Canalblog Tous les blogs Top blogs Littérature, BD & Poésie
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
MENU
Humanisme : le Contrat social
Publicité
5 août 2025

Revival (Stephen King)

 

I

 

Ma Nemesis. Les Boches.

Le Lac de la Paix.

 

Par un aspect au moins, nos vies ressemblent à des films. Les personnages principaux sont les membres de notre famille et nos amis. Les rôles secondaires sont tenus par nos voisins, nos collègues, des profs et des connaissances. Et bien sûr, des milliers de figurants, tous ces gens qui passent dans la vie de tout un chacun, croisés une fois et jamais revus.

Parfois, quelqu'un qui n'entre dans aucune de ces catégories fait irruption dans votre vie. Au cinéma, on appelle ce genre de personnage le cinquième emploi ou l'élément perturbateur. Mais qui est le scénariste de nos vies ? Le destin ou le hasard ? Le narrateur voulait croire que Charles Jacobs était le hasard. Il n'aurait pas supporté que ce soit le destin.

 

Le narrateur avait grandi dans une famille nombreuse avec quatre garçons et une fille. Il était le petit dernier. Sa soeur Claire lui avait offert une armée pour son anniversaire en octobre 1962. Il y avait 200 soldats en plastique avec du matériel. Ce qu'il avait préféré c'était la boîte, un coffre en carton couleur camouflage. Sur le couvercle, Claire avait rajouté son propre pochoir : commandant Jamie Morton. Jamie s'était dit qu'il aimerait ce coffret toute sa vie.

Son frère Connie avait 10 ans et il avait déjà un penchant pour les sciences.

Son père Richard travaillait dans un garage.

Ses parents lui avaient offert des vêtements pour son anniversaire. Il avait simulé la joie. Mais à six ans, ce n'était pas très facile. Son frère Connie avait dit que la passion de Jamie pour les soldats ne durerait que cinq jours. Il avait tort.

Jamie jouait souvent à la guerre avec ses amis Billy Paquette et Al Knowles mais le jour où Charles Jacobs avait fait son apparition dans sa vie, Jamie était seul.

Il était très content de pouvoir jouer tout seul car il trouvait cela injuste de devoir perdre alors que c'était ses soldats.

Mais sa mère lui expliqua que ces histoires de « c'est le mien pas le tien » étaient la cause de la moitié des problèmes dans le monde. Elle lui dit que les gens faisaient preuve de beaucoup d'imagination pour être méchants les uns envers les autres et qu'il s'en rendrait compte quand il serait plus grand. Pour sa mère, tous les comportements malveillants découlaient d'un égoïsme pur et simple. Elle lui fit promettre de ne jamais être égoïste. Jamie promit.

 

Alors que le monde était suspendu à la décision de Kennedy et Khrouchtchev à propos de Cuba, Jamie jouait seul avec ses soldats. Il imaginait que c'était des soldats états-uniens contre des Boches. Quand, tout à coup, un homme se dressa devant Jamie. Il masquait le soleil comme une éclipse humaine. Tout sembla s'arrêter. Tout d'un coup, plus d'enfants criant dans le jardin, plus de musique venant de l'étage, plus de coups de marteau depuis le garage. Pas un seul chant d'oiseau.

Puis l'homme se pencha et le soleil réapparut, aveuglant momentanément Jamie. Alors l'homme s'excusa et se remit devant le soleil. Il portait un veston noir et une chemise noire avec un morceau de col blanc au milieu ainsi qu'un jean et des mocassins éraflés. C'était comme s'il avait voulu être deux personnes à la fois. À cette époque-là, Jamie classait les grands en trois catégories : les jeunes adultes, les adultes et les vieux. Lui, c'était un jeune adulte. Il regardait les soldats de Jamie qui se faisaient face. Jamie lui demanda son nom. Charles Jacobs se présenta. Il lui serra la main. Il lui dit qu'il était pasteur. Il était venu remplacer M. Latoure qui venait de mourir. Quand Jacobs reprendrait les cours de l'Union des Jeunesses Méthodistes, ce serait la première année de Jamie dans cette école. Jacobs sourit à l'enfant. Jamie l'aima tout de suite. Le pasteur demanda à l'enfant quel était son nom. L'enfant lui raconta ce qu'il était en train de faire avec ses soldats. Alors le pasteur lui dit que les Allemands, c'était les méchants. Parce que le mot Boches ne lui semblait pas très sympathique. Mais Jamie se défendit car son père avait fait la guerre. Seulement son père était resté pour réparer des camions au Texas. Jamie demanda au pasteur s'il avait combattu. Jacobs répondit qu'il était trop jeune et pour la Corée aussi. Puis le pasteur montra à Jamie comment faire gagner la bataille en divisant les soldats états-uniens en deux groupes prenant la colline en tenaille. Jamie trouvait cela sournois et sournois, c'était parfois excitant.

Le pasteur avait un enfant qui était à Boston avec sa mère. Son enfant n'avait que deux ans. Jamie se rappela que ses parents avaient parlé de ce nouveau pasteur qu'il trouvait effroyablement jeune.

Le pasteur alla voir les parents de Jamie. La maman de Jamie faisait partie du Cercle des Dames. Les enfants furent rassemblés pour être présentés au pasteur. Jacobs fit signe à Jamie qu'il pouvait retourner jouer car ils avaient déjà fait connaissance. Le pasteur resta longtemps à bavarder avec les parents de Jamie. Jamie était souvent étonné de la capacité des adultes à jacasser. Puis le pasteur retourna le voir. Il avait un verre d'eau à la main. Il en versa sur le sommet de la colline que Jamie avait créée pour ses soldats. Puis il prit deux soldats allemands et les plaça à l'intérieur. Ainsi les soldats ne seraient pas faciles à débusquer. L'enfant remercia le pasteur. Il salua Jamie et s'en alla en direction du presbytère où il vivrait avec sa famille durant les trois prochaines années avant de se faire licencier. Le père de Jamie arriva. Il voulait savoir ce que son fils pensait du nouveau pasteur. Mais Jamie répondit qu'il l'aimait bien.

 

Le lundi après-midi suivant, la mère de Jamie laissa son fils partir chez le pasteur. À l'époque, on n’était pas aussi sensibilisé aux histoires d'abus sexuel. Le pasteur était venu emprunter le petit dernier de la famille pour une demi-heure. Avant de partir chez le pasteur, Jamie croisa sa soeur sur le chemin. Elle lança un regard à Jacobs puis détourna aussitôt les yeux, comme si elle avait du mal à le regarder. D'ici la fin de l'année, elle aurait méchamment craqué pour lui, de même que toutes ses amies. Ils passèrent devant l'église du Shiloh que le père de Jamie considérait comme appartenant à des gens modérément à complètement cinglés. C'étaient des gens qui croyaient savoir quand la fin du monde allait arriver. Jamie fut épaté de voir la voiture du pasteur. C'était une Plymouth  Belvédère bleue. Le pasteur emmena l'enfant dans son garage.

 

Le pasteur entraîna Jamie à l'arrière du garage et lui montra quelque chose du doigt. C'était une table qui occupait presque la moitié du garage. Dessus, il y avait un paysage vallonné verdoyant. Le pasteur appelait ça  le Lac de la Paix. Le dessin faisait 3 m 50 de long sur 1 m 50 de large. L'élément central était un lac de vraie eau bleue. Sur les paysages on pouvait voir de nombreux lampadaires. C'était étrange car il n'y avait aucune ville ni aucune rue à éclairer. Le pasteur voulait installer cette table dans le sous-sol de l'église. Tout à coup, Jamie réalisa qu'il était seul avec un adulte dans un du garage sans voiture. La porte qui menait au monde extérieur avait beau être restée ouverte, elle semblait située à des années-lumière. Jamie regretta soudain de ne pas être resté à la maison. Puis le révérend passa lentement sa main au-dessus du Lac de la Paix et Jamie oublia sa nervosité. Un léger bourdonnement monta de dessous la table et tous les petits lampadaires s'illuminèrent. Cela faisait comme une clarté lunaire magique sur les vallées vertes et l'eau bleue. Même les vaches et les moutons en plastique paraissaient plus réalistes parce qu'ils avaient une ombre à présent. Le pasteur se mit à faire l'éloge de l'électricité. Il savait que quand les derniers témoins du monde sans électricité auraient disparu, plus personne n'aurait vraiment conscience du miracle qu'était l'électricité. Le pasteur avait allumé la lumière grâce à un capteur photoélectrique donnant l'illusion d'avoir allumé la lumière sans utiliser un bouton. Jamie essaya. Il entendit un bruit sous la table. Il y avait deux boîtiers fixés en dessous. C'étaient des piles que le pasteur avait fabriquées. Il avait l'électricité pour passion. Les gadgets aussi. Ça rendait sa femme folle. La passion de Jamie était de combattre les Boches. Il se ravisa en disant les Allemands. Le pasteur pensait que tout le monde avait besoin d'une passion et d'un petit miracle aussi. Il y avait une deuxième table dans le coin, couverte d'outils, avec des morceaux de fils électriques et des piles. Il y avait aussi une petite boîte en bois. Le pasteur s'en empara. Dedans, il y avait une figurine en tunique blanche. C'était Jésus. La figurine portait un sac à piles. Le pasteur posa Jésus sur la table décorée. Il se demandait comment un peu de peinture pouvait donner de la profondeur à quelque chose qui n'en avait pas. Jamie trouvait que c'était une drôle d'idée de penser à un truc comme ça. Jacobs demanda à Jamie s'il saurait faire bon usage de la parole sacrée de Dieu. L'enfant fut mal à l'aise. Pour illustrer la parole sacrée divine, Jacobs évoqua le moment où Jésus avait marché sur l'eau. Puis il montra la figurine représentant Jésus. Il passa une main sous la tunique blanche de Jésus et la petite figurine se mit à marcher. La figurine atteignit le lac et le traversa. L'enfant était épaté. Jacobs souriait mais cela lui tirait un coin de la bouche vers le bas. Le pasteur demande à l'enfant de passer sa main au-dessus du lac. Jamie sentit quelque chose sous l'eau. C'était métallique avec un sillon au milieu. C'était le rail sur lequel marchait Jésus. Le pasteur avait l'air triste et perdu. Jamie recommença à avoir un peu peur. Alors il dit que le tour de magie était trop bien et le pasteur sortit de sa rêverie. Jacobs dit que sa femme et son enfant lui manquaient. C'était la raison pour laquelle il avait demandé à Jamie de venir le voir. Il ramena l'enfant chez lui. Il lui tenait la main pendant tout le parcours. Cela ne dérangeait pas Jamie. La femme du pasteur et son fils arrivèrent quelques jours plus tard. La veille du premier sermon du révérend, Jamie avec sa soeur et son frère Terry déplacèrent la table décorée au sous-sol de l'église. Le pasteur demanda à Terry, Jamie et Connie de garder le secret de la table pour ne pas gâcher la surprise. Mais au bout d'un moment, tout le monde avait fini par percer le secret. Billy détestait l'école du jeudi soir et il avait dit une fois que le coup de Jésus marchant sur l'eau c'était de la frime. Cela lui donnait envie de dégobiller. Jamie avait envie de se battre avec lui. Mais il était plus grand que lui. Mais c'était son ami. Puis il avait raison aussi.

 

II

 

Trois ans.

L'extinction de voix de Conrad.

Un Miracle.

 

Le révérend Jacobs s'était fait virer à cause du sermon qu'il avait délivré le dimanche 21 novembre 1965. Il était parti seul, une semaine plus tard. Sa femme et son fils étaient déjà partis. De même que la Plymouth Belvédère.

 

Jamie se rappelait de beaucoup de choses de son enfance. C'était de bonnes choses pour la plupart. Mais la vie à la campagne était dure. Son copain Al Knowles avait eu la main gauche happée par la trieuse de pommes de terre de son père. Il avait perdu trois doigts. Le père de Jamie avait réussi à réparer une voiture qu'il avait surnommée la fusée du macadam. Il avait confié cette voiture à Duane Robichaud pour qu'il la pilote sur le circuit de Castle Rock. Mais ce crétin l'avait bousillée au premier tour des premiers essais. Il s'en était sorti sans une égratignure. Conrad avait perdu la voix. Tout n'avait pas été rose.

 

Pour son premier sermon, le révérend Jacobs avait attiré beaucoup de monde. La mère de Jamie avait exprimé son approbation après l'office. Elle pensait que les gens allaient revenir. La fréquentation de l'église ne recula jamais autant qu'à l'époque du révérend Latoure. Même si peu à peu, les paroissiens se désintéressaient de la religion. La mère de Jamie trouvait regrettable que Dieu n'ait plus autant d'importance pour les gens. L'Union des Jeunesses Méthodistes connues aussi une modeste renaissance. Mais cela n'avait rien à voir avec le jésus mécanique trottinant sur le Lac de la Paix. Cette excitation-là retomba rapidement. C'était surtout sa jeunesse et son enthousiasme qui plaisaient. En plus des sermons, il organisait aussi des jeux et des activités. Connie et Andy avaient aidé le révérend à tracer un terrain de base-ball derrière l'église.

 

La passion pour l'électricité du révérend jouait un rôle important dans ses soirées du jeudi pour les jeunes. Un jeudi soir, le pasteur avait demandé à Andy de s'avancer devant le groupe en annonçant qu'il allait faire la démonstration du poids du péché. Jacobs avait gonflé de ballons et avait demandé à l'assistance d'imaginer que chacun de ballons pesait 10 kg. Chacun de ballons représentait un péché. Il avait frotté un ballon contre son T-shirt puis l'avait posé sur le pull de Andy. Le ballon était resté collé. Il représentait le vol. Il fit de même avec les autres ballons. Comme il y avait sept péchés capitaux, cela faisait 70 kg de péchés. Ensuite, Jacobs montra ce qui se passait quand on demandait pardon à Jésus. Il sortit une épingle de sa poche et perça chacun de ballons. La plus impressionnante démonstration d'électricité en action, Jacobs la fit avec une de ses inventions qu'il avait baptisée l'Echelle de Jacobs. C'était un boîtier en métal de la taille du coffre à soldats de Jamie. Deux fils électriques en dépassaient. Il brancha la boîte et actionna l'interrupteur. De grandes étincelles grimpèrent le long des antennes. En haut des antennes, elles flamboyèrent avant de disparaître. Puis Jacobs jeta de la poudre sur l'appareil, les étincelles changèrent de couleur ce qui enthousiasma les filles. Mais la plupart des jeunes méthodistes avaient déjà commencé à se lasser de l'électricité et de ses gloires. La science avait aussi ses limites.

Pour Jacobs l'électricité était une des portes que Dieu avait ouvert vers l'infini. En dépit de fréquentes leçons sur les volts saints, la plupart des enfants étaient toujours impatients d'aller à l'école du jeudi soir. Le révérend pouvait donner des cours vivants et parfois drôles avec des exemples tirés des Ecritures. Il parlait de problèmes concrets comme les brimades dans la cour d'école ou la tentation de copier sur son voisin. La femme du révérend était une bonne pianiste qui rendait toujours les cantiques entraînants. Par une soirée mémorable, elle joua trois chansons des Beatles. Il y avait aussi autre chose : Charles et Patsy Jacobs étaient sexy. Il ne fallut pas longtemps aux garçons pour craquer pour Patsy qui était très belle. Elle jouait au softball pendant les soirées filles et le frère de Jamie, Andy avait dit que la regarder courir aux buts était une expérience religieuse en soi. L'enfant des Jacobs était sage et facile. Il suivait les garçons et les filles d'où le surnom de Morrie-Tu-Nous-Suis. Claire avait une tendresse particulière pour lui. Un jour elle avait dit à sa mère qu'elle en voulait quatre comme lui. Sa mère lui avait souhaité bon courage et avait souhaité que ses enfants soient plus jolis que Morrie. En effet, l'enfant avait un visage tout rond faisant penser à Charly Brown. Il n'empêche que toutes les filles l'adoraient. Les garçons le traitaient comme un petit frère. C'était la mascotte.

 

Le plein de Jamie lui avait demandé ce qu'il apprenait dans les cours du jeudi soir. Jamie avait répondu que le révérend leur apprenait à obéir à la volonté de Dieu. Mais aussi que si on connectait le plus et le moins d'une batterie avec un fil, ça faisait un court-circuit. Le père de Jamie ne voyait aucune leçon chrétienne là-dedans. Alors il ajouta : « l'enfer est pavé de bonnes intentions. Et de lumières électriques ».

Andy et Connie étaient amis avec les frères Ferguson, Norm et Hal. Ils venaient de Boston. Andy et Connie partaient parfois avec eux dans leur voiture pour aller se baigner et déjeuner au club de l'hôtel Goat Mountain. Ça rendait Claire folle de jalousie. Elle aurait voulu voir comment vivaient les riches. Malgré cela, les parents de Jamie n'avaient jamais empêché Connie et Andy d'aller à hôtel des riches. Pendant les vacances de février 1965, les Ferguson avaient invité Connie et Andy à aller skier avec eux.

 

 

 

Connie était revenu avec une marque rouge en travers de la gorge. Norm, en skiant à côté de lui, avait perdu l'équilibre et avait tendu ses bras. Deux jours plus tard, Connie était complètement aphone. Le médecin avait prétendu qu'en une semaine ou deux, la voix de Conrad reviendrait. Mais ce ne fut pas le cas. Connie écrivait des mots ou faisait des gestes pour se faire comprendre. Il avait insisté pour continuer à aller à l'école même si les autres garçons se moquaient de lui. Connie semblait prendre cela avec bonne humeur mais un soir, Jamie entra dans sa chambre et vit son frère allongé sur son lit en train de pleurer sans bruit. Jamie avait voulu le consoler mais Connie le chassa. La mère de Connie décida d'envoyer son fils voir un spécialiste à Portland. Mais le père de Jamie lui répondit qu'il n'avait pas les moyens. Elle lui reprocha d'avoir acheté une chaudière. Mais cet achat avait été effectué avant l'accident de Connie. De plus l'almanach du vieux fermier prévoyait un hiver rigoureux. Jamie était là pour assister à la scène. Alors sa mère le chassa en lui disant : « Dieu déteste les fouineurs ! ».

 

Jamie courut. Patsy le vit et l'appela. Alors il s'arrêta. Elle lui demanda ce qui lui arrivait. Mais Jamie avait appris à garder ce qui se passait à la maison pour lui. Seulement la gentillesse de Patsy le perdit. Il déballa tout. Alors Patsy emmena Jamie voir Charles. Il était en train de bricoler un poste de télévision. Le révérend avait deviné ce qui chagrinait Jamie. Mais Jacobs n'avait pas mesuré à quel point Connie était malheureux. Tout à coup, le pasteur prit son air rêveur en évoquant l'avenir de la télévision par câble et par satellite. Cette digression avait pour but de laisser Jamie retrouver son calme. Le pasteur resta silencieux un long moment. Puis il dit à Jamie qu'il devait convaincre Connie de venir au presbytère. Alors Jamie alla voir son frère avec Claire en renfort. Connie avait accepté. Dès qu'ils arrivèrent, Morrie sauta dans les bras de Connie. Il lui dit que son papa allait le guérir. Connie montra son carnet au révérend. Il y avait écrit dessus « encore des prières j'imagine ? ». Le révérend avait envie d'essayer autres choses d'abord. Jacobs s'empara de ce qui ressemblait à une couverture chauffante. Le révérend appelait cela un stimulateur nerveux électrique. Connie regarda la ceinture en tissu avec fascination. Connie était d'accord pour l'expérience. Connie griffonna sur son carnet une question. Il voulait savoir si cela allait faire mal. Le révérend le rassura. Le courant de la ceinture en tissu était très faible. Jacobs installa la ceinture autour du cou de Connie. Puis le révérend alluma le courant et dit à Connie : « attends-toi à un miracle ». La bouche de Connie se contracta et ses bras tressaillirent. Le pasteur lui demande si le mal. Et Connie répondit avec sa voix : « pas mal. Chaud ».

Claire et Jamie échangèrent un regard stupéfait. Le passeur continua encore deux minutes. Après quoi, Connie porta immédiatement ses mains à son cou. Connie pouvait parler mais il avait besoin de cracher. Puis il pleura. Le pasteur lui conseilla de boire beaucoup d'eau. Jacobs lui conseilla également de prier pour remercier Dieu. Jamie et Claire pleuraient. Seul le révérend avait les yeux secs. Patsy fut la seule à ne pas être étonnée. Morrie serra Connie dans ses bras. Patsy servit un grand verre d'eau à Connie. Puis elle dit : « je crois que tes parents vont être très contents ». C'était l'euphémisme du siècle.

 

Les parents étaient en train de regarder la télé. Ils étaient toujours fâchés. Connie entra et leur dit : « bonsoir, maman. Bonsoir, papa. » Son père le dévisagea, bouche bée. Sa mère poussa un cri et bondit de son fauteuil. Elle serra son fils dans ses bras et pleura. Claire et Jamie racontèrent ce qui s'était passé. Après quoi, le père de Jamie dit qu'il ferait en sorte que le révérend n'ait plus jamais à payer son fioul. Puis pour fêter ça, ils mangèrent la glace qui était réservée pour l'anniversaire de Claire. Après, P entraîna Jamie dans le débarras. Elle sera marquée à son frère que le révérend avait menti. Il avait prétendu qu'il travaillait sur cette ceinture électrique depuis un an. Mais si c'était vrai, il en aurait parlé avant car il aimait bien frimer. Claire pensait qu'il avait commencé à travailler dessus juste après la visite de Jamie en pleurs. Claire avait remarqué que le révérend avait les mains toutes rouges et des ampoules sur les doigts. Il s'était acharné au travail pour faire plaisir à Jamie. Elle savait que Jamie était l'enfant préféré du révérend. Jamie avait remarqué que le révérend n'avait pas été moins surpris qu'eux. Il ne s'attendait donc pas à ce que ça marche.

 

III

 

L'accident. L'histoire de ma mère. Le terrible serment. Au revoir.

 

En octobre 1965, Patricia Jacobs mit son fils sur le siège avant de la Plymouth et se mit en route pour le Red & White Market de Gate Falls. Elle croisa sur la route un ami du nom de George Barton. Il était épileptique. Il avait un traitement pour prévenir ses crises. Mais il en fit une au volant de son camion ce jour là. Patsy avait perdu un bras et un oeil. Toute sa beauté lui avait été arrachée en un instant. Le camion s'est encastré dans la Plymouth. Adele Parker fut témoin de l'accident. Il vit Patsy portant son enfant.  Adele vit l'enfant défiguré et hurla. Fernald  DeWitt qui avait promis d'aider George à l'arrachage ce matin-là arriva. Il regarda le fameux genou sur la route. Puis il poursuivit sa course en disant à Adele que la femme et son petit étaient fichus. Il avait raison. Quand l'ambulance arriva, Patsy était morte depuis longtemps mais Georges vécut jusqu'à plus de 80 ans. Il ne reprit jamais le volant d'un véhicule.

 

En 1976, la mère de la Jamie eut un cancer de l'ovaire. Jamie abandonna ses études pour pouvoir être auprès d'elle jusqu'à la fin. Tous les enfants étaient revenus. Ils n'étaient plus des enfants. Le père de Jamie était anéanti. Les enfants se relayaient au chevet de leur mère. Une semaine avant sa mort, Jamie était au chevet de sa mère. Elle était sous morphine. Andy était le seul à être resté fidèle à leur éducation religieuse. Il avait été choqué quand Claire avait dit qu'il fallait donner toute la morphine à leur mère. Jamie aurait sauté sur n'importe quel sujet pour que sa mère oublie sa douleur. Alors il lui demanda si elle savait où était allé le révérend. Elle se rappelait très bien du hurlement qu'il avait poussé en apprenant la mort de sa femme et de son fils. C'était la mère de Jamie qui lui avait annoncé la nouvelle. Il s'était frappé la tête contre le mur en disant que sa femme et son fils n'étaient pas morts. Elle emmena Jacobs à Gates Falls en prenant soin d'éviter les lieux du drame. Ils se rendirent à la maison funéraire. Le père de Jamie s'y trouvait déjà. Il serra le révérend dans ses bras. Mais Jacobs ne réagit pas. Mimi-la-Pie. La commère du village était là aussi. Elle serra le révérend dans ses bras. Il se laissa materner. Puis il la repoussa. Il voulait voir sa femme et son fils. Quand il les vit, il hurla. Il voulait savoir où était le visage de son petit garçon.

 

La mère de Jamie avait décrété que seuls son mari, elle-même, Claire et Connie assisteraient aux funérailles. C'était trop perturbant pour les petits. Andy était chargé de les surveiller. Il s'était contenté de les laisser regarder la télévision. Il était monté dans sa chambre. Il avait de la peine pour Morrie et Patsy. Sa foi n'avait pas été brisée par ce drame. Il resta chrétien ultra-intégriste jusqu'à sa mort. La foi de Jamie ne fut pas brisée par les deux décès. Ce fut le Terrible Sermon qui s'en chargea.

Le révérend David Thomas prononça l'oraison funèbre de Patsy et Morrie. Jacobs avait choisi Stephen Givens pour officier au cimetière. Il était membre de l'église du Shiloh. Il se révéla que Charles Jacobs et Stephen Givens se retrouvaient autour d'un café depuis des années et qu'ils étaient amis. Après le Terrible Sermon, des gens en ville disaient que le révérend Jacobs avait été infecté par le shilohisme. Pourtant Stephen Givens se montra calme, réconfortant et bienséant d'un bout à l'autre de la brève cérémonie d'enterrement.

Claire raconta aux petits que Charles était en état de choc. Il avait mis du temps pour se lever et jeter de la terre sur les cercueils.

Différents pasteurs, invités par les diacres, assurèrent les offices de trois dimanches suivants. Les soirées de l'union des jeunes méthodistes furent annulées.

 

Un après-midi de novembre, le révérend Jacobs appela la mère de Jamie. Il voulait reprendre les offices. Il allait assurer le sermon de Thanksgiving. Le sermon qu'il allait donner ce jour-là laisserait une cicatrice en chacun des habitants. Il avait parlé d'un ton normal et raisonnable. Il avait choisi un passage du chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens. C'était le passage que le pasteur Givens avait lu au-dessus des tombes de Patsy et de Morrie. L'église méthodiste était bondée ce dimanche-là. Le silence le plus total régnait. Jamie avait prié pour que le révérend trouve la force d'aller jusqu'au bout et ne fonde pas en armes. Après avoir lu le passage de la première épître aux Corinthiens, Jacobs remercia les habitants d'avoir montré leur solidarité. Il remercia particulièrement Laura Morton de lui avoir apporté la mauvaise nouvelle avec compassion. Puis il parla du temps qu'il avait passé dans la réflexion et l'étude. Il avoua ne pas avoir senti la présence de Dieu pendant toute cette période. Il s'était rendu à la bibliothèque enquête du New York Times. Il avait fait défiler des microfilms. Alors, il leur raconta toute une série de drames qu'il avait trouvés dans ce journal. Andy était blême d'horreur ou de colère. Claire pleurait en silence. Le révérend révéla avoir trouvé une certaine consolation dans la lecture de ces drames. Il se sentait moins seul dans sa souffrance. Il ne comprenait pas pourquoi, les humains, pauvres mortels étaient laissés sur terre avec d'horribles tas de chair mutilée. Il n'y avait aucune explication à ce sujet dans les Ecritures. Pour lui le miroir obscur évoqué par Saint-Paul signifiait qu'il fallait s'en remettre entièrement à la foi.

 

Il se moquait de la foi en disant que la vie était une blague cosmique dont la chute serait enfin expliquée au paradis. On sentait la réprobation dans l'assistance. Tout le monde était sonné. Il osa comparer les religions avec la ferveur que les Allemands avaient éprouvée pour Hitler. Des gens avaient commencé à s'en aller. Le révérend semblait ne pas y prêter attention. Il continua de critiquer les religions en disant qu'elles avaient été bâties sur le sang et les hurlements de ceux qui avaient eu l'audace de ne pas s'incliner. La mère de Jamie pleura. Jamie était figée sur place. Il ressentait aussi une jubilation sauvage. Quelqu'un enfin lui livrait la vérité crue. Jacobs critiqua l'hypocrisie religieuse. Il prétendit qu'il n'existait aucune preuve de l'existence du paradis et l'enfer. Il raconta avoir eu une révélation devant le corps mutilé de son garçon. La religion était l'équivalent théologique d'une arnaque à l'assurance en vue d'un enrichissement immédiat comme si la compagnie qui encaissait l'argent n'existait pas. Roy  Easterbrook osa dire que la femme du révérend était alcoolique et qu'elle avait bu avant l'accident. Puis il sortit. Le père de Jamie conseilla au révérend de s'arrêter. Mais Jacobs voulut dire une dernière chose. Pour lui il y avait bien un mystère mais ce n'était le Dieu d'aucune Eglise. Toutes les croyances s'annulaient. La vraie puissance c'était celle de la foudre. Derrière le miroir obscur de Saint-Paul, il n'y avait rien d'autre qu'un mensonge. Puis il s'en alla. La famille Morton demeura assise dans le genre de silence qui doit régner après l'explosion d'une bombe.

 

De retour à la maison, la mère de Jamie s'enferma dans sa chambre. Claire prépara le dîner et ils mangèrent en silence. Andy cita un passage de la Bible qui réfutait complètement les propos du révérend. Mais son père lui demanda de se taire. Après, Jamie accompagna son père dans le garage pour bricoler la Fusée du Macadam II. Il avait envie de poser une question à son père. Mais son père ne voulait pas évoquer ce qui s'était passé le matin. Jamie voulait savoir si Patsy buvait. Son père avait entendu des rumeurs à ce sujet. Mais cela ne changeait rien. Elle n'était pas responsable de l'accident. Pour lui tout ce que le révérend avait dit c'était juste le délire d'un homme accablé de chagrin. Il demanda à son fils de ne surtout pas l'oublier.

 

La rumeur sur l'alcoolisme de Patsy acquit le statut de fait absolu. Le soir de Thanksgiving la mère de Jamie et Claire se disputèrent. Pierre voulait parler au révérend. Mais sa mère pensait que les enfants devaient l'éviter désormais. La mère de Jamie voulait voir Jacobs pour lui témoigner sa reconnaissance pour ce qu'il avait fait pour Connie en dépit des terribles choses qu'il avait dites dans son sermon. Claire savait que le révérend était congédié par les diacres dont son père faisait partie. Sa mère lui expliqua que son père était déchiré par tout ça.

 

La mère de Jamie était partie voir le révérend pour lui donner à manger. Elle revint une heure plus tard. Jamie qui l'avait observé trouva que c'était un peu long pour déposer un peu de nourriture.

 

Le dimanche d'après, David Thomas de la congrégation de Gates Fall était revenu. L'église était à nouveau pleine. Jacobs n'était pas revenu. Le lendemain, après l'école, Jamie demanda à Connie de venir avec lui au presbytère. Il voulait voir le révérend avant son départ. Connie refusa parce que le révérend avait dit que Dieu n'existait pas. Alors Jamie lui rappela que le révérend lui avait rendu sa voix. Connie rétorqua que sa voix serait revenue toute seule. Et de toute façon les parents avaient interdit d'aller voir le révérend. Jamie était en colère contre son frère. Parce qu'il venait de dire que la femme du révérend était une alcoolique. Connie ne parla plus jamais de Charles Jacobs.

 

Le lendemain, après les cours, Jamie se rendit au presbytère. Il y avait une nouvelle voiture dans l'allée. Le révérend était dans sa remise-atelier. Jamie avait failli tourner les talons et se sauver. Bien plus tard, il se demandait à quel point sa vie aurait été différente s'il l'avait fait. Le révérend était en train de ranger son matériel électronique. Il avait perdu du poids. Il ne portait plus le col à encoche du pasteur. Quand il vit Jamie, il sourit C'était un sourire triste. Alors Jamie courut vers lui et le révérend ouvrit ses bras et souleva l'enfant pour l'embrasser sur la joue. Il lui dit que c'était l'alpha et l'oméga. Il était le premier enfant que le passeur avait rencontré en arrivant et le dernier qu'il verrait. Jamie se mit à pleurer. Et il dit au révérend qu'il avait raison à l'église, ce n'était pas juste. Alors le révérend lui dit que ce qu'il avait dit à l'église ne devait pas être pris au sérieux. Il avait perdu la tête. C'est ce que la mère de la Jamie lui avait dit quand elle était venue lui apporter à manger. Elle était aussi venue lui exprimer tous ses voeux. Jamie se sentit un peu mieux en entendant ça. Elle était aussi venue lui conseiller de partir loin et de tout recommençait à zéro. Jamie avait peur de ne plus jamais le voir alors il lui répondit que les chemins se croisaient tout le temps en ce monde parfois dans les endroits les plus étranges.

Le révérend dit à l'enfant qu'il se souviendrait de lui quoi qu'il arrive. Jamie mentit en prétendant que Connie voulait venir avec lui mais qu'il ne pouvait pas. Puis Jamie conseilla au révérend de vendre l'appareil qui avait rendu la voix de son frère. Il pourrait faire fortune avec ça. Mais le révérend en doutait. Il pensait que ce que Connie avait n'était rien de plus qu'une élongation du nerf. Jamie lui demanda où il allait se rendre. Le révérend n'en savait rien. Jamie aida le révérend à mettre ses valises dans la voiture. Le révérend dit à Jamie qu'il avait une famille formidable. Jacobs avait remarqué que Connie était le nerveux de la famille. Le révérend avait déduit cela parce que Connie était persuadé d'avoir perdu sa voix à cause de son accident. Jacobs pensait que les gens qui vivaient sur leur terminaison nerveuse prenaient le risque de voir leur esprit se retourner contre eux. Alors Jamie avoua la vérité. Connie n'avait pas voulu venir avec lui. Car il avait peur. Alors Jacobs conseilla un Jamie de ne pas en vouloir à son frère. Les gens qui avaient peur vivaient dans leur propre enfer quotidien. Ils ne pouvaient pas s'en empêcher. Le révérend pensait avoir réussi à persuader Connie qu'il allait le guérir. Il avait toujours été bon pour ranimer la foi de ses fidèles. Même s'il en éprouvait honte et plaisir à la fois. C'est pour ça qu'il avait dit à Connie qu'il fallait s'attendre à un miracle avant de lui mettre la ceinture électrique autour du cou. Jamie lui posa une dernière question. Lors de son dernier sermon, Jacobs avait dit que la foudre faisait 10 000°. L'enfant voulait savoir si c'était vrai. Le révérend le lui confirma. Puis il ajouta que si Jamie voulait voir un jour la foudre, il fallait qu'il aille à l'hôtel de Goat Mountain. Juste à côté, il y avait une piste menant à un point de vue qui s'appelait Skytop. C'était un endroit dangereux, un plateau de granit incliné. Au sommet, il y avait un mât en fer de 6 m de haut qui n'était pas rouillé parce qu'il avait été frappé par la foudre plusieurs fois. Jamie avait envie de pleurer car il ne voulait pas que le révérend s'en aille. Alors le révérend le prit dans ses bras.

 

Le révérend lui dit au creux de l'oreille que c'était lui son préféré. C'était un secret qu'il devrait garder pour lui. Jacobs avait laissé quelque chose pour lui au sous-sol du presbytère. Quand le révérend monta dans sa voiture, Jamie lui dit qu'il l'aimait. Jacobs répondit que lui aussi l'aimait. Jamie rentra chez lui. Il se rinça le visage pour que ses parents ne voient pas qu'il avait pleuré.

 

Le presbytère ne fut nettoyé qu'après Noël. Il était resté vide jusque-là. Jamie en profita pour aller voir ce que le révérend lui avait laissé. Il avait peur que la maison soit hantée par Patsy et Morrie. C'était la table avec le Lac de la Paix avec le jésus électrique dedans. Jamais été déçu. La plus formidable rage de toute sa jeune vie l'avait balayé. Il balança le jésus électrique contre le mur du fond. Il remonta les escaliers en courant et en pleurant.

 

En définitive, les habitants n'eurent jamais d'autre pasteur. La fréquentation de l'église chuta de façon drastique. Elle fut définitivement fermée quand Jamie était en terminale. Jamie était devenu athée. Il ne savait pas ce qu'étaient devenus le Lac de la Paix et le jésus électrique. Il était retourné dans la salle de l'UJM bien des années plus tard mais elle était complètement vide.

 

Aussi vide que le paradis.

Publicité

IV

 

Deux guitares. Les Chromes Roses. La foudre de Skytop.

 

Jamie pensait qu'il existait des forces extérieures.

En 1963, l'Amérique avait été la proie d'un bref engouement pour la musique folk. Le grand frère de Billy Paquette, Ronnie, était le meilleur copain de Connie. Tous les samedis soir, ils regardaient Hootenanny l'émission de folk de la télévision. À cette époque, le grand-père de Ronnie et Billy, connu sous le nom d'Hector le Barbier habitait avec eux. Il avait été barbier pendant 50 ans. Il ne parlait pratiquement jamais. Les fois où il parlait, son discours était criblé d'obscénités. Il aimait Hootenanny et le regardait toujours avec Conrad et Ronnie. Il leur parla du blues. Il alla chercher sa vieille guitare Silverstone. Il joua un accord. Connie trouva cela vraiment chouette. Il démarra lentement, marmonnant des gros mots dans sa barbe, puis trouva un rythme régulier. Les garçons étaient stupéfaits. Le grand-père se mit à chanter. Mme Paquette sortit de la cuisine avec l'air de quelqu'un qui un aurait vu un oiseau exotique descendre la route au trot. Le vieux se mit à sourire. Connie ne l'avait jamais vu sourire avant. Ronnie encouragea son grand-père. Mais une corde de la guitare cassa. Mme Paquette lui arracha la guitare des mains.

 

 

Alors Hector le Barbier retourna dans son silence habituel. Il mourut l'été suivant et ce fut Charles Jakobs, encore au sommet de sa forme en 1964, qui célébra son enterrement.

 

Le lendemain de la performance musicale d'Hector, Ronnie trouva la guitare de son grand-père dans un baril à ordures au fond du jardin. C'est sa mère outrée qui l'avait jetée. Ronnie l'emporta à l'école et Mme Calhoun, la prof d'anglais et prof de musique, lui montra comment changer la corde cassée et comment accorder la guitare. Elle offrit à Ronnie un magazine de musique folk qui contenait les paroles et les tablatures de chansons. Les deux années suivantes Ronnie et Connie apprirent des chansons folk. Comme musiciens, ils ne cassaient pas des briques mais Connie avait plutôt une belle voix. Ils jouèrent plusieurs fois en public sous le nom de Conn & Ronn. Connie acheta sa propre guitare. Les deux garçons furent encouragés par leurs parents. J'ai mis très très peu d'attention aux efforts de Connie et Ronnie pour percer. Il avait à peine remarqué quand Connie avait commencé à perdre de l'intérêt pour sa guitare. Après le départ du révérend, Jamie avait comme un vide dans sa vie. Sa mère, son père, Claire aussi avaient essayé de lui remonter le moral. Alors il essaya d'être heureux à nouveau. Il tomba amoureux d'une fille qui venait d'emménager en ville : Astrid Soderberg. L'année de ses 13 ans, Jamie se découvrit une passion pour la musique. Il était meilleur guitariste que son frère. Cela avait commencé à l'automne 1969. Tout le monde était parti voir un match de football à Gates Falls. Jamie était resté à la maison car il n'aimait pas tellement le football. Il entra dans la chambre de Connie pour essayer de lire un Agatha Christie que Claire avait laissé (c'était sa chambre avant). Il trouva la guitare Gibson de son frère dans le coin. Il prit la guitare et s'assit sur le lit. Il pensa à la chanson « Cherry, Cherry » et se rendit compte avec stupéfaction qu'il pouvait voir les changements d'accord, en plus de les entendre. Il savait tout ce qu'il y avait à savoir sur les accords mais ne savait pas où les trouver sur le manche. Alors il regarda dans un magazine laissé par son frère. Il essaya et c'était juste. Connie avait mis six mois pour apprendre " The House of the riding sun". Jamie réussit en dix minutes. Alors il joua à en avoir le bout des doigts qui hurlait de douleur. Il aurait pu jouer « Cherry Cherry » toute la journée car cette chanson avait le don de l'émouvoir.

 

Il pensa que s'il apprenait à jouer suffisamment bien, peut-être qu'Astrid le verrait autrement que comme un cahier de devoirs ambulant. Mais surtout jouer lui redonnait le sentiment d'être quelqu'un de réel.

 

Trois semaines plus tard, Connie rentra à la maison de bonne heure. Jamie était en train de jouer de la guitare. Jamie pensait que son frère allait se mettre en colère et lui arracher la guitare des mains. Mais il avait marqué trois essais ce jour-là et battu le record du lycée de gains de terrain à la course. Alors tout ce qu'il dit fut : « c'est la chanson la plus débile qui soit jamais passée à la radio ». Connie accepta de prêter sa guitare à Jamie.

 

En 1970, Jamie entra au lycée de Gates Falls. Connie était devenu une vedette grâce à ses exploits sportifs. Il ne faisait plus attention à Jamie. Malheureusement, Astrid non plus. Les seuls qui trouvent grâce à ses yeux étaient les grands de terminale.

 

Un jour quelqu'un le remarqua. Il lui demanda de venir en salle de musique. Dans la salle de musique, Norm Irving lui serra la main. Il avait entendu dire que Jamie jouait de la guitare. C'était Connie qui lui en avait parlé. Il sortit une guitare électrique Yamaha d'un placard. Il autorisa Jamie à en jouer. Quand il alluma la guitare, Jamie aima tout de suite le bourdonnement. C'était le son de la puissance.

 

Norm lui demanda de jouer Green River. Jamie fit quelques erreurs d'accord pendant que Norm chantait. Mais après ça, c'était du gâteau. Il remercia Norm de l'avoir laissé jouer les commença à se diriger vers la porte mais Norm lui dit que l'audition n'était pas terminée. Il lui montra une autre guitare. Une semi-acoustique. Ils jouèrent tous les deux. Jamie colla au rythme et laissa la guitare solo l'entraîner. Norm lui dit que c'était pas extraordinaire mais pas dégueulasse et qu'avec un peu de pratique il pourrait devenir meilleur que Snuffy. Ils jouèrent un autre morceau. Puis Norm l'emmena au coin fumeurs. Il lui présenta ses amis. Il y avait Kenny Laughlin et Paul Bouchard. Norman le présenta comme le frère de Connie mais il ne tenait pas à être rien d'autre que le petit frère de M. Football. Alors il dit qu'il s'appelait Jamie. Norman lui proposa une place dans son groupe. Jamie accepta mais comme il n'avait que 14 ans, il ne pourrait pas jouer dans les endroits où on vendait de l'alcool. Cela les fit rigoler. Ils n'avaient pas encore le niveau pour jouer dans ce genre de lieu. Puis Norman invita Jamie allait rejoindre à la Grange le jeudi pour répéter. Une fille embrassa Norman sur la joue et lui donna une petite tape sur les fesses. Il ne sembla pas la remarquer. Cela parut incroyablement sophistiqué à Jamie. Son respect pour lui monta encore d'un cran. Il demanda quel était le nom du groupe. Norman répondit qu'avant ils s'appelaient les Pistoleros mais les gens trouvaient que ça faisait un peu trop militariste. Alors ils avaient choisi un nouveau nom : les Chromes Roses. Plus tard, Jamie joua pour des dizaines de groupes mais comme nom de compte, il trouva qu'on n'avait jamais fait mieux que les Chromes Roses.

 

Sa mère hésitait à l'autoriser à jouer avec ce groupe. Elle demanda à Jamie s'ils fumaient. Jamie menti en disant non et son frère Terry le couvrit. Le père de Jamie autorisa son fils à y aller. Il savait que c'était là que son fils était bon. Sa mère lui demanda juste de promettre de ne pas fumer des cigarettes ni de marijuana et de ne pas boire d'alcool. Il promit. Cette promesse ne dura que deux ans.

 

Jamie se rappela longtemps de son premier concert à la Grange Eurêka numéro 7. Surtout de l'odeur de la sueur quand lui et son groupe entrèrent sur le podium. C'était l'odeur de la peur. Norm lui avait fait apprendre 30 morceaux. Jamais il n’avait dit que c'était impossible alors lui avait répondu : quand t'es pas sûr, assure quand même. Jamie avait cru qu'il allait s'évanouir mais Norman ne lui en laissa pas le temps. Quand il parut clair qu'on ne virerait pas les Chrome Roses de la scène, Jamie sentit monter une euphorie proche de l'extase. Toute la drogue qu'il allait consommer plus tard ne serait jamais meilleure que cette première sensation.

Le concert avait commencé à 19:00 et s'était terminé à 22:30. Jamie avait l'impression d'avoir rêvé. C'est pourquoi il n'avait pas été surpris d'avoir vu ses parents passés devant lui valsant. Mais Astrid n'était pas venue. Norm avait raccompagné Jamie chez lui. Le groupe était enivré par son succès. Jamie reçut 10 $ pour sa participation. Puis il lui conseilla de répéter davantage un des morceaux car il était beaucoup trop à la traîne. Sinon il s'était bien débrouillé. Savait presque compenser le fait qu'Astrid ne soit pas venue. Jamie trouva sa mère assise dans la cuisine. Jamie vit qu'elle avait pleuré. Elle était heureuse pour lui. Et un peu inquiète, aussi. Elle avait peur qu'il se mette à fumer. Alors il promit à nouveau. Connie était dans sa chambre en train de lire un livre de science. Il dit à son frère qu'il avait été plutôt bon. Il était passé jeter un coup d'oeil. Le samedi suivant, Jamie joua avec son groupe au bal du lycée. Il avait rejoint ses copains pendant la pause fumeurs. Et Astrid était là. Elle lui dit qu'il était bon. Il y avait des couples autour d'eux qui se tripotaient. Astrid ne semblait pas y faire attention. Elle regardait fixement Jamie. Elle portait de petites grenouilles en boucles d'oreilles. Elle semblait attendre que Jamie dit quelque chose. Il la raccompagna à l'intérieur. Elle lui dit que ses parents ne voulaient pas le laisser sortir avec des garçons avant qu'elle ait 15 ans. Pourtant elle prit la main de Jamie. Il était trop timide pour l'embrasser. Il se trouva crétin. Après le concert, Norm lui reprocha d'avoir joué faux après la pause. Alors Jamie prétendit ne pas savoir pourquoi il dit qu'il ferait mieux la prochaine fois. Kenny avait compris, lui. Il dit que c'était à cause de la fille qui avait parlé à Jamie. Alors Norm encouragea Jamie à conclure. Ainsi, il jouerait mieux. Puis, il lui donna 15 $.

 

Le soir de la Saint-Sylvestre, ils jouèrent à la Grange. Astrid était là. C'est ce soir-là que Jamie l'embrassa. Astrid lui dit qu'elle croyait qu'il n'oserait jamais. Ils recommencèrent à s'embrasser jusqu'à ce que Norm vienne chercher Jamie. Alors Astrid demanda à Jamie qu'il joue "Wild thing". Quand ils reprirent le concert, Jamie s'approcha du micro pour dire que la prochaine chanson était pour Astrid. Les copines de Astrid la bousculaient en criant. Astrid avec les joues écarlates. Elle envoya un baiser à Jamie.

 

Astrid et Jamie passaient le plus clair des pauses à s'embrasser. C'est comme ça qu'un jour il avait senti un goût de signes dans son haleine. Il s'en fichait. Elle recrachait toujours une ou deux bouffées dans la bouche de Jamie. Ça le faisait bander. Une semaine après ses 15 ans, Astrid reçut la permission de venir avec le groupe dans le combi. Jamie et Astrid s'embrassèrent sur tout le trajet du retour est déjà mise en profite pour glisser sa main sous le montant de sa copine pour palper un sein. Deux mois plus tard, Astrid autorisa Jamie à explorer sous sa jupe. Mais elle refusa d'aller plus loin. Mais elle lui proposa d'autres trucs. Les autres trucs étaient plutôt pas mal.

 

Jamie eut son permis de conduire à 16 ans. C'était le père de Norm qui l'initia à la drogue avec un joint. Cicero, le père de Norm connaissait l'examinateur. Il buvait des cous avec lui quand il était gendarme à Castle Rock. Le vieux Joey donnait presque jamais le permis du premier coup. Alors Cicero conseilla à Jamie arrêté de fumer de la drogue avant l'examen, appelé l'examinateur monsieur et enfin de couper ses cheveux. Car Joey détestait les hippies. Il avait fallu presque un an pour que Jamie ait les cheveux jusqu'aux épaules. Il y avait eu pas mal d'accrochage avec ses parents à cause de ça. Et son frère Andy lui avait dit de mettre une robe s'il voulait rassembler une fille. Jamie ne voulait pas avoir l'air d'un intello. Cicero lui dit qu'il aurait l'air d'un intello avec le permis de conduire. Jamie suivit ces trois conseils. Il avait heurté le pare-chocs que la voiture garée derrière mais Joey lui donna quand même le permis.

 

Pour ses 17 ans, Jamie eu droit à une fête d'anniversaire à la maison. Astrid lui avait offert un pull qu'elle avait tricoté elle-même. Il le porta tout de suite même si on était en août. Sa mère lui avait offert la collection reliée de romans historiques de Kenneth Roberts et Andy une Bible. Jamie les lut. Andy avait laissé une dédicace sur la page de garde : « voici, je me tiens à la porte, et je frappe : si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui ». C'était une citation de l'Apocalypse. C'était pour sous-entendre que Jamie était un renégat. Claire lui offrit une veste en tweed. Connie lui offrit des cordes pour sa guitare. Mais son père et Terry ne lui avaient rien offert. C'est seulement après le gâteau que son père emmena Jamie dans la grange. Une Ford Galaxie 1966 l'attendait, c'était le cadeau de son père et de Terry. Jamie serra son père et son frère dans ses bras. Il de promettre de ne jamais boire avant de prendre le volant. Astrid dit qu'elle veillerait à ce qu'il tienne sa promesse. Plus tard, Claire lui demanda de faire une autre promesse : de ne pas mettre Astrid enceinte sur la banquette arrière de la voiture. Un bel avenir attendait Astrid à l'université. Cela fit sourire Jamie car pendant trois ans lui et Astrid n'avaient fait que se masturber mutuellement. Il promit. Et il tint sa promesse. Au cours de ces années, Jamie rêva souvent de Charles Jacobs. C'était souvent le terrible sermon qui revenait. En dehors de ça, il n'y pensait pas. Jusqu'à un jour du mois de juin 1974. Il avait 18 ans et Astrid aussi.

 

Pendant les vacances, les Chromes Roses jouèrent tout l'été. Y compris dans des bars. Jamie passait ses journées à travailler à la ferme des Marstellar. La compagnie du père de Jamie prospérait. Ses parents purent lui offrirent les frais de scolarité et l'université. Il  avait une semaine de battement avant d'embaucher à la ferme. Il en profita pour passer ces instants avec Astrid. Un après-midi, ils étaient dans une carrière abandonnée. Le tonnerre grondait. C'est alors que le révérend Jacobs revint à la mémoire de Jamie. Il eut envie de voir le Skytop. Il sentit l'excitation monter. Astrid n'avait pas l'air effrayé de foncer droit sur un orage d'été. Elle aussi était excitée. Elle étouffa un cri de surprise en voyant le Skytop. Il y avait une vieille cabane aux vitres brisées. Le mât était toujours là où le révérend l'avait décrit. Un éclair aveuglant tomba du ciel. Un éclair zèbra le ciel et frappa le mât en fer. Il devint bleu électrique et cela fit rappeler à Jamie un rêve qu'il avait fait dans lequel on voyait Charles Jacobs entouré d'une lumière bleue électrique. Puis le mât flamboya d'un éclair rouge cerise. Astrid montra du doigt la cabane. Jamie voulait lui dire qu'ils seraient plus en sécurité dans la voiture mais la cabane était toujours là malgré les milliers d'orages qu'elle avait connus. Il y avait une bonne raison à ça : le mât attirait la foudre. Les grêlons commencèrent à tomber juste avant que Jamie et Astrid entrent dans la cabane. Elle criait et riait en même temps. Des feux de Saint-Elme jaillirent du mât après la deuxième frappe de l'orage. Astrid trouva cela fantastique. Le déluge suivit la grêle. Quand la pluie se calma, Jamie et Astrid virent que la pente de granit au pied du mât s'était métamorphosée en rivière. Il y eut six arcs-en-ciel entrelacés comme les anneaux olympiques. Astrid annonça à Jamie que sa mère avait emmené chez le médecin un mois plus tôt. Elle avait obtenu la pilule. C'était le moment parfait pour faire l'amour. Elle lui demanda d'être délicat. Elle avait peur car son ami Carol lui avait dit que ça faisait mal la première fois. Il y avait un vieux matelas dans la cabane. Il entra tout à fait en elle et elle étouffa un cri. Un avis que mal. Elle trouvait que c'était merveilleux. Ils connurent l'été de l'amour. Le plus souvent, il faisait l'amour dans la cabane de Skytop. C'était devenu leur endroit. Ils avaient écrit leur nom sur l'un des murs de la cabane. Il y en avait une cinquantaine d'autres. Il n'y eut pas d'autres orages cependant.

 

À l'automne, Jamie entra à l'université du Maine. Astrid entra à l'université de Boston. Il espérait que ce serait une séparation temporaire. Une des rares choses qu'il avait apprises depuis sur les différences fondamentales entre les sexes était la suivante : les hommes font des suppositions, les femmes rarement. Le journal oral, sur le trajet du retour, Astrid lui avait dit qu'elle était contente qu'il soit son premier. Il n'avait pas compris ce que cela voulait dire. Il y en aurait d'autres après lui. Leur séparation se fit peu à peu. La mère d'Astrid trouvait Jamie un peu bizarre. Elle soupçonnait Jamie de profiter de son statut de guitariste pour séduire toutes les filles. Il n'y eut pas de grosse rupture avec Astrid ni avec les Chromes Roses. Le premier week-end où il était revenu à la maison après sa rentrée universitaire, Jamie avait joué avec son groupe mais après Thanksgiving, il avait été remplacé. Le groupe s'appelait désormais les Norman's Knights. Jamie comprenait. Norman proposa à Jamie de venir jouer en invité mais il refusa. Celui qui l'avait remplacé était plus jeune et déjà meilleur que lui. Jamie profitait de ses samedis soir pour être avec Astrid.

 

Peu avant les vacances de Noël, Jamie tomba sur une petite annonce au foyer des étudiants. Les Cumberlands cherchaient un guitariste rythmique. Jamie fit la connaissance de Jay Pederson. C'était lui le responsable du groupe. Il était largement meilleur que Jamie à la guitare mais il l'engagea. Jay lui demanda si ça le gênait que le nom du groupe change. Jamie s'en moquait du moment qu'on lui laissait le temps de bosser ses cours la semaine et qu'il soit payé.

 

Pendant presque deux décennies, avec une douzaine de groupes et dans une centaine de villes, Jamie trouva du boulot, même s'il était tellement défoncé qu'il pouvait à peine tenir debout. En gros, ça se résumait à deux choses : se ramener et être capable de jouer un mi. Les problèmes commencèrent quand il cessa de se ramener.

 

V

 

Le passage fluide du temps. Portrait à la foudre. Mon problème de drogue.

 

Jamie sortit diplômé de l'université à 22 ans. Lorsqu'il revit Charles Jacobs, il en avait 36. Il avait vu beaucoup de films et lu beaucoup de livres. Il lui arrivait de prendre de l'héroïne quand il allait au cinéma. Ce qu'il préférait dans le film, c'était le passage fluide du temps. On pouvait démarrer avec un adolescent paumé et tout d'un coup, se transformer en Brad Pitt. Il suffisait d'un petit carton indiquant 14 ans plus tard. Jamie pensait que les sauts dans le temps pouvaient être une bonne chose pour les gens qui vivaient des vies de merde. Entre 1980 et 1992, Jamie avait vraiment vécu une vie de merde. Il avait eu des absences mais jamais annoncées par des petits cartons. Quand il n'avait pas de drogue, les journées pouvaient bien durer 100 heures. Les Cumberlands devinrent les Heaters puis les J-Tones. Le dernier concert en tant que groupe universitaire se déroula lors du bal de fin d'année 1978. Peu de temps après, Jay engagea une chanteuse locale populaire qui s'appelait Robin Storrs et le groupe changea encore de redevenir Robin and the Jays. Le groupe décrochait un maximum de dates, la vie était belle. Puis apparut le petit carton. 14 ans plus tard, Jamie se réveilla à Tulsa dans un motel. Il avait pissé au lit. C'était normal après avoir pris de l'héroïne. Il avait raté un concert crucial avec un groupe de country-rock, les White Lightning. Il trouva un bout de papier plié glissé sous la porte. Kelly, responsable du groupe lui annonçait avoir trouvé un remplaçant. Jamie avait ainsi perdu 600 $. Il était viré. Kelly lui conseillait de se reprendre vite en main. Sinon il serait en prison d'ici un an. S'il avait de la chance. Mort, s'il n'en avait pas. Jamie se dit que ça ne peut être mieux. Il avait peur de perdre le peu de raison qui lui restait à force de jouer des chansons de beuverie et de coucherie. Il garda la chambre une nuit de plus. Il avait besoin de réfléchir au prochain tournant de sa carrière. Il se rendit à la réception. Au-dessus de la télé, il y avait un calendrier avec Jésus apportant un chiot à un petit garçon et une petite fille. La dame de la réception lui annonça que son groupe avait déjà quitté l'hôtel. Il répondit qu'il était au courant. Il voulait rester une nuit de plus. Il tendit sa carte de crédit mais il n'avait pas assez d'argent dessus. Il lui demanda de réessayer mais elle refusa en disant qu'il n'y avait qu'à le regarder pour savoir que c'était pas la peine. Il lui demanda de quitter la chambre. Il avait seulement une heure et demie pour ça.

 

Alors il resta jusqu'à l'heure fixée puis il s'en alla jusqu'à une station-service. Dans les toilettes, il se prépara un fix. Sa douleur à la jambe se dissipa. En 1984, il avait eu un accident de moto. Pour éviter le choc avec la voiture, il avait plié la moto et fracturé sa jambe en cinq endroits. C'est à cause de ça qu'il rencontra la morphine. Il arriva à la gare routière. Il se demandait comment il avait pu rester aussi longtemps avec Kelly et son groupe de country à la manque. Il acheta un billet pour Chicago et laissa sa guitare et son sac à la consigne. Il lui restait 159 $. À Chicago, il y avait une bourse d'échanges de musiciens. Il y avait toujours des groupes en quête de guitaristes rythmiques. Le plus urgent était d'arriver à Chicago et de trouver un groupe avant que Kelly balance au monde entier qu'il n'était pas fiable. Le soir, il partit à la foire pour chercher de la drogue. Il était obligé d'y aller en taxi parce qu'il ne se sentait pas bien. Il y avait un type qui avait la gueule de l'emploi près du stand du lancer d'anneaux mais Jamie sentit que c'était peut-être un flic en civil. Il aperçut un ou deux types dont l'allure ne trompait pas. Ils étaient près du minigolf. Jamie entendit des crépitements qui lui rappelaient la foudre. Alors il décida d'aller voir. Les crépitements venaient du stand d'un forain qui proposait son Studio électrique à la foule.

 

Jamie s'approcha. Sur la toile de fond, large de 2 m et haute d'au moins six, figurait une photo représentant une belle jeune femme en robe du soir dans ce qui ressemblait à une salle de bal. Elle portait une robe décolletée. Il y avait un appareil photo du XIXe siècle posé sur un trépied en face du portrait de la fille. À côté, il y avait un plateau rempli de poudre flash. Le forain avait une main nonchalamment posée sur l'appareil photo. C'était Jacobs. Jamie le reconnut aussitôt. Il était tellement malade qu'il avait l'impression de rêver. Mais c'était bien le révérend. Le révérend cherchait un volontaire dans la foule. Il désigna une candide jeune fille. Jamie se trouvait à l'arrière de la foule mais les gens s'écartèrent sur son passage comme s'il était possédé d'une force de répulsion magique. La fille monta. Elle avait de longs cheveux blonds et une minijupe. Quelques hommes sifflèrent. Jacobs retira son chapeau haut de forme. Jamie ressentit des sensations qu'il n'avait pu ressenties depuis ce jour à Skytop. Quelque chose qui n'était certainement pas de la poudre flash s'embrasa sur le plateau posé à côté de l'appareil photo et la toile de fond s'illumina d'un éclat bleu éblouissant. Le visage de la fille en robe du soir fut oblitéré. À la place apparut celui de la dame du motel. Puis la fille en robe décolletée réapparut. Jacobs avait un assistant. Jacobs regarda Jamie. Il est en train de dire à la fille que l'expérience serait gratuite.

 

Il installa la fille sur la chaise, tout en continuant son baratin, mais il avait l'air un peu hésitant, comme s'il avait perdu le fil. L'assistant nouait un foulard devant les yeux de la fille. Puis Jacobs vanta les mérites de l'électricité. Il demanda à la jeune fille comment elle s'appelait. Elle répondit Cathy Morse. Il lui dit qu'elle repartirait avec un portrait qu'elle pourrait montrer à ses petits-enfants qui pourraient les montrer à leurs petits-enfants. Et si ses ancêtres ne s'en émerveillaient pas alors il ne s'appelait pas Dan Jacobs. Jamie pensa mais tu t'appelles par Daniel Jacobs. Il demanda à l'assistance de se protéger les yeux. Il souleva le drap noir fixé à l'arrière de l'appareil photo. Il compta jusqu'à trois. Jamie ressenti cet étrange épaississement de l'air et il ne fut pas le seul. La foule recula d'un pas. On entendit un clic sonore et le monde s'embrasa dans une explosion de lumière bleue. Le visage de la photo avait changé. C'était celui de Cathy à présent, Jamie eut l'impression de revoir Astrid. La foule manifesta sa surprise. Jamie pensa qu'eux aussi avaient cru voir un proche disparu. Puis Jamie pu voir que c'était bien Cathy qui était sur la photo géante. C'était le bon vieux révérend Jacobs dans toute sa splendeur mais il avait appris des tours bien plus tape-à-l'oeil que le jésus électrique marchant sur le Lac de la Paix. Jacobs retira une plaque de l'arrière de l'appareil pour la montrer au public. Il demanda à Cathy de retirer son bandeau. Elle vit l'image imprimée sur la plaque et porta ses mains à sa bouche avant de dire Oh mon Dieu. Elle chancela à la vue d'elle-même. Alors Jacobs la retint. Tout à coup, la photo géante tourna lentement sur elle-même pour dévoiler le dos de sa robe. Elle regarda par-dessus son épaule et cligna de l'oeil. On entendit plusieurs cris aigus dans la foule. Jacobs avait placé un micro devant Cathy et tout le monde pu l'entendre dire : « Oh putain de Dieu ! ». Cela fit rire et applaudir les gens. Puis la photo redevint ce qu'elle était. L'image de Cathy s'estompa avant de disparaître. Jakobs offrit à Cathy l'image qu'il venait de prendre avec son appareil. Et à ce moment-là, Jamie s'évanouit. Quand il rouvrit les yeux, il était dans un grand lit. Il comprit qu'il était dans un camping car. Il avait chaud. Il était en manque. Il était chez Jacobs. Jacobs lui tendit un grand verre de jus d'orange. Il dit à Jacobs qu'il avait besoin d'un fix. C'était pas tout à fait les retrouvailles qu'il aurait souhaité avoir avec son ancien pasteur, et son premier ami adulte, mais un drogué en manque n'avait aucune honte. Mais peut-être que Jacobs avait lui aussi des secrets cachés sinon pourquoi se faire appeler Dan Jacobs ?

 

Charles avait vu les traces de piqûres et il avait l'intention de procurer à Jamie ce dont il avait besoin. Après quoi il l'aiderait à se débarrasser du virus qu'il avait attrapé. Après avoir reçu une dose, Jamie réussit à manger. Il réclama encore de la drogue. Charles lui en donna. Mais il ne lui donnerait pas de fix. Il n'avait aucun intérêt à le maintenir dans cet état. Jamie avait une méchante grippe et Charles savait que c'était mauvais de lui donner de l'héroïne. Et pourtant il accepta. Puis Jamie demanda à Charles d'aller récupérer sa guitare à la gare routière. Charles accepta de s'en occuper. Il conseilla à Jamie ne dormir s'il voulait guérir. Avant de dormir, Jamie lui demanda pourquoi il avait changé de prénom. Charles répondit que Daniel était son deuxième prénom. Jamie voulait aussi savoir comment Charles avait réussi à le reconnaître alors qu'il ne l'avait pas vu depuis l'enfance de Jamie. Charles répondit que la mère de Jamie vivait dans son visage. Alors Jamie lui dit que sa mère et sa soeur étaient mortes. Puis il s'endormit.

 

Quand il se réveilla, les frissons étaient revenus. Alors Charles lui donna deux minuscules doses supplémentaires. Puis il lui fit à manger. Jamie lui demanda comment il avait réussi son tour de magie avec la photo. Charles répondit que l'image sur la toile de fond était recouverte d'une substance phosphorescente et l'appareil photo servait également de générateur électrique. Le flash était très puissant et pouvait projeter l'image du sujet choisi dans la foule sur celle de la fille en robe de soirée. Mais les photos ainsi obtenues que Charles vendait ne duraient pas plus que deux ans. Pour lui, les photos qui importaient étaient dans notre mémoire. Charles demanda à Jamie depuis combien de temps il se droguait. Jamie répondit que cela faisait trois ans. En réalité, ça faisait six ans. Depuis son accident de moto. Jamie expliqua tout son parcours de drogué. Cela lui faisait du bien. Dans les groupes avec lesquels Jamie avait joué, tout le monde s'était contenté de hausser les épaules en regardant ailleurs. Quand il continuait à se rappeler les accords. Jamie expliqua à Charles que quand tout le monde s'était mis à prendre du crack, le prix de l'héroïne s'était effondré. Charles ne mesurait pas la souffrance que Jamie avait endurée à cause de sa jambe. Alors Jamie lui demanda de ne pas lui parler de douleur physique et de ne pas lui faire la morale. Charles lui répondit qu'avait connu la douleur du deuil. Il ajouta que c'était le cerveau de Jamie qui souffrait et qui faisait porter le chapeau à sa jambe. Charles pensait pouvoir guérir les Jamie avec un traitement électrique. Il espérait pouvoir court-circuiter le processus douloureux du sevrage.

 

Jamie se rappela le mot que Kenny lui avait laissé sous sa porte quand Charles lui demanda s'il voulait aller mieux oui ou non. Alors Jamie dit à Charles qu'il avait essayé de décrocher trois ans plus tôt. Mais il pouvait à peine marcher à cause de lésions neurologiques. Charles pensait pouvoir régler ça. Puis il donna encore une dose à Jamie pour qu'il dorme. Jamie pensait qu'on ne pouvait faire disparaître l'héroïne d'un coup de baguette magique.

 

Jamie resta dans le camping-car de Charles pendant presque une semaine en mangeant des soupes et des sandwiches et en absorbant des doses d'héroïne administrées par voie nasale. Charles le ramena son sac et guitare. La drogue qui se trouvait dans le sac avait disparu. Charles s'en était débarrassé. Jamie lui demanda quand est-ce qu'il aurait droit à la cure miracle. Charles répondit qu'il fallait d'abord qu'il puisse supporter une petite décharge électrique au niveau du lobe frontal. Quand Charles parlait des pouvoirs de guérison de l'électricité, une lueur de folie passait dans son regard. Mais Charles n'avait pas l'intention de lui administrer des électrochocs. Il était convaincu qu'une électricité secrète existait. Mais il n'avait pas encore découvert tous ses usages. Jamie pensait que Charles n'était plus peste pasteur mais avait gardé la fibre du Bon Samaritain. Jamie avait très envie de partir pour chercher de la drogue à la foire. Mais il se ravisa. Il finit par s'endormir. Au bout de cinq jours, Charles décida qu'il était temps de partir.

 

VI

 

Un traitement électrique. Excursion nocturne. Un Okie furax. Un billet pour le Mountain Express.

 

L'atelier d'électricité de Jacobs se situait à Tulsa Ouest. C'était une zone industrielle où la plupart des entreprises paraissaient à l'agonie. Charles avait les yeux pétillants d'excitation. Il expliqua à Jamie qui ne comptait pas s'éterniser à Tulsa. Son spectacle était juste un moyen de gagner sa vie pendant qu'il continuait ses expériences. Ils entrèrent dans le garage de charme. L'endroit était climatisé. Charles avait inventé le système de climatisation. Cela ne lui coûtait presque rien. Jamie voulut savoir comment Charles s'y prenait pour avoir de l'électricité. Charles répondit que l'électricité générait l'électricité. Il y avait du matériel électrique posé sur trois ou quatre longues tables au fond de la pièce. De gros câbles électriques serpentaient dans tous les sens. Jamie trouvait que ce garage était spartiate. Charles avait vendu une partie de son matériel. Il approchait de son but ultime. Mais il ne voulait pas en dire plus à Jamie. Jamie reçut une dose de drogue avant de commencer l'expérience. Il y avait une photo posée sur l'une des tables. C'était Claire et Morrie avec Patsy. Cette photo ressuscita le passé de Jamie avec une fulgurance féroce. Jamie révéla à Charles que Morrie était surnommé Morrie Tu-Nous-Suis. Il ajouta que le garçon était amoureux de Patsy. En revoyant sa soeur, Jamie pleura. Il demanda à Charles s'il y avait eu une autre femme. Il répondit que Patsy et Morrie étaient tout ce qu'il désirait. Il ne se passait pas un jour sans qu'il pense à eux. Charles demanda à Jamie s'il se demandait où étaient sa mère et sa soeur. Jamie répondit non.

 

 

Après avoir pris une bonne dose de trois, Jamie s'assit sur la chaise. Charles ouvrit l'une des nombreuses armoires murales et en sortit un casque audio dont les coussinets de protection étaient recouverts d'un grillage métallique. Il brancha sur une espèce d'ampli et le tendit à Jamie. Jamie mit le casque. Charles le rassura. Ça ne ferait pas mal. Pourtant il donna un protège dents à Jamie. Charles appuya sur un bouton. Après cela, Jamie perdit connaissance. Quand il reprit ses esprits, Charles avait l'air effrayé. Jamie n'arrêtait pas de dire qu'il s'était passé quelque chose. Alors Charles le gifla fort. Charles lui posa quelques questions pour être sûr que Jamie allait bien. Ses réponses étaient sensées. Puis il tendit le flacon d'héroïne à Jamie. Mais Jamie refusa. Il pensait qu'il en avait pris à l'instant alors qu'il s'était écoulé plusieurs heures. Ils avaient même discuté mais Jamie ne s'en souvenait pas. Jamie avait parlé de sa soeur qui était mariée à un homme violent. Elle l'avait caché par honte. Elle avait fini par en parler à son frère Andy. Le mari de Claire s'appelait Paul Overton. C'était un prof d'anglais dans une prestigieuse école préparatoire. Andy était allé le voir pour lui casser la gueule. Après, Claire avait quitté Paul et avait obtenu une ordonnance de protection. Elle avait demandé le divorce. Elle avait déménagé et trouvé un poste d'institutrice. Le divorce était prononcé depuis six mois quand Overton se rendit dans la salle de classe de Claire pour la tuer. Puis il s'était suicidé. L'enterrement de Claire fut le dernier moment où la famille de Jamie était réunie. Charles apporta une bouteille de jus de pommes à Jamie. Il la but rapidement. Charles lui demanda d'essayer de marcher. Jamie commença par tituber puis réussit à marcher normalement. Jamie voulut comprendre ce qui s'était passé. Charles lui répondit que c'était une bénigne restructuration de ses ondes cérébrales. Charles reconnut qu'il lui restait encore beaucoup d'études à faire. Ils retournèrent à la foire. Jamie remarqua que ses gestes pouvaient être bloqués. Charles lui expliqua que cela passerait. Il avait déjà vu ça avant. Arrivés à la foire, Charles proposa de la drogue à Jamie qui refusa.

 

Il ne reprit jamais de drogue. Jacobs l'avait guéri. Mais c'était une guérison dangereuse et il le savait. Il aurait pu tuer Jamie. Quelquefois Jamie regrettait qu'il ne l'ait pas fait. Jamie fit le nœud  de cravate de Charles. Ses mains ne tremblaient plus. Il avait appris sa en jouant dans un groupe dans lequel les membres portaient des redingotes, des chapeaux claques et des cravates. Jamie demanda à Charles pourquoi il ne prenait que les femmes dans son spectacle. Charles répondit qu'il avait déjà essayé de photographies les hommes dans un petit parc d'attractions appelé Joyland. Il avait pris comme nom de scène Mister Electrico en hommage à Ray Bradbury. Il y avait une attraction appelée la galerie des voyous qui avait ouvert les yeux à Charles sur les possibilités offertes par son projecteur et il avait créé les portraits à la foudre. À l'époque, il avait en toile de fond un homme élégant en costume-cravate en plus de la beauté en robe de bal. Mais il y avait peu d'hommes qui acceptaient de se prêter au jeu. Cela faisait 15 ans qu'il avait commencé. Alors Jamie lui dit qu'il était passé de pasteur à bonimenteur. Charles n'en fut pas choqué car l'important était pour lui de toujours convaincre les ploucs. Jamie regarda l'héroïne que Charles avait laissée sur la table. Il se demanda comment il avait pu foutre en l'air tant d'années de sa vie avec ça.

 

Un jour, Briscoe, l'assistant de Charles s'en alla. Jamie proposa de le remplacer et Charles accepta. Il suggéra même que Jamie joue quelques accords de Gibson pendant le spectacle. Mais Charles avait pris l'habitude de voyager seul alors Jamie ne devrait pas s'habituer à travailler pour lui. Jamie avait l'impression que Charles souhaitait prendre un nouveau départ comme s'il était arrivé au bout de chemin et qu'il comptait en essayer un autre. Mais cela ne dérangeait pas Jamie car Charles lui faisait peur. Son électricité secrète aussi. Il avait fouiné dans le camping-car de Charles et avait trouvé un album de photos de Patsy et Morrie. Jamie comprit que Charles le feuilletait souvent. Le 3 octobre au matin, avant la fermeture de la foire, Jamie fut victime d'un effet secondaire de l'électrochoc. Il était payé par Charles pour ses services et il loua une chambre à la semaine pas très loin de la foire. Il s'était couché juste après la dernière représentation du spectacle de Charles. Alors que son sommeil était redevenu bon, cette nuit-là, il s'était réveillé. Il avait trouvé un garrot à son biceps. Il s'était passé quelque chose mais il ne savait pas croire. Il avait une fourchette à la main et n'arrêtait pas de la planter dans le haut de son bras gonflé. Il y avait une douzaine de petits trous dans son bras. Il n'arrêtait pas de se dire qu'il s'était passé quelque chose. Il avait dû se faire violence pour arrêter de se piquer avec la fourchette. Il se demanda qui avait pris possession de son corps. Il avait l'impression que quelque chose l'avait fait sortir de son corps et avait pris les commandes. Le lendemain, il n'en parla pas à Jacobs.

 

Le 10 octobre, on frappa à la porte de Charles alors que Jamie était en train de lui faire son noeud de cravate. C'était un fermier Okie. Il frappa Charles. Il en voulait à Charles car il avait une fille et à cause de Charles la police l'avait rattrapée. Elle avait un casier. Jamie attrapa une casserole et frappa le fermier. Le fermier lâcha Charles qui détala. Alors Jamie essaya de calmer le fermier. Le fermier expliqua que sa fille Cathy Morse avait vu sa vie foutue en l'air à cause de la photo. Jamie proposa au fermier de sortir du camping-car pour aller s'asseoir et discuter. Il annonça au fermier qui était l'agent de Dan. Jamie offrit un coca au fermier à la buvette. Le fermier expliqua que sa fille était allée dans une bijouterie. Elle avait fracassé la vitrine avec un marteau ce qui avait déclenché l'alarme. Elle avait passé la main dans le présentoir et avait pris des boucles d'oreilles en diamants. Elle était persuadée que ces boucles d'oreilles étaient à elle à cause de la photo. Le fermier en racontant son histoire avait dissipé sa colère. Avant de s'en aller, le fermier demanda à Jamie si c'était déjà arrivé. Si Charles avait déjà fait perdre la boule à d'autres personnes. Jamie répondit que ce n'était jamais arrivé.

 

Le fermier ne le croyait pas mais il partit sans se retourner.

 

Jamie répéta Charles ce que le fermier lui avait raconté. Puis Charles voulut partir faire son numéro. Jamie lui demanda pourquoi il ne cherchait pas à guérir Cathy. Charles lui lança un regard qui frisait le mépris. Il était persuadé que n'importe quel juge se rendrait compte que la fille n'était pas dans son état normal. Et qu'elle s'en tirerait. Il reconnut qu'il y avait bien des effets secondaires de temps à autre mais rien d'aussi spectaculaire que ce qui était arrivé à Cathy. Jamie comprit que les clients de Charles étaient tous ses cobayes. Jamie était furieux contre lui mais il lui avait sauvé la vie. Chaque fois qu'une fille contemplait rêveusement son image sur la toile de fond, Jamie se demandait laquelle découvrait qu'elle y avait laissé un peu de sa raison.

 

Jamie découvrit une lettre sous sa porte. C'était une pochette de billets de train avec un nom et une adresse à Nederland. Jacobs avait écrit trois phrases pour expliquer à Jamie qu'il pourrait trouver un travail à cette adresse. Et il le remerciait pour les noeuds de cravate. Le billet était un aller simple Tulsa-Denver. Jamie avait envie de s'en servir pour partir à la bourse d'échanges de Denver mais il savait que la drogue était partout et la magie des portraits à la foudre s'estompait au bout de deux ans. Il se demandait si ce ne serait pas pareil pour une cure de désintoxication. Alors il retourna dans le garage de Charles. Il était totalement vide. Jamie décida que si c'était à refaire, il serait prêt à remettre le casque audio trafiqué sur ses oreilles. Alors il décida de partir pour Denver. De là il se rendit à Nederland. Il rencontra Hugh Yates et recommença sa vie pour la troisième fois.

VII

 

Retour à la maison. Wolfjaw Ranch. Dieu guérit comme la foudre. Sourd à Détroit. Prismatiques.

 

 

 

 

Le père de Jamie mourut en 2003. Claire n'avait pas encore 30 ans lorsque son époux l'avait assassinée. La mère de Jamie et son frère étaient décédés à 51 ans. Il retourna dans la ville de son enfance. Elle n'avait pas beaucoup changé. Dans l'allée il y avait une vieille Ford 51 qui ressemblait à la Fusée du Macadam I. Jamie sentait qu'il y avait quelque chose de pas normal. Il ne comprenait pas pourquoi il était le premier arrivé. Il réalisa que la voiture dans laquelle il venait de conduire n'était plus celle qu'il avait louée mais celle que son père et son frère lui avait offerte. Et sur le siège du passager il y avait les livres que sa mère lui avait offerts. Un corbeau se posa sur le toit de la maison dans laquelle il avait grandi. Et un autre sur la branche à laquelle était suspendu le pneu-balançoire. Il savait que les morts l'attendaient dans la salle à manger. Il pensa à son père, à sa mère, à Andy qui était mort du cancer de la prostate. Mais c'était Claire, le pire. Il avait vraiment l'impression de les voir tous. Puis ce fut le tour de Patsy et de Morrie. Patsy lui murmura à l'oreille : « il s'est passé quelque chose ». Puis ils se mirent tous à chanter sur l'air de « joyeux anniversaire ». Mais les paroles avaient changé : « il s'est passé quelque chose !… Il s'est passé quelque chose… ». Il se mit à hurler. Il se réveilla. Il avait fait un cauchemar dans le train. Il allait refaire ce cauchemar une vingtaine de fois pendant 20 ans. À cette époque-là, son frère était encore en vie alors il lui avait téléphoné pour lui dire de faire surveiller sa prostate. Mais Andy refusa que son frère supervise sa vie. Alors Jamie à trouver la femme d'Andy, Francine. Andy avait accepté un compromis. Il avait fait faire un dosage de PSA. S'ensuivit une visite chez un urologue puis une opération. Trois ans après, il était déclaré guéri de son cancer. Mais un an plus tard, il avait fait un infarctus et il était mort. Les obsèques eurent lieu dans l'État de New York ce qui rassura Jamie. Il n'avait pas envie de retourner à Harlow. Il refit ce cauchemar en juin 2008. Cela faisait quatre ans qu'il ne s'était pas réveillé en train d'essayer de se transpercer la peau. Il sentit que quelque chose de malveillant rôdait derrière ce cauchemar. Il avait un appartement au premier étage d'une résidence à Nederland. Il était célibataire. Même s'il y avait eu quelques copines.

 

Le souvenir de son réveil au motel, malade comme un chien et fauché comme les blés ne l'avait jamais quitté. Il avait pris 20 kg depuis le soir de sa rencontre avec Charles à Tulsa. Il jouait encore souvent et faisait un travail qu'il aimait. Il travaillait dans un ranch. Il gara sa voiture dans le parking. Il distribua des tranches de pomme et des morceaux de carottes aux chevaux. Son préféré s'appelait Bartleby, un pommelé gris sans pedigree. Il étaient déjà pensionnaires de Wolfjaw quand Jamie était arrivé. Pagan Starshine, Paig pour les intimes, était en train de nourrir les poules. Elle avait été choriste en son temps. Le studio 1 était fermé alors Jamie alluma. Il consulta le tableau des sessions prévues pour la journée. Nederland était un endroit connu des musiciens. Il y avait neuf bars dans la ville où l'on pouvait entendre de vrais musiciens tous les soirs. Il y avait quatre studios d'enregistrement. Mais celui où travaillait Jamie était le plus grand et le meilleur. Le jour où il avait timidement fait son entrée dans le bureau de Hugh pour lui expliquer que c'était Charles Jacobs qui l'envoyait, il y avait une cinquantaine de photos sur ses murs dont celle de Van Halen, Axl Rose et U2. Mais celle dont il était le plus fier et sur laquelle il figurait lui-même était celle des Staples Singers. Jamie avait enregistré sur pas mal de disques médiocres mais il ne s'était jamais entendu jouer sur un gros label jusqu'à ce qu'il remplace un guitariste rythmique pour une session avec Neil Diamond. Après il avait joué pour des quantités de sessions. Lequel il jouait avec le groupe du studio dans un bar appelé le Comstock Lode et il lui arrivait de décrocher quelques concerts à Denver. Il donnait aussi des leçons de musique à des lycéens dans un programme d'été appelé le Rock-Atomic. Jamie alluma sa guitare dans le studio pour s'entraîner. Il était bien meilleur à présent que durant ses années sur la route. Le téléphone sonna. C'était Hugh. Il appela Jamie sous son nouveau nom : Curtis Mayfield. Son patron était un mordu des voitures de collection et il avait les moyens de se faire plaisir. Sa passion, c'était la musique. Il prétendait avoir été musicien par le passé mais Jamie ne l'avait jamais vu jouer de la guitare. Hugh l'avait accueilli à la porte en ce jour d'automne 1992. Il lui avait serré la main et l'avait fait entrer dans son bureau. Ce jour-là, Jamie était nerveux en le suivant. Il en avait perdu sa salive en voyant toutes les photos de célébrités dans le bureau de Hugh. Jamie était habillé d'un tee-shirt AC/DC crasseux et d'un jean encore plus crasseux. Hugh avait une dette envers Charles et s'il embauchait Jamie, Charles lui avait dit qu'ils seraient quittes. Charles avait dit à Hugh que Jamie était un drogué. Hugh lui avait demandé s'il était clean et Jamie avait acquiescé. Hugh lui demanda s'il voulait boire et Jamie accepta un thé glacé. Puis il lui avait dit que c'était un vrai ranch ici mais que les animaux qui débarquaient venaient avec leurs instruments.

 

Hugh lui demanda ce dont un ranch avait besoin avant tout autre chose. Jamie ne savait pas. Alors Hugh lui dit que c'était un contremaître. Puis il lui parla de Les Calloway un musicien qui avait eu un succès avec son groupe mais qui avait fini par faire faillite. Après quoi il était venu travailler avec Hugh. C'était son tambour-major dans le studio. Hugh voulait que Jamie soit son assistant. Les avait eu une crise cardiaque et il allait devoir prendre sa retraite. Jamie n'aurait donc pas beaucoup de temps pour apprendre. Mais suffisamment pour que Hugh se fasse un avis sur lui. Jamie fut obligé d'avouer qu'il ne connaissait rien au son et à l'enregistrement. Charles avait dit à Hugh que Jamie était capable d'apprendre. Ça suffisait pour lui. Hugh mit Jamie en garde. S'il ne prenait en train de se droguer, il le virerait. Goorgia, l'assistante de Hugh dit à Jamie que le patron était énervé ce matin. Elle ne savait pas pourquoi. Elle espérait qu'il n'avait pas l'intention de virer quelqu'un. Jamie demanda à Hugh s'il comptait virer quelqu'un. Il ne comptait virer personne. Hugh lui expliqua. Tous les matins, il regardait les nouvelles en faisant ses comptes. Hugh lui montra une annonce sur un site Internet intitulé Revival du pasteur C. Danny Jacobs : grande tournée de guérison 2008. Ainsi Charles était devenu un pasteur guérisseur. Jamie était soufflé comme s'il avait vu son vieil ami incarcéré pour avoir commis un crime. Mais il n'était pas étonné entièrement car il se rappelait de sa part guérie. Jamie dit à Hugh qu'il avait connu Charles dans son enfance. Hugh lui demanda s'il guérissait déjà les gens à l'époque. Jamie lui répondit que ce n'était pas le cas. Hugh voulait que Jamie regarde une vidéo. On voyait un enfant raconté sa guérison grâce au pasteur.

 

Hugh avait regardé d'autres vidéos. C'était rempli de témoignages de guérison. Il demanda à Jamie si ça lui rappelait quelque chose il répondit peut-être. Hugh voulait aller voir le pasteur avec Jamie. Mais avant il voulait savoir tout ce que Jamie savait sur lui. Hugh avait remarqué que Jacobs portait toujours ses deux alliances. Apparemment, ces alliances lui étaient utiles. Hugh avait aussi été guéri par Jacobs au moyen de ces alliances. C'était en 1983. Il l'appelait le Rev' pour le révérend. Parce qu'il prêchait quand il l'avait rencontré. Jamie fila au studio pour enregistrer une chanteuse et son esprit était concentré sur Jacobs désormais connu sous le nom de pasteur Danny. Après, Hugh emmena Jamie sur une petite aire de pique-nique. Ils mangèrent en silence. Puis Hugh lui dit qu'il avait été guitariste rythmique lui aussi. Il avait fait partie d'un groupe du Michigan nommé les Johnson Cats. Leur album avait cartonné. Il avait commencé une tournée avec le groupe mais il avait été viré parce qu'il était devenu sourd. Il n'en voulait pas à celui qui l'avait viré. Mais il regrettait quand même un peu. Il avait eu des symptômes : vertiges, nausées et un sifflement infernal. C'était à cause d'un concert où le son était beaucoup trop fort. Il avait repoussé sa visite chez le médecin, terrifié qu'on lui apprenne qu'il avait une tumeur au cerveau. Puis il était allé voir un médecin hindou qui l'avait encouragé à aller à l'hôpital pour subir d'autres examens et se faire administrer des médicaments expérimentaux contre la nausée. Mais Hugh se mit à entreprendre de longs safaris le nom d'une célèbre artère de Détroit. Il était tombé sur un magasin plein de radios, de guitares, d'amplis et de téléviseurs. C'était le magasin de Jacobs. Hugh était entré dans le magasin par nostalgie pour toutes ces délicieuses friandises acoustiques. Mais c'était peut-être aussi l'écriteau qui l'avait attiré. Il était écrit « nous pouvez faire confiance au Rev'".

 

Dans le magasin, Hugh fut pris de vertige. Il tituba et s'évanouit. Il se réveilla dans le bureau de Jacobs. Ils communiquèrent par le biais de l'écriture car Hugh n'entendait plus. Le pasteur avait vu Hugh avec sa guitare. Alors il voulait savoir si son problème était récent. Hugh lui dit ce dont il souffrait et qu'il était musicien. Alors le pasteur lui avait proposé de faire quelque chose pour lui.

 

 

Jacobs lui avait écrit qu'il avait inventé un système de stimulation électrique nerveuse transcutanée. Le pasteur était persuadé que toutes les maladies étaient électriques par nature. Il avait également écrit que l'électricité était la base de toute vie. C'était du Jacobs tout craché selon Jamie. Puis Jacobs avait dessiné sur son carnet. C'était un éclair. Il voulait faire comprendre à Hugh qu'il pourrait le soigner grâce à l'électricité. Alors Hugh avait demandé si c'était dangereux. Jacobs ne l'avait pas caché. Mais c'était du courant basse tension. Si Hugh était resté à Detroit , c'était parce qu'il rassemblait son courage pour acheter une arme  dans l'intention de se suicider. Alors il avait accepté la proposition de Jacobs. Il continua son récit tout en se caressant l'oreille droite. Jacobs avait fermé son magasin et baissé les stores. Il avait utilisé deux anneaux en métal entourés de fil d'or. Les fils étaient reliés à un boîtier de contrôle. Puis il avait enfilé des gants de caoutchouc et avait saisi les anneaux avec des pinces. Jamie demanda à Hugh si Jacobs lui avait parlé de l'électricité secrète. C'était le cas. Jacobs avait appliqué les anneaux contre les oreilles de Hugh puis il avait demandé à Hugh de presser le bouton sur le boîtier de contrôle. Jamie devina la suite. Hugh avait eu des trous noirs qu'il appelait des prismatiques. C'était arrivé plus tard. Sur le moment il avait juste ressenti un fort craquement au milieu de sa tête. Ces jambes s'étaient détendues et ses mains s'étaient levées comme celle d'un écolier qui veut à tout prix signaler à la maîtresse qu'il a la réponse. Ça rappelait des souvenirs à Jamie. Après, Hugh avait demandé un verre d'eau. Il avait entendu sa propre voix et ça l'avait fait pleurer. Après ça, il aurait fait n'importe quoi pour Jacobs. Jacobs avait mis un casque sur les oreilles de Hugh pour lui faire écouter de la musique. L'ouïe de Hugh était revenue de façon plus aiguisée. Alors qu'il avait demandé à Jacobs comment il pouvait le payer. Jacobs avait répondu qu'il avait besoin de louer un espace de stockage pour déménager ses appareils. Mais en attendant, il avait besoin d'un assistant. Hugh accepta. Jacobs lui demanda une autre faveur. À partir de ce moment, Hugh devrait l'appeler le Rev'. Alors Jamie expliqua à Hugh que Jacobs n'avait pas voulu se faire payer une étude de déménageur et n'avait pas voulu de son argent car tout ce qui l'intéressait c'était le temps de Hugh. Il voulait ainsi guetter les effets secondaires que ressentirait Hugh. Hugh était resté dans le magasin pour assister Jacobs pendant une semaine. Jamie demanda à Hugh de la compagnie au studio 1 pour lui raconter la suite. Alors Hugh lui parla des trous noirs qui avaient suivi son traitement. Dans ces cas-là, il se retrouvait dans un endroit différent et se rendait compte que cinq minutes s'étaient écoulées. Il avait demandé à Jacobs ce que cela signifiait me celui-ci avait simplement répondu que dans ces cas-là il ne se passait rien. Hugh continuait de parler et de l'aider à déménager comme si de rien n'était. Jamie lui demanda s'il lui arrivait de parler tout seul. Ce n'était pas le cas. Au bout de trois semaines, Hugh n'avait plus d'absence mais les prismatiques avaient continué. Ça avait continué une dizaine de fois pendant cinq ans. Hugh ne savait pas comment décrire les prismatiques. C'était plus étrange que les trous noirs. Quand cela arrivait, tout d'un coup sa vision commençait à s'affûter. Il avait toujours des signes précurseurs. Le monde se remplissait de couleurs sur le pourtour des choses.

Cela durait une trentaine de secondes et Hugh avait l'impression de le regarder à travers le monde et qu'il y avait un autre monde juste derrière. Un monde plus réel. Il en n'avait jamais parlé à Jacobs. Jacobs était parti en lui laissant un mot pour lui apprendre qu'il avait une opportunité professionnelle à Joplin. Hugh était fasciné par les prismatiques mais il ne voulait pas que ça recommence. Jamie partit enregistrer une session. Il donna rendez-vous à Hugh le soir même pour lui raconter son histoire. Il avait décidé de garder pour lui les rêves avec les membres de sa famille défunts. Mais il était d'accord pour partir en voir Jacobs avec Hugh. Après la session, Jamie consulta Internet pour trouver des renseignements sur Jacobs. Il découvrit que Jacobs était devenu célèbre depuis une dizaine d'années. Wikipédia le qualifiait de « Oral Roberts du XXIe siècle ». Il avait un programme télévisé hebdomadaire : « le pouvoir de guérison de l'Évangile ». Les spectacles étaient enregistrés lors de ses Revivals sous la tente à l'ancienne avec laquelle il sillonnait pratiquement tout le pays. Sur les photos, Jamie pouvait voir Jacobs grisonner et vieillir mais jamais l'éclat de ses yeux ne changeait : fanatique et blessé.

 

Une semaine avant leur départ pour aller voir Jacobs, Jamie demanda à Georgia le numéro de téléphone de sa fille Brianna qui étudiait l'informatique à l'université du Colorado. La conversation qu'il eut avec Bree fut extrêmement intéressante.

 

VIII

 

Sous la tente.

 

120 km séparaient Nederland du comté de Norris. Hugh et Jamie auraient largement le temps de parler. D'abord, le voyage fut silencieux puis Hugh éteignit brusquement la radio. Hugh demanda à Jamie si son frère Conrad avait eu des effets secondaires après avoir été guéri de sa perte de voix. Conrad n'avait rien eu après sa guérison mais parce que le procédé employé par Jacobs était un placebo. Jamie lui dit qu'il avait fait des recherches sur Internet sur Jacobs avec l'aide de la fille de Georgia. Hugh pensait que la plupart des guérisons ressemblaient à celle de Conrad. C'étaient des gens qui souffraient de maladies psychosomatiques qui décidaient d'être guéries quand pasteur Danny les touchait de ses anneaux magiques. Jamie avait découvert un site Internet traitant Jacobs de charlatans. Des centaines de gens y avaient posté des commentaires prétendant que les tumeurs cancéreuses extraites par pasteur Danny étaient des foies de porc. Danny avait beau avoir interdit les photos, des tas de photos avaient quand même filtré. Mais Jamie pensait que tout cela ne signifiait pas que tout ce que faisait Jacobs était faux. Hugh expliqua Jamie qu'il avait eu des accès de somnambulisme et des mouvements involontaires. Quant à lui, il avait eu des trous noirs et des prismatiques. La fille de Georgiana avait fait des recherches sur Cathy Morse. La petite Morse avait prétendu ne se souvenir de rien et le juge l'avait crue. Hugh demanda à Jamie si Jacobs faisait tout cela pour l'argent. Jamie répondit que Jacobs n'était pas intéressé par l'argent. Il n'était plus intéressé par Dieu non plus. Ce qui comptait pour Jacobs c'était sa femme et son fils et les expériences. Il avait donc besoin d'argent pour continuer ses expériences et son spectacle de fête foraine ne suffisait plus. Au fond, il ne savait pas ce que cherchait Jacobs. Peut-être que Jacobs ne savait pas non plus. Quand ils arrivèrent à la fête du comté de Norris, ils trouvèrent le chapiteau déjà installé. Au-dessus, on pouvait voir une immense croix électrique imitant des néons de barbier. De l'intérieur, on entendait le son d'une formation gospel et des battements de mains. La brigade des fauteuils roulants était installée au premier rang. Devina Robinson et son groupe officiaient  sur la scène.

 

Hugh et Jamie s'installèrent dans le fond. Le chapiteau dont la capacité devait dépasser les 1000 personnes était déjà complet. Puis Al Stamper monta sur scène. Hugh le connaissait mais le croyait mort car il s'était beaucoup drogué. Il confia au public avoir été un grand pécheur. Il n'était plus qu'un gros mangeur. Il vanta les mérites de Jacobs. Il prétendit que c'était lui qui l'avait guéri de ses addictions. Il entama un cantique qui rappela à Jamie son enfance. Puis il chanta un gospel avec les Gospel Robins. La foule se leva en battant des mains à les enflammer. Les lumières commencèrent à baisser. Puis Danny Jacobs entra en scène. Jamie trouva qu'il avait changé. Il avait maigri. Ses yeux paraissaient plus petits. Il ressemblait désormais à un ancien maître d'école de Nouvelle-Angleterre sur le point de battre avec des verges un élève indiscipliné. Quand il se mit à sourire, la foule applaudit. Il demanda au public de se recueillir dans la fraternité. Le chapiteau devint silencieux et tous les yeux étaient braqués sur lui. Il était venu apporter une bonne nouvelle : Dieu les aimait. Il cita des passages de la Bible. Son visage était sec alors qu'il était devant les projecteurs et portait un manteau noir. Il parla de sa femme et de son petit garçon. Mais il mentit à la foule en disant qu'ils étaient morts noyés. Jamie en fut choqué. La plupart des femmes pleuraient. Jacobs raconta s'être détourné de Dieu après la mort de sa femme et de son fils. Cela avait été un désert sans fin pour lui. Mais jamais il ne s'était éloigné du souvenir de son épouse et de son petit garçon. Il brandit sa main gauche, exhibant un anneau d'or trop large et trop épais pour être une alliance ordinaire. Il prétendit avoir été tenté par des femmes tout en restant fidèle à la mémoire de son épouse. Et Dieu lui avait envoyé une révélation. Dieu lui avait dit qu'il y avait du travail et que son travail consistait à lever les fardeaux et afflictions d'autrui. Dieu lui avait demandé de porter une deuxième alliance pour symboliser son mariage avec les enseignements de Dieu. Je lui avais demandé de marché dans le désert sans nourriture ni eau pour trouver l'alliance de son second et dernier mariage. Jamie était abasourdi. Il pensait que Jacobs ne pensait pas un mot de ce qu'il disait. Hugh observait les yeux fixes, il était médusé. Jacobs raconta avoir vu un rayon de lune briller sur un tas de pierres. C'est là qu'il avait trouvé son second anneau. La foule applaudit et cria alléluia. Jamie ne comprenait pas comment le public pouvait gober son histoire. Jamie comprit que Jacobs méprisait les gens. Ce n'était plus l'homme qu'il avait connu à Harlow. Peut-être qu'il était juste devenu indifférent aux autres. Puis Jacobs raconta ses deux premières guérisons à l'aide des alliances. Jamie détestait la mine que Jacobs avait à présent. Il détestait le manteau noir aussi. Jacobs proposa au public de prier. Il tomba à genoux avec une brève grimace de douleur. L'assemblée s'agenouilla. Pour rien au monde, Jamie n'aurait voulu attirer l'attention alors il fit comme tout le monde. Il regretta d'être venu mais il n'avait pas vraiment eu le choix. Il regrettait aussi d'avoir demandé à Georgia les coordonnées de son informaticienne de fille. Pasteur Danny se mit à prier pour les malades et les prisonniers, pour les hommes et les femmes de bonne volonté. Il pria également pour les États-Unis et pour que Dieu pénètre leurs dirigeants de sa sagesse. Enfin, il passa aux choses sérieuses en priant Dieu d'accomplir des guérisons. Et pendant ce temps, l'orchestre continuait à jouer. Il y avait de nombreux spectateurs paraissant à l'article de la mort. Devina et les Gospel Robins entamèrent un gospel. Comme par magie apparurent des placeurs avec des paniers de collecte. La plupart des gens jetaient des billets. Jamie se sentait sali mais mais on arrivait au moment auquel il voulait vraiment assister. Il sortit son carnet de notes.

 

Les guérisons allaient commencer et il avait regardé assez de vidéo sur le site de pasteur Danny pour savoir comment ça se déroulait. Bree lui avait dit que le pasteur faisait ça à l'ancienne. Une femme en fauteuil roulant se propulsa en avant. Jacobs lui demanda son nom. Elle s'appelait Rowena et souffrait d'une terrible arthrite. Jamie nota son nom. Le pasteur saisi la tête de Rowena entre ses mains et lui pressa ses anneaux contre le tempes, le visage et la poitrine. Il ferma les yeux. Soudain, la femme fut secouée de spasmes. Puis ses mains battirent l'air. Elle regardait le pasteur les yeux écarquillés de stupeur ou du contrecoup d'une décharge électrique. Puis elle se leva. La foule hurla alléluia. La femme embrassa le pasteur et plusieurs hommes lancèrent leur chapeau en l'air. Jacobs la prit aux épaules, la tourna vers les spectateurs et plongea la main dans sa poche pour récupérer son micro. Il ordonna à la femme de marcher jusqu'à son époux en glorifiant Jésus à chacun de ses pas. Cela dura une heure. Une demi-douzaine de personnes en fauteuil roulant parvinrent à se lever. Jamie nota tous leurs noms. Une femme atteinte de cataracte déclara qu'elle voyait. Un bras tordu fut redressé. Jamie pensait qu'il y avait des coups montés dans une partie de ces guérisons. Jamie donnerait tous les noms qu'il avait notés à Bree car elle s'intéressait au projet. Jacobs retira une tumeur ce soir-là. Jamie ne crut pas utile de relever le nom de ce patient parce qu'il avait bien vu l'une des mains de Jacobs plonger dans son manteau pour en retirer du foie de veau. D'ailleurs Jacobs s'empressa de le soustraire à la vue en le donnant à un de ses assistants. Il avait l'air exténué. Hugh sortit pour vomir. Il proposa à Jamie de sortir. Une fois dans la voiture, Hugh expliqua à Jamie qu'il venait de subir un prismatique. Il avait commencé à le ressentir pendant que Jacobs guérissait son dernier client. Il avait vu les couleurs quand Jacobs avait commencé à prier. Il avait vu les gens se transformer en fourmis géantes. Il ajouta qu'en regardant Jamie il l'avait vu lui aussi transformé en fourmi géante. Puis Jamie conduisit la voiture jusqu'au retour. C'est seulement à ce moment-là que Hugh demanda à Jamie de ne plus jamais prononcer le nom du pasteur devant lui. Sinon ce serait fini pour lui au studio. Jamie comprit mais cela ne voulait pas dire qu'il allait lâcher l'affaire.

 

IX

 

Notices nécrologiques au lit. Le retour de Cathy Morse. Direction Latchmore.

 

Un dimanche matin, en août 2009, Jamie lisait les notices nécrologiques avec Brianna. Ce n'était pas la première fois qu'ils s'adonnaient à ce passe-temps tout en étant au lit. Mais en septembre, Bree s'en irait à New York. Le temps qu'ils avaient passé ensemble avait été bon. C'était Brianna qui avait fait le premier pas, trois mois après le revival du comté de Norris. Elle avait 24 ans. Jamie se demandait ce que dirait la mère de Bree si elle l'apprenait. Bree répondit que sa mère avait eu une relation avec Hugh avant de devenir sa secrétaire. Bree avait remonté la piste de la grande tournée de guérison du pasteur Danny du Colorado à la Californie. Ensemble, ils avaient dressé une liste classée en quatre catégories : arnaque totale, possible arnaque, impossible de savoir vraiment et difficile de ne pas y croire. Ils avaient gain de 15 noms de guérisons probables sur 750 possibles. Ben Hicks que Jamie avait vu envoyer ses béquilles pour marcher avait été interviewé par un journal de Denver deux semaines après. Il était prof d'histoire et sa réputation était impeccable. Il était sceptique et sa tentative était un peu celle de la dernière chance. Avec sa femme, ils avaient recommencé à aller à l'église. Bree avait commencé le travail de recherche le coeur léger mais en octobre 2008, son humeur s'était assombrie. Elle avait découvert qu'un des guéris, Robert Rivard avait été hospitalisé pour des migraines en chaîne. Il avait été placé en hôpital psychiatrique. Jamie s'était rendu à Oakville dans l'espoir de le voir. Il avait fini par tomber sur un aide-soignant qui avait accepté de parler pour 60 $. Rivard avait été classé dans la catégorie des semi-catatoniques. Autrement dit un légume. Jamie et son amie avait découvert que 9 personnes sur 15 de la liste se portaient bien. Rowena en faisait partie. Ainsi que Ben Hicks que Jamie était allé interroger lui-même, cinq mois après sa guérison. Il lui avait raconté sa propre guérison au début des années 90, suivie d'effets secondaires troublants. Ben n'avait pas ressenti tout ça. Mais Jamie pensait aux autres. Patricia Farmingdale, guérie d'une neuropathie périphérique par Jacobs avait tenté de se rendre aveugle en se versant du sel dans les yeux. Stefan Drew avait été saisi de crises de marche irrépressibles après avoir été guéri d'une supposée tumeur au cerveau. L'envie lui venait brusquement, il ne pouvait pas s'empêcher de marcher. Un autre s'était suicidé après avoir attrapé le syndrome de la Tourette. Un jour, Bree avait trouvé la notice nécrologique d'une certaine Catherine Morse. Elle s'était suicidée en se jetant d'un pont. Elle n'avait laissé aucune lettre d'explication. Bree se demandait si c'était lié à Jacobs. Jamie en était convaincu. Il se demandait combien d'autres victimes de Jacobs allaient exploser au cours des prochaines années. Lui-même pouvait aussi être concerné. La mort de Catherine Morse était la dernière preuve dont il avait besoin pour sceller sa décision. Il voulait arrêter Jacobs. Bree était effrayée. Jamie aurait besoin d'elle pour savoir où Jacobs se cachait mais il ne voulait pas qu'elle l'accompagne dans son périple. Jamie et Bree se quittèrent au Labor Day. Elle avait trouvé la cachette de Jacobs. À présent il se faisait appeler Daniel Charles. Il habitait à New York dans un domaine clôturé.

 

Bree lui demanda quand il partait voir Jacobs. Il répondit que ce ne serait pas avant le mois d'octobre, le temps que Hugh lui trouve un remplaçant. Elle lui fit promettre de donner de ses nouvelles chaque jour. Elle pensait qu'il n'aurait peut-être pas besoin d'y aller car Jacobs savait qu'il avait causé du tort à des gens et peut-être qu'il ne causerait plus de tort à personne. Mais  Jamie pensait qu'il avait récolté assez d'argent pour passer à autre chose. Et ça pourrait être dangereux. Il était temps que quelqu'un lui demande des comptes sur ses agissements. Elle lui téléphona dès son arrivée. Il était content pour elle. Georgia le téléphona aussi pour lui proposer un rendez-vous. Elle savait qu'il avait couché avec sa fille. Elle était même sûre que sa fille avait parlé de sa relation avec Hugh. Elle n'avait rien contre leur relation. D'autant plus que cela avait duré quelques mois. Georgia était surtout enquête pour sa fille à cause des recherches qu'elle avait faites. Alors elle en avait parlé à Hugh qui s'était mis en colère. Georgia savait que cela avait un rapport avec le prédicateur. Elle voulait juste que Jamie laisse sa fille en dehors de tout ça. Jamie répondit qu'ils s'étaient déjà mis d'accord là-dessus. Georgia lui demanda s'il comptait aller voir le prédicateur. Il ne répondit pas. Alors elle lui demanda d'être prudent. Sa fille avait été terriblement perturbée par ce prédicateur. Jamie s'en alla et trouva un motel près de la cachette de Jacobs. Il décida que l'improvisation serait peut-être la meilleure des stratégies à adopter contre Jacobs. Il eut du mal à trouver l'endroit. Des adolescents qui vendaient des légumes lui donnèrent des indications alors il leur acheta une citrouille. Il trouva l'entrée de la résidence de Jacobs. Il appuya sur le bouton de l'interphone. Quelqu'un lui répondit que Daniel Charles ne recevait que sur rendez-vous. C'était une voix familière à Jamie. Alors il dit qu'il voulait voir Dan Jacobs. La voix répondit ne pas savoir de qui il s'agissait. Soudain, Jamie comprit à qui la voix appartenait. Alors il dit son nom et qu'il avait été présent quand Jacobs avait fait son premier miracle. Un très long silence suivit. Al Stamper lui demanda de détailler le miracle. Jamie parla de Conrad qui avait perdu sa voix. Après quoi, Charles en personne lui répondit que c'était formidable de le revoir.

 

Al Stamper lui ouvrit la porte d'entrée. Il avait encore grossi. Il dit à Jamie que son patron avait beaucoup de travail et avait été souffrant. Puis il emmena Jamie à la cuisine. Jacobs arriva en boitant légèrement. Il avait des cheveux blancs à présent. Mais ses yeux bleus étaient plus perçants que jamais. Jacobs lui demanda de ces nouvelles. Alors Jamie lui parla de sa famille. Jacobs demanda aussi de nouvelles de Hugh. Puis il demanda à Stamper d'aller chercher de la citronnade. Jamie pouvait sentir la jalousie de Stamper. Jacobs l'emmena dans sa bibliothèque. On y voyait la vallée de l'Hudson. Jacobs constata que Jamie n'avait pas retouché à la drogue. C'était sa manière de lui rappeler la dette que Jamie avait envers lui. Stamper apporta la citronnade. Jamie se moqua de sa façon de s'habiller et le chanteur sortit bruyamment. Jamie remarqua que Jacobs avait les mains qui tremblaient. Jacobs lui reprocha ses moqueries envers son assistant. Il lui dit que sa mère ne serait pas fière de lui. Il avait senti que Jamie n'était pas à l'aise. En réalité Jamie était furieux. Il se trouvait dans une demeure de luxe pour les expérimentations électriques de fin de vie de Charles Jacobs. Pendant qu'ailleurs, Robert Rivard était debout dans un coin de sa chambre avec une couche-culotte. Alors pour se calmer il pensa à Bree. Jamie constata que Jacobs avait de l'arthrite. Il demanda à Jacobs pourquoi il ne s'autoguérissait pas. Est-ce que c'était à cause des effets secondaires. D'un signe de la main, Jacobs lui fit comprendre qu'il devait arrêter ses insinuations. Il est lui demanda pourquoi il était venu le voir. En échange il lui dirait pourquoi il était content de le revoir. Jamie lui demanda simplement d'arrêter les guérisons. Jamie sentit que Jacobs savait pourquoi il était venu. Et même qu'il l'attendait. Alors Jamie lui parla de toutes les victimes qu'il avait listées. Il commença par Hugh. Jacobs lui demanda quels étaient ses effets secondaires. Jamie répondit qu'il faisait des mauvais rêves. Jamie ne réussit à surprendre Jacobs qu'une seule fois en lui parlant de Cathy Morse. Jacobs lui dit que les personnes qu'il avait guéries souffraient de troubles psychosomatiques et donc se guérissaient d'elles-mêmes.

 

Jacobs demanda à huit combien de gens pensait-il qu'il avait vraiment guéri par le biais d'une intervention électrique. Jamie répondit qui avait fait la liste et elle était plutôt courte. Jacobs avait fait sa propre liste et elle était beaucoup plus longue. Parce qu'il savait quand ça marchait. D'après lui, seulement quelques-uns souffraient par la suite d'effets secondaires. Peut-être 5 %. Jamie lui demanda s'il était au courant pour toutes les victimes dont il lui avait donné les noms à par Cathy Morse. Jacobs ne répondit pas. Évidemment, il était au courant. Pour Jacobs ce n'était que des rats de laboratoire. Jamie ajouta que si Jacobs utilisait sa mise en scène religieux c'était pour éviter d'être inquiété par la police. Il devait avoir probablement un laboratoire chez lui et si ces patients y venaient, le gouvernement l'arrêterait pour expérimentation sur des sujets humains. Les journaux le qualifieraient de Josef Mengele. Jacobs se vanta d'avoir exhibé de fausses tumeurs car c'était nécessaire. Il reprocha à Jamie de se poser en juge. Jamie rétorqua qu'il avait choisi Cathy Morse parce que c'était une fille canon pour appâter ses clients à la foire. Elle n'était pas malade ni volontaire. Jacobs prétendit qu'il pouvait y avoir une autre raison au suicide de Cathy. Il prétendit avoir arrêté ses expériences. Il pensait que la capacité d'attention des gens était limitée et que son nom finirait par être oublié. Mais Jamie ne pensait pas que Jacobs arrêterait ses recherches. Jacobs demanda à Jamie de le suivre. Il voulait lui montrer quelque chose. Jamie constata que les offrandes d'amour continuaient d'arriver chez Jacobs. Stamper était en train d'ouvrir le courrier dans lequel il y avait des billets. Stamper aurait voulu pouvoir répondre à toutes les lettres mais il n'avait pas d'ordinateur et il était seul à répondre. Jacobs ne voulait pas embaucher quelqu'un pour cela. En circulant dans la résidence, Jamie constata que des planches se fendaient par endroit et que la peinture s'écaillait. La pelouse n'avait pas été tondue depuis longtemps. Jacobs demanda à Jamie où il croyait que le labo se situait. Jamie désigna la grange la plus grande. Jacobs lui dit qu'il se trompait car à mesure que l'on progresse vers le but ultime, les infrastructures de soutien tendent à se réduire. Son laboratoire se trouvait dans une humble cabane à outils. À l'intérieur, il y avait un établi vide, quelques carnets et un ordinateur. Il y avait aussi des boîtiers métalliques qui bourdonnaient. Par terre était posé un caisson vert avec un écran posé dessus. Jacobs frappa dans ses mains et l'écran s'alluma, affichant une série de colonnes rouges, bleues et vertes. Jamie demanda où se trouvaient ses instruments et ses machines. Jacobs répondit que c'était l'ordinateur et il désigna sa propre tempe. Il prétendait que son laboratoire était l'établissement de recherche électronique le plus perfectionné du monde. Il produisait de l'électricité par géothermie. Jamie ne voulait pas le croire. Pourtant Jacobs affirma pouvoir alimenter toute la baie de l'Hudson. Mais générer de l'énergie ne l'intéressait pas. Il voulait laisser le monde suffoquer sur ses propres déjections. L'énergie géothermique était une impasse pour l'objectif qu'il poursuivait. Jamie avait compris que son installation fonctionnait à l'énergie secrète. Jacobs avoua que depuis son départ de Harlow, sacs et c'était la recherche et la maîtrise de potestas magnum universum, la force actionnant l'univers. Tout ce qui intéressait Jamie était de savoir si Jacobs allait arrêter ses guérisons. Jacobs prétendait que bientôt la fission nucléaire serait rétrogradée au rang de vilaine demoiselle d'honneur et la fusion deviendrait la belle mariée. Jacobs déplorait que l'électricité soit désormais considérée comme une antiquité.

 

Jamie lui dit que tout cela commençait à lui foutre les jetons. Mais Jacobs n'y prêta aucune attention. Jacobs prétendit que d'autres avaient commencé à visiter des salles remplies d'objets d'une surnaturelle beauté. Tout en gardant secrètes leurs découvertes. Il prétendait avoir découvert une source d'énergie bien plus puissante que le nucléaire. Jamie lui demanda comment son énergie fonctionnait. Il voulait savoir ce qu'il comptait faire avec son énergie. Jacobs semblait en transe et ne répondit pas tout de suite. Il se dégagea de Jamie qui l'avait saisi et se mit à faire les 100 pas en reprenant son ton de conférencier. Il dit qu'il avait d'abord utilisé du palladium pour sa guérison puis de l'osmium. Ensuite, il avait utilisé un alliage de ruthénium et d'or ce qui lui avait permis d'utiliser des anneaux plus petits et plus puissants. Puis Jacobs proposa à Jamie de sortir. Jamie était ébranlé. Il ne comprenait pas le courant utilisé par Jacobs mais il mettait son sang en effervescence. Cela fit rire Jacobs. Jamie demanda à Jacobs pourquoi il avait fait croire que sa femme et son fils  étaient morts noyés. Tout à coup, le visage de Jacobs exprima une rage sombre et profonde. Il répondit que les gens ne méritaient pas la vérité. C'était très bien comme ça car selon lui les gens ne voulaient pas la vérité. Ils voulaient seulement être guéris. Ils retournèrent dans la bibliothèque. Il dit à Jamie que la raison pour laquelle il était content de le voir c'était parce qu'il voulait l'embaucher. Stamper ne voulait pas le suivre dans ses expériences scientifiques pensant que c'était une abomination. Il proposa de tripler le salaire que Hugh lui offrait. Jamie était abasourdi. Il voulait savoir quel était le but de Jacobs. Jacobs refusa de le lui dire tant qu'il ne travaillerait pas avec lui. Mais Jamie le salua et voulut partir. Jacobs était déçu et fâché. Il ne comprenait pas pourquoi il avait fait toute cette route pour venir rabrouer vieil homme fatigué qui lui avait sauvé la vie. Jamie lui demanda ce qu'il ferait si cette électricité secrète échappait à son contrôle. Jacobs refusa de croire que cela arriverait. Alors Jamie évoqua Tchernobyl. C'était un coup bas pour Jacobs et il le congédia. Jamie lui dit qu'il éprouvait de la gratitude pour ce qu'il avait fait pour lui mais il ne voulait pas travailler pour un homme qui se vengeait sur des gens brisés parce qu'il ne pouvait se venger sur Dieu d'avoir tué sa femme et son fils. Jacobs devint blême. Alors Jacobs lui dit qu'ils n'en avaient pas terminé. Jamie s'en alla. Puis il téléphona à Bree. Elle lui demanda si tout allait bien. Jamie acquiesça. Il raconta tout y compris que Jacobs lui avait offert un boulot. Elle parla de New York. L'enthousiasme que Jamie avait perçu dans sa voix l'avait vieilli d'un coup. Il se rendit compte qu'il avait oublié de donner à Jacobs la citrouille qu'il avait achetée aux adolescents.

X

 

Mariage. Comment faire bouillir une grenouille. Tournée des retrouvailles. « Lis ça : ça devrait intéresser. »

 

Jamie parla plein de fois au téléphone avec Bree mais ne la revit à avant le 19 juin 2011 pour son mariage. Ils évoquaient encore Jacobs. Ils avaient identifié une demi-douzaine d'autres cas associés à des effets secondaires. Puis, petit à petit, leurs conversations tournèrent autour du travail. Elle lui avait parlé de celui qui allait devenir son mari George Hugues. C'était un avocat d'affaires haut placé. Le site du pasteur Danny avait été fermé. Il n'y avait presque plus d'échanges sur Internet à son propos. Stamper avait repris la musique et la résidence de Jacobs avait été louée. Hugh était venu au mariage avec toute l'équipe du studio. Jamie discuta avec le mari de Bree. Il n'eut pas l'impression que Bree lui avait racontée qu'il était une vieille bagnole sur laquelle elle s'était entraînée. Hugh offrit à la mariée un voyage à Hawaï. Charles Jacobs n'avait jamais vraiment quitté les pensées de Jamie. On lui proposa de jouer de la guitare pour le bal du mariage mais il refusa. Il n'avait pas joué en public depuis plus d'un an. Pourtant il éprouva de la nostalgie en regardant le groupe jouer. Georgia le sentit et lui prit la main. Il lui dit que l'époque où il montait sur scène avec une guitare devant un public était révolue. Il se fourrait le doigt dans l'oeil.

Le soir de ses 56 ans, Jamie fut invité à dîner par Hugh et sa copine. Jamie pensait que pour la plupart des gens, les délires trompeurs de la vie commençaient à s'atténuer après 50 ans. Les journées passaient plus vite et les douleurs se multipliaient. Mais il y avait des compensations. Comme une plus juste appréciation des choses. Jamie était déterminé à être le mec le plus réglo possible. Il était impliqué dans un foyer de sans-abri et soutenait trois ou quatre personnalités politiques défendant l'idée radicale que le Colorado n'était pas fait pour être bétonné. Il se maintenait physiquement en faisant du tennis et du vélo. En retournant à Harlow en 2013 pour comprendre la vérité, il se rendit compte qu'il n'était lui aussi qu'une grenouille dans la marmite. Il était entré dans l'eau froide mais elle avait chauffé progressivement et il avait été trop stupide pour s'en rendre compte. La bonne nouvelle était que l'eau était encore tiède. Le 1 9 juin 2013,1 an après la naissance du premier enfant de Bree et de George Hugues, Jamie avait trouvé dans sa boîte aux lettres une enveloppe décorée de ballon. C'était une lettre de son frère Terry. C'était une invitation pour son 35e anniversaire de mariage et pour le premier anniversaire de sa petite fille. Terry avait ajouté une note manuscrite pour lui dire que son petit frère lui manquait. Mais il n'avait aucune envie de revenir à Harlow. Il avait une femme de ménage qui s'appelait Darlene et qui venait une fois par semaine. Elle avait repêché l'invitation du panier « un de ces jours » qui servait à Jamie pour le courrier auquel il ne répondait jamais. Darlene avait posé l'invitation sur la table de la cuisine. Alors Jamie envoya un message à son frère pour lui dire qu'il viendrait. Ce fut un super week-end et il se demanda comment il avait pu imaginer décliner l'invitation. Il fut émerveillé de revoir sa ville. C'était comme si son enfance était encore là. Il constata que la maison familiale avait été agrandie. Sa famille était attablée dans la salle à manger. Il y avait eu du mal à reconnaître son frère Terry et son frère Connie. Connie l'étreignit puis Terry il rejoignit dans l'étreinte. Connie pleura. Il se mirent à danser et Jamie trouva ça bon.

 

Connie lui présenta son collègue de l'université d'Hawaï. Il réalisa pour la première fois que son frère était gay. Il était sûr que ses parents l'avaient su beaucoup plus tôt. Il se rappela que son père lui avait dit une fois qu'il priait pour ce foutu sida. Dawn, la fille de Terry et Annabelle les rejoignit avec Cara Lynne dans les bras. Jamie demanda à prendre le bébé dans ses bras. D'habitude le bébé se mettait à hurler quand c'était quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Mais il n'en fut rien. Le lendemain, d'autres personnes arrivèrent à la fête. C'étaient les employés de Terry qui avait agrandi l'affaire de son père. Il possédait une chaîne d'épiceries. Il possédait également le circuit automobile de Littleton. Jamie réalisa soudain que son frère était riche. Jamie se retrouva à trimbaler Cara Lynne tout l'après-midi et elle avait fini par s'endormir sur son épaule. Voyant ça, son papa était venu le libérer de son fardeau. Il n'en revenait pas. Le bébé était plutôt sauvage avec les gens d'habitude. La fête se déplaça vers la grange Eurêka. Il y avait une piste de danse. Cela fit remonter les souvenirs de Jamie. Il se rappela de son premier concert. Il attrapa un dessert pour aller le manger à l'extérieur. Il se retrouva devant l'escalier de secours sous lequel il avait embrassé Astrid pour la première fois. Norm apparut. Il avait bien changé. Il proposa à Jamie de jouer de la guitare. Il donna des nouvelles de Kenny et de Paul. Kenny était devenu agent d'assurances. Il était présent à la fête. Paul s'était tué en faisant de l'escalade en 1990. Astrid avait laissé tomber l'université pour se marier puis divorcer. Trois Chromes Roses sur quatre, c'était pas mal, surtout qu'ils avaient donné leur dernier grand concert 35 ans plus tôt. Quand Jamie monta sur scène, il avait vraiment l'impression de vivre un rêve particulièrement vivant. Kenny annonça que les Chromes Roses étaient reconstitués. Jamie se rappela de comment était la vie avant qu'il ne s'aperçoive qu'il était une grenouille dans une marmite. Ils firent une pause à 23:00. La plupart des irréductibles s'étaient assis, heureux d'écouter mais trop crevés pour danser. Norm trouvait Jamie bien meilleur qu'avant. À 14 ans, Jamie n'aurait jamais cru qu'un jour viendrait où il sera meilleur guitariste que Norm mais ce jour était arrivé. Jamie raccompagna son neveu. Il se demanda s'il dormait dans son ancienne chambre.

 

Terry était dans la remise. Il avait changé ses fringues de soirée contre une combinaison. Il lustrait une Chevrolet Chevelle SS de la fin des années 60. Il l'avait achetée aux enchères pour la faire revivre. Ils évoquèrent la Fusée du Macadam I. Duane Robichaud était mort d'un cancer. Jamie demanda à son frère s'il pensait souvent à Claire. Terry répondit qu'il y pensait tous les jours et aussi à Andy, mais moins souvent. Mais il ne voulait pas en parler car ça le bouleversait. Il venait de passer une bonne mais néanmoins longue et stressante journée. Jamie regretta d'avoir évoqué le souvenir de Claire. Terry lui proposa de rester passer la nuit mais jamais il ne pouvait pas car il avait promis à Connie de prendre le petit déjeuner à l'auberge avec lui et son compagnon. Terry n'aimait pas le compagnon d'Andy pensant que c'était un gigolo car il était beaucoup plus jeune que lui. Terry dit à son frère qu'il avait assuré à la guitare. Jamie le remercia et se dirigea vers sa voiture. Terry le rappela pour lui rappeler le Terrible Sermon. Terry  aurait voulu revoir le pasteur pour lui serrer la main quand il pensait à Claire. Terry pensait que chaque mot du pasteur prononcé ce jour-là était juste. Le lendemain, Jamie déjeuna avec sa famille. Cara Lynne était sur ses genoux pendant presque tout le repas. Quand il la rendit à sa maman, la fillette tendit les bras vers lui. Jamie lui dit qu'il devait s'en aller et elle se mit à pleurer. Elle avait les mêmes yeux que la mère et la soeur de Jamie. Alors Jamie s'en alla. Pendant le voyage du retour, Jamie pensa à Cara Lynne. Elle avait à peine un an mais elle avait voulu qu'il reste un peu plus. C'était comme ça qu'on savait qu'on était chez soi.

 

En mars 2014, une alerte au blizzard monstre fut relayée par la météo. Jamie aida Hugh et Mookie à barricader les studios et la grande maison. Avant de repartir, Jamie prit le temps de distribuer quelques tranches de pommes aux chevaux mêmes si Bartleby était mort depuis trois ans. Puis il déposa Mookie à sa pension de famille. Le vent soufflait et la neige tombait dru. Nederland était désert. Quand il rentra chez lui, il découvrit une enveloppe dans sa boîte aux lettres. Il reconnut l'écriture de Jacobs. La lettre avait été postée de Motton à côté de Harlow. Cela alarma Jamie. Il avait envie de la déchirer en morceaux, ouvrir la porte pour laisser le vent éparpillé les fragments. Longtemps après, il s'imaginait encore le faire et se demandait ce qui aurait pu être changé. Mais au lieu de ça, il ouvrit et lut. Jacobs lui annonçait avoir subi un AVC à l'automne 2012 et un autre, un peu plus sérieux, lors du dernier été. Il prévenait Jamie et s'il refusait de répondre il lui enverrait un émissaire. Il lui redemandait d'être son assistant. Son travail était dans sa phase finale. Il restait une ultime expérience. Il ne voulait pas la réaliser seul. Il avait besoin d'un témoin. Cette expérience avait un intérêt presque aussi grand pour Jamie que pour lui selon Jacobs. Jacobs savait que Jamie allait accepter. Jamie avait le sentiment qu'il était trop tard pour reculer à présent. Il y avait une autre lettre à l'intérieur de l'enveloppe. Elle était dans une plus petite enveloppe. Il reconnut tout de suite l'écriture. Il eut un malaise qui se dissipa. C'était une lettre d'Astrid qui souffrait d'un cancer du poumon. Sur les conseils d'une amie infirmière, Jenny, elle avait écrit à Jacobs. Jamie avait la tête qui cognait. Pour la première fois depuis des années, il regrettait de ne pas être un drogué. Il ferma les yeux et repensa à Astrid quand son visage était jeune et radieux. Puis il rouvrit les yeux et lut le mot que Jacobs avait rajouté en-dessous. Il avait lu le dossier médical d'Astrid et prétendait pouvoir la sauver. Mais il lui restait peu de temps. Jamie devait décider tout de suite.

 

Jamie se demanda pourquoi Jacobs ne lui avait pas téléphoné si c'était si urgent. Il savait pourquoi. Il voulait que le temps presse parce que ce n'était pas d'Astrid qu'il se souciait. Elle était juste un pion sur son échiquier. Alors que Jamie était l'une de ses pièces maîtresses sans savoir pourquoi. Jacobs lui laissait son numéro de fixe et son numéro de portable. Si Jamie acceptait de l'appeler, Jacobs téléphonerait à Astrid. Alors il monta dans son appartement pour téléphoner. Immédiatement Jacobs répondit. Jamie le traita de salopard. Mais Jacobs voulait juste connaître sa décision. Sa question était de pure forme. Jamie lui répondit qu'il serait là aussi vite que possible. Il était d'accord pour que Jacobs soigne Astrid mais il ne devrait pas la laisser partir de chez lui avant que Jamie l'ait vue. Jacobs semblait déçu que Jamie ne lui fasse pas confiance. Mais il était passé maître dans l'art de projeter les émotions. Jamie lui dit qu'il l'avait vu à l'oeuvre. Pourquoi est-ce qui lui ferait confiance. Il pensait que la vie était une roue qui revenait toujours à son point de départ.

 

XI

Goat Mountain. Elle attend. Mauvaise nouvelle du Missouri.

 

Six mois après la brève réincarnation des Chromes Roses, Jamie reprit la route de Castle. Pas pour aller à Harlow cette fois. Il s'arrêta à Longmeadow où il allait pique-niquer avec l'UJM. Il n'avait pas le temps d'aller revisiter la cabane en ruine où Astrid et lui avaient perdu leur virginité. De toute façon, la route était interdite. Il arriva à la loge de Goat Mountain. Il y avait là un gardien en uniforme. Il était armé. Puis Jacobs sortit de la loge. Il avait maigri et son côté gauche était paralysé. Il monta dans la voiture de Jamie. Jamie demanda si Astrid était là. Jacobs acquiesça. Mais il ne l'avait pas encore soignée. Jamie pourrait la voir quand elle irait manger au restaurant car il y avait des caméras de surveillance. Jacobs avait acheté la station de ski. Jacobs jubilait car il trouvait que Jamie s'était montré hautain la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Jamie se sentait piégé. Il était là à cause d'une fille qu'il n'avait pas revue depuis 40 ans. Jamie lui demanda s'il la laisserait vraiment mourir. Jacobs acquiesça. Jamie lui demanda pourquoi il le considérait si important. Jacobs lui répondit qu'il était sa destinée. Il l'avait su la première fois qu'il avait vu Jamie, à genoux devant la maison de ses parents à touiller la terre. Jamie lui demanda si ce qu'il faisait était dangereux.

 

 

Jacobs sembla réfléchir à l'opportunité ou non de lui répondre. Mais ils arrivèrent devant l'hôtel Goat Mountain. Jacobs avait réservé une suite pour Jamie. Il fut accompagné par Rudy Kelly, un infirmier qui était également assistant personnel de Jacobs. Jamie était venu dans l'hôtel quand il était enfant mais il n'était jamais monté dans les étages. L'atmosphère d'abandon était notable. Sa suite sentait le moisi mélangé à l'odeur de la peinture fraîche du hall d'entrée. Rudy lui dit que Jacobs l'attendrait à 18 h dans son appartement pour le dîner. Une fois seul, Jamie n'arrêtait pas de penser Astrid. L'appartement de Jacobs était situé au rez-de-chaussée. Il accueillit Jamie en souriant. Il avait renoncé à la viande depuis deux ans. Jamie devrait se contenter d'une soupe et d'une salade. Jamie demanda à voir Astrid. Jacobs lui dit que Jenny lui avait retiré sa confiance. Pourtant il avait guéri Jenny de son arthrite. Mais elle était devenue soupçonneuse en découvrant que Jacobs avait abandonné tout son décorum religieux. Jamie voulut savoir si Jenny souffrait d'effets secondaires. Jacobs répondit que ce n'était pas le cas. Puis Jacobs emmena Jamie dans son bureau. L'ordinateur était allumé, l'écran extra large affichait toujours des chevaux galopants. Quand Jacobs toucha le clavier, les chevaux cédèrent la place à un simple bureau bleu sur lequel il n'y avait que des enculés dossiers nommés A et B. Il cliqua sur A qui contenait une liste de noms et d'adresses. C'était sa liste de guérisons vérifiées par l'administration de courant électrique sur le cerveau. Il y avait plus de 3000 guérisons. Jamie le croyait. Dans le dossier B, il y avait aussi des noms et des adresses mais la liste était beaucoup plus courte. C'était les gens qui avaient éprouvé des effets secondaires. Il y en avait 87. Jacobs tentait de rassurer Jamie car il voulait avoir un assistant consentant plutôt qu'un assistant réticent. Jamie lui dit qu'il tiendrait sa promesse. À condition qu'il parvienne à guérir Astrid. Une femme entra pour apporter le dîner. Elle s'appelait Norma. Jacob prétendit l'avoir guérie d'un problème psychologique. Elle avait une aversion profonde pour le contact physique avec autrui. Pas complètement, d'après Jamie car il avait gardé sa main dans celle de la femme un peu plus longtemps que nécessaire quand elle l'avait salué. Il avait noté son malaise. Après le dîner, Jacobs emmena Jamie voir Astrid. Il l'emmena dans la salle des écrans de contrôle. Jamie regarda l'écran qui montrait le restaurant. Il vit ce quil restait de la première fille qu'il avait aimée Astrid était une vieillarde en fauteuil roulant. Jenny lui avait mis un grand bonnet sur la tête mais celui-ci avait glissé sur le côté et on pouvait voir un crâne chauve duveté de blanc.

 

Elle avait du mal à boire sa soupe. Jamie ressentit le besoin de s'asseoir en voyant cette scène. Pendant ce temps-là, Jacobs souriait. Jamie pensait qu'il n'aurait pas tenir sa part du marché diabolique conclu avec Jacobs. Il n'y avait aucun moyen de ressusciter la femme dans le fauteuil roulant. Il demanda à Jacobs d'éteindre l'écran. Pendant la nuit, il fit un cauchemar et quand il se réveilla il constata que le stress avait fait revenir les effets secondaires. Il était en train de s'infliger des coups répétés de stylo sur l'avant-bras gauche. Incapable de se rendormir, il regarda les ténèbres du dehors. Le lendemain matin, il prit le petit déjeuner avec Jacobs. Jacobs lui montra ses instruments de guérison. Il n'utilisait plus les alliances. Il allait soigner Astrid mais Jamie n'était pas obligé d'assister à ça. Il lui conseilla d'aller rendre visite à sa famille. Jamie n'avait aucune intention de se défiler et de laisser Jacobs effectuer une guérison bidon. Alors que Jacobs lui dit que ce serait sympa de retravailler avec lui comme au bon vieux temps. Le courage manqua temporairement à Jamie quand il se trouva devant la salle où Jacobs voulait opérer. Mais il se reprit. Il vit qu'Astrid portait un masque à oxygène. Astrid regarda Jamie avec le regard plein de désintérêt de celle qui consacre toute son énergie à surmonter sa douleur. Puis sa tête se redressa en sursaut. Sa bouche s'ouvrit sous le masque transparent qu'elle déplaça. Elle cacha son visage de ses mains car elle ne voulait pas que Jamie la voie dans un tel état. Elle se mit à pleurer. Ses larmes lavèrent ses yeux. C'était bel et bien Astrid. C'était toujours la jeune fille qu'il avait aimée. Elle prononça son prénom. Alors Jamie posa un genou en terre et il prit l'une de ses mains, la retourna pour en baiser la paume. Elle ne voulait pas qu'il reste pour  la regarder  Alors il la rassura. Jacobs avait attiré Jenny a l'écart pour accorder un moment d'intimité à Jamie et à Astrid. Le côté infernal de la vie avec Jacobs, c'est que parfois il savait se montrer tendre et prévenant. Astrid lui dit que sa façon de se tuer était vraiment idiote et le plus drôle c'était qu'elle avait encore envie de fumer. Elle lui apprit qu'elle avait arrêté de fumer pendant sept mois pendant sa grossesse mais elle avait perdu le bébé. Elle croyait que quelque chose se jouait de nous. Alors Jamie lui dit que c'était merveilleux de la revoir. Elle lui dit qui dit qu'il était un sacré menteur et lui demanda avec quoi Jacobs le tenait. Il ne répondit pas. Elle constata qu'il n'avait pas perdu ses cheveux contrairement à elle. Jacobs annonça qu'il était temps de commencer. Il dit à Astrid qu'elle allait probablement s'évanouir. Elle aurait voulu s'évanouir définitivement.

 

Jamie ouvrit le coffret contenant les instruments de Jacobs. C'était deux tiges d'acier avec un embout en plastique noir et un boîtier de contrôle blanc avec un bouton-curseur sur le dessus. Jacobs fit se toucher les tiges puis il demanda à Jamie de prendre le boîtier de contrôle et de déplacer très légèrement le curseur. Jacob écarta l'un de l'autre les embouts en plastique. Il y eut une brillante étincelle bleue puis un bourdonnement. Jacobs demanda à Jenny de placer ses mains sur les épaules d'Astrid. Jenny demanda où il avait mis ses alliances sacrées. Il répondit que sinstruments étaient plus efficaces que les alliances. Il prétendit utiliser une énergie inconnaissable. Puis Jacobs chassa les tiges sur les tempes d'Astrid. Il demanda à Jamie de déplacer le curseur. Au bout de quatre clics, Jamie devrait arrêter. Astrid eut le temps de dire : « c'était chouette de te revoir, Jamie ». Jamie déplaça le curseur et compta les clics. Rien ne se produisit. Jacobs lui demanda d'avancer de deux clics supplémentaires. Toujours rien. Alors Jacobs lui demanda d'opérer un clic supplémentaire. Cette fois, le bourdonnement qui monta de l'autre côté de la pièce fut beaucoup plus fort. Durant un instant, Jamie fut aveuglé. Jenny cria. Astrid convulsa si fort que Jenny fut propulsée en arrière. Une alarme de sécurité se déclencha. Rudy arriva en courant avec Norma. Jacobs reprocha à Rudy de ne pas avoir coupé l'alarme. Les bras d'Astrid s'agitèrent au-dessus de sa tête. Jacobs s'empara du boîtier de contrôle et repoussa le curseur dans sa position initiale. Astrid émit des hoquets étranglés. Jacobs avait le regard brillant. Il semblait rajeuni de 20 ans. Puis il demanda à Norma de sortir pour annoncer à la sécurité que le déclenchement de l'alarme était accidentel.

 

Astrid ouvrit les yeux. Elle battait des bras comme un nageur en train de se noyer. Jamie la retint et la repoussa dans son fauteuil avant qu'elle ne tombe. Elle s'était pissée dessus. Elle avait de l'écume au bord des lèvres. L'alarme fut arrêtée. Jenny ordonna à Jacobs d'appeler un médecin. Il lui demanda d'accorder à Astrid encore une minute. Astrid dit qu'il y avait une porte dans le mur. Sa voix n'était plus enrouée. Elle dit à Jacobs qu'il ne pouvait avoir la petite porte parce qu'elle était couverte de lierre. Elle annonça que quelqu'un attendait au-dessus de la ville détruite. Jacobs demanda qui. Astrid le regarda et lui répondit : « pas celle que vous voulez ». Alors Jacobs la gifla. Il voulait recommencer mais Jamie l'en empêcha. Jenny voulait s'en prendre à Jacobs mais Astrid lui demanda d'arrêter. À présent, sa voix était claire. Astrid se rendit compte qu'elle était guérie. Elle ne ressentait plus de douleur. Elle pouvait respirer. Alors Jenny s'agenouilla et récita le Notre Père. Norma elle aussi était à genoux. Astrid voulut se lever mais ses jambes étaient atrophiées. Jamie lui dit qu'elle était encore trop faible pour se lever. Semblant se réveiller, elle lui demanda si c'était bien lui. Alors Jacobs expliqua à Jamie que la perte de la mémoire à court terme n'était pas rare après le traitement. Jacobs demanda à Astrid qui était le président. Elle répondit Obama. Elle se sentait réellement mieux. Elle voulait savoir si ça allait durer. Jacobs acquiesça. Astrid était étonnée que Jamie ait les cheveux blancs. Elle se souvenait qu'il était musicien mais ne dansait bien que quand il était stone. Elle pleurait. Les muscles sous sa peau semblaient se raffermir et se tendre à vue d'oeil. C'était merveilleux et affreux. Jacobs lui redemanda ce qu'était cette porte dans le mur dont elle avait parlé. Elle ne s'en souvenait pas. Alors il lui demanda de se reposer. Mais elle avait envie de danser de joie. Jamie avait dans l'idée que Jacobs était profondément déçu de l'échec d'Astrid à se rappeler la porte et la ville. Mais Jamie n'avait pas envie de savoir ce qu'elle avait vu quand l'électricité secrète de Charlie s'était engouffrée dans son esprit. Il craignait de ne le savoir que trop bien. Elle avait parlé de la Mère. Au-dessus du ciel de papier.

 

Astrid dormit plusieurs heures. À son réveil, elle avait faim. Jacobs en fut ravi et demanda à Norma de préparer un croque-monsieur et du gâteau pour Astrid. Elle avait envie de rentrer chez elle. Elle dit à Jacobs qu'elle le bénirait dans ses prières. Il était d'accord pour qu'elle rentre chez elle. Jenny semblait soulagée. Elle voulait s'en aller tout autant qu'Astrid, quoique pas forcément pour les mêmes raisons. Astrid proposa à Jacobs de le remercier. Il pouvait lui demander ce qu'il voulait. Il répondit il voulait qu'elle mange, qu' elle dorme et qu'elle récupère ses forces. Elle promit de ne plus jamais toucher une seule cigarette. Il répondit qu'elle n'en aurait plus envie. Il demanda à Jenny d'engager un kinésithérapeute pour Astrid. Il meurt demanda de le laisser en dehors de tout ça. Il ne voulait pas avoir afffaire à des hordes de malades. Astrid devrait simplement à son médecin qu'elle avait prié pour une rémission. Astrid demanda à Jamie de lui ramener un coca car elle voulait parler avec lui. Quand elles furent parties, Jacobs dit à Jamie qu'il devait conclure leur marché. Jamie était d'accord. Il avait constaté que Jenny ne l'aimait plus tellement depuis qu'il avait abandonné Jésus. Jamie avait constaté qu'elle avait peur de lui. Jacobs apprit à Jamie qu'il aurait été incapable de guérir Astrid cinq ans plus tôt. Il avait envie de faire quelque chose dès cet été.

 

Jamie tendit son verre de coca à Astrid. Elle avait l'impression qu'elle lui devait autant qu'à Jacobs. Il reconnut que Jacobs l'avait contacté. Elle voulait savoir pourquoi il avait accepté de venir. Il lui dit qu'à une époque elle était tout pour lui. Elle lui demanda s'il avait promis quelque chose de spécial à Jacobs. Il mentit en disant qu'il n'y avait absolument aucun marché. Elle posa sa main sur le devant du jean de Jamie. Elle lui était reconnaissante d'avoir été doux pour sa première fois. Lui aussi était tout pour elle. Ses yeux étaient pleins de vitalité et d'inquiétude. Elle sentait qu'il avait promis quelque chose à Jacobs. Elle lui conseilla de se méfier de lui car il était dangereux. Il chercha à rassurer. Elle lui réclama un baiser. Comparé à ce qu'elle avait été le matin même, elle était magnifique. Il l'embrassa. Il ne restait nulle braise sous les cendres. Mais il n'en restait pas moins lié l'un à l'autre. Jacobs était le noeud. Elle lui caressa la nuque. Elle le remercia.

 

Jamie parla avec Jenny. Il voulait savoir si elle habitait assez près de chez Astrid pour surveiller ses progrès. Jenny lui répondit qu'elle avait emménagé avec elle quand elle était tombée malade. Alors Jamie lui donna son numéro de téléphone. Il voulait prévenir Jenny qu'Astrid pouvait avoir des effets secondaires. Elle était au courant. Jacobs l'avait prévenue. Astrid pourrait avoir des crises de somnambulisme. Jamie pensa qu'il pouvait y avoir bien plus que ça. Alors il demanda à Jenny de le prévenir s'il y avait quoi que ce soit d'autre. Elle lui demanda à quoi elle devait s'attendre. Il ne le savait pas vraiment. Jenny embrassa Jamie sur la joue. Jamie regarda partir Astrid et Jenny. Astrid le remercia encore. Il embrassa Astrid sur le front. Il lui conseilla de profiter de la vie. Elle lui répondit : « fais attention ». Il voulait qu'elle ne s'inquiète pas. Mais elle lui dit que ce serait le cas. La maladie désormais bannie du corps d'Astrid permit à Jamie de voir en elle la jeune fille de naguère qu'il avait embrassée sous l'escalier de secours. Jamie rejoignit Jacobs. Jacobs se demandait si ces femmes sauraient garder le secret. Il demanda à Jamie s'il tiendrait sa promesse. Il acquiesça. Jacobs lui proposa de rester encore cette nuit mais Jamie refusa. Jacobs lui dit qu'ils avaient passé une bonne partie de leurs vies à se heurter l'un à l'autre comme deux boules de billard, mais cette situation allait bientôt se terminer.

 

Jamie retourna chez lui le lendemain. Il avait reçu un message de Jenny. Astrid allait bien. Elle avait rajeuni. Il avait reçu un message de Bree. Elle lui annonçait que Robert Rivard était mort. Il s'était pendu dans sa chambre. Il avait laissé un mot : « je n'arrête pas de voir les âmes damnées. Elles défilent pour l'éternité.

 

XII. Livres interdits. Mes vacances dans le Maine. La triste histoire de Mary Fay. L'arrivée de la tempête.

 

Six semaines plus tard, Jamie recevait un courriel de Bree. Elle se souvenait que Jamie lui avait raconté que Jacobs lui avait parlé d'un livre intitulé De Vermis Mysterris. Cela signifiait les mystères du ver. Bree n'avait pas pu s'empêcher de se renseigner sur ce livre. Elle n'avait rien dit à son mari. Pour l'Eglise catholique, ce livre figurait sur une liste de six livres interdits. Parmi lesquels se trouvait un livre de magie Le Picatrix. Ce dernier ainsi que De Vermis Mysterris avait servi de base au grimoire fictionnel de Lovecraft : le Nécronomicon. Cinq des six livres avaient été réédités sauf De Vermis Mysterris. D'après Wikipédia, des émissaires secrets de l'Eglise catholique avaient brûlé les exemplaires de ce grimoire et il n'en restait plus que six ou sept au début du XXe siècle. Ces exemplaires avaient disparu de la circulation. Ils avaient été détruits ou ils étaient détenus par des collectionneurs privés. Ces six livres traitaient du pouvoir et des façons de l'obtenir avec l'alchimie, les mathématiques et des affreux rituels occultes. Brianna pensait que Jacobs avait peut-être bien mis la main sur un pouvoir assez phénoménal. Bree ajouta que jusqu'au XVIIe siècle, les catholiques connus pour étudier la Potestas magnum universum étaient passibles d'excommunication. Wikipédia prétendait que Lovecraft avait eu accès à De Vermis. Bree cita un passage de Lovecraft : « n'est pas mort ce qui a jamais dort, et au fil des âges peut mourir même la mort ». Elle espérait que Jamie en avait fini avec Jacobs. Elle voulait qu'il lui téléphone.

 

Jamie vérifia les recherches de Bree. Il trouva quelque chose qu'elle n'avait pas mentionné. Dans un registre antique intitulé Obscurs tomes de sortilèges & magie, un auteur obscur avait qualifié le grimoire proscrit de Ludwig Prinn de « livre le plus dangereux qui ait jamais été écrit ».

 

Jamie se remit à fumer ce qui ne lui était plus arrivé depuis l'université. Astrid lui avait dit dans un rêve qu'il s'était passé quelque chose, et la Mère serait là bientôt. Après l'opération de Jacobs, elle avait ajouté qu'il y avait une porte dans le mur. Une petite porte couverte de lierre mais le lierre était mort. Jamie jeta les cigarettes à la poubelle. Il téléphona à Bree. Il la remercia de son message et lui assura qu'il n'avait aucune intention de revoir Jacobs. Deux adolescents avaient fait l'amour dans une cabane pendant que le tonnerre grondait. Jacobs les avait sauvés l'un et l'autre. Jamie avait donc une double dette envers lui. Il était curieux, aussi.

 

Jamie annonça à Hugh qui voulait prendre deux mois de congés. Il prétendait vouloir renouer avec sa famille. Hugh avait peur qu'il s'en aille définitivement. Il devrait sans doute fermer le studio dans ce cas. Mais il accepta de donner son congé à Jamie. L'été était plutôt calme dans le studio. De plus, George Damon avait repris du service. Jamie demanda à Hugh si ses prismatiques étaient revenus. Il fut surpris mais répondit non. Jamais lui raconta le mauvais rêve qu'il faisait régulièrement. Il était dans sa maison d'enfance. Quelqu'un cognait à la porte. Il n'avait pas envie de répondre parce qu'il savait que c'était sa mère et qu'elle était morte. Il allait dans le vestibule sans en avoir envie. Il tendait la main vers la porte alors que sa mère était en train de cogner. Et c'est à ce moment-là qu'il se réveillait. Il n'avait pas envie d'en discuter avec Hugh. Il pensait à l'autre porte, couverte de lierre.

 

Jacobs appela Jamie le 1er juillet. Il voulait que Jamie vienne le lendemain. Il pourrait loger dans un hôtel mais pas trop loin car dès que Jacobs aurait besoin de lui, Jamie devrait venir immédiatement. Jamie accepta à condition de ne lui accorder que deux mois de sa vie. Jacobs accepta. Jacobs avait eu un autre AVC. Sa voix était chuintante. Jamie annonça à Jacobs que Robert Rivard s'était suicidé. Jacobs n'avait pas l'air navré. Il ne demanda pas des détails. Après, Jamie téléphona à Jenny. Jenny lui dit qu'Astrid marchait tous les jours. Elle n'avait pas d'effets secondaires. Mais elle avait peu de souvenirs de son séjour chez Jacobs. Jamie nota qu'il y avait de la nervosité dans sa voix. Puis elle raccrocha. Jamie loua une chambre d'hôtel et attendit l'appel de Jacobs. En attendant, il s'occupa en allant dans le musée, en s'achetant des livres, en mangeant du homard. L'appel de Jacobs ne venait pas. Quand le mois d'août se profile à, Jamie se mit à espérer pouvoir rentrer sans avoir revu Jacobs. Il avait peut-être fait un quatrième AVC alors leur Jamie vérifia dans les journaux. Le 25 juillet, Jacobs appela le soir. Jamie devait venir le lendemain matin. Quand il arriva, il remarqua que la route menant au Skytop était de nouveau accessible. Le gardien attendait déjà mais il n'était plus en uniforme. Il quitterait son service dès que Jacobs serait au courant que Jamie était arrivé. Jacobs descendit l'escalier pour accueillir Jamie. Il marchait avec une canne et sa bouche était plus tordue que jamais. Il y avait une voiture dans le parking. C'était celle de Jenny. Alors Jamie dit à Jacobs que si Astrid était là, elle devait s'en aller tout de suite. Jacobs répondit que c'était Jenny qui avait accepté de l'aider. Jamie lui demanda où était Rudy. Jacobs répondit que Rudy et Norma avaient démissionné. C'est pour cela que Jenny était venue.

 

Jamais se rendit dans la cuisine pour boire un petit verre de jus d'orange. Il constata qu'il y avait des provisions pour 10 jours. Ils pensaient qu'ils n'étaient que trois. Mais ils étaient quatre. Il se rendit dans le salon principal. On pouvait voir de la baie vitrée le Skytop. En regardant le mât, tous les éléments se mirent finalement à converger dans l'esprit de Jamie. Il demanda où se trouvait Jenny. Jacobs répondit qu'elle était occupée. Mais il ne voulait pas lui dire à quoi. Il savait que c'était la curiosité qui en grande partie avait amené Jamie ici. En attendant, Jamie devrait s'occuper des repas. Jacobs aurait besoin de lui pour prendre sa douche. Il lui reste une chose à faire. C'est une chose d'importance vitale. Il avait besoin de toute la force nécessaire pour la réaliser. Jamie lui rappela le premier moment où il avait vu. Il se souvenait que l'ombre de Jacob s'était projetée sur lui quand il jouait aux soldats. Son ombre s'était projetée sur lui toute sa vie. Il se rappelait que Jacobs n'avait pas hésité à se mettre à genoux pour jouer avec lui. Il voulait savoir ce qu'il lui était arrivé. Jacobs lui répondit que s'il lui demandait cela, c'était que le gamin intelligent qu'il était, était devenu un homme stupide. Trois jours s'écoulèrent. Il faisait une chaleur étouffante dehors. Le deuxième soir, Jacobs mangea avec Jamie. Mais il prit tous ses autres repas dans sa suite. Il regardait particulièrement la chaîne météo. Quand Jamie aidait Jacobs pour sa douche, il voyait son corps décati. Après quoi, il lui donnait ses médicaments. Jacobs le remerciait toujours. Pour s'occuper, Jamie faisait de l'exercice dans une salle climatisée. Il courait les kilomètres sur un tapis roulant. Il ne pouvait pas regarder la télé dans sa chambre car l'image était floue. Il ne voulait pas demander à Jacobs de partager sa parabole car ses cadeaux n'étaient jamais gratuits. Le cauchemar de Jamie avec les membres morts de sa famille était revenu.

 

Le 30 juillet, Jamie avait été réveillé à 5h du matin par un bruit. Jamie aperçu par la fenêtre Jenny se glissant volant d'une voiture de golf. Un bol contenant quatre oeufs était posé sur le siège à côté d'elle. Elle le regarda et lui sourit. Elle paraissait vieillie de 10 ans depuis la dernière fois que Jamie l'avait vue. C'est elle qui avait fait du bruit en heurtant du coude le lave-vaisselle. Il lui demanda ce qu'elle faisait. Elle était venue chercher des oeufs. Elle ne pouvait pas lui dire ce qu'elle faisait pour Jacobs. De toute façon, Jamie le saurait bientôt. Elle avait signé un contrat avec Jacobs. Elle gagnerait beaucoup d'argent mais c'était surtout pour Astrid qu'elle était là. Astrid était bien entourée par la communauté lesbienne. Jamie n'avait pas compris qu'Astrid était en couple avec Jenny. À 10h, Jacobs sonna Jamie. Jacobs lui annonça que c'était pour aujourd'hui. Mais ça ne l'était pas. Le soir, Jacobs ne voulut voir personne. Il avait besoin de tranquillité. Il écouta à la porte. Jacobs parlait et il disait : « elle ne s'en ira pas tant que je ne serai pas prêt ! Je vous conseille d'y veiller ! C'est pour cela que je vous paye, pour y veiller ! »

 

 

Ce que Jacobs attendait survint le lendemain. Il sonna Jamie à 13h. Il regardait la télé. M. météo fut remplacé par une alerte aux orages. Il demanda à Jamie d'amener une voiture devant la porte des livraisons de la cuisine et de se tenir prêt à partir. Je lui avais compris que c'était pour aller à Skytop. Jacobs le sonna à nouveau après 17h. L'excitation rajeunissait Jacobsde plusieurs années. La tempête était prévue entre 19h et 20h. Jacobs demanda à Jamie de lui apporter un verre d'eau. Après avoir bu, Jacobs expliqua à Jamie qu'il avait gagné beaucoup d'argent. Il avait investi dans la protection de sa vie privée et les services de sociétés d'investigations privées. Leur mission était de trouver et de suivre l'évolution de certaines personnes souffrant de certaines maladies. Il avançait dans ses études. Jamie évoqua alors De Vermis. Jacobs parut pris de court. Puis il lui dit de quelle façon était mort l'auteur de ce livre. Il dit que ses enquêteurs avaient réduit l'échantillon des personnes malades à une dizaine de personnes. Puis à trois. Jacobs cherchait le patient Oméga. L'objet de son ultime guérison. Celle qu'il cherchait s'appelait Mary Fay. Elle était la fille de deux universitaires. Son père était un poète publié et sa mère avait fait sa thèse sur James Joyce. En 1983, ses parents étaient partis en Irlande. En 1985, pendant l'été, ils étaient baladés en Irlande avec une caravane. Ils avaient eu un accident. Leur fille était à l'arrière. Elle avait été grièvement blessée mais avait survécu, contrairement à ses parents. Mary avait reçu des transfusions sanguines à l'hôpital. Elles avaient été contaminées par la maladie de Creutzfeld-Jakob. Elle avait été élevée par un oncle et une tante. Elle était devenue secrétaire dans un cabinet d'avocats. En 2007, la maladie dont elle était porteuse était en sommeil. Sa maladie s'était réveillé il y a quelques mois. Elle avait arrêté de travailler. Jésus ne pouvait plus rien pour Mary. Jamie rétorqua que Jacobs pouvait. Jacobs demanda à Jamie de prendre le coffret en ébène qui se trouvait sur la table. Puis il lui demanda d'aller dans la réserve pour chercher un équipement. C'était un fauteuil roulant. Jacobs reprit son histoire. Mary avait arrêté ses études. Elle avait un fils, Victor, qui avait sept ans. Cet enfant avait rappelé à Jacobs son propre fils. Jamie emmena Jacobs dans la voiture de golf. Jacobs lui demanda s'il se souvenait du paratonnerre de Skytop. Jamie acquiesça. Mais il mentit en disant qu'il n'était jamais venu constater l'effet de la foudre sur le mât. Jacobs se mirent à parler de Vermis Mysterris et Jamie lui coupa la parole en parlant de Postetas magnum universum. Jacobs fut surpris. Il constata que Jamie était loin d'être bête. Malgré son formidable voltage, la foudre n'était qu'un mince filet de pouvoir alimentant l'électricité secrète. L'électricité secrète alimentait quelque chose de beaucoup plus grand. C'était cette puissance la postestas magnum universum. Jacobs espérait pouvoir la capter ce soir-là. Il souleva le coffret d'ébène. C'étaient des moyens au service d'une fin. Jamais ne voulait pas franchir la porte de Jacobs. Jacobs lui dit qu'il n'en avait pas l'intention. Il voulait simplement regarder par le trou de la serrure. Jamie demanda pourquoi. Jacobs se demanda si c'était vraiment un imbécile. Il donna à Jamie l'ordre de continuer. Au cas où il refuserait, Jacobs continuerait à pied. Alors Jamie reprit le volant.

 

La cabane où Jamie avait fait l'amour avec Astrid avait disparu. À la place, il y avait un petit cottage blanc avec des volets verts. Jenny les attendait sur le seuil. Elle aida Jamie à faire descendre Jacobs de la voiture. Le tonnerre gronda suivi d'un éclair. Le vent était devenu glacé. À l'intérieur du cottage, Jamie entendit l'ossature de bois grincé. Il espérait que le paratonnerre attirerait tous les coups de foudre les plus proches. Jenny était terrifiée par l'orage. Jacobs demanda à Jamie de lui servir un petit fond de whisky. Il proposa de trinquer avec eux mais Jenny refusa. Elle regrettait d'avoir accepté de participer à l'expérience. Jamie partit dans la cuisine pour remplir trois verres de whisky. À son retour Jenny était partie. Jamie devina que Jacobs lui avait parlé pendant que lui était dans la cuisine. Jamie avala d'un trait son verre de whisky avant que Jacobs ait pu proposer une santé. Jacobs était désolé que Jamie le trouve odieux. En réalité, Jamie le trouvait terrifiant parce qu'il cherchait à interférer avec des forces défiant la compréhension. La porte s'ouvrit derrière lui. C'était Jenny qui était dans la chambre de Mary Fay. Elle but le verre de whisky qui lui était destiné. Jacobs lui demanda de retourner dans ma chambre. Après, il expliqua à Jamie que dans la chambre il y avait un revolver dans une commande. Jacobs était persuadé qu'il y avait quelque chose de terrible derrière la porte et qu'il allait se passer quelque chose de terrible sauf s'il y mettait un terme. Au cours de ses expériences, il avait eu de brefs aperçus de cette chose. Il avait décelé sa forme dans chacune des guérisons que l'électricité secrète avait opérées. Les effets secondaires des guéris étaient une trace de cette chose. Il voulait savoir ce qui était arrivé à sa femme et son fils et ce que l'univers réservait aux humains une fois que la vie était terminée. Jamie lui répondit qu'on n'était pas censés voir ça. Jacobs rétorqua qu'il devait bien souvent penser à sa soeur en espérant qu'elle existe encore quelque part. D'après Jacobs, c'était Mary Fay qui leur donnerait des réponses. Jamie lui demanda comment elle procéderait une fois qu'elle serait guérie. Alors Jacobs lui expliqua qu'il ne pouvait pas la guérir. Il avait sélectionné huit maladies qui ne pouvaient être guéries par l'électricité secrète. Jenny avait arrêté le respirateur de Mary. Elle était donc décédée depuis un quart d'heure. Jacobs comptait ramener Mary à la vie grâce à l'électricité secrète. Il comptait ainsi apprendre la vérité sur ce qui nous attendait de l'autre côté de la porte donnant dans le Royaume de la Mort. Il voulait l'apprendre de la bouche même de quelqu'un qui en était revenu. Jamie le traita de malade. Alors Jacobs lui demanda si cela faciliterait les choses s'il pratiquait l'expérience avec Jenny mais sans lui. Puis il expliqua à Jamie qu'il pourrait découvrir ce qui était arrivé à sa soeur. Il y eu un autre éclair et, du coffret en ébène, un clin d'oeil de lumière empoisonnée violet verdâtre jaillit par l'entrebâillement du loquet. Jacobs voulut rassurer Jamie en lui disant que Mary avait donné son accord pour l'expérience en échange d'un don à son fils. L'heure était venue. Alors Jacobs proposa à Jamie de venir avec lui dans la chambre ou de s'en aller. Jamie accepta de le suivre même s'il pensait que cette expérience était l'oeuvre du diable. Il voulait prier.

 

XIII

 

Le Revival de Mary Fay.

 

Il y avait une grande fenêtre donnant à l'est de la chambre mortuaire de Mary Fay. Jamie regarda la silhouette immobile de Mary gisant sur le lit médicalisé. Elle était très belle. Jacobs tendit le coffret d'ébène à Jamie. Il lui demanda de l'ouvrir. Jenny ne voulait pas. Jamie décida de l'ignorer. Dans le coffret, il y avait un serre-tête métallique. Jacobs le retira délicatement et l'étira. Il demanda à Jamie de soulever la tête de Mary. Jacobs glissa le fin serre-tête de métal autour de son front de manière que les extrémités appuient sur les tempes de la morte. Jamie était convaincu que Jacobs voulait violer le mystère de la mort pour montrer aux croyants pourquoi les meurtres au nom de Dieu avaient été commis. Jamie pensait que l'expérience n'allait pas marcher. Ce n'était pas possible de ressusciter une morte. La lampe de chevet s'éteignit. Jacobs regardait fixement par la fenêtre. Le mât n'était plus visible à cause de la pluie. Il serait à nouveau visible quand la foudre le frapperait. Jamie demanda s'il existait un boîtier de contrôle, où était la connexion avec le mât. Jacobs lui répondit qu'il n'existait aucun moyen de contrôler la puissance qui se trouvait de l'autre côté de la foudre. Et c'était lui, Jamie, qui assurerait la connexion. Jacobs demanda à Jamie s'il n'avait toujours pas compris pourquoi il était là. Et il comprit. Il y avait deux clés pour ouvrir la porte : Mary et lui. Alors il dit à Jacobs qu'il devait arrêter car il y avait quelque chose de l'autre côté qui attendait. Astrid avait appelé cela la Mère. Il n'avait pas envie de la voir. Alors il se pencha pour retirer le diadème du front de Mary. Jacobs le tira en arrière. Mais Jamie cessa de lutter avec lui au moment précis où il allait l'emporter, laissant ainsi passer sa chance de mettre un terme à l'abomination de cette journée. Il ressentit la tension provoquée par la foudre comme la première fois où il était venu avec Astrid. Il entendit un claquement. La foudre frappa le mât. Jamie entendit un vaste choeur de voix stridentes. C'était les gens que Jacobs avait guéris. Puis le feu électrique qui recouvrait le mât décrut, les cris d'agonie décrurent aussi. Le diadème de Mary rayonnait d'un éclat vert qui palpitait. Jamie était le conducteur alors il faisait plus que voir l'éclat, il était aussi profondément imprimé dans son esprit. Un deuxième coup de foudre frappa le mât et le choeur strident reprit. Cette fois-ci, le diadème passa du vert au blanc incandescent. Il était devenu impossible de le regarder.

 

Les cris intérieurs diminuèrent et le rayonnement du diadème aussi. Jacobs regardait le corps de Mary avec de grands yeux fascinés. Il bavait. L'orage se déplaçait vers l'est. Jenny en profita pour partir. Jacobs ordonna à Mary de se réveiller mais elle ne bougeait pas. Alors il lui secoua le bras. Il l'insulta. Alors Jamie le tira en arrière. Ils tombèrent sur la commode. Du lit un bourdonnement sourd monta. Le cadavre gisait toujours dans la même position mais il avait maintenant les mains ouvertes le long du corps à cause des secousses infligées par Jacobs. Jacobs comprit que la femme était en train de ressusciter. Alors il se propulsa vers elle. Le bourdonnement recommença. Jamie s'aperçut dans un frisson d'horreur qu'il pouvait voir les yeux de la morte bouger sous les paupières. Jacobs toucha le sein gauche de Mary. Elle n'avait pas de pouls. Alors il lui ordonna de revenir. Elle ouvrit les yeux. Mais ce n'étaient plus des yeux humains. La foudre avait fait sauter le verrou d'une porte qui jamais n'aurait dû être ouverte, et la Mère en sortit. Les yeux étaient bleus mais sans expression. Jacobs lui demanda où elle était allée. Les yeux de la morte changèrent de couleur passant de la couleur de la lavande à l'indigo. Ses lèvres formèrent un rictus. Mary saisit le poignet de Jacobs. Ce contact froid le fit hoqueter. Puis Jamie saisit la main de Mary. C'est ainsi que tous les trois se retrouvaient unis. La tête de Mary enflait. Elle avait cessé d'être humaine. Jamie eut l'impression que tout ce qui l'entourait était une illusion. Le vrai monde se trouvait dernière un voile.

 

Des blocs de basalte se dressaient sur un ciel noir. Une vaste cité anéantie était posée sur un paysage désertique. Jamie vit une colonne d'êtres humains se traînant d'un pas lourd, tête baissée. Lorsque certains tombaient, les autres se jetaient sur eux et les frappaient jusqu'à ce qu'ils se relèvent. Sur tous les visages se reflétait la même expression d'horreur absolue. Ceux qui avaient été frappés et mordus ne saignaient pas car ils étaient morts. Au lieu du paradis que les prêcheurs de toutes confessions promettaient, c'était une cité morte qui les attendait. À la place des étoiles, il y avait des trous dans le ciel. Des hurlements en sortaient qui provenaient de la vraie potestas magnun universum. Au-delà du ciel se trouvaient des entités toutes-puissantes. Les gens qui défilaient étaient les serviteurs de ces entités. Alors Jamie se rappela du distique : n'est pas mort ce qui a jamais dotr, Et au fil des âges peut mourir même la mort. Quelque part dans cet accord devant marche, il y avait Patsy, Morrie et Claire. Cette horreur était la vie après la mort. Jamie espérait que ce paysage de cauchemar ne fut lui-même qu'un mirage. Alors il cria : « Non ! ». Le cortège des morts se retourna vers sa voix. Une énorme patte noire couverte de poils passa au travers du ciel. Son extrémité était une grande pince composée de visages humains. Son propriétaire désirait une seule chose : réduire au silence la voix de la négation. C'était la Mère. Alors Jamie cria encore Non plusieurs fois. Jamie savait que c'était sa connexion avec la morte ranimée qui était la cause de sa vision. C'était la main gauche de Jacobs qui le retenait. Son côté invalide. Jamie put s'en libérer en tirant pour échapper à la patte tendue vers lui par la Mère. Jamie partit à la renverse. Et tout disparut. Il se retrouva dans la chambre. Il s'aperçut que la partie inférieure du visage de Mary était devenue une fosse noire qui tremblait. Jacobs la regardait avec des yeux exorbités. Il cherchait sa femme et son fils. La chose se mit à parler pour la première et dernière fois : « Partis servir les Grands, dans le Null. Ni mort, ni lumière, ni repos. »

Jacobs cria : « non ! » Et tenta de se dégager. De la bouche béante de la morte sortit une patte noire munie d'une pince vivante : c'était un visage. C'était le visage de Morrie qui hurlait. Les yeux de Mary se rejoignirent sur l'arête du nez et se fondirent en un énorme orbe unique fixant le dehors avec une inexpressive avidité. Jacobs s'effondra et tomba en avant sur le lit. On aurait dit qu'il priait.

 

La chose le lâcha et se retourna vers Jamie. La patte noire lutta pour se redresser. Le visage de Patsy avait rejoint celui de Morrie. Ils étaient fondus l'un dans l'autre, convulsés. Jamie se redressa. Le visage de Mary était boursouflé et il s'assombrissait comme si elle était en train de s'étrangler sur cette chose. Alors Jamie prit le revolver de la commode et tira cinq fois sur Mary. La chose battit des bras et retomba en arrière. Les deux visages qui avaient fusionné hurlèrent. L'obscénité qui était sortie de la bouche de Mary ne remuait plus. Jamie hurla sans discontinuer. La Mère avait disparu. La terrible pince avait laissé des traces de brûlures sur le corps de Mary. Jacobs s'écroula sur le sol. Une inexprimable expression d'horreur était gravée sur son visage. Cela fit rire Jamie car il avait l'impression que Jacob avait reçu un méchant choc électrique. Jamie sortit de la chambre et traversa le salon. Dehors, il y avait un arc-en-ciel comme le jour où Jamie avait fait l'amour à Astrid. Cela donna un nouvel accès d'horreur et de répulsion à Jamie car il pensait à Hugh et à ses prismatiques. Il repensa à ce que la Mère avait dit à Jacobs : ni mort, ni lumière, ni repos. Cela le dissuada de se suicider. Il s'évanouit.

 

 

Publicité

XIV. Effets secondaires.

 

Trois ans plus tard, Jamie vivait à Kailua près de son frère Conrad. Il consultait un psychiatre. Il s'appelait Edward Braithwaite. Cela lui faisait beaucoup de bien et les antidépresseurs aussi. Il lui avait tout raconté. Son psychiatre pensait que Jamie avait entremêlé des faits réels à son imagination. Des dizaines de patients du pasteur Danny s'étaient suicidés entre l'été 2014 et l'automne 2015. Jamie était bien content de vivre même si une partie de sa santé mentale avait disparu à jamais parce qu'il avait vu dans la chambre mortuaire de Mary Fay. Le lendemain de l'orage, il s'était réveillé dans un canapé de l'hôtel  Goat Mountain. Il était sorti pour pisser. Il s'était rendu compte qu'il avait du sang sur ses vêtements. Il était entré en conduisant la voiturette et l'avait renversé en arrivant. Il n'en avait aucun souvenir. Il avait mal au crâne il savait qu'il devait retourner au Skytop. La porte du cottage était encore grande ouverte. Il ne voulait pas que la chambre mortuaire continue à le hanter jusqu'à la fin de ses jours. Il n'y avait aucune trace de l'abomination dans la chambre mortuaire. Mary était toujours sur le lit. Le serre-tête était devenu sombre et terne autour de son front. La posture de Jacobs avait changé. Il était adossé en position assise contre la commode. Il avait subi un dernier AVC qui ne lui avait pas été immédiatement fatal. Il avait eu le temps de ramper jusqu'à la commode. Il avait le revolver dans sa main. Il pensait que c'était lui qui avait traîné Jacobs de l'autre côté de la pièce ensuite il avait placé le revolver dans sa main droite et avait tiré dans le mur. Les policiers qui découvriraient cette scène bizarre ne pratiqueraient peut-être pas de tests balistiques sur la main de Jacobs pour trouver de la poudre. Il s'agenouilla pour dire à Jacobs qu'il aurait dû arrêter. Plus tard, il avait décidé de dire à son psychiatre qu'il n'avait pas été présent dans le cottage. Il était sûr que Jamie tomberait d'accord pour dire qu'ils étaient partis tous les deux avant que Jacobs commence à délirer en disant qu'il fallait couper l'oxygène de Mary. Il avait appelé Jenny mais était tombé sur son répondeur. Il tomba aussi sur le répondeur d'Astrid. Il comprit qu'elles s'étaient suicidées toutes les deux.

 

Un grand nombre des patients de Jacobs s'étaient suicidés. Une cinquantaine avait même emporté avec eux des êtres chers. La Mère exigeait des sacrifices. Il avait partagé ses recherches avec son psychiatre qui avait préféré mettre ça sur le compte des coïncidences. Al Stamper huit décident de sa femme chez lui. L'une d'elles s'était fait prendre dans les embouteillages, une chance pour elle. En arrivant, elle avait découvert l'époux numéro 1 ligotée sur la chaise le haut du crâne enfoncé. Le chanteur avait alors surgi de la cuisine avec sa batte de base-ball mais elle avait eu le temps de fuir. Il lui avait couru après mais il était mort d'une crise cardiaque. Bree ne voulait plus entendre parler de Jamie désormais. Hugh avait appelé la mère de Bree pour lui demander de monter à son bureau. Il avait étranglé son ancienne maîtresse avec le cordon d'une lampe électrique. Puis il s'était mis au volant de sa voiture dans son garage et avait enclenché le moteur pour respirer des gaz d'échappement. Bree avait compris que Jamie qui avait promis de garder ses distances avec Jacob avait menti. Ce que Jamie avait vu avait rendu sa vie sans substance et sans importance. Alors chaque jour, il se disait que la Mère avait menti. Mais il y avait des signes. Il était retourné à Harlow. Il avait besoin de réconfort d'un lieu familier et de sa famille. Il n'avait pas trouvé ce réconfort. Quand Cara Lynne l'avait vu, elle s'était mise à hurler. Jamie ne voulait plus jamais revoir son petit visage terrifié. Alors il était reparti après avoir dit à Terry qu'il avait effectué quelques prises de son pour un groupe. C'était son alibi au cas où la police l'aurait inquiété. Ce qui n'était pas arrivé. Il avait enlacé son frère de toutes ses forces sachant que ce serait probablement la dernière fois. Jamie savait qu'il portait en lui quelque chose d'empoisonné. Il ne voulait pas infecter les gens qu'il aimait. Avant de partir, il regarda une dernière fois la bande de terre où il avait joué au soldat et où le pasteur était venu lui faire de l'ombre. Cette ombre était toujours là.

 

Son psychiatre lui avait demandé s'il avait assassiné quelqu'un. Jamie avait répondu non. Il n'avait pas songé au suicide non plus. Il avait envie de vivre le plus longtemps possible ayant vu ce qui se produisait après la mort. Il avait le sentiment qu'il  avait beaucoup à se faire pardonner. Alors il essayait d'être un type réglo. Il faisait du bénévolat et faisait la cuisine à la soupe populaire. Son psychiatre lui avait demandé s'il était immunisé contre le suicide. Il avait refermé la porte à clef en tirant sur la Mère. Il pensait que un des Grands qui avaient entendu son Non avaient décidé de n'épargner en vue de quelque ultime acte de vengeance apocalyptique.

 

Jamie était devenu riche en invitant de Hugh. Il ne chercha pas à savoir ce qu'étaient devenus les millions qui auraient dû revenir à Georgia. Cela faisait deux ans que son frère Conrad était enfermé dans un asile psychiatrique. C'était Jamie qui finançait sa pension. Il avait été placé à l'isolement car il avait essayé de tuer son conjoint. Puis il avait essayé de se suicider. Il avait été un des tout premiers cas de guérison de Jacobs. Le psychiatre de Jamie estimait que Conrad guérirait un jour. Il allait voir son frère deux fois par semaine pour lui parler. Il lui racontait sa vie mais il inventait aussi des choses pour embellir son existence. Il terminait toujours ce monologue en disant à son frère qu'il l'aimait. Son frère n'avait pas encore répondu. Mais son frère souriait. Quand il sortait de l'asile, il comptait ses pas en gardant les yeux fixés sur la moquette. Et parfois il entendait une voix chuchoter son nom. Parfois, il levait les yeux malgré lui et il regardait le mur d'hôpital qui avait été remplacé par des pierres grises jointes par un antique mortier et couverte de lierre. La petite porte était là. De horreurs dépassant la compréhension attendaient de l'autre côté de la porte. Alors que Jamie allait de l'avant en pensant au distique. Il entendait chuchoter une voie de vieillarde qui lui demandait de venir à elle à jamais. Mais il répondait non et tout allait bien. Mais un jour viendrait où il se passerait quelque chose. Et quand ce jour arriverait… Il rejoindrait la Mère.

Commentaires
Humanisme : le Contrat social
Publicité
Archives
Publicité
Publicité
Publicité