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Humanisme : le Contrat social
28 décembre 2021

La littérature fantastique (Jean-Luc Steinmetz)

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Chapitre premier : le sens.

Le verbe grec phantasein signifie : faire voir en apparence, donner l'illusion mais aussi se montrer, apparaître lorsqu'il s'agit de phénomènes extraordinaires. Le phantasma désigne un fantôme chez Eschyle et Euripide.

L'adjectif phantastikon signifie « qui concerne l'imagination ».

L'adjectif « fantastique » est utilisé au Moyen Âge. Il a le sens de « possédé ». Fantaisie dans le français classique désigne jusqu'au XIXe siècle l'imagination. Le Dictionnaire de l'académie de 1831 donne à fantastique le sens de « chimérique ». En 1863 le dictionnaire Littré indique de sens au mot fantastique : « qui n'existe que par l'imagination ; qui n'a que l'apparence d'un être corporelle. Le dictionnaire évoque également un genre de conte mis en vogue pour l'Allemand Hoffmann où le surnaturel joue un grand rôle. Dans la première moitié du XIXe siècle le mot fantastique apparaît comme substantif pour nommer une certaine catégorie d'expression littéraire.

La conclusion est que la vie met en présence d'un certain fantastique et un type de création littéraire s'est formé, inspiré par cette sensation ou voulant la susciter.

Roger Caillois et quelques autres ont pris soin de distinguer le fantastique du merveilleux et de la science-fiction. Le fantastique a été précédé par les épopées dans lesquelles étaient racontées les manifestations des dieux sur terre. Dans un tel cadre de pensée, les étrangetés appartenaient à l'ordre du cosmos. Les contes oraux puis écrits avaient développé aussi des variantes d'un monde imaginaire comme les Mille et une nuits de l'islam médiéval et les Contes de la mère l’Oye de Charles Perrault. Incertain merveilleux y règne. Les enchanteurs, les fée, les bons ou mauvais génies se mêlent aux vivants. Le merveilleux laisse volontairement en suspens le savoir puisqu'il est entendu que des événements inexplicables sont le fait des magiciens ou des dieux. Le fantastique, au contraire, s'applique à cerner l'étrangeté et à la décrire pour en rechercher la cause.

La science-fiction apparaît avec les livres de J. H.Rosny et ceux de Wells. Mais la science-fiction échappe au fantastique canonique puisqu'il y est question d'autres univers et des formes de vie extraterrestres.

La science-fiction procède d'un optimisme rationnel qui nous fait tenter de percer le mystère de l'avenir là où le fantastique plutôt régressif constate surtout des signes d'étrangeté qui attirent moins sa curiosité qu'ils ne provoquent son inquiétude.

Le fantastique exploite la réserve de terreur et d'angoisse qui veille au fond de chaque homme.

Le livre de Pierre-Georges Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant demeure indispensable pour une première approche du fantastique. Castex définit le fantastique comme une intrusion brutale du mystère dans le cadre de la vie réelle.

Castex remarque que l'avènement du fantastique semble avoir correspondu aux alentours de 1770, période où triomphaient les philosophes à une « renaissance de l'irrationnel » : pathognomonie, phrénologie, magnétisme animal et sectes occultes.

Le fantastique s'accorde avec le climat d'inquiétude ressentie par toute une génération. Les romantiques, héritiers d'un monde où s'étaient effondrées les valeurs les plus infrangibles avaient opposé au réel décevant les actes de l'imaginaire.

Pour Castex, le fantastique crée une rupture, une déchirure dans la trame de la réalité quotidienne ce qui implique sa liaison avec une esthétique du vraisemblable. Roger Caillois a publié en 1958 une anthologie du fantastique avec une préface intitulée « De la féerie à la science-fiction ». Pour Caillois le surnaturel paraît comme une rupture de la cohérence universelle. Caillois estime que la littérature fantastique se situe d'emblée sur le plan de la fiction pure et qu'elle est d'abord un jeu avec la peur.

Toute une réflexion sur le fantastique s'est développée dans le cadre de la psychanalyse. L'article de Freud, L'inquiétante familiarité s'ouvre sur une longue analyse philologique reposant sur un conte d'Hoffmann L'homme au sable. Freud met en lumière la fonction de castration agissant dans le texte puisque le personnage principal a peur de perdre ses yeux car dans son enfance sa mère lui parlait d'un homme au sable qui prenait les yeux des enfants qui ne voulaient pas s'endormir. Freud estime que l'inquiétante familiarité prend naissance dans la vie réelle lorsque des complexes infantiles refoulés sont animés par quelque impression extérieure.

Charles Nodier écrivit en 1830 Du fantastique en littérature. Dans ce livre, il évoque certains épisodes de la Bible ou de l'Énéide, de L'Enfer de Dante Alighieri ou du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. C'est surtout à Hoffmann qu'il reconnaît une connivence presque naturelle avec le fantastique et une vivacité de sentiments, un penchant universel à l'idéalisme qui sont essentiellement propres à la poétique fantastique. Nodier établit des distinctions plus subtiles lorsqu'il considère trois types d'histoires fantastiques : la fausse, dont le charme résulte de la double crédulité du lecteur et de l'auditeur (les contes de Perrault), la vraie qui relate un fait tenu pour matériellement impossible et qui s'est accompli cependant à la connaissance de tout le monde, enfin, celle qui est vague et laisse l'âme suspendue dans un doute rêveur et mélancolique.

Lovecraft écrivit en 1945 Epouvante et surnaturel en littérature. Pour lui, le fantastique plonge ses racines dans la peur. Familier de l'épouvante, Lovecraft s'intéresse d'ailleurs bien au style des écrivains, condition fondamentale que bien des faiseurs modernes auront tendance à oublier.

Chapitre II : les thèmes.

Roger Caillois dans son anthologie du fantastique a retenu 12 thèmes dans la littérature fantastique. Ce sont ces thèmes qui ont inspiré la plus remarquable anthologie en langue française publiée par Jacques Goimard et R. Stragliati. La répartition des thèmes est hétéroclite : morts-vivants, occultisme, monstres, fantômes, histoires démoniaques, doubles, aberrations, cauchemar, maléfices, délires. Le thème fantastique appartient souvent à l'imaginaire collectif et il implique une dynamique. Il porte en lui les germes d'une intrigue dont les grandes lignes vont être remodelées au gré de l'écrivain qui en use. Le mot même de fantastique implique la dominance d'un motif commun à toutes les civilisations : le fantôme.

Le fantôme n'est pas seulement un mort qui revient. Il existe des exceptions comme celle des apparitions dans le Réquisitoire de Balzac ou l'Intersigne de Villiers de L'Isle-Adam. Les fantômes présentent un aspect vaporeux et se réduisent à une apparence. Quant au vampire, son rituel ne s'est constitué que tardivement sous la plume de Bram Stoker. Le vampire est chargé d'un érotisme particulier où il est permis de voir s'accomplir une union interdite réprouvée par la morale et la loi. La présence d'un vampire femme apparaît dans le Manuscrit trouvé à Saragosse. Elle se pare de toutes les séductions quand Gautier décrit la Clarimonde de sa Morte amoureuse. Le double fait partie de ces croyances par lesquels les hommes ont tenté de comprendre les étrangetés de leur vie psychique. L'authentique perception du double transcrit souvent une expérience intime que l'auteur fantastique délègue alors à un personnage narrateur. Dans le personnel maléfique de la littérature fantastique on trouve également des automates, androides et mannequins. La tradition veut que dans la Prague du XVIIe siècle le grand rabbin Loew ait doté d'une existence provisoire une statue d'argile : le Golem. Le fantastique culmine dans la découverte du monstre. En plein romantisme anglais, Mary Shelley invente Frankenstein ou le Prométhée moderne. Le fantastique ne se constitue pas uniquement autour de figures porteuses. Il est également caractérisable par un certain nombre d'activités qui marquent son déroulement. Tout en produisant un bouleversement de notion communément admise comme l'espace, le temps et le principe d'identité, le fantastique n'a pas pour dessein de changer l'ordre des choses. Plusieurs types d'activité le dominent : apparition, possession, destruction, métamorphose.

L'idée de possession évoluera au rythme des découvertes accomplies par la médecine mentale. Les hystériques de Charcot prennent le pas sur les femmes subjuguées par le démon. La destruction peut être insidieuse comme dans les amours maléfiques qui rapprochent morts et vivants. Elle sait prendre une couleur cataclysmique comme dans la Chute de la maison Usher d'Edgar Poe. Le thème dynamique le plus efficient dans le milieu fantastique semble bien être la métamorphose qui assure le passage du réel à ce qui l'excède et permet le prodige. La métamorphose interroge la logique et ses timidités.

La littérature fantastique est assujettie à un ensemble de pratiques. Onirisme, magie, occultisme, toxicologie, pathologie mentale légitime les aberrations des récits fantastiques. Le monde du fantastique s'édifie donc presque toujours sur une implicite structure permettant de l'expliquer. Le fantastique est aussi placé sous le signe de la magie et des connaissances occultes. Ainsi Stoker, Machen et Blackwood étaient membres de la Golden Dawn. Transmission de pensée, télékinésie, hypnose, sont autant de phénomènes explorés par les penseurs romantiques et parapsychologues de la fin du XIXe siècle. Il importe que le fantastique surprenne même quand il use d'un matériau reconnu.

Deuxième partie.

Chapitre Ier.

Commencements.

-Les origines.

Le sentiment de terreur produit par l'irruption du sacré était connu dans la Grèce antique. Ainsi Nodier et Nerval se réfèrent sans hésiter à l'âne d'or d'Apulée. Les Métamorphoses constituent un ouvrage premier en deçà duquel on devine cependant l'existence d'un impressionnant ensemble de fables amies de l'étrange. Écrivant les Métamorphoses, Apulée a pu donner ainsi, sûrement à son insu, ses lettres de noblesse non seulement au nouveau genre à venir du fantastique dont il explorait déjà quelques thèmes majeurs : l'utilisation de pouvoirs surnaturels, la force du rêve envahissant le réel, les avatars du sujet transformé, la puissance de l'illusion.

-Les histoires prodigieuses.

Aux alentours de 1560 apparaissent des recueils d'histoires prodigieuses qui obtiendront un succès considérable. Vers la même époque se multiplient les canards, feuilles d'information contant des événements étonnants qui ne sont pas perçus comme fantastiques mais semblent relever des aberrations de la nature. Entre 1600 et 1620 sont publiées les histoires admirables et mémorables recueillies par Simon Goulart, bientôt suivies des Histoires tragiques de nostre temps de Rosset.

-Les premières oeuvres.

Le XVIIIe siècle favorise l'éclosion du fantastique tel que nous l'entendons aujourd'hui. Cette période fut marquée par un double régime de pensée : d'une part, un courant rationaliste, déterministe, prôné par les philosophes ; de l'autre un intérêt marqué pour le spiritualisme, l'occultisme et tout ce qu'on désigne par le terme d'« illuminisme ». Les sciences secrètes, dans une certaine mesure, permettaient de rationaliser des phénomènes anomiques.

Le Comte de Gabalis, ou entretien sur les sciences secrètes paru en 1670 est un livre de révélation presque amusée. Il semble avoir fourni le substrat de certains personnages qui peupleront les récits fantastiques du XVIIIe et XIXe siècles. Ce livre enseigne avant tout qu'à chacun des éléments de l'univers répondent des créatures spécifiques, déités mineures qui peuvent avoir un rapport privilégié avec les êtres humains et leur apprendre certains secrets. Montfaucon de Villars suggérait ainsi un personnel mystérieux et charmant qui témoignait d'un certain génie du lieu.

Cazotte est considéré comme le créateur du genre fantastique. Il fut un individu étrange. Il vécut une partie de sa vie à la Martinique et fut très certainement franc-maçon. Nerval se plut à rappeler la prophétie sur la Révolution et ses suites sanglantes que Cazotte fit à la fin d'un repas. Il écrivit Le diable amoureux en 1772. Le charme le plus puissant de ce récit tient à l'aspect séduisant de la sylphide et à la nature de l'amour qu'elle éprouve pour un mortel, le héros de l'histoire.

Le Manuscrit trouvé à Saragosse a été écrit par le comte polonais Jean Potocki. Il a été composé à la manière du Décaméron de Boccace. À partir d'une intrigue primaire, le héros est entraîné dans un cycle d'épreuves au terme desquelles il atteint enfin le bonheur.

Le Château d'Otrante de Walpole fut publié en 1764. Les surréalistes firent beaucoup pour la réestimation de ce roman. André Breton notamment se plut à rappeler que l'idée en était venue à l'auteur à la suite d'un rêve. Dans ce livre, différents prodiges se manifestent : apparition d'une main géante, statue pleurant des larmes de sang, portrait sortant de son cadre et présence dans la cour du château d'un heaume gigantesque qui écrase le fils de l'usurpateur. Le dénouement voit l'apparition d'une image de proportions énormes qui fait s'écrouler une partie de l'édifice. Le Moine de Lewis narre la passion coupable du moine Ambrosio pour Mathilde dans l'ombre du couvent des capucins de Madrid. Ce couvent est placé sous le signe de Satan dont Mathilde la magicienne est l'un des suppôts. Lewis intègre une longue histoire qui sera réutilisée par les romantiques français : celle de la nonne sanglante. Le Moine inaugure un fantastique de l'inéluctable permission.

Chapitre II : fantaisies de l'Allemagne romantique.

 

C'est dans le milieu de l'Allemagne romantique que le fantastique prendra sa place et son vif essor. Le romantisme allemand est en partie fondé sur une redécouverte des sources nationales. L'intérêt pour les contes où la part du merveilleux est considérable et qui font cohabiter monde féerique et monde réel n'échappe pas aux premiers romantiques, Goethe et Novalis.

Le Märchen.

Le Märchen se veut l'héritier d'un merveilleux traditionnel. Ludwig Tieck en était passionné et s'employa d'abord à imaginer certaines versions des contes de Perrault. Dans ses contes, il s'agit souvent d'un être seul qui a quitté sa famille, son pays et se trouve ainsi placé en situation d'étrangeté. L'égaré entre en contact avec un univers merveilleux dont il restera marqué pour la vie. Tieck construit ses Märchen sur une culpabilité qui provoque la disparition du merveilleux, un instant entrevu ou procédé et retire les trésors livrés au désir. Dans la Coupe d'or Ferdinand est éloigné jusqu'à la vieillesse de celle qu'il découvrit d'abord miraculeusement. Dans Eckbert le blond, le bonheur magiquement concédé est vite perdu et les catastrophes se multiplient laissant le héros effrayé par l'énigme de sa vie.

Brentano voulut remettre en valeur les anciennes romances et les chroniques médiévales dans un recueil intitulé Le Cor enchanté de l'enfant paru en 1806. Les frères Grimm participèrent à ce projet. Brentano écrivit Les contes rhénans dans lequel apparaît pour la première fois Lurlei. Achim von Arnim, son beau-frère, a coloré le fantastique d'une tonalité toute singulière en partant souvent d'une donnée historique pour établir le champ de réalité et le transgresser. La magie, la reviviscence d'anciennes coutumes et l'accélération aveugle du destin imprègnent ce type de fantastique. Dans les Héritières du majorat, le héros voit, par-delà les apparences, la substance spirituelle des êtres qu'il fréquente.

La vogue du fantastique dans les années 1800 préparait l'éclosion d'une oeuvre magistrale, celle d'Hoffmann. Hoffmann vivait à Berlin avec plusieurs compagnons fidèles parmi lesquels se trouvaient La Motte-Fouqué et Chamisso. La Motte-Fouqué écrivit Ondine qui restitue l'univers de la féerie et met en lumière le monde des créatures élémentales. Chamisso utilisa le matériel des contes et légendes.

Les héros des contes d'Hoffmann sont souvent exaltés et épris de musique plus que de raison comme ce Johannès Kreisler, son double, auquel il consacrera le premier et le dernier de ses livres. Le romantisme européen s'inspira des contes d'Hoffmann. Ses contes se réfèrent aux images grotesques du graveur Callot. Ils se situent donc à l'intersection de plusieurs arts : gravures, eaux-fortes, compositions musicales. Dans Le Magnétiseur, on constate la collusion étroite du fantastique et des expériences parascientifiques qui se développaient alors en Europe.

Hoffmann fut sans doute l'un des premiers à avoir composé de longs romans que l'on peut qualifier de fantastiques. Le Moine de Lewis servit de modèle à ses Elixirs du diable et dans lequel le frère Médard, sur lequel pèse une lourde hérédité des crimes impunis, boit un jour un mystérieux élixir qui l'entraîne sur la pente de passions fatidiques. Emporté par la luxure, il s'éprend d'une certaine Aurélie. Pour mieux la posséder, il n'hésite pas à commettre des meurtres à la suite desquels il se réfugie dans une forêt pour échapper à toute recherche. C'est alors qu'il rencontre son double.

Chapitre III : le romantisme français à l'heure du fantastique.

La découverte d'Hoffmann fut considérable en France. Hoffmann pénétra profondément l'esprit romantique français et ses contes furent adaptés musicalement par Offenbach. Il inspira Balzac, Nodier, Gautier et même Alexandre Dumas qui écrivit Mille et un fantômes. La perte d'un amour de jeunesse semble avoir motivé Nodier pour sa première nouvelle à caractère fantomatique intitulée Une heuree ou la vision publiée en 1806. Nodier se rendit en Dalmatie et cela l'inspira pour le récit Smarra, ou les démons de la nuit.

Théophile Gautier a lui aussi été profondément marqué par Hoffmann. Il a écrit une nouvelle intitulée Onuphrius Wphly, où les vexations fantastiques d'un admirateur d'Hoffmann. Théophile Gautier, authentique tempérament dévolu à l'étrange, a exploré le thème de l'amour rétrospectif tendant à faire revenir par tous les moyens : la rêverie, le magnétisme ou le spiritisme une morte d'autrefois.

Dans Le Club des Hachischins, Théophile Gautier présente avant Baudelaire les effets de certains stupéfiants. Théophile Gautier a aussi évoqué le spiritisme. Dans Avatar, un savant occultiste permet au héros d'endosser le corps du mari de celle qu'il aime. Spirite relate un amour par-delà le tombeau. Théophile Gautier n'a pas hésité à se référer à l'illustre Swedenborg, le mystique nordique dont s'entichèrent Balzac et Baudelaire.

Toujours désireux de s'affranchir du temps et de l'espace, Théophile Gautier avec une rare constance a quêté un type de femme merveilleuse et sensuelle, une expression de la beauté dont il n'a jamais retenu que l'image. Dans la nouvelle Jettatura, le héros Paul d'Apremont possède un regard maléfique provoquant la mort de ceux qu'il touche avec intensité. La femme aimée, en ce cas, ne peut l'être qu'à distance.

Le jeune Balzac s'est inspiré du roman noir de l'Irlandais Maturin intitulé Melmoth le voyageur dont le rayonnement atteindra Lautréamont et les surréalistes. Les héros de Balzac débutant se veulent maîtres du monde, initiés ou rebelles. Ainsi Le Centenaire montre un vampire vieux de plusieurs siècles qui cherche à dominer la société par ses singuliers pouvoirs. La Comédie humaine comporte un fantastique diffus. En 1832, Balzac écrit Louis Lambert qui possède une extraordinaire énergie spirituelle. C'est dans ses romans philosophiques que Balzac expose ses intuitions sur la force de la pensée. La Peau de chagrin raconte la découverte d'un talisman gravé de caractères arabes qui se rétrécit au fur et à mesure que s'accomplissent les souhaits de son processeur. L'Elixir de longue vie narre un épisode inédit de la vie de Don Juan. L'illustre libertin se voit l'objet d'une messe à caractère démoniaque. Dans l'Auberge rouge, un homme qui désire assassiner une riche victime fait commettre ce meurtre par transmission de pensée.

L'oeuvre de Balzac présente un aspect fantastique mais ne s'y enferme pas ; elle s'en sert comme d'un tremplin pour recourir au merveilleux.

Séraphita est un roman swedenborgien exposant la doctrine du mystique nordique et montrant l'amour de deux jeunes gens pour un être supérieur qui les entraîne vers les hauteurs du ciel.

Dans les nouvelles de Mérimée, le fantastique s’y produit par une sorte de mouvement interne à la narration, sans le moindre effort. Lokis raconte l'histoire d'un homme qu'on devine être né d'une femme et d'un ours qui étrangle sauvagement sa femme la nuit de ses noces. La Vénus d'Ille constitue très certainement l'une des plus belles pièces du fantastique universel. Un archéologue vient de faire l'étrange découverte dans son jardin d'une Vénus en bronze. Il doit marier son fils et Mérimée est invité au repas de noces. Au cours d'une partie de jeu de paume, le futur marié, embarrassé pour jouer par l'anneau destiné à sa future épouse, le passe au doigt de la Vénus. Mais il ne réussit pas à l'en retirer et, le jour du mariage, c'est une autre alliance qu'il doit donner à sa jeune femme. Au cours du repas du soir, le narrateur entend des pas lourds dans l'escalier. Le lendemain matin, il est éveillé par des clameurs. Le jeune marié a été trouvé mort étranglé dans son lit. Son épouse prétend qu'une femme est venue la nuit dans la chambre et qu'elle a étreint son mari et qu'elle est repartie le matin.

 

Chapitre IV : sous le signe d'Edgar Poe.

Égard Poe reconnut sa dette envers certains écrivains comme Nathaniel Hawthorne auquel il reprochera toutefois d'avoir plagié son William Wilson. Il fut traduit en français par Baudelaire. Baudelaire pensait que la qualité fantastique n'était pas celle qui rendait le mieux justice du génie d'Edgar Poe. Certains récits d'Edgar Poe inaugurent le roman policier comme La lettre volée et Le double assassinat de la rue Morgue. Le plus souvent, le fantastique de Poe naît d'un excès d'attention et d'un pouvoir surmultiplié de la conscience aiguisé par la terreur. L'amour de l'horrible, la volupté surnaturelle à voir versé son propre sang s'exprime dans les comptes d'Edgar Poe non loin d'une égale passion pour le grotesque. Son esthétique rejoint celle d'Hoffmann. Toutefois égard Poe met en avant son goût du morbide. Plusieurs nouvelles d'Edgar Poe comme Ligeia, Le portrait ovale et La chute de la maison Usher ont le même scénario ; celui qui aime désespérément jusqu'à la mort une femme vie ensuite avec une nouvelle femme mais celle-ci meurt à son tour comme subtilement vampirisée par la première, irremplaçable. Le remords sculpte plusieurs nouvelles criminelles dans lesquelles le coupable est démasqué (Le chat noir, Le coeur révélateur). Dans William Wilson, Edgar Poe restitue sa jeunesse. William Wilson possède un double et le tue mais pour se tuer lui-même, image d'une instance critique qui veillait dans l'infraconscience de l'écrivain et qui plaça toujours la réalisation de ses désirs les plus chers sous l'emprise de l'angoisse.

Édgard Poe a écrit un seul roman : Aventures d'Arthur Gordon Pym en 1837. Ce roman préfigure les voyages extraordinaires de Jules Verne. Jules Verne écrira une suite des Aventures d’Arthur Gordon Pym : Le Sphinx des glaces. Plusieurs romans de Jules Verne se sont engagés dans la voie du surnaturel (Le Château des Carpates, Le Secret de Wilhelm Storitz). Parmi les écrivains influencés par égard Poe, il faut aussi citer Villiers de L'Isle-Adam. Comme Jules Verne, Villiers de L'Isle-Adam réserve dans ses récits une place à la science. Ainsi Villiers de L'Isle-Adam évoque Thomas Edison dans l'aise l'Eve future. Villiers de L'Isle-Adam composa la satire d'une génération scientiste trop confiante dans un prétendu réel. Dans la nouvelle Claire Lenoir, Villiers de L'Isle-Adam passe en revue la plupart des motifs que le fantastique se plaît à exploiter. La philosophie de Villiers de L'Isle-Adam et son intelligence font de lui un héritier majeur d'Edgar Poe. La science pour laquelle Villiers se prononce est celle qui servirait des tentatives métaphysiques et se vendrait les connaissances de l'occultisme comme dans sa pièce Axël. Dans ses Contes cruels, ce n'est pas le fantastique qui domine mais des effets de terreur ou de bizarrerie.

Le conte Vera de Villiers de L'Isle-Adam et penser à Ligeia de Poe. Le fantastique de Villiers de L'Isle-Adam est marqué par un attachement rigoureux à l'aristocratie et au catholicisme.

C'est un fantastique symboliste teinté d'humour contre un siècle faisant trop facilement fi de l'étrange.

Le fantastique nécessite la plupart du temps une saisie scrupuleuse du réel. C'est ainsi que Maupassant sut donner un tour inédit au fantastique en l'insérant délibérément dans la vie de chaque jour. Maupassant se souvient parfois d'une tradition gothique dans Apparition ou l'Inconnue. Sa prédilection le porte cependant à évoquer le monde contemporain auquel il prête un étonnant relief. En raison de la maladie mentale qui longtemps le guetta et finit par l'emporter, Maupassant s'est penché sur la folie. Maupassant avait connaissance des travaux de Charcot. Le fantastique, chez Maupassant, résulte des êtres et de leur interprétation délirante du réel. La force de Maupassant consiste à nous faire partager ce dérèglement. Le plus célèbre conte de l'auteur est le Horla. Dans cette histoire, le narrateur à l'impression qu'un autre être vie à ses côtés. Il voyage ensuite pour se défaire de son obsession. Mais dès qu'il rentre chez lui, il constate une invisible présence. Il met alors le feu à sa propre demeure pour brûler l'être invisible mais il n'arrive toujours pas à conclure à la mort de celui qui le hantait.

À la fin du XIXe siècle, les écrivains décadents ressentaient, plus que les romantiques, la chute des référents moraux et intellectuels. Le satanisme bat son plein et Huysmans lui consacre le roman Là-bas. Allan Kardec le spirite est une autorité reconnue. Henri de Régnier proposa l'un des contes les mieux venus de l'époque : L'entrevue. Dans cette histoire, le héros voit un autre homme dans la glace. C'est l'image du propriétaire du palais vénitien qui était là au siècle précédent. Le fantastique de Jean Lorrain est marqué par la crainte du néant. Dans Les trous du masque, il imagine un homme qui finit par être entouré de masques silencieux et funèbres. Arrachant tour à tour la cagoule de ses acolytes, et dépouillant la sienne, il ne rencontre que le néant. Oscar Wilde écrivit le portrait de Dorian Gray, roman dramatisant les leurres de l'apparence tout en donnant à voir la mentalité d'un milieu social.

Le XIXe siècle se conclut par la publication de deux oeuvres majeures du fantastique mondial : Le Cas étrange du docteur Jekyll et de Mr. Hyde de Stevenson et Dracula de Bram Stoker.

Ces deux romans semblent l'un et l'autre exposer certaines vérités mythiques essentielles.

Stevenson, en inventant le personnage à deux faces de Jekyll-Hyde a créé une figure exemplaire où chacun peut retrouver la division et le paradoxe qui le trament.

Dracula est le récit qui place dans le monde moderne l'inacceptable horreur d'un mort-vivant. Dracula est aussi une légende qui se refuse à mourir, comme le XIXe siècle encore attaché aux somptuosités de son passé.

Chapitre V : les voies modernes du fantastique.

 

Au début du XXe siècle, l'estimation d'une écriture fantastique devient délicate. En Allemagne, un type de sensibilité se fait jour, réceptif à l'irrationnel. Les sociétés secrètes, les mages et les hypnotiseurs prolifèrent. Alfred Kubin publie en 1909 le roman L'Autre côté. Le narrateur reçoit un jour une lettre d'un de ses anciens amis qui l'invite à visiter un État qu'il a créé de toutes pièces dans une région inexplorée de l'Asie. L'univers onirique retranscrit ainsi les inquiétudes du monde réel. Le fantastique, en accord avec un temps de crise, de mystères et de crimes, fournit une explication fabuleuse au grand frisson qui parcourt l'Europe.

Gustav Meyrink a écrit le Golem en 1915. Le Golem, créature de terre jadis façonnée par un rabbin, ne sort de sa chambre que lorsqu'un malheur menace la communauté. Il écrit également La nuit de Walpurgis en 1917, situé à Prague et qui oppose le quartier d'en bas où se trouve le ghetto et le Hradschin qu'habite l'aristocratie. La rébellion des étudiants souhaite renverser l'ordre imposé. Tous les personnages de Meyrink sont entraînées par un destin.

Kafka n'a jamais prétendu recourir explicitement au fantastique. Ses romans témoignent d'une dévalorisation du héros et insistent surtout sur l'absurdité continue de situations indémodables. En revanche, ses textes brefs emploient des thèmes qui relèvent bien du fantastique. Dans Détresse, un enfant-fantômes pénètre dans la chambre d'un solitaire. Le Voisin semble avoir trait au dédoublement de la personnalité. Les personnages kafkaïens adoptent vis-à-vis de l'incompréhensible une attitude qui ne cherche pas à le réduire mais à le supporter. La puissance de La Métamorphose tient sans doute à ce qu'elle n'est pas une métaphore. La lecture littérale de cette nouvelle apprend l'entêtement d'une singularité.

Les circonstances socio-historiques expliquent le regain du fantastique dans l'Allemagne des années 1920. Les écrits fantastiques ont profité de certaines découvertes. La constitution de la psychanalyse au début du XXe siècle a permis de sortir définitivement des ténèbres parapsychiques en définissant avec un positiviste parfois excessif le travail de l'inconscient. L'espace exploré par le fantastique s'en trouvait réduit d'autant.

En 1924, le Manifeste du surréalisme conteste le règne de la logique et souhaite que l'imagination et le rêve reprennent leurs droits. Toutefois André Breton rejette Hoffmann et ses « diables de pacotille ». Le merveilleux recherché dans la vie quotidienne, comme le montre Nadja a pour les surréalistes valeur d'expérience. Le fantastique, en revanche, leur paraît résulter d'une fabrication et contester le hasard. Le fantastique pour André Breton est, en fin de compte, trop littéraire.

La mondialisation du fantastique n'allait pas créer pour autant une unité de ton. Henrt James a parsemé son oeuvre de certaines histoires de fantômes. De tous les livres qu'il composa, Le Tour de vis se détache avec éclat par le mystère profond qui l'anime et l'hésitation à laquelle il soumet le lecteur. C'est l'histoire d'une institutrice engagée pour éduquer deux enfants dans une propriété isolée. Elle y succède à une jeune institutrice qui vient de mourir. Elle est frappée par la merveilleuse pureté de ses élèves mais surprend un individu spectral dont elle parle à la gouvernante.

Les fantômes d'Henry James ont toujours une valeur psychologique.

Lovecraft a fondé un univers. Soumis à une imagination morbide, il a composé des contes qui stimulent la terreur. Paysages d'épouvante, ruines blasphématoires qui accueillent parfois d'anciens cultes païens, lieux archaïques où peut réapparaître ce que Lovecraft appelle tout simplement l'abomination. Son fantastique édifie une mythologie accumulant les thèmes de la plus révoltante horreur.

À partir d'une certaine époque, Lovecraft ne cesse de renvoyer à un mystérieux livre, le Nécronomicon. Celui-ci aurait révélé l'invasion de la terre, il y a des millions d'années, par les Anciens, êtres monstrueux quasi invulnérables. Lovecraft fut aussi un lecteur attentif, parfaitement conscient de ses antécédents ; son ouvrage Epouvante et surnaturel en littérature révèle ses préférences tout en faisant le point sur plusieurs siècles de fantastique dans les pays anglo-saxons.

Borges a clairement indiqué qu'il entendait s'inscrire dans le genre fantastique dans des recueils comme Le Jardin aux sentiers qui bifurquent ou l'Aleph. Il a traduit La Métamorphose de Kafka en espagnol. Sa nouvelle Le Congrès ne cache pas qu'elle voudrait rivaliser avec Kafka. Il admire l'ingéniosité d'Edgar Poe. C'est Roger Caillois qui l'introduisit en France.

Les récits de Borges décrivent les étrangetés d'un temps marqué par l'éternel retour. Il imagine ainsi une bibliothèque de Babel dont l'existence durera plus que l'humanité. Il imagine aussi l'Aleph, point de l'espace qui contient tous les points.

Le fantastique contemporain a été marqué par les écrivains belges. Jean Ray s'empare de thèmes souvent traditionnels pour en former un alliage très particulier. Ses Contes du whisky lui ont valu le surnom d'Edgar Poe belge. Ses oeuvres les plus notoires sont La Cité de l'indicible peur, Le Livre des fantômes et Malpertuis.

Conclusion.

 

Le fantastique de la fin du XXe siècle refuse le ressassement d'éléments folkloriques. Il enregistre à sa manière les violentes mutations de la civilisation et de l'écriture. À côté d'un fantastique de la répétition et amateur de thèmes convenus  exploités jusqu'à satiété, se distingue un fantastique contemporain redistribuant les pièges de l'illusion et les éclats de la cruauté. Le fantastique de la répétition est représenté par Stephen King.

Occupant d'abord une zone crépusculaire et traduisant les sensations les plus troubles, le fantastique s'est révélé une des tentations les plus profondes de l'art narratif. Il s'impose comme expression de l'angoisse et de l'inquiétude.

 

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