enfin trouvé le compagnon qu'il cherchait. Il ordonna à Castanier d'être présenté à sa maîtresse. Castanier obéit. Aquilina ne parut pas surprise de voir Melmoth. Ensemble, ils regardèrent la pièce « le comédien d'Étampes ». L'étranger tendit la main sur la salle et Castanier poussa un cri de terreur car Melmoth venait d'ordonner de changer le spectacle. Castanier put voir le cabinet de Nucingen, lequel était en conférence avec un employé supérieur de la préfecture de police en train de lui expliquer la conduite de Castanier. Une plainte était aussi dressée et transmise au procureur du roi. L'employé de la préfecture expliquait au banquier que Castanier était au Gymnase et pouvait être arrêté. Le caissier voulut s'en aller mais Melmoth le força à rester. Alors Castanier lui demanda ce qu'il attendait de lui. Melmoth lui montra à un autre spectacle. La décoration avait été changée. Castanier put se voir lui-même sur la scène descendant de voiture avec Aquilina puis la décoration changea subitement encore pour représenter l'intérieur de son appartement. Castanier put voir un sous-officier de régiment avec Jenny en train d'expliquer que Castanier allait s'en aller. Le militaire était heureux car il voulait épouser Aquilina. Il traita Castanier de vieux crapaud. Castanier en fut meurtri. Puis Castanier put se voir discuter avec Aquilina. C'était le moment où il lui faisait ses adieux et où elle se moquait de lui. Le public se mit à rire en découvrant cette scène. Castanier traita Aquilina de maudite femme. Melmoth lui aussi se mit à rire d'une façon qui fit frissonner Castanier. Aquilina, elle aussi, riait et voulait que Castanier l'imite. Puis Castanier put se voir fuyant la rue Richer et montant dans un fiacre pour se rendre à Versailles. La scène changea encore. Il se trouvait devant une petite auberge. Sa voiture était attelée de chevaux de poste. Il pouvait se voir avec ses valeurs et ses passeports, monter dans la voiture et partir. Mais il y avait des gendarmes qui attendaient la voiture. Alors il jeta un cri affreux. L'Anglais lui ordonna de se taire et de continuer de regarder. Castanier put se voir en un moment jeté en prison à la Conciergerie. Puis, au cinquième acte de ce drame intitulé Le caissier, il s'aperçut, trois mois plus tard, sortant de la cour d'assises, condamné à 20 ans de travaux forcés. Il jeta un nouveau cri quand il se vit exposé sur la place du Palais de Justice et que le fer rouge du bourreau le marquait. Enfin, à la dernière scène, il était dans la cour de Bicêtre parmi 60 forçats. Aquilina riait toujours. Melmoth lui expliqua qu'aucune puissance humaine ne pouvait empêcher son arrestation. Puis Melmoth lui demanda s'il accepterait de donner son âme en échange d'une puissance égale à celle de Dieu. Castanier répondit que si c'était possible, il accepterait. Alors, Melmoth étendit le bras au moment où Castanier, Aquilina et lui-même se trouvaient sur le boulevard. Il tombait alors une pluie fine et l'atmosphère était épaisse. Aussitôt que le bras de cet homme fut étendu, le soleil illumina Paris. Les Parisiens endimanchés circulaient dans les rues. Castanier jeta un cri de terreur. Le boulevard redevint humide et sombre. Aquilina était montée en voiture et demandait à Castanier de la rejoindre. Elle lui reprocha d'avoir été trop sombre et trop pensive pendant le spectacle. Il lui dit qu'il attendait pour savoir si elle l'aimait qu'ils soient arrivés à la maison. Elle embrassa fort passionnément. À ce moment-là, Castanier entendit de la musique céleste mais Aquilina n'entendit rien. Elle croyait qu'il était fou en voyant Castanier dans l'attitude d'un mangeur d'opium en extase. Castanier s'évanouit en sortant de sa voiture et se réveilla dans la chambre d'Aquilina où il avait été porté par sa maîtresse et par le portier. À ce moment-là, Jenny annonça qu'un étranger demandait à voir Castanier. Melmoth se montra soudain. D'un simple regard, il fit partir Jenny et le portier. Et il demanda à Aquilina de le laisser seul avec Castanier pour terminer une affaire qui ne souffrait aucun retard. Après cet entretien, Castanier revint avec sa physionomie changée. Ses yeux jetaient un feu sombre et blessaient par un éclat insupportable. Son attitude de bonhomie était devenue despotique. Aquilina trouva Castanier maigri et c'est son petit gênée. Elle demanda ce qu’il s'était passé entre lui et cet homme diabolique.

Castanier répondit qu'il venait de vendre son âme en échange de l'être de l'étranger. À présent, Castanier pouvait tout comprendre. Il savait que sa maîtresse le trompait. Il découvrit la cachette du sous-officier amant d'Aquilina. Il lui dit son fait. Le sous-officier allait être guillotiné en place de grève car il faisait partie d'une vente de charbonniers. Il conspirait contre le gouvernement. Aquilina en fut surprise. Aquilina se jeta sur Castanier. Elle croyait-il avait dénoncé son amant à la police. Il répondit que ce n'était pas le cas. Il venait d'apprendre le secret du sous-officier grâce à ses nouveaux pouvoirs. Aquilina se jeta aux genoux de Castanier pour qu'il sauve Léon. En échange, elle serait son esclave. Pour toute réponse, Castanier montra Léon en disant avec un rire de démon :-la guillotine l'attend. Il refusait de sauver le sous-officier car il voulait se venger. Alors Aquilina saisit un stylet et menaça Castanier qui se mit à rire. À présent, le fer ne pouvait plus l'atteindre.

Alors Castanier décida de rendre la liberté au sous-officier et il offrit 300 000 fr. à Aquilina pour qu’elle s'en aille avec son amant. Mais elle refusa et s'en alla promptement avec le sous-officier chez une de ses amies. Léon fut arrêté quelque temps après par la police avec ses complices. Castanier se sentit changé complètement au moral comme au physique. En un moment, son crâne s'était élargi, ses sens avaient grandi. Sa passion pour Aquilina s'était dissipée comme une nuée sous les rayons du soleil. Jenny accepta de suivre Castanier mais le caissier qui avait le pouvoir de lire dans les âmes découvrit le motif véritable de ce dévouement purement physique. Aussi s'amusa-t-il de cette fille avec la malicieuse avidité d'un enfant qui, après avoir exprimé le jus d'une cerise, en lance le noyau. Il répéta à Jenny les pensées qu'elle avait eues. Elle en fut terrifiée et il la renvoya. Le premier usage que Castanier s'était promis de faire du terrible pouvoir qu'il venait d'acheter était la satisfaction pleine et entière de ses goûts. Il rendit facilement ses comptes à M. de Nucingen qui lui donna pour successeur un bon Allemand. Il organisa un festin qui fut une dissipation de toutes les forces et de toutes les jouissances. En puisant à pleines mains dans le trésor des voluptés humaines dont la clé lui avait été remise par le démon, Castanier en atteignit promptement le fond. Ce qui était tout, ne fut rien. Ce triste dénouement de quelques passions était celui que cachait l'omnipotence de Melmoth. Les jouissances humaines n'existaient plus pour Castanier. Son palais s'était blasé tout à coup en se rassasiant de tout. Se sachant maître de toutes les femmes qu'il souhaiterait, il ne voulait plus de femmes. Mais la seule chose que lui refusait le monde, c'était la foi, la prière. Tout le monde lui obéissait. Ce fut un horrible état. Riche de toute la terre, et pouvant la franchir d'un bond, la richesse et le pouvoir ne signifièrent plus rien pour lui. Pour son malheur, Castanier conservait une espérance. Les rois, les gouvernements lui faisaient pitié. Sa grande débauche fut donc, en quelque sorte, un déplorable adieu à sa condition d'homme. Il se sentit à l'étroit sur la terre, car son infernale puissance le faisait assister au spectacle de la création dont il entrevoyait les causes et la fin. Il comprit alors le dessèchement intérieur exprimé sur la face de Melmoth.

Castanier ne pensait plus qu'à l'avenir de ceux qui prient et qui croient. Il courut chez Melmoth afin de voir ce qu'il advenait de son prédécesseur. L'Anglais demeurait près de Saint-Sulpice dans un hôtel sombre et humide et froid. On avait élevé devant l'hôtel un cénotaphe temporaire de chaque côté duquel se tenait un prêtre. Une vieille portière apprit à Castanier que Melmoth était mort l'avant-veille dans la nuit. Castanier demanda à l'un des prêtres comment Melmoth était mort. Castanier vit une de ces figures que la foi rend sublime et par les pores de laquelle l'âme semble sortir pour rayonner sur les autres hommes. Cet homme était le confesseur de Melmoth. Le prêtre prit Castanier pour le frère de Melmoth. Il lui apprit que Melmoth s'était repenti et que ses pleurs avaient coulé sans tarir jusqu'à ce que la mort les arrête. Le prêtre n'avait jamais entendu de confession plus horrible mais il n'avait jamais aussi entendu de prières plus enflammées. Les spectateurs de cette mort chrétienne s'étaient mis à genoux en écoutant glorifier Dieu. Les paroles du prêtre produisirent un effet violent chez Castanier qui sortit brusquement et marcha vers l'église de Saint-Sulpice en obéissant à une sorte de fatalité. Le repentir de Melmoth l'avait abasourdi.

Un homme célèbre par son éloquence devait faire place à l'enterrement de Melmoth et Castanier arriva précisément au moment où le prédicateur allait résumer les preuves de notre heureux avenir.

Depuis l'âge de 16 ans, jusqu'à près de 40 ans, Castanier avait suivi le drapeau français. Pendant son apprentissage militaire, il avait donc eu peu d'heures pour réfléchir à l'avenir de l'homme. Dans le tourbillon de la guerre, il n'avait pu exercer les qualités de l'esprit. La parole de vie tomba donc sur une conscience neuve aux vérités religieuses que la Révolution française et la vie militaire avaient fait négliger à Castanier. Castanier s'absorba dans une idée d'avenir comme Melmoth s'y était abîmé lui-même. Après avoir été le démon pendant quelques jours, il n'était plus qu'un homme. Il resta plongé dans un abîme de ténèbres et de pensées lugubres en écoutant le service fait pour Melmoth. Il fut tout à coup dévoré par l'esprit sain et des larmes coulèrent de ses yeux. Le bedeau lui demanda s'il était un parent du mort et Castanier répondit qu'il était son héritier. Il refusa de donner de l'argent pour les frais du culte car ç'aurait été l'argent du démon. Il se retira pour ne pas être en butte aux regards irrités de plusieurs gens de l'église. Il marcha au hasard à la manière des flâneurs. Le repentir le livrait insensiblement à cette grâce qui broie tout à la fois doucement et terriblement le coeur. Il fut en proie au dégoût de tous les biens de ce bas monde. Enfin, un matin, il songea que Melmoth lui avait proposé de prendre sa place. Il devait rencontrer facilement un homme qui se soumît aux clauses de ce contrat pour en exercer les avantages. Il se rendit à la bourse en pensant qu'il pourrait trafiquer d'une âme comme on y commerce des fonds publics. Il entendit parler d'un certain Claparon. Castanier l'aborda car il avait l'air désespéré. Il lui proposa une affaire capable de lui faire ramasser autant d'or qu'il en voudrait. En échange de sa part du paradis. Claparon crut que c'était une plaisanterie mais Castanier lui répondit qu'il était sérieux. Claparon ne voulait pas vendre son âme au diable pour une misère. Il avait besoin de 500 000 fr. Castanier tendit une masse de billet qui décida le spéculateur. Puis il l'entraîna dans un coin de la cour.

Les deux hommes étaient observés et on ne vit pas sans une sorte d'effroi le changement opéré chez eux. Chacun s'était émerveillé de la figure majestueusement terrible de Castanier. Il était, en entraînant Claparon, comme un malade en proie à un accès de fièvre. Il avait perdu son esprit infernal. Il était sans appui contre les assauts des remords et le poids d'un vrai repentir. Claparon reparaissait au contraire avec des yeux éclatants et portait sur son visage la fierté de Lucifer. La faillite avait passé d'un visage sur l'autre. Castanier se demanda s'il aura le temps de se repentir d'une voix lamentable qui frappa Claparon. Le spéculateur alla promptement payer ses effets à la banque. Quand il eut payé ses effets, la peur le prit. Il fut convaincu de son pouvoir et retourna à la bourse pour offrir son marché aux gens embarrassés. Un notaire acheta son pouvoir 700 000 fr. Le notaire revendit le crédit, 500 000 fr. à un entrepreneur en bâtiment lequel s'en débarrassa pour 100 000 écus à un marchand de fer. Ce dernier le rétrocéda pour 200 000 fr. à un charpentier.

À 17:30, le détenteur du pouvoir était un peintre en bâtiment. Rue Feydeau se trouvait une jeune femme très belle appelée Euphrasie. Me Crottat, clerc de notaire était amoureux de cette jeune femme. Il aurait assassiné le pape afin de se procurer une misérable somme de 100 louis réclamée par Euphrasie pour un châle qui lui tournait la tête. Le peintre en bâtiment le rencontra et lui proposa d'acheter son âme contre les 10 000 fr. Le pacte consommé, Crottat alla chercher le châle et monta chez Euphrasie. Il resta 12 jours sans en sortir en y dépensant tout son paradis. Le 13e jour de ses noces enragées, le pauvre clerc gisait sur son grabat chez son patron. Il devint malade et mourut en voulant se soigner avec du vif-argent.

 

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