Le Moine
Le Moine (Matthew Gregory Lewis).

Lewis a écrit Le Moine à 19 ans en 1796 alors que le roman gothique brillait de ses derniers feux. Fils de haut fonctionnaire au ministère de la guerre, Lewis fit ses études supérieures à Oxford se destinant à une carrière diplomatique. Au cours d'un séjour en Allemagne, Lewis se familiarisa avec le romantisme allemand et notamment avec Le Visionnaire de Schiller.
Le personnage de la « femme fatale », créature fascinante et dangereuse est une invention de la littérature allemande que Lewis introduisit en Angleterre en créant dans Le Moine le personnage de la tentatrice Matilda. Étudiant, Lewis écrivit plusieurs pièces ainsi qu'un opéra. Il travailla comme attaché à l'ambassade britannique à La Haye. Il ne lui fallut que 10 semaines pour rédiger Le Moine. En 1796, la parution de ce roman connut un succès immédiat même si la critique se montra plus réservée.
Le roman devint indissociable de son moteur à tel point que celui-ci fut bientôt surnommé «Monk Lewis ».
À 21 ans, Lewis obtint un siège au Parlement. Il fut l'ami de Walter Scott et de Byron.
Entre 1797 et 1812, Lewis écrivit des tragédies, des bouffonneries et des mélodrames. Pourtant, aux yeux de la postérité, il reste l'homme d'un seul livre, Le Moine étant son seul texte à avoir réellement survécu.
Après la mort de son père en 1812, Lewis hérita de la propriété paternelle en Jamaïque. C'est là-bas qu'il contracta la fièvre jaune. Il en mourut en 1818. Son Journal d'un propriétaire des Indes occidentales, rédigé en 1815, fut publié à titre posthume.
Quand la critique apprit que Le Moine avait été rédigé par un membre du Parlement, des voix indignées s'élevèrent pour en dénoncer l'immoralité. Le satiriste Thomas James Mathias publia un virulent poème satirique déclarant que Le Moine était l'oeuvre putride d'un être monstrueux, un texte obscène, véritable éloge de la luxure. Alors, au cours de la quatrième édition de son roman, Lewis traqua tous les termes jugés indécents comme : luxure, jouir, jouissant, incontinence, etc. Il supprima presque toutes références à l'amour physique et les scènes blasphématoires furent effacées. Les poursuites juridiques contre Lewis furent alors abandonnées. Mais le scandale valut pourtant au roman une publicité des plus appréciables…
Le succès du Moine s'explique par la vogue du roman gothique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Alors que le siècle des Lumières célèbre le triomphe de la raison, on assiste en même temps à une véritable fascination pour son exact contraire : les ténèbres de la folie. Horace Walpole invente ce qu'on appelle le roman gothique, caractérisé notamment par un retour au moyen âge. Il ne s'agit plus de se borner à dépeindre la réalité mais à donner libre cours à l'imagination et d'explorer les zones les moins rassurantes de l'esprit humain. Le Moyen Âge de Walpole est purement fantasmatique et celui de ses successeurs également. En 1764, il publie un court récit de fiction, Le Château d'Otrante. Il y raconte des incidents qui seraient survenus à l'époque des croisades mais son récit relève entièrement du surnaturel. Ann Radcliffe hissa le roman gothique à de nouveaux sommets en publiant notamment Les Mystères du château d’Udolphe en 1794. Lewis voulait écrire dans le style du château d'Otrante et entreprit la rédaction du Moine après avoir lu Les Mystères du Château d‘Udolphe. Mais Anne Radcliffe ne fut pas satisfaite d'avoir inspiré Lewis. Elle voyait en Lewis un adepte de l'horreur, tandis que, pour sa part, elle ne cherchait qu'à susciter la terreur, en laissant à l'imagination le soin de compléter ce que l'école de l'horreur décrivait à grand renfort de détails atroces. Il semble bien que ce soit en réaction au succès du Moine qu'elle écrivit son dernier grand roman, l'Italien, dont le héros est également un religieux malfaisant.
Le Marquis de Sade mentionna le Moine dans la préface qu'il donna à son recueil de nouvelles Les Crimes de l'amour. Pour Sade, le contexte historique suffisait à expliquer l'engouement pour le roman gothique. En effet, le roman gothique bien qu'antérieur à la Révolution française ne s'en prenait pas moins à la monarchie et à la religion.
Le décor du Moine est un sombre manoir aux salles obscures et aux passages secrets propices aux apparitions de toutes sortes. Le château est par excellence le lieu initiatique, propice au mystère, au rêve et au déchaînement des passions selon André Breton. La cathédrale sévillane joue également un rôle dans le roman de Lewis dans le premier chapitre, l'église apparaît dévastée, réduite à l'état de ruines et consumée par les flammes de l'enfer. D'un côté, le manoir symbolise le pouvoir et de l'autre la cathédrale représente la religion. Aux yeux des protestants britanniques, le catholicisme est alors synonyme d'obscurantisme. L'institution monastique abritant des individus qui se sentent libres de s'adonner à tous les vices, loin des regards indiscrets.
D'ailleurs Lewis se serait peut-être inspiré de La Religieuse de Diderot ainsi que de la terrible inquisition espagnole.
La grande majorité des romans gothiques sont situés dans les pays du pourtour méditerranéen peuplé de contrées « papistes » où règne un soleil plus ardent échauffant les tempéraments et rendant les passions plus violentes.
Le Moine se distingue de ses prédécesseurs gothiques en s'ouvrant sur un tableau satirique et une comédie galante, le jeune don Lorenzo de Medina s'éprend de la belle Antonia.
Quand Lewis entreprit la rédaction de son roman, il n'avait à peu près aucune expérience littéraire, et peut-être n'avait-il pas en tête un plan très précis de l'ouvrage qu'il voulait écrire. Il a pourtant su jouer avec les conventions du gothique, et semble se moquer des horreurs dont il émaille son roman.
Dans Le Moine, tous les rêves semblent révélateurs et prémonitoires, comme celui d'Elvira qui voit sa fille au bord d'un gouffre alors qu'elle est menacée par Ambrosio. Dans un miroir magique, Matilda fait voir au moine l'objet de ses désirs, à la manière dont Méphistophélès montre Marguerite à Faust, pour le convaincre de sceller son union avec le diable.
Une des raisons du succès du Moine est la présence d'une bonne dizaine de poèmes insérés à l'intérieur d'un texte en prose. À cette époque, un roman se devait d'être entremêlé de quelques morceaux de poésie. Dans le sillage des poètes allemands, Lewis redonna vie au genre populaire de la ballade et cette tentative grandement appréciée par ses contemporains. Lewis s'attendait sans doute à ce succès car la présence de ses poèmes étaie toujours soulignée dans les annonces publicitaires. Dès 1797, Le Moine fut traduit en français bien que légèrement expurgé de certains détails particulièrement macabres. La traduction connut une large diffusion au point que dans Les Misérables de Victor Hugo Mme Thénardier chante la première strophe du poème Alonso et Imogène.
Si en Allemagne, Le Moine reçu un accueil mitigé, le roman exerça néanmoins une influence certaine sur une nouvelle génération d'écrivains allemands comme Heinrich von Kleist et E. T. A. Hoffmann.
En 1849, le manuscrit du Moine fut vendu aux enchères, Charles Dickens en fit l'acquisition et l'offrit à son ami le révérend C, H. Townsend, grand collectionneur de textes autographes.
Mais c'est en France que le roman gothique connut un engouement bien plus profond et bien plus durable. Chateaubriand rencontra Lewis à Londres. Toute la génération des romantiques français fut influencée par Le Moine. C'est dans le roman de Lewis que Victor Hugo trouva en partie l'inspiration de Notre-Dame de Paris avec le personnage de l'austère archidiacre Claude Frollo. La plupart des auteurs français de contes fantastiques semblent avoir lu Lewis et Le Moine serait à l'origine de nombre de personnages de prêtre malfaisant et de femme fatale dans la littérature française du XIXe siècle.
Au début du XXe siècle, le roman de Lewis allait faire l'objet d'une véritable redécouverte. André Breton publia en 1924 le premier Manifeste du surréalisme dans lequel il citait Le Moine parmi ses livres fétiches.
En Lewis, les surréalistes trouvent un précurseur de leurs recherches sur le rêve. En 1930, l'éditeur Denoël commanda à Antonin Artaud une nouvelle version du chef-d'oeuvre de Lewis. Antonin Artaud reprit la traduction initiale de Léon de Wailly en enrichissant de détails horribles. Artaud voyait sa version du Moine comme une sorte de « copie » en français du texte anglais original. À ses yeux, le roman de Lewis était une oeuvre essentielle qui relevait de la sorcellerie verbale et favorisait le jaillissement d'images.
Dans Le Moine, les surréalistes trouvèrent une apologie de la transgression, un récit bafouant les normes sociales et morales. Comme le Marquis de Sade, André Breton voyait dans Le Moine un lien entre le roman gothique et l'époque révolutionnaire : la littérature de l'horreur semble renverser l'Ancien Régime sur son passage.
Ainsi Lorenzo et de Médina se déclare exempt de préjugés sociaux puisqu'il est prêt à s'unir à Antonia, dénuée de toute fortune. Ambrosio propose de mépriser les préjugés du monde lorsqu'il rêve de concilier les impératifs monastiques et son affection fraternelle pour Rosario.
Ce sont surtout les lois de l'éthique chrétienne qui sont rangées dans la catégorie des préjugés. La dangereuse Matilda affirme avoir été affranchie des son enfance des entraves du préjugé vulgaire et parviendra peu à peu à saper toutes les bases morales chez Ambrosio.
Lewis utilise le mot « superstition » comme synonyme de « religion ». Les diverses manifestations spécifiques à la foi catholique sont dépeintes comme autant de marques de la plus grossière superstition dans le livre de Lewis.
Dans la société décadente que dépeint Lewis, le sacré n'est plus présent que sous une de ses formes les plus primitives : le tabou, l'interdit.
Lewis n'ignorait probablement pas le drame des pulsions charnelles longtemps refoulées. Il était homosexuel. Pourtant, à y regarder de plus près, le frisson homoérotique paraît bien limité dans Le Moine. Ambrosio est un personnage tourmenté se découvrant une identité sexuelle impossible à affirmer à cause de son état de moine. Les genres sexuels du roman de Lewis ne correspondent guère aux stéréotypes en vigueur, et au très féminin Rosario succède une très virile Matilda.
L'originalité du roman de Lewis résidait dans la dimension transgressive. Le moine fait apparaître le roman gothique comme un genre impossible à codifier étroitement. Lewis semble avoir mis un terme à sa carrière de romancier en même temps qu'il l'inaugurait avec ce roman qui refuse de se laisser enfermer dans les limites.
Lewis commence son roman en indiquant que la première idée du Moine lui a été suggérée par l'histoire de Santon Barsisa relatée dans le Guardian. La « nonne sanglante » est une tradition à laquelle on continue d'ajouter foi dans plusieurs parties de l'Allemagne selon Lewis.
Préface imitée d'Horace.
Dans cette préface Lewis prophétise l'avenir de son roman « va-t'en donc et franchi la borne dangereuse d'où nul livre jamais ne pourra revenir ». Il devine que son roman sera méprisé, condamné, négligé, blâmé et critiqué. Il se présente enfin à son lecteur comme un homme au début de sa 20e année vivant sous le règne de George III en Angleterre. Il espère que son livre poursuivra sa course aventureuse.
Chapitre Ier.
À Madrid, l'auditoire rassemblé dans l'église des capucins y était attiré par des raisons diverses. Les femmes venaient pour se montrer, les hommes pour voir les femmes, certains par curiosité d'entendre un fameux prédicateur et d'autres faute de meilleure distraction avant l'heure de la comédie. Il n'y avait que quelques dévots venus pour écouter le sermon ainsi que quelques prédicateurs rivaux déterminés à tourner le prédicateur en ridicule.
Quoi qu'il en soit, l'église des capucins n'avait jamais reçu une plus nombreuse assemblée. Un DEA s'ouvrit un passage au travers de la foule et parvint à se pousser au beau milieu de l'église avec une autre femme. Deux cavaliers cédèrent leurs places aux deux femmes. L'un des deux cavaliers s'appelait Lorenzo. Il avait cédé sa place à l'une des deux femmes parce qu'elle était jeune et il voulait la séduire. Comme à la jeune femme portait un voile pour couvrir son visage, Lorenzo tenta de l'enlever. Mais la jeune femme l'en empêcha. Alors la vieille femme, Leonela ordonna à la jeune femme, Antonia de retirer son voile. Alors Lorenzo découvrit que la jeune femme était plus séduisante que belle. Antonia semblait âgée d'à peine 15 ans. Lorenzo la contemple avec un mélange de surprise et d'admiration. Sa tante Leonela affirma qu’Antonia n'était qu'une enfant qui n'avait rien vu du monde. Elle avait été élevée dans un vieux château en Murcie. Leonela raconta aux deux cavaliers l'histoire d'Antonia. Elle avait recueilli sa nièce après que sa soeur était revenue des Indes où elle avait passé 13 ans avec son mari. La mère d'Antonia avait hérité d'un château en Murcie par son beau-père mais ce dernier venait de mourir et l'intendant du domaine avait refusé de lui payer plus longtemps sa pension. Alors la mère d'Antonia espérait que le nouvel héritier du château allait lui continuer sa pension. Antonia était donc à Madrid dans l'espoir de convaincre le marquis de Las Cisternas de continuer la pension. Don Cristobal connaissait justement le marquis et proposa d'être l'avocat d'Antonia auprès de lui. Leonela demanda à Don Cristobal pourquoi il y avait tant de monde aujourd'hui dans la cathédrale. Don Cristobal lui répondit qu'Ambrosio, le prieur de ce monastère prononçait ici un sermon tous les jeudis. Madrid entier retentissait de ses louanges. Ce moine semblait avoir fasciné tous les habitants. C'était une adoration générale et sans exemple. Il était connu par toute la ville sous le nom de l'Homme de Dieu. Le dernier prieur des capucins avait trouvé, encore enfant, à la porte du monastère. Il avait été élevé dans le couvent et il y était resté depuis. Personne ne s'était jamais présenté pour le réclamer ou pour éclaircir le mystère qui couvrait sa naissance. Il était âgé de 30 ans et avait passé chacune de ses heures dans l'étude, dans un isolement absolu du monde, et dans la mortification de la chair. Avant d'être nommé supérieur de sa communauté, il n'était jamais sorti des murs du couvent. Sa science était des plus profondes et son éloquence des plus persuasives. Dans le cours entier de sa vie, il n'avait transgressé aucune règle de son ordre. Il passait pour observer si strictement son voeu de chasteté qu'il ne savait pas en quoi consistait la différence qu'il y avait entre l'homme et la femme. Aussi les gens du peuple le regardaient-ils comme un saint.
Leon la regarda le moine qui venait d'arriver. C'était un homme d'un port noble et d'un aspect imposant. Sa taille était haute et se figure remarquablement belle. L'étude et les veilles avaient entièrement décoloré ses joues. Le contentement exprimé dans chacun de ses traits annonçait une âme exempte de soucis comme de crimes. Il salua humblement l'assemblée. Il y avait dans sa physionomie et dans sa contenance une certaine célérité qui imposait généralement et peu de regards étaient capables de soutenir le feu pénétrant des siens.
Antonia sentit son coeur troublé d'un plaisir inconnu. Le son de la voix du moine sembla la pénétrer jusqu'au fond de l'âme. Lorenzo lui-même ne put résister au charme et il n'eut plus d'oreilles que pour le prédicateur. Le moine développa les beautés de la religion. Il donna de certains passages obscurs des saintes écritures une explication qui entraîna la conviction générale.
Le sermon dura longtemps ; cependant, lorsqu'il fut terminé, les auditeurs regrettèrent qu'il n'eût pas duré plus longtemps. Un silence d'admiration régnait encore dans l'église. Ambrosio fut comblé de bénédiction. On tombait à ses pieds, on baisait le bord de sa robe. Le prieur sourit de leur empressement, il leur donna sa bénédiction et quitta l'église. Quand la porte se referma derrière le moine, Antonia eut l'impression qu'elle venait de perdre un être essentiel à son bonheur et elle pleura.
Ambrosio discuta du moine avec Antonia. Il lui dit qu'à présent que les devoirs de sa position allait l'obliger d'entrer de temps à autre dans le monde, le moine allait subir la voie de la tentation et c'était maintenant qu'il aurait à montrer sa vertu dans tout son éclat. La réputation du moine le désignerait aux séductions comme une victime illustre et les talents mêmes dont la nature l'avait doué contribueraient à sa ruine en lui facilitant les moyens de satisfaire ses désirs. Mais Leonela n'appréciait pas le moine. Elle lui trouvait une mine sévère et rigide. Elle refusa qu'Antonia le prenne comme confesseur. Don Cristobal était d'accord avec Leonela. Pour lui, le seul défaut d'Ambrosio était la sévérité.
Leonela demanda le nom des deux cavaliers. C'était le comte d'Ossorio et Lorenzo de Médina. Elle demanda à Lorenzo son adresse. Lorenzo confia à son ami être tombé amoureux d'Antonia. Depuis la mort de son père, l'oncle de Lorenzo, le duc de Médina, avait témoigné son désir de le voir marier. Jusqu'ici Lorenzo avait toujours refusé mais Antonia allait peut-être le faire changer d'avis. Lorenzo trouvait Antonia jeune, aimable, tous et intelligente. Lorenzo devait aller voir sa soeur Inès qui était dans un couvent. Elle avait pris le voile de son propre gré. Lorenzo avait essayé de la détourner de cette résolution en vain. Cristobal pensait que son ami ne devait pas sans en être trouvé plus mal car il avait hérité de la moitié de la part de sa soeur quand celle-ci s'était retirée au couvent. Lorenzo fut choqué par cette remarque. Lorenzo trouvait que son ami avait un excellent coeur mais que son jugement avait peu de solidité.
Lorenzo toujours dans l'église se jeta sur un siège et s'abandonna au prestige de son imagination. Il pensa à son union avec Antonia et le sommeil s'empara de lui. Il rêve à de son mariage avec Antonia et d'Ambrosio s'approchait de sa fiancée. Un inconnu s'élança entre Antonio et Lorenzo. Sa taille était gigantesque, son teint basané et ses yeux féroces et terribles. Sa bouche soufflait des masses de feu et sur son front était écrit en caractères lisibles : « Orgueil ! Luxure ! Inhumanité ! ». Le monstre s'empara d'Antonia et l'entraîna sur l'autel où il la tortura de ses odieuses caresses. Lorenzo voulut la sauver mais un grand coup de tonnerre se fit entendre et la cathédrale parut s'écrouler en débris. À la place de l'autel parut un gouffre qui vomissait des torrents de flammes. Le monstre plongea dans le gouffre. Antonia réussie à se dégager de l'emprise du monstre. Lorenzo vit sa fiancée découvrir ses ailes et s'envoler. Tout en s'élevant elle cria à Lorenzo qu'ils se reverraient là-haut.
Au même instant, la voûte de la cathédrale s'ouvrit et des voies harmonieuses montaient aux cieux. Antonia fut reçue dans la gloire. Lorenzo s'évanouit. Quand Lorenzo se réveilla il voulut se persuader que ce qu'il venait de voir n'était qu'un rêve mais un peu de réflexion le convainquit de son erreur. Lorenzo vit un inconnu qui semblait fort désireux de cacher ce qu'il venait faire dans la cathédrale. L'inconnu tira une lettre de son manteau et la plaça vite au-dessus d'une statue colossale de Saint-François puis se retira précipitamment. En sortant de l'église, Lorenzo fut bousculé par Cristobal. Cristobal lui demanda de retourner dans l'église. Ils se cachèrent derrière la statue de Saint-François. Cristobal voulait montrer à Lorenzo l'abbesse de Saint-Claire et toute sa suite de nonnes. Elles venaient en confession. Cristobal assura son ami qu'ils allaient voir quelques-uns des plus jolis minois de Madrid.
Les deux amis vire entrer les nonnes qui retirèrent leur voile. La supérieure croisa ses mains sur sa poitrine et fit une profonde révérence lorsqu'elle passa devant la statue de Saint-François. Une des nonnes, en saluant Saint-François, laissa tomber son rosaire. Elle se baissa pour le ramasser et retira adroitement la lettre qui était au-dessous de la statue, elle la mit dans son sein et s'empressa de reprendre son rang dans la file. Lorenzo reconnu sa soeur Inès. L'inconnu quitta aussitôt sa cachette et se hâta de sortir de l'église mais Lorenzo l'en empêcha. Alors l'inconnu tira sa rapière et Lorenzo fondit sur lui. Cristobal les sépara. Alors Lorenzo reconnut en son adversaire Raimundo de Las Cisternas. Raimundo leur demanda de l'accompagner à son hôtel pour tout leur expliquer. Cristobal refusa ne voulant pas connaître les secrets de Raimundo. Il demanda à Raimundo où il pourrait le retrouver. Raimundo lui demanda de le retrouver à l'hôtel de Las Cisternas ou il logeait incognito sous le nom d’Alfonso d'Alvarada. Lorenzo fut surpris de cette confidence. Lorenzo et Raimundo se rendirent en toute hâte au palais de Las Cisternas.
Leonela parla à sa nièce. Elle était persuadée d'avoir séduit Cristobal. Mais Antonia avait observé de quel air Don Cristobal avait baisé la main de sa tante. Elle eut l'imprudence de se taire. Quand elles arrivèrent devant le logement qu'elles occupaient, Elles virent une foule assemblée. La foule regardait une femme d'une taille extraordinaire qui tournait sur elle-même en faisant toutes sortes de gestes extravagants. La femme portait une longue baguette noire avec laquelle elle traçait sur la terre quantité de figures singulières autour desquelles elle dansait. La femme chanta une balade intitulée chansons de la bohémienne. Dans sa chanson, la femme prétendait avoir le pouvoir de deviner l'avenir. La bohémienne s'adressa à Antonia. Elle lui dit qu'elle pouvait lui montrer son avenir. Antonia voulait savoir ce que la bohémienne pouvait lui prédire et demanda à sa tante l'autorisation d'entendre la prophétie. Leonela accepta. Elle donna de l'argent à la bohémienne qui prit la main de la vieille dame, la regarda et lui révéla que tous ses amis la prenaient pour une folle. Elle lui conseilla d'abandonner ses désirs de séduction et de donner aux pauvres l'argent qu'elle dépensait en toilettes vaines. Elle lui conseilla de songer à Dieu et non aux amants.
L'auditoire éclata de rire en entendant la bohémienne se moquer de l'âge de Leonela, de ses yeux gris qui louchaient et de ses trois cheveux roux qui lui restaient. Leonela faillit étouffer de colère et accabla la bohémienne des plus amers reproches. Puis la bohémienne se tourna vers Antonia pour prendre sa main et lui donner son oracle. Elle lui révéla que la destruction planait sur son avenir à cause d'un libertin et démon rusé. Elle lui conseilla de se méfier d'un être qu'elle rencontrerait semblant plein d’une vertu surhumaine, elle lui conseilla d'espérer l'éternel bonheur dans un monde cent fois meilleur.
Puis la bohémienne s'enfuit en courant. Antonia et sa tante avaient été affectées par les prédictions de la bohémienne. Mais l'impression s'effaça bientôt et l'aventure fut entièrement oubliée.
Chapitre II.
Le moine ne fut pas plus tôt seul dans sa cellule qui se livra sans contrainte aux enivrements de sa vanité en se rappelant l'enthousiasme que son sermon avait excité, son coeur s'enfla de joie et il s'imagina de splendides visions de gloire. L'orgueil lui dit hautement qu'il était supérieur à tout le reste de ses semblables.
Il pensait ne pas avoir une seule tâche sur la conscience et avoir su dompter de violentes passions. Il se décida à abandonner la solitude de sa retraite pour habituer ses yeux à des objets de tentations. Il voulait s'exposer aux séductions du luxe et du désir. Il regarda un portrait de la vierge Marie qui était suspendue en face de lui. La vierge était l'objet d'un culte de plus en plus fervent pour le moine. Il aurait voulu qu'existe une telle créature et qu'elle n'existe que pour lui. En regardant le tableau, il se surprit à avoir des idées impures. Il voulut se convaincre que ce n'était pas la beauté féminine qui lui causait cet enthousiasme mais la divinité qu'il adorait. On frappa à sa porte. C'était Rosario, un jeune novice qui devait prononcer ses voeux dans trois mois. Rosario avait une aversion pour la société et une profonde mélancolie. Personne n'avait jamais vu son visage. Sa tête était toujours enfermée dans son capuchon. Nul ne savait d'où il venait et un étranger au rang distingué avait engagé les moines à recevoir le novice et avait déposé la somme nécessaire.
On n'avait plus jamais entendu parler de l'étranger. Rosario avait soigneusement évité la compagnie des moines. Ambrosio était seul excepté de cette règle générale. Rosario avait pour Ambrosio un respect qui approchait de l'idolâtrie. Ambrosio se sentait attiré vers ce jeune homme et pour lui il mettait de côté sa sévérité habituelle. Ambrosio était charmé de la vivacité de son esprit et de la simplicité de ses manières. Il l'aimait avec toute l'affection d'un père. Rosario avait appris qu'un de ses chers amis étaie dangereusement malade et il voulait qu'Ambrosio prie pour son rétablissement. Cet ami s'appelait Vicente et de la Ronda. Rosario avait apporté quelques fleurs de celles qu'Ambrosio préférait. Il lui dit que plus rien à présent n'avait plus pour lui de charme que l'amitié d'Ambrosio et son affection. Cependant Rosario souffrait mais ne voulait pas révéler les causes de sa souffrance de peur qu'Ambrosio le haisse et le chasse.
Après les vêpres, les moines se retirèrent dans leurs cellules respectives et Ambrosio resta seul dans la chapelle pour recevoir les nonnes de Sainte-Clair. Chacune des nonnes fut entendue à son tour. Ambrosio écouta attentivement les confessions et enjoignit des pénitences proportionnées aux péchés. Cependant un des religieuses remarquable par la noblesse de son air et par l'élégance de sa démarche laissa par mégarde tomber une lettre de son sein. Ambrosio la ramassa dans l'intention de la lui rendre. Mais le papier étant déjà ouvert, Ambrosio lut involontairement les premiers mots de la lettre. Il recula de surprise et la nonne poussant un cri de terreur s'élança pour reprendre la lettre. La lettre avait été écrite par quelqu'un qui voulait aider Inès, la nonne, à fuir du couvent. De plus, Ambrosio apprit qu'Inès était enceinte. Il voulut remettre la lettre à l'abbesse. Inès se jeta aux pieds du moine pour essayer de récupérer la lettre. Elle lui promit d'employer sa vie à expier ce seul péché. Elle avoua que Raimundo était maître de son coeur avant qu'elle prenne le voile. Elle devait se marier avec lui mais la traîtrise d'une de ses parentes l’avait séparée de Raimundo. Alors, de désespoir, elle s'était jetée dans un couvent. Mais le hasard avait approché Inès de Raimundo. Inès pensait être perdue si Ambrosio révélait son imprudence à la supérieure. Les lois de Sainte-Claire étaient des plus sévères. Elle implora Ambrosio de lui rendre la lettre et de ne pas la condamner à une mort inévitable. Mais Ambrosio lui répondit que la sévérité de la punition la ramènerait de force dans les voies de la sainteté. Et quand l'abbesse apparut, Inès se jeta par terre et se frappa le sein en déchirant son voile dans tout le désir du désespoir.
Ambrosio présenta le fatal papier à la supérieure et l'informa de la manière dont il l'avait trouvé en ajoutant que c'était à elle de décider quel châtiment la coupable méritait.
À la lecture de cette lettre, les traits de l’abbesse s'enflammèrent de courroux. Elle ordonna qu'on emporte Inès au couvent. Alors, Inès s'adressa à Ambrosio elle l'accusa d'être orgueilleux, impitoyable et cruel. Elle l'accusa d'être son assassin et jeta sur lui la malédiction de sa mort et de celle de son enfant à naître. Elle affirma qu'il avait fui la séduction mais qu'il ne l'avait pas combattue. Elle lui annonça que le jour de l'épreuve arriverait et alors il céderait à la violence des passions. Il solliciterait la miséricorde de Dieu. Inès espérait que dans ce moment terrible, Ambrosio penserait à elle et à la cruauté qu'il avait eue envers elle.
Après ces paroles, Inès s'évanouit.
Ambrosio avait écouté les paroles d'Inès avec émotion. Une secrète angoisse l'avertissait qu'il avait traité cette infortunée avec trop de dureté. Il retint donc la supérieure et se hasarda à prononcer quelques paroles en faveur de la coupable. Mais l'abbesse refusa que l'on n’applique pas les lois de son ordre. Ambrosio se réfugia dans le jardin à l'extérieur de la chapelle. Il s'approcha d'une grotte rustique faite à l'imitation d'un ermitage. Un homme était étendu sur un des bancs de l'Hermitage. C'était Rosario. Rosario était en train de se parler à lui-même. Il espérait pouvoir devenir misanthrope. Alors Ambrosio lui dit que c'était une étrange pensée. Pour Ambrosio, la misanthropie était de tous les sentiments, le plus odieux. Rosario lui montra les vers qui avaient été inscrits sur une plaque de marbre fixée dans le mur opposé. C'était une poésie qui vantait les mérites de l'isolement absolu. Ambrosio expliqua à Rosario que l'homme était né pour la société. L'homme ne pouvait oublier entièrement cette société ni supporter d'en être oublié.
Ambrosio avoua le plaisir qu'il avait à retrouver ses frères le soir. Il voulut convaincre Rosario qu'en entrant au couvent il était resté en possession des avantages de la société, d'une société composée des hommes les plus estimables. Mais Rosario pensait que son excessive sensibilité pour le beau et le bon l'accablait de honte et l'entraînait à sa perdition. Il regrettait d'avoir intégré le couvent. Il s'en alla quelques instants pour pleurer. Il revint et évoqua sa soeur Matilda qui était morte. Elle avait succombé à ses chagrins. Mais l'homme n'ont-elles été amoureuse, Juliano, avait déjà engagé sa foi à une fiancée toute belle. Alors elle se présenta comme domestique à l'épouse de son bien-aimé et elle fut acceptée. Elle confessa son affection à Juliano qu'il la chassa. Alors Matilda retourna chez son père et mourut peu de temps après. Ambrosio pensait que Juliano avait été trop cruel. Il plaignait Matilda. Rosario lui demanda s'il pouvait le plaindre lui aussi car ces souffrances étaient encore plus grandes. Il confessa n'avoir pas d'ami, quelqu'un qui veuille participer aux souffrances de son coeur.
Alors Ambrosio lui demanda de le considérer comme son ami. Il lui avoua qu'au moment où il l'avait vu, il avait éprouvé des sentiments jusqu'alors inconnus à son coeur. Mais Rosario avait peur de confier le secret qui l'écrasait de son poids. Ambrosio jura solennellement qu'il ne le détesterait pas quel que soit le secret que Rosario lui confesserait.
Rosario lui demanda de jurer que quel que soit le secret qu'il allait confesser, Ambrosio ne l'obligerait pas de quitter le monastère avant que son noviciat soit expiré. Ambrosio promis. Alors Rosario se jeta aux pieds du moine et il lui avoua qu'il était une femme. Le moine tressaillit. Il quitta la grotte et s'enfuit précipitamment vers le couvent. Rosario le suivit et lui avoua qu'elle était Matilda. Et qu'il était celui qu'elle aimait. Ambrosio fut incapable de répondre. Matilda ne convoitait pas la jouissance d'Ambrosio. Elle lui raconta son histoire. Son père était chef de la noble maison de Villanegas mais mourut quand elle était encore qu'une enfant. Jeanne et Éric, elle fut recherchée en mariage par les plus nobles jeunes gens de Madrid. Elle avait été élevée sous la surveillance d'un oncle érudit qui l'initia à une partie de son savoir. Elle refusa avec dédain chaque offre qu'elle recevait jusqu'à ce que le hasard la conduise dans la cathédrale des capucins. Ce fut alors qu'elle vit Ambrosio pour la première fois. Le moine devint l'idole de son coeur est l'objet incessant de ses méditations. Alors Matilda se décida à prendre le déguisement sous lequel elle avait pu être reçue dans le couvent pour parvenir à gagner l'estime d'Ambrosio.
Matilda avait été troublée par la crainte d'être découverte. Elle avait peur de perdre l'amitié d'Ambrosio. Alors elle ne voulait pas que le hasard découvre son véritable sexe et elle résolut de se confesser en espérant la miséricorde du moine. Mille sentiments opposés se combattaient dans le sein d'Ambrosio. Il était dans la confusion d'une déclaration si brusque. Il lui en voulait de son audace mais il était flatté des éloges donnés à son éloquence et à sa vertu. Il éprouvait un secret plaisir à penser qu'une femme jeune et jolie avait abandonné le monde pour lui. Mais il ne remarqua pas que son coeur battait de désir. Il rassembla ses idées et bien Matilda qu'elle ne pouvait pas sérieusement espérer l'autorisation de rester dans le couvent. Elle ne demandait que la liberté d'être auprès de lui quelques heures par jour. Pour Ambrosio, cela était inconvenant car il y avait trop de risques que Matilda soit découverte. Il ne voulait pas s'exposer à une si dangereuse tentation.
Matilda lui demanda d'oublier qu'elle était une femme. Elle s'engageait à ne pas le détourner de la voie de la rectitude. Elle ne l'aimait que pour ses vertus et des qu'il les perdrait, il perdrait son affection. Elle l'aimait comme un saint et s'il prouvait qu'il n'était rien de plus qu'un homme, Matilda le quitterait avec dégoût.
Mais Ambrosio tremblait pour Matilda car s'il avait vaincu l'effervescence impétueuse de la jeunesse, après avoir passé 30 ans dans la mortification et la pénitence mais Matilda produirait de funestes conséquences en restant dans le couvent. Elle espérerait un retour d'affection et ses passions deviendraient plus fortes. Le devoir obligeait Ambrosio de traiter Matilda avec rigueur et il lui ordonna de partir le lendemain.
Ambrosio voulut s'en aller mais Matilda l'en empêcha. Elle tira un poignard et déchira sa robe. Elle plaça la pointe du poignard sur sa poitrine. Elle menaça de se tuer. Ambrosio voulut la convaincre que si elle se suicidait elle perdrait son âme. Ambrosio admira la blancheur de la poitrine de Matilda. Une sensation jusqu'alors inconnue remplit son coeur d'un mélange d'anxiété et de volupté. Mille désirs emportaient son imagination. Ambrosio lui ordonna d'arrêter son geste. Il autorisa à rester au couvent. Puis il s'en alla vers le monastère et regagna sa cellule. Il se rappela toutes les heures si heureuses qu'il avait passées dans la société de Rosario et il craignait pour son coeur le vide que cette séparation y laisserait. De plus, la bienveillance de Matilda pouvait être extrêmement avantageuse au couvent de par les richesses qu'elle possédait. Il voulut se convaincre que l'amour de Matilda était aussi pur qu'elle le dépeignait.
Alarmé des sentiments auxquels il s'abandonnait en repensant à la poitrine de Matilda, il eut recours à la prière. Il pria la madone de l'aider à étouffer ses coupables émotions puis il s'endormit.
Il rêva de Matilda, sa gorge nue. Elle le couvait de ses baisers. Il les rendait et il la serrait passionnément sur sa poitrine. Il se jeta à bas de son lit, plein de confusion au souvenir de ses songes. Il reconnut avoir été l'esclave de la flatterie, de la convoitise et de l'amour-propre. Frappé du danger qu'il courait, il résolut d'insister sur le départ immédiat de Matilda. Il sentait qu'il était hors d'état de lutter contre les passions dont il s'était cru exempt. Il éprouvait déjà l'effet de la malédiction d'Inès. Il quitta sa cellule décidée à renvoyer le faux Rosario. Il pria mais sans dévotion. Matilda l'attendait au jardin. Il craignait la mélodieuse séduction de la voix de Matilda. Il prit un air de fermeté pour lui annoncer sa décision. Elle lui reprocha sa trahison. Il lui demanda de le délier de son serment. Si elle était découverte, Ambrosio serait plongé dans l'opprobre et la paix de son âme dépendait du consentement de Matilda. Il lui annonça que si elle décidait de rester, peu de semaines suffiraient pour sacrifier son honneur à ses charmes. Il lui avoua qu'il la trouvait attrayante et séduisante. Il l’implora de l'empêcher de perdre le prix de 30 années de souffrance. Alors elle accepta. Elle partirait le jour même chez une parente qui était supérieure d'un couvent dans l'Estrémadure. Mais elle voulut savoir si ses pensées la suivraient dans sa solitude. Ambrosio lui répondit qu'il avait peur de ne penser que trop souvent à elle. Elle lui demanda à un gage de son affection. Alors Ambrosio voulut cueillir une rose pour lui offrir mais un serpent le piqua et il s'évanouit. Matilda appela à l'aide. Les frères accoururent et le supérieur fut reporté au couvent. Le moine qui faisait office de chirurgien se mit en devoir d'examiner la blessure. Il prodigua des remèdes de qui rendirent la vie à Ambrosio mais le moine était encore dans le délire. En examinant la blessure, le père Pablos pensait qu'Ambrosio ne pourrait pas vivre plus de trois jours. Le venin du serpent finirait par tuer Ambrosio. Rosario resta seule dans la cellule. Ambrosio tomba dans un profond sommeil. Plus tard, Pablos défie le pansement par curiosité. Il fut étonné de trouver que l'inflammation avait totalement cessé. Le venin avait disparu. Les frères furent parfaitement convaincus que leurs supérieurs étaient un saint et ils pensèrent qu'il était tout naturel que Saint-François eût opéré un miracle en sa faveur. Pablos conseilla à Ambrosio de garder le lit encore deux jours puis il se retira avec les autres moines. Ambrosio resta seul avec Rosario.
Rosario/Matilda alla chercher sa harpe pour distraire Ambrosio. Elle chantait une balade rendant hommage au chevalier Durandart mort pendant la bataille de Roncevaux. Ambrosio put découvrir le bas du visage de Matilda et son bras qu'elle avait découvert pour mieux jouer. Ce regard suffit pour lui démontrer tout le danger de la présence de ce séduisant objet.
Ambrosio fit semblant de dormir redoutant l'influence de charme de Matilda. Alors elle se pencha sur lui en lui disant la tendresse qu'elle avait pour lui et la pureté de sa passion. Elle se mit à pleurer et une de ses larmes tomba sur la joue du moine. La chaleur brûlante de la larme de Matilda s'était communiquée au coeur d'Ambrosio. Elle regarda le portrait de la vierge Marie et reprocha à la madone d'avoir aggravé ses peines car Ambrosio adressait ses prières à cette image insensible. Elle espérait être mourante pour qu’Ambrosio n'ayant plus à craindre d'enfreindre ses voeux confesse la tendresse qu'il avait pour elle. À ces mots, Ambrosio prononça son prénom d'une voix troublée et elle se tourna vers lui en découvrant son visage. Il fut stupéfait de voir l'exacte ressemblance de sa madone adorée. Il poussa une exclamation de surprise et retomba sur son oreiller. Matilda avoua qu'elle s'était fait peindre par un peintre vénitien célèbre qui résidait à Madrid. Elle avait fait envoyer son portrait au couvent des capucins comme s'il était à vendre. Ambrosio acheta le portrait. Matilda faisait cette confession pour convaincre Ambrosio de la pureté de son affection. Elle avait été témoin des transports que la beauté de la madone excitait en Ambrosio. Matilda supplia Ambrosio de la laisser rester près de lui. Mais il lui répondit qu'il avait besoin d'être seul. Il lui laissait simplement un délai suffisant pour préparer un peu les frères à son départ. Elle devrait s'en aller au bout de trois jours. Le moine réfléchit qu'il y avait infiniment plus de mérite à vaincre la tentation qu'à l'éviter. La nuit suivante, Ambrosio fit encore des songes voluptueux encore plus intenses que ceux de la nuit précédente.
Le lendemain matin, Ambrosio se dispensa de se rendre à matines, épuisé par ses songes provocants. C'était la première fois de sa vie qu'il y avait manqué. De tout le jour, et il n'eut aucune occasion de parler à Matilda sans témoin. Le soir, Ambrosio dirigea ses pas vers l'ermitage. Il avait fait signe à Matilda de l'accompagner et elle obéit. Mais ni l'un ni l'autre n'osait faire allusion au sujet qui leur tenait le plus à coeur. Matilda paraissait impatiente de mettre fin à une conversation qu'il a gênée alors elle demanda à Ambrosio la permission de retourner au couvent. Alors il lui dit qu'il consentait à ce qu'elle continuât de partager sa solitude, aussi longtemps qu'elle le trouverait agréable.
Elle ne donna aucune marque de plaisir en recevant cette nouvelle. Elle lui dit pourtant qu'ils devaient se séparer à jamais. Elle était très malade. Elle entra dans sa cellule. Ambrosio lui envoya le médecin. Matilda avait refusé d'être soignée. Durant la nuit, Ambrosio pensa à la beauté et à la tendresse de Matilda et aux plaisirs qu'il aurait partagés avec elle, s'il n'avait pas été retenu dans les chaînes monastiques. Il espérait qu'elle parviendrait à éteindre sa passion et à trouver le bonheur dans les bras d'un homme plus heureux. Mais un moine frappa à sa porte pour lui annoncer que Rosario demandait instamment à le voir car il était à l'article de la mort. Pablos pensait que Rosario s'était empoisonné. Les moines étaient autour de Matilda et découvraient pour la première fois son visage. Ils se retirèrent immédiatement quand Ambrosio arriva. Elle avoua s'être empoisonnée. Elle avait défait le pansement d'Ambrosio et baisé la plaie pour sucer le poison. Elle s'était sacrifiée pour sauver Ambrosio. Elle avait encore une ressource cadeaux et employés car elle était dangereuse. Alors Ambrosio lui ordonna d'utiliser cette ressource. Mais Matilda avoua éprouver tes désirs charnels pour Ambrosio. Si elle acceptait de vivre, tout ce qui était précieux à Ambrosio serait perdu irrévocablement. Soit elle possédait Ambrosio soit elle mourrait. Matilda voulait expirer tandis qu'elle méritait encore les larmes des hommes vertueux livre de désir, Ambrosio pressa ses lèvres sur celles de Matilda. Il oublia ses voeux, sa sainteté et sa réputation. Il ne pensa qu’à jouir du plaisir et de l'occasion. Il se laissa tomber sur son sein.
Chapitre III.
Le marquis et Lorenzo se rendaient en silence à l'hôtel de Las Cisternas. Lorenzo se sentait embarrassé de la présence de marquis en raison de l'aventure dont il venait d'être témoin. Il attendait avec impatience l'explication de don Raimundo.
Lorenzo voulait être fixé sur le but de la correspondance que le marquis avait échangée avec Inès. Il espérait que le marquis serait toujours digne de son estime. Le marquis pensait que Lorenzo n'avait fait aucun effort pour dissuader Inès de prendre le voile. Lorenzo lui apprit qu'il avait essayé de dissuader Inès et que celle-ci avait refusé de le rencontrer. En insistant, il réussit à rencontrer sa soeur mais elle ne céda pas. Il voulut savoir quelle était la raison qui la poussait à prendre le voile mais elle refusa de lui répondre. Il vit souvent sa soeur à la grille du couvent puis il fut obligé de quitter Madrid. Il n'était revenu que la veille. Lorenzo expliqua au marquis qu'il ne savait pas qu'Alfonso d’Alvarada et le marquis de Las Cisternas était une seule et même personne. Le marquis déplorait la perfidie de la tante de Lorenzo car celle-ci avait noirci son image. Le marquis raconta alors son récit: histoire de don Raimundo, marquis de Las Cisternas.
Le marquis savait qu'on avait caché la vérité à Lorenzo. Le marquis apprit à Lorenzo qu'il avait fait connaissance avec sa soeur quand Lorenzo était en voyage. Quand Lorenzo était à Salamanque pour étudier à l'université, le marquis commençait le cours de ses voyages. Le père du marquis avait conseillé à son fils de voyager incognito. Ainsi les personnes qui auraient recherché l'amitié de Las Cisternas n'auraient aucun intérêt à découvrir le mérite ou à supporter patiemment les défauts d'Alfonso d'Alvarada. Le marquis pouvait ainsi sans crainte attribuer à ses propres qualités et non à son rang la distinction dont il serait l'objet. Il pouvait de plus désormais fréquenter les classes inférieures de la société. De cette manière, le marquis pourrait découvrir par ses yeux les souffrances du peuple. Le marquis s'était rendu à Paris pour son premier séjour. Il découvrit que les Parisiens étaient frivoles, insensibles et peu sincères. Ensuite, il partit pour l'Allemagne. Il s'arrêta à Lunéville pour prendre quelques rafraîchissements et vit une dame d'un extérieur plein de noblesse. Il se renseigna sur cette dame et en lui appris qu'elle se rendait à Strasbourg. Le marquis partit le soir même pour Strasbourg. Mais sa voiture se brisa. Le postillon lui proposa de se rendre dans la cabane de bûcheron de son vieil ami Baptiste. Le marquis accepta et il fut accueilli chaleureusement par Baptiste. La femme de Baptiste, quant à elle, fut plus froide envers le marquis. Elle se mit à exécuter les ordres de son mari mais avec une mauvaise humeur visible. Marguerite, la femme de Baptiste, était jaune et maigre. Chacun de ses gestes exprimait le mécontentement et l'impatience. Néanmoins, Marguerite se mit à préparer le souper. Le postillon était prêt à partir pour Strasbourg mais Baptiste insista pour qu'il reste manger avant son départ. Baptiste était inquiet pour ses fils Jacques et Robert qui étaient restés dehors. Le marquis ne put s'empêcher de témoigner au bûcheron combien est le pionnier des tranchées de pour la vie à une campagne d'un caractère si difficile. Il répondit qu'il laissait Marguerite faire à sa tête sauf en ce qui concernait ses fils avec lesquels elle se comportait en marâtre. Tout à coup, ils entendirent un grand cri qui venait de la forêt. Une voiture arriva. Un des domestiques sortis de la voiture et demanda au bûcheron s'il pouvait les loger cette nuit. Baptiste fut obligé de répondre non. Mais le marquis ne voulait pas laisser la maîtresse des domestiques dehors et il lui laissa volontiers sa place. Le marquis reconnut la femme immédiatement. C'était celle qu'il avait vue à l'auberge de Lunéville. Il demanda à l'un de ses domestiques quel était le nom de la dame. C'était la baronne Lindenberg. Baptiste ne put cacher la répugnance à recevoir ces nouveaux venus. Les domestiques de la baronne pourraient dormir dans une grange non loin de la maison du bûcheron. Marguerite céderait sa chambre aux deux femmes de chambre de la baronne. À ce moment-là, Robert et Jacques arrivèrent. Baptiste les présenta à la baronne et au marquis. Le marquis remarqua qu'ils étaient bien armés. Ils répondirent qu'il était nécessaire de prendre des précautions quand on passait la nuit dans cette forêt. Claude annonça à la baronne qu'il était obligé d'aller de nuit à Strasbourg il lui proposa de donner de ses nouvelles au mari de la baronne. La baronne accepta car elle était aveuglée sur le danger de l'entreprise et elle était accoutumée à sacrifier l'intérêt des autres au sien. La baronne écrivit une lettre à son mari et le marquis envoya quelques lignes à son banquier pour le prévenir qu'il ne serait que le lendemain à Strasbourg. Claude prit les lettres et quitta la cabane. La baronne se retira pour se reposer. Le marquis se retrouva avec Marguerite qui ne se priva pas de lui dire qu'il la gênait. Alors le marquis se retira dans la chambre où il devait coucher.
Marguerite accompagna le marquis pour lui montrer sa chambre. Dans l'escalier elle lui serra fortement la main. Il en fut pétrifié. Une fois seule dans sa chambre, le marquis retira la couverture du lit et découvrit avec stupéfaction que les draps étaient rouges de sang.
Le marquis regarda dehors et il vit un homme qui marchait vite puis s'arrêtait pour écouter. C'était Baptiste qui regardait autour de lui avec anxiété. Le marquis remarqua que Claude n'était pas en route vers Strasbourg quand celui-ci s'approcha de Baptiste. Le marquis écouta leurs discussions. Claude discutait avec Baptiste du butin qu'ils escomptaient extorquer à leurs invités. Le marquis apprit que Baptiste et Claude comptaient sur l'arrivée de leurs associés pour réussir ce coup. Baptiste parlait de sa femme en disant qu'il avait confiance car elle avait peur de lui et elle aimait trop ses enfants pour oser le trahir. De plus, Baptiste était prêt à poignarder ceux qui tenteraient de se rebeller.
Baptiste envoya Claude chercher la bande à la caverne. Le marquis résolut de défendre sa vie aussi chère que possible. En descendant pour dîner, le marquis eut le temps d'adresser un coup d'oeil à Marguerite pour la prévenir que son avis n'avait pas été perdu. Il venait de comprendre que ce qu'il avait pris pour une humeur sombre n'était en réalité que du dégoût envers ses compagnons malhonnêtes et de la compassion pour le marquis. Le marquis discuta avec la baronne qui l'assura du plaisir qu'elle avait à faire sa connaissance. Elle le pria de venir la voir au chapeau de Lindenberg. Tout en discutant, le marquis calculait les moyens de quitter la cabane est arrivé jusqu'à la grange. Former les domestiques des projets de Baptiste. Mais comme Jacques et Robert le surveillaient, son projet était impossible. Il ne restait plus au marquis qu'à espérer que Claude ne trouve pas les bandits dans la caverne. Quand Baptiste arriva, le marquis le maudit pour son hypocrisie. Le marquis voyait son avenir compromis et pourtant il était forcé de dissimuler et de recevoir avec un semblant de reconnaissance les fausses civilités de Baptiste.
Baptiste remarqua que le marquis n'était pas très gai alors il lui proposa un verre de vieux vin.
Il ordonna à Marguerite d'aller chercher la bouteille. Elle revint avec une bouteille cachetée de cire jaune. Le marquis soupçonnait que cette boisson n'était pas offertes sans dessein alors il regarda Marguerite qui lui fit signe de la tête de ne pas goûter de cette liqueur. La baronne essaya de refuser d'en boire mais Baptiste insista. Le marquis remarqua que c'était du champagne mais constata qu'il y avait quelques grains de poudre flottant à la surface. Alors il fit semblant de l'avaler et courut en toute hâte à un vase plein d'eau pour feindre de cracher le vin avec dégoût mais il profita de l'occasion pour vider son verre dans le vase sans être aperçu. Les brigands parurent alarmés de son action et Jacques se leva à demi de sa chaise. Le marquis remarqua le poignard qu'il avait caché sous sa chemise. Le marquis revint tranquillement à son siège et annonça qu'il avait bu le champagne mais qu'il en avait été incommodé violemment. Il attendit avec anxiété les effets du breuvage sur la dame Lindenberg. Au bout de quelques minutes celle-ci tomba dans un profond sommeil. Le marquis ne savait pas ce qu'il devait faire alors Marguerite, d'un signe de tête, lui conseilla de faire semblant de s'assoupir. Après quoi, Baptiste et ses fils discutèrent de leur projet. Baptiste reprocha à ses fils d'être arrivés en retard car alors ils auraient pu s'emparer du butin du marquis avant que la baronne n'arrive avec ses domestiques.
Le marquis entendit des pas de chevaux. Marguerite s'écria : « Dieu tout-puissant ! Ils sont perdus ! ». C'étaient les bandits qui étaient arrivés. Baptiste ordonna à Jacques et à Robert de partir vers la grange. Le marquis sentit une main le remuer doucement. Marguerite lui conseilla d'agir. Il ouvrit les yeux et se rendit compte que Baptiste lui tournait le dos alors il sauta sur lui et lui serra la gorge tandis qu'à Marguerite s'empara du poignard de son mari pour le tuer. Après quoi Marguerite ordonna au marquis de la suivre. Le marquis prit la baronne dans ses bras et suivit Marguerite. Ils sortirent pour s'enfuir avec les chevaux que les bandits avaient laissés. Ils passèrent devant la grange et entendirent les cris des domestiques assassinés par les bandits.
Jacques entendit les chevaux et tenta de poursuivre le marquis, la baronne et Marguerite avec les autres bandits. Ils étaient sur le point d'être rattrapé à Strasbourg quand des cavaliers arrivèrent pour les secourir. C'était le baron Lindenberg et le fils de Marguerite. Les bandits s'enfuirent en voyant arriver des soldats. Après quoi, le marquis se rendit à l'auberge de lAaigle d'Autriche ou il accueillit le baron Lindenberg avec la baronne qui fut mise au lit. Le marquis apprit la mort de son domestique Esteban quand les soldats rendirent compte de leur poursuite. Tous les bandits avaient été arrêtés et conduits à Strasbourg.
Les soldats avaient réussi à trouver deux domestiques survivants et un enfant de quatre ans qui étaient le fils de Marguerite. Le marquis lui demanda comment il avait pu vivre avec un bandit. Elle avoua être tombée amoureuse d'un homme et elle avait dû quitter la maison de son père pour se marier avec lui. Cet homme était de noble naissance mais il avait dissipé son patrimoine. Il fut obligé de fuir Strasbourg et pour échapper à la mendicité il citait associer à des bandits qui infestaient la forêt. Elle ne connaissait pas tous les excès de son mari. Il lui cachait les détails de ses crimes. Une fatale lui, le mari de Marguerite avait été tué par un voyageur anglais. Avant de mourir, il avait eu le temps de demander pardon à Marguerite. Marguerite pensait pouvoir retourner dans sa famille mais les bandits l'en empêchèrent et il est l'obligèrent de se marier à l'un d'entre. Baptiste fut tiré au sort pour être le mari de Marguerite elle ne pouvait pas s'échapper car ses enfants étaient au pouvoir de Baptiste. Le chagrin et la tristesse altère Marguerite. Alors quand il vit Alfonso, elle mit tout en oeuvre pour le sauver. Elle avait décidé d'envoyer son fils Théodore vers Strasbourg pour chercher du secours. Il trouva alors le mari de la baronne Lindenberg. Le marquis voulut prouver à Marguerite sa reconnaissance. Son seul désir était de se retirer dans un couvent. Elle demanda au marquis d’intercéder auprès de son père pour qu'il prenne en charge ses enfants. Le marquis promis de s'en occuper avec le baron Lindenberg. Ils réussirent leur mission. Le bon vieillard avait perdu sa femme et n'avait pas d'autres enfants que Marguerite. Il la reçut avec ses enfants à bras ouverts et il ne voulait pas que Marguerite se retire au couvent. Théodore supplia le marquis de l'accompagner dans ses voyages et le marquis accepta. Ils partirent pour la Bavière chez les Lindenberg. Le marquis promit à Marguerite de lui rendre son fils au bout d'une année.
Chapitre IV.
Don Raimundo continua son récit. Il avait trouvé le baron cordial et affectueux même si ses manières étaient loin d'être des plus raffinées. Ensemble, ils allaient à la chasse. Le baron lui voua une éternelle amitié. C'est au château de Lindenberg qu’Alfonso vit pour la première fois la soeur de Lorenzo. Elle avait alors à peine 16 ans. Il en tomba amoureux. La baronne lui apprit qu’Inès était destinée au couvent. Lorenzo en fut surpris. Les parents de Lorenzo étaient superstitieux. Quand la mère de Lorenzo était enceinte d'Inès, elle fut prise d'une dangereuse maladie alors elle fit voeu, au cas où elle retrouverait la santé, que l'enfant qui vivait dans son sein serait consacré à Sainte Claire si c'était une fille ou à Saint-Benoît si c'était un garçon. Ses prières furent exaucées. Inès vint au monde vivante et fut destinée aussitôt au service de Sainte-Claire. Don Gaston s'associa sans difficulté aux voeux de sa femme mais, connaissant les opinions du duc son frère, au sujet de la vie monastique, il fut convenu qu'on lui cacherait avec soin l'avenir que l'on réservait à Inès. Il fut décidé qu'Inès accompagnerait sa tante, Rodolfa, en Allemagne, où cette dame était sur le point de suivre le baron Lindenberg qu'elle venait d'épouser. La jeune Inès fut mise dans un couvent. Les nonnes s'efforcèrent de lui inspirer du goût pour la retraite et pour les plaisirs tranquilles du cloître. Mais Inès sentait qu'elle n'était pas née pour la solitude. L'envisager avec des coûts l'avenir qu'on lui réservait. Mais elle se résignait à la volonté de ses parents. Inès n'était pas assez rusée pour cacher longtemps sa répugnance envers le couvent et donc Gaston en fut instruit. Alors il cacha à Lorenzo toute l'affaire craignant que Lorenzo fasse obstacle au malheur de sa soeur. La prise de voile fut fixée à l'époque où Lorenzo était en voyage. Inès ne fut pas autorisée à obtenir l'adresse de Lorenzo et toutes les lettres qu'elle recevait étaient lues avant de lui être remises. On n'en effaçait les passages qui paraissaient de nature à entretenir son goût pour le monde. Alfonso était déterminé à arracher Inès d’un sort si contraire à ses inclinations. Il se vanta de son amitié envers Alfonso et Inès l'écoutait avec avidité. Sa cour assidue gagne enfin le coeur d'Inès mais elle refusa de quitter le château de Lindenberg. Elle engagea Alfonso à user de son influence pour convaincre ses tuteurs de la sortir du couvent.
Alors Alfonso tenta de convaincre la baronne qui faisait la loi dans le château. La baronne avait des passions violentes et rien ne lui coûtait pour les satisfaire. Elle poursuivait d'une vengeance éternelle ceux qui s'opposaient à ses désirs. Alors Edmundo travailla sans relâche à lui plaire.
Elle fut flattée de ces prévenances. Alfonso lui faisait la lecture pendant des heures. Il devait lire d’impitoyables volumes de vieux romans espagnols. Cependant, le plaisir croissant que la baronne semblait prendre en compagnie de Alfonso l'encourage à persévérer. Alors qu'il venait de finir la lecture des amours de Tristan pays the, Raimondo parla d'amour à la baronne. Il voulut avouer à la baronne le nom de celle qu'il aimait. Mais la baronne croyait que c'était elle-même qu’Alfonso aimait. Alfonso ne savait que répondre à la déclaration de la baronne. Il fut obligé de lui annoncer que ce qu'elle avait pris pour les sollicitudes de l'amour n'étaient que les prévenances de l'amitié. Avec délicatesse. Il lui fit comprendre que même si ces attraits ne lui étaient pas indifférents, son coeur appartenait à une autre. Et de plus il ne pouvait violer les lois de l'hospitalité. Malgré cela, la baronne se mit en colère. Elle voulut savoir qui était l'élue de son coeur. Des qu'il saurait, elle ferait souffrir sa rivale. Elle menaça Alfonso de l'entourer d'espions pour savoir qui était la femme qu'il aimait. Puis la baronne s'évanouit et Alfonso en profita pour s'échapper. Comme il passait près d'une salle basse, il vit, par la porte qui était entrouverte, Inès assise à une table. Il alla lui parler. Inès avait laissé sur la table de dessin qu'elle venait d'achever. Alfonso en prit un qui représentait la grande salle du château de Lindenberg et un groupe de figures placées dans les attitudes les plus grotesques. La terreur était peinte sur toutes les physionomies. L'origine de ce désordre, était une femme d'une taille surnaturelle portant l'habit d'un ordre religieux. Son visage était voilé et à son bras pendait un chapelet. Sur sa robe on voyait des taches de sang. D'une main elle tenait une lampe, de l'autre un grand couteau. Alfonso demanda à Inès quel était ce dessin. Elle lui expliqua que c'était une représentation de la nonne sanglante. C'était une vieille tradition de sa famille. Cette nonne avait habité dans la plus belle pièce du château et s'était amusée à faire danser les tables et chaises au beau milieu de la nuit. Suivant la tradition, cette histoire avait commencé sentant plutôt. De temps en temps, la nonne s'aventurait dans les vieilles galeries du château, s'arrêtant aux portes des chambres, elle y pleurait et se lamentait au grand effroi de leurs habitants. Elle avait été vue par différentes personnes. Il arrivait à la nonne de répéter un Pater noster et tantôt elle hurlait les plus horribles blasphèmes. Soit qu'elle jurât, soit qu'elle fût dévote, toujours elle tâchait d'épouvanter ses auditeurs. Le propriétaire du château fut si effrayé par la nonne qu'un beau matin on le trouva mort dans son lit. Le baron suivant se montra trop fin pour la nonne car il fit son entrée escorté d'un célèbre exorciseur qui ne craignit pas de s'enfermer toute une nuit dans la chambre où elle revenait. Mais au bout de cinq ans, l'exorciseur mourut et la nonne se hasarda à reparaître. Mais elle ne faisait plus d'apparition qu'une fois tous les cinq ans. Le baron était pleinement persuadé que le 5 mai de chaque cinquième année, aussitôt que l'horloge sonnait 1:00, la porte de la pièce adoptée par la nonne s'ouvrait. La nonne sortait alors avec son couteau à la main et descendait l'escalier de la tour de l'est pour traverser la grande salle. Puis elle revenait dans sa chambre ou d'une heure. Inès ne croyait pas à cette légende. Alfonso trouva qu’avait le don de la caricature. Alors elle lui montra un autoportrait et lui offrit. Mais tout à coup, Inès s'enfuit car la baronne venait d'apparaître. La fureur de Rodolfa provoqua l'embarras et le silence de Alfonso. Puis elle annonça à Alfonso que finalement elle était heureuse car à présent il savait ce que c'était que d'aimer sans espoir. Le voile d'Inès mettrait entre elle et lui une barrière insurmontable. Elle ordonna à Alfonso de partir dès le lendemain.
Lendemain, Alfonso annonça son départ au baron. Il lui raconta ce qui s'était passé mais le baron lui répondit qu'il ne lui était pas possible d'intervenir dans cette affaire. La baronne exerçait sur son mari une autorité despotique. Il salua la baronne qui lui conseilla de prendre garde car son amour pour lui était devenu de la haine et sa vanité blessée exigeait réparation. Au moment où Alfonso regagna son véhicule, Théodore, son page, lui conseilla de prendre courage. Tandis qu’Alfonso était avec le baron, Théodore avait épié le moment où Cunegonda était en bas et il était monté dans la chambre qui était au-dessus de celle d'Inès. Il avait chanté aussi au qu'il avait pu dans l'espoir qu'Inès se rappellerait de sa voix. Aussitôt la croisée s'ouvrit et Théodore se Hata de laisser tomber une corde dont il s'était pourvue. Inès avait attaché un bout de papier à la corde. C'était un billet destiné à Alfonso. Elle lui conseillait de se cacher pendant 15 jours dans un village des environs. Alors Inès recouvrerait sa liberté, sa tante croyant qu’Alfonso était loin de Lindenberg. Inès l'attendrait dans le pavillon de l'Ouest, le 30, à minuit.
Alfonso félicita Théodore. Son page avait deviné sa passion pour Inès en observant en silence ce qui se passait et il n'avait pas essayé de s'immiscer dans l'affaire avant que les intérêts d’Alfonso ne réclament son intervention. Alfonso admira son jugement, sa pénétration, son adresse et sa fidélité. Théodore était étranger mais il avait appris à parler espagnol couramment. Il passait la plus grande partie de son temps à lire. Alfonso suivi les instructions d'Inès. Il se réfugia dans un petit village situé environ 4 milles du château de Lindenberg. Il logea dans une auberge avec Théodore. Ils y restèrent 15 jours. Inès avait été en effet libérée. Alfonso la vue traversait le village. Bien que déguisé, Inès reconnue Alfonso devant l'auberge. Il la salua profondément et elle lui rendit son compliment. La nuit si longtemps attendue arriva. Il se rendit au rendez-vous avec Théodore. Inès lui apprit que son père lui avait donné l'ordre de partir immédiatement pour Madrid. Elle avait réussi à obtenir un délai d'une semaine. La fuite était sa seule ressource contre les horreurs d'un couvent. Le 5 mai, on s'attendait à avoir l'apparition de la nonne sanglante. Aussi, Inès, lors de sa dernière visite au couvent, s'était pourvue d'un costume propre à ce rôle. Inès voulait que Raimundo l'attente à peu de distance de la grande porte du château, le 5 mai. Dès que l'horloge sonnerait 1:00, elle quitterait sa chambre dans les habits que l'on supposait être ceux du fantôme. Ainsi à gagner est facilement la porte et se mettre sous la protection d’Alfonso. Elle comptait sur son amour et sur son honneur. S’il l'abandonnait ou si il trahissait sa confiance elle n'aurait pas un ami pour punir son insulte et pour défendre sa cause. En lui seul était tout son espoir est ici son coeur ne plaidait pas pour elle, elle serait perdue à jamais. Alfonso lui répondit que sa vertu de son innocence serait en sûreté sous sa garde. Mais alors Cunegonda sortit de sa chambre car elle avait entendu Inès et l'avait suivi dans le jardin. Elle avait entendu toute la conversation. Elle irait tout raconter à la baronne. Alors Théodore est Alfonso s'emparèrent de la duègne. Ils la bâillonnèrent et la ligotèrent. Ils engagèrent Inès à regagner sa chambre. Ils promirent de ne faire aucun mal à Cunegonda. Il lui dit qu’il l'attendrait le 5 mai comme convenu. Avant d'être arrivé à destination, Alfonso avait déjà décidé de ce qu'il ferait de l'embarrassante Cunegonda. Théodore détourna l'attention de l'aubergiste pendant qu’Alfonso emmena Cunegonda dans sa chambre. Il l'engagea à se soumettre patiemment à sa réclusion momentanée. Elle exprimait sa fureur par ses regards car elle était hors d'état de parler ou de remuer. Théodore n'avait aucun scrupule pour garder captive Cunegonda. Au château, ils avaient toujours été en guerre, et à présent qu'il se voyait maître absolu de son ennemie, il triomphait sans pitié. Au château, excepté Inès, personne ne pouvait imaginer ce qu'était devenue dame Cunegonda. On la chercha dans tous les coins, on vida les étangs, les bois furent soumis au plus exact de perquisition sans succès. La baronne croyait à un suicide. Alfonso dépêcha à Munich un paysan avec une lettre pour Lucas dans laquelle il lui ordonnait d'avoir soin qu'une voiture attelée de quatre chevaux arriva à 10 heures du soir, le 5 mai, au village de Rosenwad. À mesure qu'approchait l'heure de l'enlèvement d'Inès, la rage de Cunegonda augmentait. Mais Alfonso avait découvert que Cunegonda avait un faible pour la liqueur de cerises et il lui enfile donner en abondance. Le 5 mai arriva. Alfonso arriva avant minuit. Théodore le suivit à cheval. La voiture fut cachée dans une vaste caverne de la montagne au sommet de laquelle était situé le château. Alfonso soupira en songeant à l'influence de la superstition et à la faiblesse de la raison humaine quand l'histoire de la nonne sanglante lui revint à la mémoire. Soudain il entendit des champs affaiblis. Théodore lui apprit qu'un étranger de distinction s'était rendu au château. C'était disait-on le père d'Inès. Sans doute le baron donnait une fête pour célébrer son arrivée. À minuit, la compagnie du château se sépara pour aller se coucher. Alfonso entendit tirer les verrous des portes massives et le vieux château fut tout entier enveloppé de ténèbres. Les portes avaient été ouvertes en l'honneur de l'hôte surnaturel. Cela pénétra Alfonso d'une triste et respectueuse horreur. L'horloge du château frappa 1 heure. Alfonso regarda la fenêtre de la chambre hantée. Une lumière apparue. Alfonso et vie Inès passait la porte principale. Elle était habillée exactement comme l'avait décrit le spectre. Un chapelet pendait à son bras, sa tête était enveloppée d'un long voile blanc, sa robe de nonne était tachée de sang, elle avait eu soin de se munir d'une lampe et un poignard. Elle s'avança vers Alfonso qui la prit dans ses bras. Alfonso l'emmena dans sa voiture. Théodore était chargé de relâcher dame Cunegonda. Il était aussi chargé de porter une lettre dans laquelle Alfonso expliquait à la baronne toute l'affaire. Dans cette lettre, il suppliait la baronne d'obtenir le consentement de don Gaston à son mariage avec sa fille. Il lui découvrait son véritable nom. Les chevaux furent affolés par un orage. Les postillons ne réussirent pas à les freiner. Un horrible craquement annonça la fin de la course. La voiture était en pièces. À cause de la violence du choc, Alfonso perdit connaissance. Quand il ouvrit les yeux, il faisait grand jour. Des paysans l'entouraient. Il demanda des nouvelles d'Inès. Les paysans l'assurèrent qu'il n'avait vu personne. Alfonso leur demanda de partir à la recherche d'Inès. Il est la décrivit dans son costume et leur promit d'immenses récompenses. Alfonso fut porté à la ville voisine. C'était Ratisbonne. On le mit au lit. On fit venir un chirurgien qui lui remit le bras avec succès. Alfonso lui dit qu'il narrait l'esprit tranquille que lorsqu'il aurait retrouvé sa compagne. Mais le médecin cru qu’Alfonso n'était pas tout à fait dans son bon sens. Après avoir cherché, les paysans revinrent à l'auberge pour annoncer à Alfonso qu'ils n'avaient trouvé aucune trace de son infortunée maîtresse.
On eut pour Alfonso toutes les prévenances possibles. Alfonso était découragé. Une nuit, un visiteur entra dans sa chambre. C'était la nonne sanglante. Elle considéra Alfonso quelques minutes en silence. Elle connaissait le véritable nom d'Alfonso et lui dit : « Raimundo ! Tu es à moi !
Le fantôme resta dans sa chambre durant 1 heure. Une fois encore le fantôme lui dit : « Raimundo ! Tu es à moi ! » Et s'en alla.
Alfonso se mit à gémir et l'aubergiste l'entendit alors il entra avoir ce qui se passait. Il envoyait aussitôt chercher le chirurgien qui arriva en diligence. Il donna à Alfonso quelques remèdes pour le calmer. Le chirurgien resta auprès d'Alfonso. Alfonso n'osa pas évoquer ce qu'il avait vu au cours de la nuit. Il était extrêmement inquiet d'Inès. Il ne savait pas ce qu'elle avait pensé en le trouvant pas au rendez-vous. Le chirurgien lui administra un puissant narcotique. Néanmoins, la nuit suivante, il fut réveillé à 1:00 du matin par la nonne sanglante. Le domestique qui dormait près de lui ne se réveilla pas. L'ananas répéta toujours la même phrase. Le spectre pressa encore ses lèvres sur celles d'Alonzo. La nonne quitta la chambre à 2:00 du matin.
Cela se répéta chaque nuit. Alfonso devint la proie d'une continuelle mélancolie. Plusieurs mois s'écoulèrent avant qu’Alfonso soit en état de quitter le lit. Le chirurgien le considéra comme un hypocondriaque. Il ne parle à personne de la raison de sa douleur. Théodore avait découvert la demeure d'Alfonso. Il avait convaincu son maître que toute tentative pour tirer Inès de sa captivité serait inutile tant qu'il ne serait pas en état de retourner en Espagne. La nuit fatale où son enlèvement devait avoir lieu, un contretemps ne lui avait pas permis de quitter sa chambre à l'instant convenu. Quand elle réussit enfin sortir, elle trouva les portes ouvertes ainsi qu’elle s'y attendait et put quitter le château sans avoir été vue. Elle fut étonnée de ne pas trouver Alfonso prêt à la recevoir. Elle passa 2 heures entières à le chercher. Quand elle voulut rentrer au château, les portes étaient fermées alors elle frappa et un domestique lui ouvrit. Il crut voir la nonne sanglante. Conrad, le domestique jeta un grand cri et tomba sur ses genoux. Inès en profita pour regagner sa chambre. Le lendemain, Théodore libéra Cunegonda et l'accompagna au château. Il entendit le baron, sa femme et don Gaston qui discutaient le récit de Conrad : ils s'accordaient tous trois à admettre l'existence des spectres. Alors Théodore donna sa version. Tout le monde tomba d'accord que l'Inès que Théodore avait vu monter dans sa voiture devait être la nonne sanglante et que le fantôme qui avait épouvanté Conrad n'était autre que la fille de don Gaston. La baronne résolue d'en profiter pour décider sa nièce à prendre le voile. Elle détruisit la lettre qu’ Alfonso avait laissée à Théodore pour que don Gaston accepte leur mariage. Comme il avait signé cette lettre de son vrai nom Raimundo, la conséquence fut que son rang en resta ignoré de tous au château, excepté de la baronne et elle eut bien soin de garder le secret pour elle seule. Inès fut accusée d'avoir médité une évasion et on l'obligea de tout avouer. Cunegonda mentit en racontant à Inès qu'en la relâchant, Alfonso l'avait chargée d'informer Inès que leur liaison en resterait là et qu'il ne lui convenait en aucune manière dans sa position, d'épouser une femme sans fortune ni espérances.
Sa disparition subite ne donnait que trop de vraisemblance à cette version. Alors Inès consentie à recevoir le voile. Elle partit en Espagne. Théodore fut remis en liberté et s'empressa d'aller à Munich à la recherche de son maître. Ne l'y trouvant pas, il continua ses recherches et trouva à Alfonso à Ratisbonne. Vous vous un soir, alors que Alfonso était couché sur son sofa, Théodore regardant par la fenêtre dit qu'il voyait le grand Mogol. Intrigué, Alfonso lui demanda de s'expliquer. Théodore expliqua que c'était un homme qui lui avait tenu un étrange propos à Munich.
C'était une espèce de message pour Alfonso mais Théodore ne l'avait pas rapporté car il pensait que le messager était fou. Selon les uns, c'était un astrologue arabe, selon d'autres, c'était un charlatan en voyage, et plusieurs déclaraient que c'était le docteur Faust, que le diable avait renvoyé en Allemagne. Pourtant, l'aubergiste avait dit à Théodore qu’il avait les meilleures raisons de croire que c'était le grand Mogol gardant l'incognito.
L'étrange messager dit à Théodore que celui qu'il cherchait avait trouvé ce qu'il voudrait bien perdre. Il conseilla à Théodore de dire à son maître de penser à lui quand l'horloge sonnerait 1:00. Il prétendit que seule sa main pouvait tarir le sang.
Alors, Alfonso pria Théodore d'aller chercher l'étrange messager. Peu de temps après, le grand Mogol fut ramené par Théodore. C'était un homme d'un extérieur majestueux. Il y avait dans son regard quelque chose qui inspira une crainte à Alonzo. L'étranger fit signe à Théodore de quitter la chambre.
L'étranger dit à Alfonso qu'il connaissait son affaire et qu'il avait le pouvoir de le délivrer de son visiteur nocturne. Cela se ferait le dimanche à l'heure où commençait le jour du repos car les esprits des ténèbres avaient moins d'influence sur les mortels. Alfonso lui demanda par quels moyens il était en possession d'un secret qu'il avait soigneusement caché à tout le monde. L'étranger lui répondit qu'il envoyait la cause à côté de lui. Alfonso tressaillit. En effet, bien qu'il ne pouvait la voir qu'une heure sur 24, la nonne sanglante était près de lui jour et nuit. L'étranger appris à Alfonso que la nonne de le quitter et que lorsqu'il aurait fait droit à sa requête. Il en serait plus au cours de la nuit de samedi. Puis l'étranger changea de conversation et cita des gens qu'il avait connus personnellement alors que ces personnes avaient cessé d'exister depuis plusieurs siècles. Il prétendait avoir visité le monde et pourtant il affirma que personne n'était à même de connaître la misère de son lot. Le destin l'obligeait d'être constamment en mouvement. Il ne lui était pas permis de passer plus de deux semaines dans le même endroit. Il enviait ceux qui jouissaient du repos de la tombe mais la mort lui échappait et fuyait ses embrassements. Dieu l'avait scellé de son sceau et il ne pouvait rien tenter pour se tuer. Il était condamné à inspirer la terreur et l’aversion à tous ceux qui le voyaient.
Dès que l'étranger fut parti, Théodore revint. Il fut surpris de voir à son maître meilleur mine. Théodore a pris Alfonso que le grand Moghol avait déjà passé huit jours à Ratisbonne. Il ne lui restait donc plus que six jours à y rester. Dans l'intervalle, la nonne sanglante continua ses visites nocturnes mais l'effet qu'elle produisait sur Alfonso était moins violent qu'auparavant. Vous vous dans la nuit de samedi, à minuit, l'étranger arriva. Il avait dans sa main un petit coffre qu'il posa près du poêle. Il en sortit un petit crucifix de bois. Il se mit à genoux, le contempla avec tristesse, puis leva les yeux vers le ciel. Il avait l'air de prier avec ferveur. Ensuite, il tira du coffre un gobelet couvert, contenant une liqueur qui avait l'air d'être du sang. Il en aspergea le plancher, y trempant un des bouts du crucifix, il traça un cercle au milieu de la chambre. Tout autour, il plaça diverses reliques, des crânes, des ossements, etc. Il les disposa tous en forme de croix. Enfin, il prit une grande bible et fit signe à Alfonso de le suivre dans le cercle. L'étranger ordonna à Alfonso de ne pas proférer une syllabe et de ne pas sortir du cercle. De plus, Alfonso ne devait pas regarder le visage du grand Mogol. Quand l'horloge sonna 1:00, la nonne sanglante arriva. Elle s'arrêta près du cercle. L'étranger marmotta quelques mots inintelligibles et étendit le crucifix vers le fantôme en l'appelant Beatriz. Le fantôme demanda à l'étranger ce qu'il voulait. L'étranger lui demanda quel était la cause qui troublait son sommeil et pourquoi il persécutait Alfonso. Que fallait-il pour rendre le repos à son esprit inquiet. Le fantôme répondit que des ordres sévères le forfait de prolonger sa pénitence. Alors l'étranger lui somma de répondre. Elle ne voulait toujours pas répondre. Alors l'étranger ôta son bandeau noir et Alfonso regarda. Il vit sur le front de l'étranger une croix de feu et un sentiment d'horreur aurait pu le faire sortir du cercle si l'exerciseur ne l'avait pas rattrapé. En voyant la Croix de feu, le fantôme exprima la vénération et l'horreur. Elle obéit en disant quelle était la cause de son tourment. Ses os étaient encore sans sépulture et pourrissaient dans l'obscurité du trou de Lindenberg. Nul autre que Raimundo/Alfonso n’avait le droit de les déposer au tombeau. Alfonso devait s'engager à recueillir les os du fantôme et à les déposer dans le caveau de famille de son château d'Andalousie. Alors le fantôme cesserait de le tourmenter.
L'étranger engagea Raimundo à remplir à la lettre les conditions fixées par le fantôme. Le grand Moghol expliqua à Alfonso que le fantôme s'appelait Beatriz de Las Cisternas. C'était la grand-tante de son grand-père. Raimundo lui devait du respect quoi que l'énormité de ses crimes soit faite pour exciter l’aversion de Raimundo. Beatriz avait pris le voile de fort bonheur sur l'ordre exprès de ses parents. Mais elle parvint à s'évader du couvent et s'enfuit en Allemagne avec le baron de Lindenberg. Elle vécut plusieurs mois dans le château de son amant en concubinage avoué. Toute la Bavière fut scandalisée de sa conduite. Ses fêtes rivalisaient de luxe avec celle de Cléopâtre et Lindenberg devint le théâtre de la débauche la plus effrénée. De plus, Beatriz fit profession d'athéisme et tourna en ridicule les cérémonies les plus sacrés de la religion. Beatriz jeta son dévolu sur le frère cadet du baron qui répondit à ses avances. Elle trouva en Otto Von Lindenberg son égal en dépravation. Mais il exigea pour prix de son amour l'assassinat de son frère. La malheureuse Beatriz acquiesça à cette horrible convention Otto attendit Beatriz au trou de Lindenberg. Beatriz accepta car il avait promis de l'épouser ce que le baron n'avait jamais voulu faire.
La nuit fatale arriva. Quand l'horloge du château sonna 1:00, Beatriz tira un poignard de dessous son oreiller et le plongea dans le coeur de son amant. La meurtrière quitta son lit, prit une lampe d'une main et de l'autre le sanglant poignard, et se dirigea vers la caverne. Vous vous vous vous le portier n'osa pas refuser d'ouvrir la porte à une personne qu'on redoutait plus au château que le seigneur lui-même. Comme il l'avait promis, Otto attendait Beatriz dans la caverne. Il la convainquit qu'il ne voulait aucun témoin de leur entrevue. Il avait résolu de briser son coupable instrument alors il lui arracha le poignard de la main et le plongea dans la poitrine de Beatriz.
Otto succéda à la baronnie de Lindenberg. Le meurtre du baron fut attribué à la nonne qui avait disparu. Mais la justice de Dieu ne le laissa pas jouir en peine de ses honneurs tachés de sang. Les eaux de Beatriz étant resté sans sépulture dans la caverne, son âme errante continua d'habiter le château. Revêtue de ses habits religieux, en mémoire de ses voeux enfreints, armée du poignard qui avait bu le sang de son amant, et dans la lampe qui avait guidé ses pas fugitifs, chaque nuit elle était debout devant le lit d'Otto. Il n'est pas la force de soutenir le choc de cette vision épouvantable et son coeur se brisa. Mais l'âme de Beatriz continua de hanter le château. Le nouveau baron appela un célèbre exerciseur. Le symptôme réussi à forcer la nonne à un repos temporaire. Quoiqu'elle lui eût révélé son histoire, il n'avait pas la permission de la répéter, ni de faire transporter le squelette en terre sainte. Toutefois, l'exerciseur la contraignit au silence tout le temps qu'il vécut. Quand l'exerciseur mourut, cinq ans plus tard, la nonne sanglante reparut mais seulement une fois tous les cinq ans, le même jour et à la même heure où elle avait plongé son couteau dans le coeur de son amant endormi.
Elle visitait alors la caverne qui contenait son squelette puis rentrait au château dès que l'horloge sonnait 2:00 et on ne la voyait plus avant l'expiration des cinq années suivantes.
Elle était condamnée à souffrir pendant un siècle. L'étranger fut consolé à l'idée qu'il avait été de quelque utilité à Alfonso. Mais Alfonso voulut savoir à qui il était redevable de si réelles obligations. L'étranger consentit à l'éclaircir à condition de pouvoir remettre cette explication au jour suivant. Alfonso accepta. Mais le lendemain, Alfonso découvrit que l'étranger était parti. Alfonso raconta cette aventure à son oncle qui lui apprit que l'étranger était connu universellement sous le nom du Juif errant. Après la visite de l'étranger, Alfonso recouvra la santé. La nonne sanglante de reparu plus et Alfonso put revenir à Lindenberg. Le baron fut ravi d'apprendre que sa demeure ne serait plus troublée par les visites de la nonne sanglante. Le squelette de Beatriz fut trouvé à l'endroit qu'elle avait désigné. Alfonso était pressé d'accomplir les obsèques de la nonne assassinée et d’échapper aux importunités de Rodolfa qui lui prédit que son dédain ne serait pas longtemps impuni. Alfonso partit vers l'Espagne. Il se rendit au château de son père en Andalousie. Les restes de Beatriz furent déposés dans le caveau de sa famille et Alfonso fit célébrer toutes les cérémonies requises et dire le nombre de messes qu'elle avait réclamées. Puis Alfonso partit à la recherche d'Inès. Mais personne ne pouvait ou ne voulait l'instruire de ce qu'elle était devenue. Théodore se mit en quatre pour seconder les recherches d'Alfonso mais tous les deux n'obtinrent pas de succès. Un soir, après avoir assisté à un spectacle, Alfonso s'aperçut que trois hommes l'avaient suivi depuis le théâtre jusqu'à son hôtel. Ils l'attaquèrent et Alfonso se défendit avec son épée. Les cliquetis des épées attiraient un cavalier qui accouru à l'aide d'Alfonso avec ses valets. Les spadassins s'enfuirent. Blessé, Alfonso demanda à être emmené par le cavalier à l'hôtel de Las Cisternas. À ce nom, le cavalier se présenta comme une connaissance du père d'Alfonso et déclara qu'il ne permettrait pas qu'Alfonso soit transporté à une telle distance avant qu'on ait examiné ses blessures. Il emmena Alfonso dans sa maison et fit venir son chirurgien qui soigna le blessé.
Son sauveur lui expliqua qu'il avait toujours eu une haute estime pour le marquis de Las Cisternas. Alfonso découvrit avec surprise que son hôte était Gaston de Medina, le père d'Inès. Il lui apprit qu'Inès habitait le couvent de Sainte-Claire. Alfonso pensait pouvoir profiter du crédit de son oncle à la cour de Rome pour obtenir sans difficulté pour sa maîtresse la révocation de ses voeux. Un domestique apprit Alfonso qu'un de ses agresseurs qu'il avait blessés donnait quelques signes de vie alors Alfonso demanda qu'on le conduise à l'hôtel de son père. Alfonso voulait l'interroger. Le blessé était déjà en état de parler et don Gaston pressa Alfonso de précipiter l'entretien. Alfonso avait deviné que les agresseurs avaient été envoyés par Rodolfa et il ne voulait pas que Gaston l'apprenne. Il ne voulait pas non plus que Gaston reconnaisse Raimundo sous le pseudonyme d'Alfonso d'Alvarada. Alors il prétendit que cette affaire concernait une dame dont le nom pourrait bien échapper à l'assassin et il était nécessaire qu'il interroge lui-même cet homme en particulier. Le spadassin blessé eu le temps de confesser qu'il avait été poussé à l'assassiner par la vindicative Rodolfa. Il expira peu de temps après. Alfonso envoya Théodore au couvent de Sainte-Claire. Théodore assiégea le jardinier du couvent de tant de cadeaux et de promesses que le vieillard se mit tout de suite au service d'Alfonso. Il fut convenu qu'Alfonso pourrait entrer au couvent en se faisant passer pour l'aide du jardinier. La dame abbesse approuva le choix du jardinier et Alfonso put rentrer immédiatement en fonction au couvent. Un jour, Alfonso entendit Inès discuter avec la baisse. L’abbesse reprochait à Inès sa continuelle mélancolie car à Inès pleurait continuellement la perte de son amant. Alfonso vit Inès converser avec une autre nonne et lui confier des lettres. Alfonso attendit qu'Inès soit seule pour aller lui parler. Elle reconnut du premier coup d'oeil en dépit de son déguisement. Elle voulut s'enfuir mais Alfonso la retint et la supplia de l'entendre. Inès était persuadée de sa fausseté et lui ordonna de quitter le jardin. Mais il voulut la convaincre qu'elle avait été abusée par les artifices de ses parents. Elle s'engagea à être dans le même lieu à 11:00 du soir pour avoir un dernier entretien avec lui. Le vieux jardinier indiqua une cachette ou Alfonso pourrait rester jusqu'à la nuit sans crainte d'être découvert. À l'heure dite, Inès se présenta au lieu de rendez-vous et Alfonso lui raconta la cause véritable de sa disparition lors de ce fatal 5 mai. Inès fut évidemment très affectée de son récit. Et elle avoua l'injustice de ses soupçons et se blâma d'avoir pris le voile par désespoir de son ingratitude.
Malgré tout, une barrière insurmontable se dressait entre eux elle ne voulait pas que Raimundo vienne la revoir. Mais Raimundo lui parla de l'influence du cardinal-duc de Lerma à la cour de Rome. Il assura Inès de pouvoir obtenir aisément la révocation de ses voeux. Mais Inès savait que son père était sous l'influence de la superstition et il ne l'autoriserait jamais à enfreindre le voeu qu'elle avait fait au ciel. Raimundo pensait que dans le pire des cas ses parents s'efforceraient de faire oublier à Inès la perte de son père si celui-ci refusait le mariage. Inès refusait de renoncer à son père. Elle se pensait vouée à la religion et elle ne voulait pas encourager Raimundo dans son projet qui la rendrait coupables.
Raimundo réussi à convaincre Inès de poursuivre les entrevues durant plusieurs semaines. Raimundo avoua à Lorenzo que dans un moment d'oubli, l'honneur d'Inès fut sacrifié à la passion de Raimundo. Lorenzo essaya de tirer son épée mais Raimundo l'en empêcha et voulut continuer son récit. Lorenzo se laissa apaiser par les prières de son ami. Il écouta le reste du récit d'un air sombre et impatient. Après les premiers transports de la passion, Inès, revenue à elle, s'arracha des bras de Raimundo et l’accabla des plus amers reproches. Il implora son pardon. Elle refusa et lui annonça qu'il ne la reverrait plus.
Raimundo ne revit plus Inès durant plusieurs jours. Puis il la revit accompagnée de la jeune pensionnaire avec qui il avait déjà vue. Elle jeta un regard sur lui et aussitôt détourna la tête. Le jardinier apprit à Raimundo qu'Inès avait menacé de tout révéler à la mer supérieure si Raimundo essayait de revenir. Deux semaines plus tard, Raimundo fut obligé de revenir en Espagne car son père était atteint de maladies violentes. Son père mourut au bout de plusieurs mois. Ce n'est qu'après que Raimundo put revenir à Madrid et à son hôtel, il avait trouvé une lettre qui l'attendait. C'était une lettre d'Inès. Elle lui apprenait qu'un être pour qui elle avait déjà une tendresse de mère la sollicitait de pardonner à son séducteur et de réclamer de son amour un moyen de salut. Inès était enceinte et elle avait peur à l'idée de la vengeance de l'abbesse. Elle lui demandait des conseils. Cependant il ne devait pas venir la voir au couvent. Le jardinier avait été renvoyé. Le seul moyen de faire parvenir une réponse était de cacher celle-ci sous une grande statue de Saint-François qui était dans la cathédrale des capucins.
Inès y allait tous les jeudis à confesse et elle trouva facilement l'occasion de prendre sa lettre. La mort de son père avait écarté un obstacle est Inès ne craignait plus sa colère. Elle ne craignait plus que la colère de Dieu mais elle suppliait Raimundo d'obtenir la révocation de ses voeux. Elle était prête à fuir avec lui. Il devait soustraire à la mort l'enfant qui allait naître et sa mère infortunée.
Raimundo avait confié l'affaire à son oncle qui s'était immédiatement occupé d'obtenir la bulle nécessaire. Le cardinal conseilla à Raimundo de trouver quelque moyen de retirer Inès du couvent à l'insu de la supérieure. La supérieure pourrait considérer la renonciation d'Inès comme une insulte pour sa maison. De plus, la supérieure avait la réputation d'une femme d'un caractère violent et vindicatif capable de pousser les choses aux dernières extrémités. Raimundo conçu le projet d'enlever sa maîtresse et de la cacher dans les terres du cardinal jusqu'à l'arrivée de la bulle. Le cardinal était prêt à recevoir la fugitive. Raimundo fit arrêter secrètement le nouveau jardinier du couvent il enferma dans son hôtel. Il prit la clef du jardinier et prépara l'évasion d'Inès. Il venait de laisser une lettre à Inès dans la cathédrale. Il l'attendrait le lendemain à minuit dans le jardin du couvent. Raimundo acheva son récit en disant à Lorenzo qu'il avait toujours l'intention de faire de d'Inès sa femme. Il espérait que Lorenzo excuserait un instant d'erreur et qu'il l'aiderait à réparer ses torts envers Inès.
Chapitre V.
Lorenzo resta quelque temps à réfléchir. Puis comprenant que c'était la superstition de ses parents qui avaient causé les malheurs de Raimundo, il savait que son ami pouvait encore réparer son erreur en épousant sa soeur. Il l'encouragea à poursuivre son projet. De plus, Lorenzo accompagnerait Raimundo et il mènerait lui-même sa soeur à la maison du cardinal. La présence de Lorenzo empêcherait que sa soeur n'encourt le blâme pour s'être enfuie du couvent. Raimundo remercia son ami. Lorenzo apprit à Raimundo qu'il ne n'avait plus à craindre de l'inimitié de Rodolfa car elle avait expiré cinq mois plus tôt dans un accès de colère, elle s'était rompu un vaisseau.
Lorenzo devait s'occuper des intérêts d'Elvira, la veuve de son frère aîné. Les préparatifs de l'enlèvement d'Inès ne lui permettaient pas de rendre visite à Elvira mais en attendant il chargea Raimundo d'assurer Elvira et sa fille de son amitié. Raimundo promit de le faire et retourna au palais de Medina.
Il trouva Théodore en train d'écrire un poème. Il demanda à le lire et cela lui plut. Cependant il expliqua à Théodore qu'entrer dans la lice des littérateurs, c'était s'exposer volontairement aux traits de la négligence, du ridicule, de l'envie et du désappointement. Il conseilla à Théodore d'avoir la précaution de ne communiquer ses vers qu'aux gens dont la partialité lui garantirait l'approbation.
Bien que critique envers la poésie de son page, Raimundo demanda une copie du poème de Théodore. Le lendemain, en arrivant à l'hôtel de Medina, Lorenzo demanda ses lettres. Léonela n'avait pas pu lui écrire. À son retour de l'église des capucins, elle avait raconté à sa soeur toutes les attentions qu'un beau cavalier avait eues pour elle et qu'il s'était chargé de plaider la cause d'Antonia auprès du marquis de Las Cisternas. Elvira blâma sa soeur d'avoir eu l'imprudence de conter son histoire à un inconnu. Elvirra avait remarqué les émotions d'Antonia envers Lorenzo. Mais Leonela, sans en rien dire à personne, fit en sorte d'envoyer à Lorenzo une lettre dans laquelle elle le remerciait pour ces obligeantes offres de services et pour lui annoncer l'endroit où elle logeait avec sa soeur et sa nièce.
Lorenzo après avoir lu cette lettre se mit en quête de don Cristobal. Il ne le trouva pas alors il se rendit seul chez Elvira. Elvira ne consentit qu'avec beaucoup de répugnance à le recevoir car il n'était pas venu avec Cristobal. Cette répugnance augmenta quand Elvira remarqua l'émotion d'Antonia. Elle résolut de le traiter avec une froide politesse et de refuser ses services. Antonia le reçut avec une simple révérence et continua sa broderie. Elle avait les joues rouges et essayait de cacher son émotion.
Elvira demanda à Lorenzo ou se trouvait Raimundo. Comme il jugeait nécessaire de conserver ses bonnes grâces, il tacha de la consoler de sa déception en prétendant que Raimundo avait été retenu par la maladie d'un de ses parents. Ce mensonge contraria Leonela qui se retira furieuse dans son appartement. Alors pour se faire pardonner Lorenzo dit à Elvira que Raimundo était disposé à la reconnaître pour la veuve de son frère et qu’il viendrait pour lui rendre ses devoirs en personne. Cette nouvelle soulagea Elvira d'un grand poids. Elle avait trouvé ainsi un protecteur qui tiendrait lieu de père à sa fille.
Elle remercia Lorenzo mais elle ne l'invita pas à renouveler sa visite. Lorenzo sollicita la permission de s'informer quelquefois de leurs nouvelles avec un empressement poli ce qui interdisait le refus. Il promit toutefois de ne pas abuser de leur bonté et quitta la maison.
Elvira parla avec sa mère de Lorenzo. Elvira voulait savoir quel sentiment Antonia éprouvait pour le jeune homme. Elle reconnut les bontés que Lorenzo avait eues pour elle. Elle n'avait jamais vu tant de perfections réunies sur une seule personne. Ainsi Elvira eut confirmation de ce qu'elle redoutait. Alors elle expliqua à sa fille que Lorenzo était dangereux pour son repos car Antonia était pauvre et sans amis alors que Lorenzo était l'héritier du duc de Medina.
Jamais l'oncle de Lorenzo ne consentirait à unir son neveu à Antonia. Elvira avait connu une expérience qui lui avait appris à quel chagrin se condamne celle qui entre dans une famille qui la repousse.
Elle recommanda à sa fille de lutter contre son affection. Elle annonça que la prochaine fois que Lorenzo se présenterait, elle lui expliquerait sans détour l'embarras que sa présence lui causait. Antonia souscrivit à tout sans hésitation mais pas sans regret. À minuit, Lorenzo et Raimundo était prêt pour le second enlèvement d'Inès. Raimundo (du jardin du couvent. Tout était sombre et paisible. La supérieure eut soin de ne donner à l'amant d'Inès aucun motif de supposer que son dessin eut été découvert et que sa maîtresse fût sur le point d'être punie. La supérieure s'était contentée d'enfermer Inès est étroitement. Alors Raimundo et Lorenzo attendirent vainement jusqu'au jour puis ils se retirèrent sans bruit. Ils ne devinèrent pas la cause de leur échec. Le lendemain matin, Lorenzo alla au couvent et demanda à voir sa soeur. La supérieure se présenta à la grille la tristesse sur le visage. Elle prétendit qu'Inès était tombée malade et qu'elle était retenue au lit. Lorenzo n'en crut pas une syllabe. Il insista pour voir sa soeur et était prêt à s'introduire dans la cellule d’Inès. L’abesse fut choquée. Alors elle lui proposa de revenir le lendemain et Lorenzo fut obligé de se retirer tremblant pour la sûreté de sa soeur.
Il revint de très bonne heure le lendemain. La supérieure prétendit qu'Inès était toujours malade et que le médecin avait déclaré qu'elle était en danger. Lorenzo supplia et menaça. Il essaya de tous les moyens pour obtenir de voir Inès.
Ces efforts furent infructueux. Alors il retourna désespéré vers le marquis.
Raimundo n'avait rien épargné pour découvrir ce qui avait fait manquer leur complot et confia l'affaire à don Cristobal. Cristobal entreprit de tirer les vers du nez de la vieille portière de Sainte-Claire mais en vain. Lorenzo et Raimundo étaient convaincus que l'évasion projetée devait avoir été découverte. Lorenzo se rendait chaque jour au couvent et chaque jour il apprenait que la santé de sa soeur empirait. Lorenzo était encore incertain sur le parti qu'il devait prendre lorsque le marquis reçut une lettre du cardinal-du cul de Lerma. Elle renfermait la bulle du pape qui relevait Inès de ses voeux et la rendait à ses parents. Il fut résolu que Lorenzo porterait ce papier sans délai à la supérieure et demanderait que sa soeur lui fut remise à l'instant même. Il résolut d'user de ce droit pour le jour suivant. Soulagé de l'inquiétude que lui avait causée sa soeur, Lorenzo se rendit chez Elvira mais il ne put voir Antonia qui s'était retirée avec sa tante. Lorenzo ne trouva que la maîtresse de la maison. Elvira alla directement au fait. Elle expliqua à Lorenzo qu'elle tremblait pour l'avenir de sa fille et elle voulait l'éloigner de toute société qui pourrait éveiller les passions qui dormaient encore dans son sein. Elle supplia Lorenzo d'épargner le coeur inquiet d'une mère qui ne vivait que pour sa fille. Lorenzo. dit qu'il aimait Antonia sincèrement et il espérait recevoir sa main à l'autel. Il reconnaissait ne pas être riche car son père lui avait laissé peu de choses mais il avait des espérances qui justifiaient sa prétention à obtenir la fille du comte Las Cisternas. Elvira l'interrompit. Elle ne voulait pas que Lorenzo crût à la hauteur de son origine. Elle avait été désavouée par la famille de son mari et vivait d'une pension à peine suffisante pour l'entretien et l'éducation de sa fille. Sans l'aide de sa soeur, Elvira aurait été réduite à l'indigence. Elvira pensait qu'il n'y avait pas d'espoir que l'oncle de Lorenzo approuve cette union. Lorenzo voulut la convaincre que le duc de Medina avait des sentiments généreux et désintéressés. Il n'avait aucune raison de craindre que son oncle s'oppose à ce mariage. De plus, ses parents n'étant plus, il était maître de sa petite fortune. Elle suffirait pour soutenir Antonia et il était prêt à renoncer au duché de Medina sans aucun regret.
Elvira répondit qu'il était jeune et qu'il ne savait pas que le malheur accompagne les alliances inégales. Elle avait épousé le compte de Las Cisternas contre le gré de ses parents. Elle avait été accablée par la pauvreté avec son mari. Son mari supporta mal l'indigence et la détresse. Il avait fini par appeler Elvira son fléau, la cause de sa perte. Elvira voulait donc préserver sa fille des maux dont elle avait souffert. Lorenzo ne voulait pas capituler il prétendit qu'il pourrait facilement faire fortune à Saint-Domingue. Mais Elvira lui apprit que son mari et deux petits-enfants avaient été enterrés à Cuba. Elle avait pu sauver Antonia en rentrant en Espagne. Elle montra à Lorenzo un poème que son mari avait écrit en partant pour Cuba. Ainsi, elle voulait donner à Lorenzo une idée des souffrances d'un banni.
Elvira pria Lorenzo de ne pas renouveler ses visites. Lorenzo lui demanda si le duc de Medina approuvait son amour, s'il pouvait espérer que ses voeux ne seraient plus rejetés par Elvira et par la belle Antonia. Elvira répondit qu'Antonia avait des sentiments pour lui et que pour empêcher cette impression de s'accroître, Elvira était obligée de refuser toute relation à Antonia avec Lorenzo. Mais elle se réjouirait d'établir sa fille avantageusement.
Si le duc donnait son consentement, Elvira accepterait le mariage. En attendant elle demanda à Lorenzo de ne pas revenir temps que le duc n'aurait pas donné sa réponse. Lorenzo promit à contrecoeur de se soumettre à ce décret. Après quoi, Lorenzo expliqua pourquoi le marquis n'était pas venu en personne et ne se fit aucun scrupule de lui confier l'histoire de sa soeur. Il termina en disant qu'il avait l'espoir de mettre Inès en liberté le lendemain et que Raimundo viendrait sans perdre de temps assurer Elvira de son amitié et de son appui.
Elvira tremblait pour Lorenzo et Raimundo car elle savait la supérieure de Sainte-Claire hautaine et inflexible. Une fois irritée, elle était implacable et ne reculait de pas devant les mesures les plus rigoureuses. Elvira pensait que la supérieure userait de tous les artifices pour éviter d'obéir au mandat du pape. Lorenzo se présenta au couvent avec le mandat nécessaire. Il demanda Inès. La supérieure répondit d'un air triste que l'état de la chère enfant devenait d'heure en heure plus dangereux. Lorenzo n'en croyait pas un mot et il mit la bulle du pape aux mains de la supérieure et insista pour que sa soeur lui soit remise sans délai. Alors, la supérieure se mit en colère et lança sur Lorenzo un regard de rage et de menace. Elle prétendit qu'il n'était plus dans son pouvoir d'obéir à la bulle du pape. Elle annonça à Lorenzo qu'Inès était morte. Lorenzo recula d'horreur. Elle était tombée malade après avoir été à confesse dans la chapelle des capucins. Elle avait accouché d'un enfant mort-né qu'elle avait immédiatement suivi dans la tombe. Elle avait été enterrée trois jours plus tôt. Lorenzo se retira, pénétré d'affliction et celle de Raimundo alla jusqu'à la folie. Raimundo croyait Inès encore vivante et s'obstinait à soutenir qu'on la retenait dans les murs de Sainte-Claire.. Lorenzo renonça à l'idée de ne jamais revoir sa soeur mais il la croyait victime de quelque procédé déloyal et il encouragea les recherches de Raimundo. Il envisageait de se venger contre l'insensible à abbesse. De longs mois se passèrent ainsi. Le marquis était le seul qui ne croyait pas Inès morte. Lorenzo résolut de faire sa confidence à son oncle. Il n'eut aucun doute du succès de sa démarche.
Chapitre VI
Les premiers transports étaient passés, les désirs d'Ambrosio étaient assouvis. Le plaisir avait fui, remplacé par la honte. Après s'être arraché des bras de Matilda, il envisageait l'avenir avec horreur. Il avait peur que l'on découvre le véritable sexe de Matilda car il risquait de perdre son honneur pour quelques instants de plaisir. Il accusa Matilda d'avoir à jamais détruit son repos. Matilda lui répondit qu'elle aussi avait renoncé aux plaisirs du monde et à sa réputation. Pour elle, ce qu'ils venaient de faire n'était pas un crime sinon dans l'opinion d'un monde sans jugement. Elle dit à Ambrosio que ses voeux de célibat étaient contre nature car pour elle, l'homme n'avait pas été créé pour un tel état. Et si l'amour était un crime, Dieu ne l'aurait pas fait si doux et si irrésistible. Elle l'encouragea à sentir un transport égal au sien. Elle entrelace autour de lui ses bras voluptueux et colla ses lèvres sur celles de son amant. Alors il céda à la tentation. Dégagé de tout sentiment de honte, il lâcha la bride à ses appétits immodérés. Le lendemain, Ambrosio se réveilla ivre de plaisir. Il n'était plus honteux de son incontinence et ne redoutait plus la vengeance du ciel offensé. Il avait simplement peur de perdre Matilda qui était toujours sous l'influence du poison. Il ne lui serait pas facile de trouver une autre maîtresse avec qui il pût se livrer si pleinement et si sûrement à ses passions. Il la pressa donc instamment d'user des moyens de salut qu'elle avait déclaré être en sa possession. Elle promit d'employer tout pour sauver sa vie. Elle lui demanda de prêter le serment solennel de ne jamais chercher à connaître les moyens auxquels elle aurait recours pour se sauver. Il accepta. Elle lui demanda la clé de la petite porte du jardin qui donnait sur le lieu de sépulture en commun avec les soeurs de Sainte-Claire. Il ne l'avait pas mais il lui était facile de se la procurer. Elle voulait qu'Ambrosio l'introduise dans le cimetière à minuit et de veiller tandis qu'elle descendrait dans les caveaux de Sainte-Claire. Elle y resterait seule une heure. Après avoir laissé Matilda dans sa cellule, Ambrosio discuta avec Pablos qui voulait avoir des nouvelles de son jeune malade. Ambrosio menti en disant que le malade était tombé dans un profond sommeil et qu'il ne fallait pas le déranger. Le père Pablos obéit.
Ambrosio dû se rendre à matines et il avait peur que tous les yeux puissent lire sur son visage ses méfaits de la nuit. Il essaya d'prier mais la piété n'échauffait plus son sein. Il ne pensait plus qu'aux charmes secrets de Matilda. Il remplaça sa pureté de coeur par sa sainteté extérieure. Il redoubla de semblants de vertu. Il ajouta l'hypocrisie au parjure et à l'incontinence. Mais sa conscience lui peignit sous des douleurs repoussantes son parjure et sa faiblesse. La crainte grossit à ses yeux les horreurs du châtiment et il se vit déjà dans les cachots de l'Inquisition.
Mais il se réconciliait en pensant à la beauté de Matilda et aux leçons délicieuses qu'elle lui avait appris. Il résolut de continuer son commerce avec Matilda et appela à son aide tous les arguments qui pouvaient le confirmer dans sa détermination. Il se crut sûr de conserver l'estime des hommes et même la protection du ciel en observant strictement chacune des règles de son ordre. Soumis aux ordres de Matilda, il n'alla pas la voir de tout le jour dans sa cellule. Le père Pablos annonça au réfectoire que Rosario avait enfin consenti à suivre son ordonnance mais que le remède n'avait pas produit le moindre effet et que vraisemblablement aucune puissance humaine ne parviendrait à le sauver. Ambrosio se rangea à cet avis et affecta de déplorer la fin prématurée d'un jeune homme qui donnait de si belles espérances. La nuit arriva. Ambrosio s'était procuré par le portier la clé de la petite porte qui donnait sur le cimetière. Il courut à la cellule de Matilda qui s'était habillée avant qu'il n'arrive. Ils allèrent au jardin. Matilda se dirigea dans la partie du cimetière qui était la propriété des soeurs de Sainte-Claire. Elle chercha la porte qui conduisait aux caveaux souterrains où reposaient les os blanchissants des religieuses de Sainte-Claire. Elle annonça à Ambrosio qu'il y avait quelqu'un dans les caveaux et lui demanda de se cacher. Deux femmes vêtues d'habits religieux arrivèrent. C'était l'abbesse et une des nonnes les plus âgées. Toutes les deux parlaient d’Inès. Inès n'était pas morte. Elle avait été cachée par l'abbesse dans le cimetière. La nonne demandait à l'abbesse de mitiger la rigueur de sa sentence. Elle voulait même s'offrir pour caution de sa conduite future. L'abbesse refusait de pardonner à Inès. Elle avait décidé qu'Inès serait un terrible exemple de sa justice et de son ressentiment.
L'abbesse et la nonne entrèrent dans la chapelle où avait été cachée Inès. Matilda demanda à Ambrosio qui était cette Inès contre qui l'abbesse était si courroucé. Ambrosio lui raconta l'aventure et ajouta que comme il venait de subir une complète révolution, il ressentait beaucoup de pitié pour cette infortunée.
Il envisageait de rencontrer la supérieure pour qu'elle adoucisse sa sentence. Mais Matilda lui conseilla de faire attention car un tel changement pouvait susciter des soupçons de la part de l'abbesse. Matilda pensait qu'Inès n'était pas digne de goûter les plaisirs de l'amour puisqu'elle n'avait pas eu l'esprit de les cacher. Ambrosio donna à sa lampe à Matilda pour qu'elle descende seul dans les souterrains. Elle lui conseilla de ne pas s'aviser de la suivre car il tomberait victime de son imprudente curiosité. Ambrosio se retrouva seul dans l'obscurité. Il songea au changement subit qui s'était opéré dans le caractère et les sentiments de Matilda. Peu de jours plus tôt, elle paraissait la plus douce personne de son sexe, soumise à tout ce qu'il voulait et le regardant comme un être supérieur. Maintenant elle avait pris dans les manières et le langage une sorte de courage et de virilité bien peu propres à plaire.
Elle avait un ton impérieux. Il ne se trouvait pas en état de lutter d'arguments avec elle. Elle gagnait dans l'opinion d'Ambrosio mais elle perdait dans la section de son amant. Il regrettait Rosario, le tendre, le doux, le docile Rosario. Il trouvait Matilda cruelle et indigne d'une femme. Pour Ambrosio être dépourvu de pitié était un crime énorme pour une femme.
Néanmoins, il renonça à l'idée d'intervenir en faveur d'Inès. Ambrosio était seul depuis 1:00. Sa curiosité était vivement excitée. Il s'approcha de l'escalier et entendit le son de la voix de Matilda roulant dans ce labyrinthe de passage et répété par l'écho des voûtes sépulcrales. Il résolut de désobéir à ses ordres et de la suivre dans le souterrain.
Mais il manque de courage en se rappelant les menaces de Matilda. Il remonta les degrés de l'escalier et reprit sa première position pour attendre la fin de cette aventure. Tout à coup, Ambrosio ressenti un choc violent. La terre trembla et il entendit un épouvantable coup de tonnerre. Il vit une brillante colonne de lumière courir le long des souterrains puis tout redevint calme et obscur. Au bout d'une autre heure, la même lumière apparut et se perdit de nouveaux subitement. Elle était accompagnée d'une musique douce mais solennelle qui pénétra Ambrosio de bonheur et d'effroi. Puis il entendit les pas de Matilda qui revenait du souterrain. La joie la plus vive animait ses beaux traits.
Ils rentrèrent au couvent. Elle annonça à Ambrosio qu'elle avait réussi. Elle vivrait. La démarche qu'elle frémissait de faire serait pour elle une source de joies inexprimables. Ambrosio lui demanda pourquoi elle gardait le secret sur cette démarche. Il douterait de ses sentiments tant qu'elle garderait le secret. Elle lui expliqua qu'il était encore esclave des préjugés et de l'éducation et la superstition pouvait le faire trembler l'idée de ce que l'expérience avait appris à Matilda à apprécier. L’heure n'était pas venue de lui révéler un secret de cette importance. Elle lui dit qu'un jour il mériterait sa confiance mais lui demanda d'être encore patient. Ils passèrent le reste de la nuit dans les mêmes excès luxurieux de la nuit précédente. Les mêmes plaisirs se répétèrent souvent.
Les moines se réjouirent de la guérison inespérée du faux Rosario et aucun d’eux ne soupçonnait son véritable sexe. Ambrosio pouvait s'abandonner à ses passions en pleine sécurité et les remords ne le tourmentaient plus.
Mais avec l'habitude, les charmes de Matilda cessèrent d'inspirer les mêmes désirs qu'auparavant. Le délire de la passion calmé, Ambrosio eut le loisir de remarquer les moindres imperfections et se lassa de sa maîtresse. Dès que son emportement était apaisé, il quittait Matilda avec dégoût. La possession, qui blase l'homme, ne fait qu'accroître l'affection des femmes. Depuis que Matilda avait accordé ses faveurs à Ambrosio, il lui était plus cher que jamais. Malheureusement, à mesure que sa passion devenait plus ardente, celle d'Ambrosio devenait plus froide.
La tendresse qu'elle lui témoignait excitait son dégoût. Il ne la regardait plus avec tendresse et n'applaudissait plus à ses paroles avec la partialité d'un amant. Matilda le remarqua et redoubla d'efforts pour réveiller en lui les sentiments d'autrefois.
Mais il se sentait repoussé par les moyens mêmes qu'elle employait pour le ramener. Chaque femme qu'il voyait lui inspirait plus de désir mais, craignant de dévoiler son hypocrisie, il renfermait sa convoitise dans son sein.
Il n'était nullement dans sa nature d'être timide mais l'influence de son éducation avait été si forte que la crainte avait fini par faire partie de son caractère. Malheureusement, il perdit ses parents tout jeunes encore. Il tomba au pouvoir d'un parent qui le donna en garde à son ami, le dernier supérieur des capucins. Ses directeurs réprimèrent soigneusement en lui les vertus dont la grandeur et le désintéressement convenaient mal au cloître. Au lieu d'une bienveillance universelle, il adopta une égoïste partialité pour son propre établissement. On lui enseigna à considérer la compassion pour les erreurs d'autrui comme le plus noir des crimes. Pourtant, en dépit de la peine qu'on avait prise pour le pervertir, les bonnes qualités naturelles d'Ambrosio perçaient parfois les ténèbres dont on les avait si soigneusement enveloppées. Ainsi, il prononçait contre les coupables les plus sévères sentences, que l'instant d'après la compassion l'engageait à mitiger. Ses frères, qui le regardaient comme un être supérieur, ne remarquaient pas ces contradictions dans la conduite de leur idole. Jusqu'ici ses passions dormaient encore mais elles n'avaient besoin que d'être une fois éveillées pour se développer avec une violence aussi grande, aussi irrésistible.
Il continuait d'être l'admiration de Madrid. Il avait est choisi pour confesseur par les principales familles de Madrid. Les femmes surtout chantaient à haute voix ses louanges car elles étaient captivées par sa noble figure et son air majestueux. Les yeux du moine luxurieux dévoraient leurs charmes. Mais elles étaient persuadées de sa continence. Le moine n'était guère au fait de la dépravation du monde. Il ne se doutait pas que bien peu de ces pénitentes auraient repoussé ses voeux. Mais il sentait qu'un secret aussi étrange et aussi important que celui de sa fragilité ne serait pas aisément gardé par une femme et il tremblait même que Matilda ne le trahit. Sa réputation lui était beaucoup trop chère pour qu'il ne vît pas le danger de se mettre à la merci de quelque étourdie vaniteuse. Alors il étouffait ses désirs pour les autres femmes et il se forçait à s'en tenir à Matilda.
Un matin, de femmes rentrèrent s'approcha de lui et avec humilité. La mélodie de la voix de la plus jeune fixa sur le champ l'attention d'Ambrosio. Elle semblait accablée de douleur. La jeune femme avait peur de perdre sa mère malade. Elle suppliait de se souvenir de sa mère dans ses prières. Si Ambrosio réussissait, elle s'engagerait pendant les trois mois suivant à illuminer tous les jeudis la châsse de Saint-François en son honneur. Il accepta la demande de la jeune femme. Celle-ci demanda une autre faveur. Sa mère avait besoin d'un confesseur et ne savait à qui s'adresser. Ambrosio promis de lui envoyer un confesseur le soir même et lui demanda son adresse. L'autre dame présenta une carte et se retira avec le belle solliciteuse. Ambrosio examina la carte qui venait d’Elvira Dalfa.
La suppliante n'était autre qu'Antonia et Leonela et s'accompagne. Le moine rentra dans sa cellule. Il sentit 1000 émotions nouvelles s'élever dans son coeur qui différaient totalement de celles que lui avait inspirées Matilda. Antonia n'avait pas excité en lui d'idées sensuelles. Au contraire, il éprouvait pour Antonia un mélange de tendresse, d'admiration et de respect.
Il s'imagina l'époux de cet ange et pleura à la pensée que cette vision de bonheur ne se réaliserait jamais pour lui. Il ne pouvait l'épouser et séduire tant d'innocence, profiter de sa confiance pour accomplir sa ruine.
En regardant le portrait de la madone, naguère si admiré, il est l'arracha du mur avec indignation, le jeta à terre le repoussa du pied. Il traita Matilda de prostituée la méprisant pour avoir été trop aimé d'elle.
Il résolut d'être lui-même le confesseur qu'il avait promis d'envoyer. Il sortit du couvent enveloppé de son capuchon en espérant ne pas être reconnu en passant dans les rues. Il crut pouvoir endormir la jalousie de Matilda en la prévenant qu'une affaire le retiendrait toute la journée dans sa cellule. Il arriva sans accident chez Elvira. Heureusement pour lui, Leonela était absente sinon elle aurait prévenu tout Madrid qu'Ambrosio était sorti du monastère pour venir voir sa soeur. Elle était partie pour Cordoue après avoir reçu une lettre qui l'informait de la mort d'un cousin. Elle rencontra un jeune homme de Cordoue qui se déclarea son adorateur. Elle consentit à le rendre le plus heureux des hommes. Elle écrivit à sa soeur pour l'informer de son mariage mais Elvira ne répondit pas à cette lettre.
Ambrosio avait été conduit dans la pièce qui précédait celle où reposait Elvira. La domestique le laissa seul pour aller l'annoncer à sa maîtresse. Antonia s'avança vers lui. Elle le reconnut et poussa un cri de joie. Elle le laissa seul avec sa mère.
Elvira fut extrêmement heureuse de cette visite. Ambrosio, doué pas la nature des moyens de plaire, n'en négligea aucun en causant avec la mère d'Antonia. Plein d'une éloquence persuasive, il calma chaque crainte et dissipa chaque scrupule. Il enseigna à la mourante à envisager sans effroi l'abîme de l'éternité. Elle s'ouvrit à lui sans hésiter. Elle tremblait pour Antonia car elle n'avait personne aux soins de qui la recommander, excepté le marquis de Las Cisternas et sa soeur Leonela. Ambrosio l'engagea à se tranquilliser en lui disant qu'il trouverait un refuge pour Antonia dans la maison d'une de ses pénitentes, la marquise de Villa-Franca. Cette preuve d'intérêt gagna complètement le coeur d'Elvira. Ambrosio promit de revenir le lendemain à condition que ses visites fussent tenues secrètes.
Elvira promit de cacher soigneusement l'honneur de ses visites. Ambrosio passa ensuite quelques instants avec Antonia. Il demanda quel était le médecin qui soignait Elvira et promit de lui envoyer celui du couvent qui était un des plus habiles de Madrid. Antonia répondit avec timidité mais ne craignit pas de lui raconter tous ses petits chagrins. Elle le remercia de sa bonté avec toute la chaleur ingénue que la bienveillance allume dans les coeurs jeunes et innocents. Antonia croyait le monde entier semblable à elle et l'existence du vice était encore pour elle un secret.
Elle était reconnaissante de la bienveillance du moine. Ambrosio fut obligé de s'arracher à cet entretien qui n'avait que trop d'attrait pour lui. Antonia lui promit le secret. Après son départ, Antonia et Elvira continuèrent de louer le moine. Elles évoquèrent les rumeurs qui circulaient sur le compte d'Ambrosio. On disait que les parents du moine étaient pauvres et hors d'état de le nourrir et qu'ils l'avaient laissé à la porte du couvent. Le dernier supérieur l'yavait fait élever par pure charité et était devenu un modèle de vertu, de piété et d'instruction. On disait aussi qu'il était tombé directement du ciel envoyé par la vierge Marie. Il n'était jamais sorti du couvent et pourtant Elvira pensait avoir déjà entendu sa voix avant son entrée au monastère. Antonia se retira dans sa chambre pour y faire ses dévotions devant une statue de Sainte Rosalie.
Chapitre VII
Ambrosio revint au couvent sans avoir été découvert. Il ne songeait qu'au plaisir qu'il avait eu à se trouver avec Antonia. Il profita de l'indisposition d'Elvira pour voir Antonia. D'abord, il borna ses voeux à inspirer de l'amitié à Antonia puis ses intentions prirent une couleur plus vive. Il admirait toujours sa modestie mais n'en était que plus impatient de la priver de cette qualité qui formait son principal charme. Il saisit avidement tous les moyens de verser la corruption dans le coeur d'Antonia. Une extrême ingénuité empêchait Antonia d'apercevoir le but auquel tendaient les insinuations du moine. Mais un sentiment inné du devoir lui faisait comprendre que les maximes du prieur n'étaient pas irréprochables. Ambrosio l'écrasait d'un torrent de paradoxes philosophiques. Il remarqua qu'elle avait de jour en jour plus de déférence pour son jugement et il pensait pouvoir l'amener au point désiré. Il voyait la bassesse qu'il y avait à séduire cette fille innocente mais sa passion était trop violente pour lui permettre d'abandonner son dessein.
Il espérait surprendre Antonia dans un moment d'oubli et pendant ce temps, chaque jour augmentait sa froideur pour Matilda.
Il était convaincu qu'il n'avait rien à craindre de Matilda qui ne le taxait pas d'ingratitude. Il continua de la négliger et d'éviter sa société. Celle-ci voyait bien qu'elle essayait vainement de le ramener mais elle comprimait les élans du ressentiment et continuait à traiter son infidèle amant avec la même tendresse qu'autrefois.
Elvira reprenait des forces. Ambrosio vit cette guérison avec déplaisir. Il savait qu'Elvira ne serait pas la dupe de sa sainteté apparente et qu'elle pénétrerait aisément les vues que le moine avait sur sa fille.
Il résolut donc d'essayer l'étendue de son influence sur l'innocente Antonia avant que la mère ne quitte la chambre. Un soir, Ambrosio osa chercher Antonia dans sa chambre. Elle était assise sur un sofa en train de lire. Elle tressaillit quand elle remarqua son approche. Elle voulut l'emmener au salon mais Ambrosio lui prit la main il obligea de se remettre à sa place. Il remarqua qu'elle lisait la Bible. Il se demanda comment elle pouvait être toujours si innocente après avoir lu la Bible. Elvira avait donc pris deux résolutions au sujet de la Bible.
Antonia ne l'elle irait que lorsqu'elle serait d'âge à en sentir la beauté et à en apprécier la morale. La Bible qu'Antonia aurait le droit de lire serait une version censurée par Elvira. Ambrosio lui demanda si elle savait ce que c'était que d'aimer. Elle ne comprit pas le sens de cette question alors Ambrosio lui demanda si elle n'avait jamais vu d'homme qu'elle aurait pu désirer pour mari. Elle mentit en répondant non. Elle mentait sans le savoir car elle ne connaissait pas la nature de ses sentiments pour Lorenzo. Elle ne pensait à un mari qu'avec l'effroi d'une vierge. Mais Ambrosio ne la croyait pas car il avait perçu cette ravissante mélancolie voluptueuse qui se répandait parfois sur ses traits. Il lui demanda si elle n'avait jamais rencontré d'homme dont la voix la calmait et lui plaisait jusqu'au fond de l'âme. Elle lui répondit qu'il était cet homme. Ambrosio osait à peine en croire ses oreilles. Alors il la pressa contre son sein. Elle lui dit qu’excepté sa mère personne au monde ne lui était plus cher que lui. Il la serra dans ses bras et l'embrassa sur la bouche. La stupeur ôta à Antonia toute possibilité de résistance. Puis elle essaya d'échapper aux embrassements du moine. Elle lui supplia d'arrêter mais il ne tint pas compte de ses prières. Elle était sur le point de crier au secours lorsque soudain la porte s'ouvrit. Le moine quitta à regret sa proie et se releva précipitamment du sofa. Antonia se précipita dans les bras de sa mère. Elvira avait résolu de vérifier les soupçons qu'elle avait sur le moine. Elle avait vu assez le monde pour ne pas se laisser imposer par la réputation de vertu du moine. Elle avait perçu l'émotion du moine que celui-ci laissait paraître dès qu'elle parlait d'Antonia. Le moine avait déjà abandonné sa proie mais le désordre d'Antonia et la honte empreinte sur le visage du moine suffisaient pour prouver à Elvira que ses soupçons n'étaient que trop fondés. Mais elle crut dangereux de se faire un ennemi si puissant. Elle feignit de ne pas remarquer combien le moine était agité. Elle s'assit tranquillement sur le sofa et causa de divers sujets avec un air d'aisance et de sécurité.
Rassuré par cette conduite, le moine commença à se remettre. Quand il se leva pour partir, Elvira lui dit en termes polis qu’étant à présent tout à fait guérie, elle croirait commettre une injustice si elle privait de le voir d'autres personnes qui pourraient en avoir plus besoin qu'elle. L'avis était trop clair pour qu'on pût s'y méprendre. Le moine n'osa pas insister pour être reçu car le regard expressif d'Elvira lui démontrait qu'il était découvert. Il se Hata de prendre congé et se retira au couvent. Il avait le coeur rempli de rage et de honte. Antonia était à la fois soulagée par le départ du moine et affligée de ce qu'elle ne devait plus le revoir. Elvira essaya de faire comprendre à sa fille le danger qu'elle avait couru en lui préconisant de ne jamais recevoir le moine seule à l'avenir.
Ambrosio craignait d'être publiquement démasqué et songeait que son secret était au pouvoir d'une femme. Il avait de la colère car sans Elvira il aurait possédé l'objet de ses désirs. Il fit voeu de se venger d'elle. Il se jura d'avoir Antonia quoiqu'il en dût coûter. Matilda frappa à sa porte et le moine dut cacher sa colère.
Il refusa de l'accueillir mais elle resta. Ayant compris qu'elle ne pourrait plus avoir son amour, elle voulait être l'ami et la confidente du moine. Ambrosio accepta son offre. Il avait besoin d'une confidente. Mais il ne croyait pas qu'elle pourrait seconder ses desseins. Matilda lui apprit qu'elle connaissait son secret. Elle savait qu'il était tombé amoureux d'Antonia. Elle affirma ne pas être jalouse. Elle savait qu'il avait fait une tentative sur Antonia. Elle prétendait pouvoir lui indiquer le chemin du succès. Le moment était venu où l'intérêt du bonheur du moine et de sa tranquillité forçait Matilda à lui révéler une partie de son histoire qu'il ignorait encore. Alors, Matilda évoqua son tuteur qui était d'un savoir peu commun. Elle avait été initiée à ce savoir dès l'enfance. Son tuteur dictait la loi aux éléments et pouvait renverser l'ordre de la nature. Il lisait les décrets de l'avenir et les esprits infernaux étaient dociles à sa voix. Matilda avait eu recours aux moyens qu'elle tremblait d'employer. Dans les caveaux de Sainte-Claire, elle avait osé accomplir ces rites mystérieux qui appelèrent à son aide un ange déchu. Elle avait vu le démon obéir à ses ordres et trembler devant elle. Ambrosio lui dit qu'elle s'était condamnée à la perdition éternelle. Il voulait renoncer à l'aide qu’elle lui proposait. Il adorait Antonia mais n'était pas assez aveuglé par ses sens pour sacrifier à sa possession son existence dans ce monde et dans l'autre. Il refusait de faire alliance avec l'ennemi de Dieu. Matilda savait qu'Ambrosio redoutait le châtiment de Dieu. Il voulait bien l'offenser en secret mais il tremblait de se déclarer son ennemi. Il lui restait suffisamment de grâce pour frémir à l'idée de la sorcellerie. Matilda l'engagea à en finir avec ses scrupules d'enfants. Alors, Matilda apprit à Ambrosio qu'Antonia en aimait un autre. Dans peu de jours elle serait son épouse. Matilda tenait cette nouvelle de ces invisibles serviteurs. Matilda montra à Ambrosio un miroir d'acier poli dont les bords étaient couverts de différents caractères étrangers inconnus. Grâce à ce miroir, Matilda avait pu voir les agissements d'Ambrosio auprès de Matilda. Après avoir prononcé certaines paroles, elle pouvait voir dans ce miroir la personne à qui elle pensait. Ambrosio voulut essayer. Matilda prononça les paroles magiques. Aussitôt, une épaisse fumée s'éleva des caractères tracés sur les bords et un mélange confus de couleur et d'images se rangèrent enfin d'elle-même et à leur place Ambrosio vit en miniature les traits charmants d'Antonia. Elle se déshabillait pour se mettre au bain. Lamoureux moine U pleine liberté de contempler les voluptueux contours et les admirables proportions de ces membres. Ambrosio n'en put supporter davantage, ses désirs s'étaient tournés en frénésie. Alors il céda à Matilda. Matilda emmena Ambrosio au cimetière. Ils entrèrent dans les caveaux. Matilda s'empara de la lampe qui éclairait en permanence la statue de Sainte Claire. Le sort d'Ambrosio était décidé. Il n'y avait plus moyen de s'échapper. Ambrosio combattit donc ses appréhensions en songeant qu'Antonia serait le prix de son audace. Ambrosio entendit un sourd murmure. Quelqu'un implorait Dieu sans en attendre l'espoir ni le secours. Matilda avait abandonné quelques instants Ambrosio et revint habillée tout en noir. Sur sa robe étaient brodés d'or des caractères inconnus. Cette robe était attachée par une ceinture de pierres précieuses dans laquelle était passé un poignard. Matilda tenait à la main une baguette d'or. Elle invita Ambrosio à la suivre. Elle le guida à travers divers étroits passages. Ils parvinrent à un vaste souterrain. Matilda posa sa lampe à terre et ordonna à Ambrosio de garder le silence. Elle commença des rites mystérieux. Elle traça un cercle autour de lui et un autre autour d'elle puis prenant une petite fiole dans le panier, elle en répondit quelques gouttes sur la terre devant elle.
Elle se courba et prononça quelques phrases inintelligibles. Immédiatement, il s'éleva du sol une flamme sulfureuse qui changea le souterrain en une immense salle toute couverte d'un feu bleuâtre et tremblant. Mais ce feu ne donnait aucune chaleur, au contraire. Matilda continua ses incantations. Elle sortit de son panier des objets. Ambrosio remarqua trois doigts humains et un Agnus dei que Matilda mit en pièces. Elle jeta tous ces objets dans les flammes. Matilda poussa un cri long et perçant.
Elle s'arracha les cheveux et se frappa le sein. Elle se plongea le poignard dans le bras gauche. Matilda prenait soin que son sang tombe en dehors du cercle. Les flammes se retiraient de l'endroit où le sang coulait.
Des nuages s'élevèrent lentement de la terre ensanglantée et montèrent graduellement jusqu'à atteindre la voûte de la caverne. Un coup de tonnerre se fit entendre et la terre trembla sous les pieds de Matilda. Ambrosio se repentit de sa témérité. Il tomba sur un genou. Une musique mélodieuse se répandit dans l'air et Ambrosio vit un être plus beau que n'en créa jamais le pinceau de l'imagination. C'était un jeune homme entièrement nu. Une étoile étincelait à son front, ses épaules déployaient deux ailes rouges et sa chevelure soyeuse était retenue par un bandeau de feu. Il portait des bracelets de diamants aux poignets et aux chevilles. Il tenait dans sa main droite une branche de myrte en argent. Il était environné de nuages, couleur de rose et une brise rafraîchissante répandit des parfums dans la caverne. Ambrosio contempla l'esprit avec délice et étonnement. Il remarqua une expression farouche dans les yeux du démon et une mélancolie mystérieuse qui trahissaient l'ange déchu et inspir sur ce aient une terreur secrète.
Quand la musique cessa, Matilda s'adressa à l'esprit. Elle lui parlait une langue inintelligible paraissant insister sur un point que le démon ne voulait pas accorder. Il y alors Matilda parla d'un ton impérieux et l'esprit tomba à genoux. Il tendit à Matilda sa branche de myrte. L'esprit disparu. Matilda expliqua à Ambrosio qu'elle avait évoqué Lucifer. Pour qu'il accepte de l'aider, elle avait dû prendre l'engagement de ne plus jamais réclamer son ministère en faveur d'Ambrosio. Désormais, Ambrosio ne pourrait espérer de secours surnaturels qu'en invoquant lui-même les démons et en acceptant les conditions de leurs services.
Matilda offrit à Ambrosio le myrte étincelant. Elle lui expliqua que tant qu'il porterait le myrte en main toutes les portes s'ouvriraient devant lui.
Il n'aurait qu'à souffler trois fois sur le myrte quand il appellerait Antonia et à le placer sur l'oreiller pour qu'un sommeil de mort s'empare d'Antonia et lui ôte le pouvoir de résister au moine.
Les idées d'Ambrosio étaient trop troublées par les aventures de la nuit pour lui permettre d'exprimer ses remerciements à Matilda. Une fois dans sa cellule, Ambrosio imagina les appâts secrets d'Antonia et il attendit avec impatience l'arrivée de la nuit.
Chapitre VIII
Toutes les recherches du marquis de Las Cisternas avaient été vaines. Inès était à jamais perdue pour lui.
Il tomba malade et ne put donc rendre visite à Elvira comme il en avait l'intention. Lorenzo avait été empêché par la mort de sa soeur de faire part à son oncle de ses desseins sur Antonia. Les ordres d'Elvira lui interdisaient de se présenter devant elle sans le consentement du duc.
Elvira pensait qu'il avait rencontré un meilleur parti au qu'il avait renoncé à ses vues. Elle était inquiète sur la destinée d'Antonia. Elle était convaincue que la ruine de sa fille avait été méditée par Ambrosio. Un événement se préparait qui l'aurait rassurée si elle l'avait su. Lorenzo n'attendait plus qu'une occasion favorable pour instruire le duc de son projet de mariage. Mais la maladie de Raimundo paraissait faire des progrès et Lorenzo était constamment à son chevet. Le marquis avait conçu une affection si profonde pour sa maîtresse défunte que personne ne croyait qu'il pût survivre à cette perte. Il aurait succombé à son chagrin sur la persuasion qu'elle vivait encore et qu'elle avait besoin de son assistance. Les gens qui l'entouraient l'encourageaient dans une croyance qui faisait sa seule consolation. Ils inventaient des histoires sur les diverses tentatives faites pour pénétrer dans le couvent. Théodore était le seul qui s'efforçait de réaliser les chimères de son maître. Il était réellement occupé à faire des combinaisons pour entrer dans le couvent et pour obtenir des nonnes quelques nouvelles d'Inès. Un jour il se fit passer pour mendiant et réussit à amadouer les nonnes qui le firent entrer au couvent pour lui donner de la soupe. En le voyant manger, les nonnes admiraient la délicatesse de ses traits. Elles envisagèrent de prier l'abbesse d'intercéder auprès d'Ambrosio pour qu'il admît le mendiant dans l'ordre des Capucins.
L'abbesse fut curieuse de voir Théodore. La portière du couvent confia à Théodore qu'Inès était tombée malade en revenant de confesse. Depuis, elle n'avait pas quitté le lit et la soeur avait assisté en personne à l'enterrement. Elle attestait même avoir vu le corps mort. Ce récit découragea Théodore mais, ayant poussé aussi loin l'aventure, il résolut d'en voir la fin.
Théodore fut présenté à l'abbesse qui lui posa plusieurs questions sur sa famille, sur sa religion et sur les causes qui l'avaient réduit à la mendicité. Théodore donna des réponses parfaitement satisfaisantes et parfaitement fausses. Il parla de la vie monastique en termes pleins d'estime. Elle lui ordonna de revenir le lendemain. Théodore s'amusait à débiter aux crédules nonnes toutes les histoires étranges que son imagination pouvait inventer. Il prétendit être né en Terra incognita et qu'il avait fait ses études dans une université hottentote. Il avait mis un emplâtre sur son mari pour faire croire qu'il était borgne. Il prétendit avoir perdu son oeil en regardant une statue de la vierge Marie au moment où les moines la changeaient de chemise. La gloire qui entourait la vierge avait trop de splendeur pour être supportée et il avait fermé soudain son oeil sacrilège et depuis il lui avait été impossible de le rouvrir. Les nonnes promirent d'intercéder auprès de la Sainte vierge pour qu'elle lui rendit l'usage de son oeil.
Les nonnes lui demandèrent de chanter une chanson et il s'exécuta en chantant l'aventure d'une demoiselle qui s'éprit subitement d'un chevalier inconnu. Il avait appris cette chanson par Inès et espérait qu'elle pourrait l'entendre.
Malheureusement, son artifice n'avait pas réussi car Inès ne lui avait pas répondu. Les nonnes lui firent des petits cadeaux et l'incitèrent à revenir dès le lendemain. C'est alors qu'arriva la mère Sainte-Ursule qui offrit à Théodore une corbeille. Elle dit à Théodore que cette corbeille avait maintes vertus cachées. Elle murmura le prénom d'Inès à Théodore. Le supérieur convoqua immédiatement Ursule. Théodore apporta la corbeille au marquis. Il lui raconta son aventure. Raimundo remarqua qu'un des coins de la doublure de satin bleu de la corbeille était décousu. Il l'arracha promptement et en tira un petit morceau de papier qui lui était adressé. Sainte Ursule recommandait au marquis de se procurer auprès du cardinal-duc l'ordre de l'arrêter ainsi que la supérieure le vendredi à minuit. Ce soir-là, ce serait la fête de Sainte-Claire et il y aurait une procession de nonnes à la lueur des torches, Ursule serait du nombre. Ce qu'elle avait à lui dire glacerait son sang d'horreur. Ces lignes prouvées au marquis trop clairement qu'Inès était morte. La lettre de Sainte Ursule excita en Lorenzo le désir de punir les meurtriers. Le marquis jura de se venger contre les assassins d'Inès. Lorenzo confia Raimundo aux soins des meilleurs médecins de Madrid et dirigea sa course vers le palais du cardinal-duc. Mais le cardinal était parti pour une province éloignée. Lorenzo voyagea jour et nuit pour voir le cardinal-duc et lui exposa le crime présumé de l'abbesse ainsi que les effets violents qu'il avait produits sur Raimundo. Aussi, le Cardinal-duc accorda sans difficulté le mandat d'arrêt. Il donna à Lorenzo une lettre pour le principal officier de l'inquisition par laquelle il lui recommandait de veiller à l'exécution du mandat. Lorenzo arriva le vendredi quelques heures avant la nuit. Lorenzo parla avec Raimundo toujours aussi faible. Puis il remit la lettre du cardinal à Don Ramirez de Mello. Lorenzo alla voir son oncle pour lui communiquer son projet ce dernier s'engagea à l'accompagner la nuit au couvent. Don Ramirez promit le plus ferme appui. Lorenzo ignorait qu'Ambrosio avait résolu la ruine de l'innocente Antonia. Antonia s'était retirée de chez sa mère avec regret lorsqu'elle entendit une douce musique qui se jouait sous sa fenêtre. Elle ouvrit la fenêtre pour mieux entendre. Elle vit en bas de chez elle plusieurs hommes qui jouaient de la guitare et parmi eux un autre homme enveloppé dans son manteau. C'était Lorenzo qui jouait la sérénade pour la convaincre que son attachement durait toujours. Antonia était loin de supposer que cette musique nocturne lui était destinée. Elle était trop modeste pour se croire digne de telles attentions. Lorenzo et ses musiciens se dispersèrent et Antonia quitta la fenêtre à regret.
Elle se recommanda à la Sainte Rosalie et se mit au lit. Il était près de 2:00 du matin lorsque le moine luxurieux se hasarda à diriger ses pas vers la demeure d'Antonia. Il toucha la porte avec le myrte d'argent et elle s'ouvrit. Il monta l'escalier avec lenteur et précaution. La conscience de l'attentat qu'il allait consommer épouvantait son coeur. Cependant il continua. Il éteignit la porte de la chambre d'Antonia. Le silence absolu le convainquit que sa victime reposait. La porte était verrouillée alors elle s'ouvrit aussitôt touchée par le talisman. Le moine entra et se trouva dans la chambre où l'innocente fille dormait sans se douter qu'un si dangereux visiteur fut près de sa couche. La porte se referma derrière lui. Ambrosio souffla trois fois sur le myrte d'argent en prononçant le nom d'Antonia et le mit sur l'oreiller. Un air d'innocence et de candeur enchanteresse enveloppait tout le corps d'Antonia. Ambrosio resta quelque temps à dévorer des yeux les charmes d'Antonia qui allaient être la proie de ses passions déréglées. Tout à coup, Elvira entra dans la chambre. Ambrosio tressaillit et se retourna. Elvira avait été réveillée par un songe effrayant lui représente Antonia auprès d'un précipice. Alors elle s'était levée pour s'assurer de la sûreté de sa fille. Elle était arrivée juste à temps pour sauver sa fille des embrassements de son ravisseur. Ambrosio était pétrifié de honte tandis qu’Elvira était pétrifiée de stupeur. Puis Elvira s'écria que tout Madrid serait au courant de l'incontinence du moine. Elle allait faire du moine un exemple pour tous les hypocrites à venir. Elle voulut réveiller sa fille qui resta endormie. Alors Elvira appela sa domestique. Ambrosio implora Elvira de le laisser regagner le couvent. Mais Elvira refusa et tandis qu'elle parlait, le souvenir d'Inès frappa l'esprit du moine. Elle avait imploré sa pitié et c'est ainsi qu'il avait rejeté sa prière. C'était maintenant son tour de souffrir et il ne put s'empêcher de reconnaître que sa punition était juste. Flora, le domestique, était enseveli dans un profond sommeil. Ambrosio commença à ramasser ses affaires mais Elvira l'empêcha de fuir. Alors le moine serra Elvira à la gorge pour arrêter ses cris et il étouffa avec l'oreiller. Après avoir tué Elvira, Ambrosio chancela et s'affaissa sur une chaise. Il n'avait plus de désir pour Antonia. Un froid mortel avait remplacé l'ardeur qui lui brûlait le sein. Agitée par le remords et la crainte, il se prépara à fuir. Il utilisa le myrte pour ouvrir la porte et il put regagner le monastère. Dans sa cellule, il s'abandonna aux tortures d'un impuissant remords et à la terreur d'être bientôt démasqué.
Chapitre IX
Ambrosio eut horreur de lui-même en songeant à ses rapides progrès dans le mal. Son crime était déjà puni par les angoisses de sa conscience. Mais le temps affaiblit considérablement ses impressions. Aucun soupçon ne tombait sur lui. L'impunité le réconciliait avec sa faute et il commença à reprendre courage jusqu'à ne plus être attentif aux reproches du remords. Matilda avait paru très affectée en apprenant la mort d'Elvira puis elle le persuade qu'il n'était pas aussi coupable qu'il paraissait le croire. Il lui fit croire qu'il avait visé du droit de légitime défense car Elvira, par son inflexible détermination de perdre Ambrosio avait prononcé sur elle-même un juste arrêt. Elle convainquit Ambrosio qu'il s'était débarrassé du plus grand obstacle à ses desseins sur Antonia. Elle encouragea le moine à ne pas abandonner ses desseins sur Antonia. Antonia, sans sa mère, devenait une conquête facile. Ambrosio brûlait plus que jamais de posséder Antonia. Ayant réussi à cacher un premier crime, il comptait sur le même succès pour le suivant. Dans les premiers transports du désespoir, il avait brisé en 1000 pièces le myrte enchanté. Mais Ambrosio refusa de former aucun engagement avec les démons. Alors Matilda appliqua son imagination à découvrir un moyen de mettre Antonia au pouvoir du prieur.
Antonia avait découvert le cadavre de sa mère en se réveillant. On fit venir un médecin qui déclara la mort d'Elvira. L'hôtesse d'Antonia, Jacinta, frissonna à l'idée de passer la nuit dans la même maison qu'un cadavre et insista pour que les funérailles eussent lieu le lendemain. On décida qu'Elvira sera enterrée au cimetière de Sainte-Claire. Jacinta s'occupa de tous les frais. Antonia surmonta la maladie que lui avait causée la mort de sa mère. On avait supposé qu'Elvira avait été prise d'une attaque soudaine et qu'elle avait expiré avant d'avoir eu le temps de prendre la médecine qui la soulageait généralement.
Antonia ne savait à qui s'adresser dans sa position difficile. Comme sa mère l'avait mise en garde contre Ambrosio et lui avait ordonné de cesser toutes relations avec lui, Antonia respectait trop sa mère pour ne pas lui obéir. Alors Antonia résolut de recourir aux avis et à la protection du marquis de Las Cisternas qui était son plus proche parent. Elle lui écrivit pour lui exposer sa déplorable situation. Antonia était née sous une malheureuse étoile. Si elle s'était adressée au marquis un jour plus tôt, elle aurait échappé à toutes les infortunes qui la menaçaient encore. La maladie avait obligé Raimundo à différer de jour en jour de donner asile dans sa maison à la veuve de son frère. Comme Elvira avait dit à Lorenzo qu'elle n'avait besoin pour le moment d'aucune assistance pécuniaire, le marquis ne s'était pas imaginé qu'un léger retard put mettre Elvira dans l'embarras. La veille du jour où Antonia avait envoyé sa lettre, Lorenzo était parti de Madrid. Le marquis, convaincu qu'Inès était morte, était dans les premiers paroxysmes du désespoir. Comme sa vie était en danger, on ne laissait personne l'approcher. Il ne put donc lire la lettre d'Antonia. Antonia reçut une lettre de Leonela adressée à Elvira dans laquelle elle racontait ses aventures à Cordoue. Elle informait sa soeur qu'elle avait recueilli son héritage et servaient à Madrid le mardi soir. Elle se proposait de présenter à Elvira son cher époux. Antonia fut ravie du prompt retour de sa tante. Elle attendit avec impatience le mardi soir.
Antonia essaya de s'occuper en jouant de la musique ou en brodant mais il était écrit que ce soir-là rien n’aurait le pouvoir de la distraire. Comme elle allait et venait nonchalamment dans la chambre, ses yeux tombèrent sur la porte qui conduisait à la chambre qu'avait occupée sa mère. C'était la première fois qu'Antonia entrait dans la chambre depuis la mort de sa mère. Elle s'abandonna à une tristesse que chaque instant rendait plus profonde. Elle chercha un livre et trouva un volume de vieilles ballades espagnoles. Elle lut la ballade « Alonzo le hardi et la belle Imogène ». Imogène avait promis à Alonzo que si elle est l'oubliait par luxure ou fortune appâtée que le spectre d'Alonzo, assis à son côté l'accuse de parjure en exigeant sa main et qu'il l'emporte dans la tombe. 12 mois après le départ d'Alonzo en Palestine, Imogène tomba amoureuse d'un baron tout couvert d'or. Elle l'épousa et il l'emmena. Alors, quand la cloche sonna une heure, la mariée aperçut un inconnu assis près d'elle qui la regardait. Les chiens en le voyant se sauvaient apeurés et les chandelles brûlaient bleues. Sa présence semblait stupéfier tous les coeurs. Imogène le pria d'ôter son casque et de partager son repas. L'inconnu s'exécuta et les convives effrayés se trouvèrent face a un crâne de squelette. Le spectre d'Alonzo accusa Imogène de parjure et exigea sa main. Il enlaça Imogène et l'entraîna dans un gouffre béant. Imogen subit la peine de son crime et pleura sur son triste sort. À minuit, quatre fois par an, quand les mortels sont enchaînés par le sommeil, l'esprit d' Imogène, dans son blanc costume de mariée se montre accompagné du chevalier squelette et danse avec lui en criant.
Ils boivent dans des crânes tous frais arrachés à la tombe et trinquent entourés de spectres en buvant du sang.
Ce récit avait épouvanté Antonia qui appela Flora mais ses cris se perdirent en sourds murmure. Elle crut entendre pousser près d'elle un faible soupir. Elle entendit une voix qui venait de la porte et la porte fut ouverte. Antonia vit une grande figure maigre enveloppée dans un blanc linceul qui la couvrait de la tête aux pieds. Le spectre annonça à Antonia : « Encore trois jours, et nous nous reverrons ».
Antonia voulait savoir qui était le spectre. C'était celui de sa mère. Antonia poussa un cri et tomba sans vie sur le plancher.
Jacinta entendit le cri et se précipita dans la chambre. Elle trouva Antonia évanouit et l'emporta dans sa chambre. Elle réussit à la réveiller. Alors Antonia dit à Jacinta ce qui venait de lui arriver. Cela fit fuir Jacinta qui rencontra Flora dans l'escalier et lui raconta ce qu'elle venait d'entendre. Flora tenta de ranimer sa maîtresse et n'y arrivant pas elle envoya vite chercher un médecin. Jacinta demanda à parler à Ambrosio. Ambrosio avait essayé de revoir Antonia mais Flora avait promis d'obéir à Elvira qui lui avait confié ses soupçons sur le moine et lui avait donné l'ordre de ne jamais laisser Antonia seule avec lui. Quand Ambrosio a appris que Jacinta demandait à le voir, il refusa. Mais Matilda lui ordonna d'accepter de lui parler. Ambrosio obéit. Antonia expliqua au moine que Jacinta était l'hôtesse d'Antonia. Ambrosio et Mathilda allèrent ensemble au parloir. Jacinta supposait beaucoup d'influence à Ambrosio sur le diable. Elle lui raconta toute son aventure. Mais elle ajoutera son récit des faits imaginaires. Elle raconta avoir vu le fantôme d'Elvira crachant des nuages de feu et chargé de lourdes chaînes.
Ambrosio refusa de croire à cet étrange récit. C'était une occasion de s'introduire chez Antonia mais Ambrosio hésita car il se sentait qu'enfreindre publiquement la règle qu'il s'était faite de ne jamais quitter l'enceinte du couvent, ce serait déroger beaucoup à son austérité supposée. Dans ses visites à Elvira, il avait toujours pris soin de cacher ses traits aux domestiques. S'il accédait à la requête de Jacinta, il savait que la violation de cette règle ne resterait pas secrète. Mais le désir de voir Antonia l'emporta. Ambrosio promit de revenir le lendemain mais Jacinta ajouta qu'Antonia subissait de violentes convulsions. Alors, Ambrosio demanda à être conduit près d'elle immédiatement. Le médecin était passé pour soigner Antonia. Quand Antonia vit arriver Ambrosio, le trouble de son esprit s'apaisa. Elle avait besoin de tous les secours de l'amitié et de la religion. Elle le remercia vivement de sa visite. Elle lui raconta son aventure. Ambrosio voulut la rassurer en lui expliquant que tout ce qu'elle avait vu n'était qu'une illusion. Il ne réussit pas à convaincre Antonia. Elle persista à affirmer qu'elle avait vu réellement l'ombre de sa mère qu'elle s'était entendue prédire l'époque de sa mort. Ambrosio remarqua que Flora tenait attaché sur lui un oeil soupçonneux ce qui le déconcerta. Il désespéra de trouver le moyen d'assouvir sa passion. Ambrosio annonça à Jacinta qu'il veillerait sur la chambre hantée toute la nuit. Ambrosio retourna au monastère raconta toute la scène à Matilda. Il frémissait à l'idée de perdre un objet qui lui était si cher. Mais Matilda le rassura. Pour Matilda, Antonia avait été abusée par les illusions de la tristesse et de la superstition. Matilda avait conçu un plan pour que le moine puisse disposer d'Antonia pour toujours. Matilda parla d'une liqueur extraite de certaines herbes qui donnait à qui la buvait l'apparence exacte de la mort. Ambrosio devait en faire prendre à Antonia. Après quoi, Ambrosio n'aurait plus qu'à présider aux funérailles d'Antonia et à la faire enterrer dans les caveaux de Sainte-Claire. 48 heures plus tard, Antonia serait absolument soumise au moine. Mathilda expliqua à Ambrosio ou il pourrait trouver la liqueur dans le laboratoire de Sainte-Claire.
Ambrosio se rendit au couvent aussitôt après matines. L'abbesse fut sensible à l'honneur qu'il leur faisait de leur accorder sa première visite. On le promena dans le jardin et on lui montra toutes les reliques des saints et des martyrs. Il lui expliqua que parmi ses pénitents, il en était plusieurs que la maladie empêchait de sortir et qui avait besoin des consolations de la religion. C'était la raison pour laquelle il avait renoncé à sa résolution de rester cloisonnée. Puis il parvint enfin en laboratoire et trouva le cabinet, la bouteille était à la place indiquée par Matilda et il profita d'un instant favorable pour remplir sans être vu sa fiole de la liqueur soporifique. Puis après avoir pris une collation dans le réfectoire, il quitta le couvent. Il attendit jusqu'au soir avant de prendre le chemin du logement d'Antonia. Jacinta le reçut avec transport et le supplia de ne pas oublier la promesse qui lui avait faite de passer la nuit dans la chambre du revenant. Il trouva Antonia toujours préoccupée de la prédiction de l'ombre. Flora témoigna son mécontentement de la présence du moine. Le médecin arriva. Flora fut forcée de descendre chercher des lumières. Ambrosio en profita pour verser quelques gouttes de sa fiole dans la médecine prévue pour Antonia. Le médecin ne remarqua rien. Le médecin annonça qu'Antonia pourrait quitter la chambre le lendemain en toute sûreté. Il lui recommanda de suivre l'ordonnance qu'il lui avait prescrite. Quand Antonia bue le médicament, Ambrosio se demanda si Matilda ne l'avait pas trompé en substituant un poison au narcotique. Mais il n'eut pas le temps d'empêcher Antonia d'avaler le médicament. Craignant d'exciter la méfiance en restant, Ambrosio prit congé de sa victime comme s'il n'avait pas l'intention de revenir. Flora fut si frappée de ne lui voir aucune instance, qu'elle commença à douter de la justesse de ses soupçons. Alors elle le remercia d'avoir fait des efforts pour déraciner de l'esprit d'Antonia les terreurs superstitieuses de la prédiction du spectre. Jacinta le supplia encore de passer la nuit dans la chambre du revenant et il céda. Flora soupçonna le moine de jouer un rôle fort opposé à son inclination et de ne pas demander mieux que de rester où il était. Elle soupçonna Jacinta d'être l'entremetteuse du moine. Alors elle annonça au moine qu'elle veillerait sur Antonia toute la nuit. Ambrosio l'engagea à persévérer dans son intention. Ambrosio pénétra dans la chambre du spectre avec une certaine horreur mystérieuse. Ambrosio prit un livre et s'assit à la table mais il n'arriva pas à éloigner son esprit de l'image d'Antonia et de celle d'Elvira assassinée. Tout à coup, il entendit des pas et se retourna mais il n'y avait personne. La porte du cabinet était à moitié ouverte. Il entra dans le cabinet mais il n'y avait personne. Il crut distinguer un gémissement dans la chambre contiguë. C'était celle d'Antonia et il supposa que les gouttes commençaient à faire effet mais il se rendit compte que le bruit venait de Jacinta qui s'était endormie auprès du lit de la malade. Il regarda le lit d'Elvira il se promena dans la chambre d'Elvira et il vit une figure vêtue de blanc sortir de l'alcôve se glisser à côté de lui et s'élancer vers le cabinet. Ambrosio poursuivit l'apparition et essaya de s'en emparer.
Le spectre n'était autre que Flora. Honteuse d'avoir était découverte et effrayée de l'air rigide d'Ambrosio elle promit de faire un aveu complet. Elle s'était cachée pour l'espionner. Il se contenta de fer à l'espion repentant un sermon sur le danger de la curiosité. Elle promit de ne plus recommencer et se retira vers la chambre d'Antonia. Jacinta entra pâle et hors d'haleine annonçant qu'Antonia a été prise des convulsions qui avaient tué sa mère.
Ambrosio et Flora trouvèrent Antonia torturée par d'affreuses convulsions. Le moine envoya Jacinta au couvent et la chargea de ramener le père Pablos sans perdre un moment. Elle transmit au père Pablos les ordres du prieur puis elle se rendit chez le vieux Simon Gonzalez ne voulant plus retourner dans cette maison maudite. Le père Pablos déclarera Antonia sans ressources. Ambrosio se maudit mille fois d'avoir adopté un projet si barbare en voyant Antonia convulser. Elle eut le temps de dire Ambrosio combien son coeur était reconnaissant de ses attentions et de ses bontés. Elle lui avoua qu'elle regrettait de le quitter plus qu'aucun autre mais elle lui promit qu'ils se retrouveraient. Elle demanda à Ambrosio une grand-messe pour le repos de son âme et une pour sa bien-aimée mère. Elle demanda à Ambrosio de prévenir le marquis de Las Cisternas. Ambrosio s'engagea à faire ce qu'elle désirait et lui donna l'absolution. Antonia expira sans un gémissement.
Flora s'abandonna à la flexion la plus immodérée. Ambrosio chercha le pouls d'Antonia et le trouva. Alors son coeur fut rempli d'ivresse. Il se retira après avoir promis de donner lui-même des ordres pour l'enterrement qui aurait lieu le plus tôt possible. Il obtint de l'abbesse la permission de faire déposer le cadavre dans les caveaux de Sainte-Claire.
Le vendredi matin, le corps d'Antonia fut mis dans la tombe. Le même jour, Leonela arrivait à Madrid dans l'intention de présenter à sa soeur son jeune mari. Elle apprit la mort d'Antonia avec douleur et surprise.
Chapitre X
Lorenzo ne revint à Madrid que le soir du jour ou Antonia avait été enterrée. Il n'eut pas le temps de prendre des nouvelles de sa bien-aimée et il ignorait complètement la mort de la mère et de la fille. Il avait été fort occupé à signifier au grand inquisiteur l'ordre du cardinal-duc et à communiquer son projet à son oncle et assembler une troupe suffisante pour prévenir toute résistance. Le marquis n'était nullement hors de danger. Lorenzo se présenta à la porte de Sainte-Claire accompagné de son oncle, de don Ramirez et d'une troupe d'archers choisis.
Les nonnes étaient occupées à accomplir les cérémonies instituées en l'honneur de Sainte-Claire et auxquelles jamais aucun profane n'étaient admis.
Du dehors on entendait l'orgue accompagné d'un choeur de femmes. Puis le son de la voix d'une chanteuse seule qui avait été choisie pour remplir dans la procession le rôle de Sainte-Claire. Lorenzo ne supportait pas toute cette hypocrisie et n'avait que mépris pour la superstition qui dominait les habitants de Madrid. Il ne souhaitait qu'une occasion de les affranchir des entraves où les tenaient les moines.
Cette occasion s'offrait enfin à lui et il lui tardait de démasquer les hypocrites et de prouver à ses compatriotes qu'un saint extérieur ne cache pas toujours un coeur vertueux.
Le service dura jusqu'à minuit. La musique cessa et bientôt les lumières disparurent des fenêtres de la chapelle. Lorenzo sentit son coeur battre bien fort au moment d'exécuter son plan à cause de la superstition naturelle du peuple et il s'était préparé à quelques résistances. Sa seule crainte était que la supérieure, soupçonnant son projet, n'eût découragé la nonne, de la déposition de qui tout dépendait. Il attendait avec anxiété le moment où la présence de son alliée allait le délivrer de son incertitude. Les moines avaient été invités au pèlerinage. Ils arrivèrent, des torches allumées à la main et chantant des hymnes en l'honneur de Sainte-Claire. Mais Ambrosio était absent. Il s'était fait remplacer par le père Pablos. Le peuple fit place au sein cortège. La procession était en ordre et les portes du couvent s'ouvrirent. Le choeur des femmes retentit à pleine voix. Une charmante jeune fille représentait Sainte-Lucie. Elle avait les yeux bandés et était conduite par une autre nonne dans le costume d'un ange. Elle était suivie de Sainte-Catherine, une palme dans une main et une épée flamboyante dans l'autre. Sainte-Geneviève était entourée de quantité de diablotins. Chacune des saintes était séparée de l'autre par une troupe de chanteuses. Puis vinrent les reliques de Sainte-Claire. Lorenzo était entièrement occupé par la nonne qui portait le coeur. D'après la description de Théodore, il ne doutait pas que ce ne fut la mère Sainte Ursule. Lorenzo l'entendit dire tout bas à sa compagne qu'elles étaient sauvées. La jeune fille qui représentait Sainte-Claire apparue sur un trône. Elle portait une couronne de diamants formant une auréole artificielle. C'était une beauté. Mais Lorenzo la regarda avec une froide admiration.
L'abbesse et suivez le trône. Elle fermait la procession. Tout à coup, don Ramirez sortit de la foule et réclama l'abbesse comme sa prisonnière. Celle-ci cria au sacrilège et invita le peuple à sauver une fille de l'Eglise. Les spectateurs s'empressèrent d'obéir. Ramirez leur commanda de s'arrêter les menaçant des plus rigoureuses vengeances de l'Inquisition. Toutes les épées rentrèrent dans le fourreau. L'abbesse devint pâle et trembla. Elle pria Ramirez de lui apprendre le crime dont elle était accusée. Ramirez lui répondit que d'abord il devait s'assurer de la mère Sainte Ursule. L'abbesse compris qu'elle avait été trahie. Sainte Ursule arriva avec des archers et sa compagne. Sainte Ursule accusa l'abbesse d'assassinat.
Un cri de surprise fut poussé par toute l'assistance. Les nonnes épouvantées s'étaient dispersées par divers chemins. Sainte Ursule monta sur le char splendide et s'adressa à la multitude. Sainte Ursule et évoqua Inès. Elle disait qu'elle l'aimait d'une affection sincère. Elle révéla la peine attachée au crime d'Inès que la vindicative abbesse avait résolu de faire revivre. Cette loi ordonnait que la coupable serait plongée dans un cachot particulier, destiné expressément à cacher pour toujours au monde la victime de la cruauté et de la tyrannie superstitieuses. L'assistance fut indignée. Quand le désordre qui sévissait eut cessé, Sainte Ursule continua son discours. L'abbesse était terrifiée. Sainte Ursule raconta que le conseil des 12 nonnes les plus âgées avait été convoqué et qu'elle en faisait partie. L'abbesse avait peint de couleurs exagérées la faute d'Inès. La proposition de l'abbesse fut approuvée par neuf voix sur 12. Sainte Ursule avait voté contre. L'abbesse craignit de rompre ouvertement avec les trois opposants. Elle savait que sa perte serait certaine si Inès, après avoir été emprisonnée et supposée morte, venait à être découverte. Elle renonça donc à son dessein avec répugnance. Elle demanda quelques jours pour songer un autre genre de punition susceptible d'être approuvé de toute la communauté. Inès devait être interrogée trois jours plus tard. Sainte Ursule parla à Inès pour lui conseiller de répondre affirmativement ou négativement aux questions de la supérieure à partir de certains signes par lesquels elle pour l'avertir.
Sainte Ursule eut tout juste le temps de se cacher en entendant l'abbesse s'entrer dans la chambre d'Inès. L'abbesse était accompagnée de quatre autres nonnes. L'abbesse fit boire à Inès le contenu du gobelet que lui présentait une des nonnes. Inès implora l'abbesse de la laisser en vie. L'abbesse lui dit qu'elle avait eu l'intention de lui faire grâce de la vie, et que si elle avait changé d'idée, c'était l'opposition de ses amis qui en était cause. Elle força Inès à boire le poison en le menaçant d'un poignard. L'agonie d'Inès dut amplement assouvir la haine et la vengeance de ses ennemies. Aussitôt que leur victime eut cessé de respirer, l'abbesse se retira et fut suivie de ses complices.
Ce fut alors que Sainte Ursule sortit de sa cachette. Elle dit une prière pour le repos de l'âme d'Inès et elle fit voeu de venger sa mort par la honte et le châtiment de ses assassins. Lors de l'enterrement d'Inès, Sainte Ursule laissa échapper des paroles imprudentes qui alarmèrent la conscience coupable de l'abbesse. Toutes les actions de Sainte Ursule furent observées. Elle dut attendre longtemps avant de trouver le moyen de donner avis de son secret aux parents de la malheureuse Inès. On a répandu le bruit qu'Inès était morte subitement et cette version fut crue par tous ses amis. Personne ne soupçonnait la véritable cause de la mort d'Inès. Sainte Ursule accusa l'abbesse d'avoir agi en barbare et en hypocrite et accusa également ses quatre complices. Son récit excita de tous côtés l'horreur et la surprise et la foule manifesta son indignation. La foule réclama l'abbesse mais don Ramirez refusa d'y consentir. Ramirez ordonna aux archers de s'ouvrir un chemin. Le peuple continuait de pousser en avant et s'empara de l'abbesse la traînant par les rues et la frappant. Quelqu'un envoya un caillou qui frappa la tempe de l'abbesse. Elle tomba par terre et en peu de temps termina sa misérable existence. Puis le couvent de Sainte-Claire fut attaqué. La populace avait résolu de sacrifier à sa rage toutes les religieuses de cet ordre. La plupart des nonnes avaient pris la fuite mais quelques-unes étaient restées. Lorenzo ne put approcher des portes. Les mutins se répandirent dans l'intérieur du couvent. Ils incendièrent le couvent. Choqué d'avoir été la cause, quoique innocente, de cet effrayant désordre, Lorenzo entreprit de réparer sa faute en protégeant les malheureuses habitantes du couvent.
Beaucoup d'assaillants périrent dans l'incendie. La bonne fortune de Lorenzo le conduisit à une petite porte dans une galerie retirée de la chapelle. Il se retrouva au pied des caveaux de Sainte-Claire.
Il se trouvait en sûreté avec le duc et quelques hommes de sa suite. Lorenzo décida de se rendre au jardin des capucins et traversa le cimetière avec sa troupe. Quelqu'un ouvrit la porte des caveaux et regarda au-dehors, mais en apercevant des étrangers, poussa un cri perçant et descendit précipitamment l'escalier de marbre. Lorenzo s'élança dans le caveau et poursuivit la personne qui continuait de fuir devant lui. Toute la troupe Areva bientôt en bas de l'escalier. Lorenzo aperçut une lumière devant la statue de Sainte Claire. Devant se tenaient plusieurs femmes. Lorenzo fut découvert et les femmes poussaient un cri d'effroi. Lorenzo avait saisi le bras de la fugitive. Elle tomba à genoux devant lui. Lorenzo reconnut la belle Virginia qui avait joué le rôle de Sainte-Claire lors de la procession. Il lui promit de la protéger contre les assaillants. Les autres nonnes lui prodiguaient aller bénédiction par douzaines. Elles le supplièrent de ne pas les abandonner à la rage de la populace. Il lui recommanda de ne pas quitter encore les caveaux de quelque temps et d'attendre que la fureur populaire fut un peu calmée. Les nonnes furent effrayées à l'idée de devoir passer encore plusieurs heures dans le caveau. Elles prétendirent avoir été assaillies par les ombres de leurs compagnes défuntes. Lorenzo leur indique croire aux revenants était ridicule et chimérique. Mais les nonnes étaient persuadées de ce qu'elles avaient entendu. Lorenzo lui-même entendit un gémissement et chercha d'où il provenait. Lorenzo suivit la direction du gémissement qui continuait. Il provenait de la châsse de Sainte-Claire. Elena expliqua à Lorenzo que la statue d'où venait le gémissement avait la réputation d'opérer des miracles. Elle pensait que la Sainte était affligé de l'incendie du couvent qu'elle protégeait qu'elle exprimait sa douleur par des lamentations distinctes. N'ayant pas la même foi dans les miracles de la Sainte, Lorenzo ne trouva pas la solution du problème aussi satisfaisante qu'elle parut aux nonnes. Cependant Elena lui expliqua qu'un jour, un misérable avait tenté de voler le rugby qui se trouvait sur le bras de la statue. L'abbesse leur avait raconté que le malheureux avait été maudit par la Sainte et que depuis il continuait de hanter ce caveau et d'implorer le pardon de Sainte-Claire par ses gémissements. Elena conseilla à Lorenzo de ne pas toucher la statue. Les nonnes montrèrent à Lorenzo la main du voleur qui était resté attaché à la statue. Malgré cela, Lorenzo approcha de la statue. Il la secoua et essaya de la remuer mais elle avait l'air de faire partie de sa base. Il pensait que la défense si particulière de toucher le bras de la statue n'avait pas été faite sans motif. Il découvrit un petit bouton de fer caché entre l'épaule de la Sainte et ce que l'on supposait avoir été la main du voleur. Il poussa le bouton avec force et aussitôt un bruit sourd se fit entendre dans la statue comme une chaîne tendue qui se détachait. Lorenzo comprit qu'il avait lâché une chaîne qui attachait la statue au piédestal. Le piédestal était creux et l'entrée en était fermée par une lourde grille de fer. Il souleva la grille avec l'aide de toutes les nonnes. Ils découvrirent un escalier qui menait dans un gouffre béant. Lorenzo voulut descendre malgré ce que disaient les nonnes. Il descendit quand même en laissant la lampe aux nonnes. Il parvint sans accident au bas de l'escalier et chercha à la lueur qui avait attiré son attention. Il entendit des sons plaintifs et se dirigea dans la direction d'où ils provenaient. Il revit la lueur que lui avait cachée jusqu'alors l'angle d'un mur peu élevé. La lueur venait d'une petite lampe posée sur un tas de pierres. Lorenzo vit une créature étendue sur un lit de paille. Elle était à moitié nue attendant qu'on vienne lui apporter à manger depuis deux jours. C'était Inès et son bébé. Le bébé était mort. Inès avait été enfermée dans un cachot par l'abbesse. Lorenzo s'avança vers la captive. Il se rendit compte qu'elle avait été enchaînée. Inès entendit Lorenzo pensant que c'était Camille, une des nonnes. Alors Lorenzo lui dit que ce n'était pas Camille à. Elle lui demanda de prendre pitié de ces souffrances. Lorenzo lui dit qu'il n'était pas un émissaire de la cruelle abbesse. Il venait pour la secourir. Il lui apprit que la cruelle abbesse avait déjà subi la peine de ses crimes. Elle montra à Lorenzo le petit paquet qu'elle tenait toujours serré contre sa poitrine. Inès reconnut Lorenzo et s'évanouit. Lorenzo libéra Inès en forçant l'anneau qui retenait un des bouts de la chaîne et l'emporta la captive dans ses bras. Les nonnes fut surprise et ravi de le voir subitement sortir du souterrain. Elles éprouvèrent de la compassion pour la malheureuse qu'il portait dans ses bras. Lorenzo sortit le premier pour examiner s'il n'y avait plus de danger. Des étrangers s'étaient approchés. C'était le duc et les archers. Ils apprirent à Lorenzo que la foule avait été dispersée et elle aimait entièrement fini. Lorenzo raconta brièvement son aventure dans le souterrain et pria le duc de se charger d’Inès ainsi que des nonnes. Lorenzo demanda à Ramirez de lui laisser la moitié des archers pour examiner les recoins les plus secrets du sépulcre. Il voulait s'assurer qu'il n'y avait pas une autre victime. Ramirez aida Lorenzo dans cette perquisition. Les nonnes remercièrent Lorenzo et furent emmenés hors des caveaux. Virginia demanda à garder Inès et promit à Lorenzo de lui faire savoir quand Inès serait suffisamment rétablie pour recevoir sa visite. Lorenzo contempla avec admiration et bonheur Virginia et il la considéra comme un ange descendu du ciel au secours de l'innocence affligée. Le duc mena les nonnes saines et sauves chez leurs parents respectifs.
Lorenzo et Ramirez examinèrent le souterrain. Ils entendirent des gens qui accouraient de l'intérieur du sépulcre.
Chapitre XI
Ambrosio ne se doutait pas des scènes effrayantes qui se passaient si près de lui. L'exécution de ses desseins sur Antonia absorbait toutes ses pensées. Antonia avait bu le narcotique, elle était enterrée dans les caveaux de Sainte-Claire, et entièrement à sa disposition. Matilda qui connaissait bien la nature et les effets du breuvage soporifique, avait calculé qu'il ne cesserait d'opérer qu'à 1:00 du matin. Il attendait ce moment avec impatience. La fête de Sainte-Claire lui fournissait une occasion favorable de consommer son crime car les moines et les nonnes seraient à la procession. Sûr de ne pas être découvert, il ne reculait pas devant l'idée d'employer la violence. Les moines quittèrent le couvent à minuit. Matilda était parmi les chantres. Ambrosio fut libre de suivre ses inclinations. Il se rendit au cimetière et fut rapidement devant les caveaux. Guidé par sa lampe, il s'enfonça dans les longs passages dont Matilda lui avait enseigné les détours et parvint au caveau particulier qui contenait Antonia. Il descendit dans le souterrain et s'approcha de la tombe d'Antonia. La belle endormie était à côté de trois cadavres décomposés. Il songea à Elvira et au crime horrible dont il était coupable mais cela ne servit qu'à le raffermir dans sa résolution de détruire l'honneur d'Antonia. Il parla à Antonia et lui dit qu'avant le point du jour, elle serait à lui. Il l'emporta. L'ardeur naturelle de ses désirs s'était accrue par une longue abstinence car depuis qu'il avait abdiqué tout droit à son amour, Matilda l'avait exilé pour toujours de ses bras. Sa concupiscence allait jusqu'à la folie. De son amour pour Antonia, il ne restait que des éléments grossiers. Antonia se réveilla. Ambrosio la serra avec transport contre lui et imprima un long baiser sur ses lèvres. Alors, Antonia se leva précipitamment et jeta autour d'elle un regard éperdu. Elle demanda au prieur où elle était. Elle voulait savoir comment elle était arrivée dans ce lieu. Ambrosio la calma et lui commanda de se fier à sa protection. Elle lui demanda de l'épargner. Il couvrit Antonia de baiser. Malgré toute son ignorance, Antonia comprit le danger. Elle s'arracha aux bras du prieur et s'enferma dans son linceul. Elle voulait revenir chez elle. Ambrosio la força à s'asseoir près de lui et lui expliqua que toute résistance était inutile. Il lui dit que tout le monde la croyait morte. Il la possédait et elle était entièrement son pouvoir. Mais elle essaya d'échapper à son étreinte. Elle appelait au secours à grands cris. Ambrosio étouffa ses cris sous les baisers et se rendit peu à peu maître d'Antonia. Il ne quitta sa proie que lorsqu'il eut consommé son forfait et le déshonneur d'Antonia. À peine eût-il accompli son dessein qu'il eut horreur de lui-même et des moyens qu'il avait employés. Une voix secrète lui disait combien était bas et inhumain le crime qu'il venait de commettre. L'infortuné s'était évanoui avant que son déshonneur fut consommé et ne revint à la vie que pour sentir son malheur. Accablée de chagrin, elle se leva avec difficulté et se disposa à quitter le caveau. Ambrosio la rattrapa et la repoussa violemment dans le caveau.
Elle lui demanda à rentrer chez elle pour pleurer en liberté sans honte et sa misère. Il refusa car il avait peur qu'elle raconte à Madrid et qu'il était un scélérat. Il l'accusa d'être responsable des crimes qu'il avait commis à cause de sa beauté. Antonia implora sa grâce. Mais il la jeta à terre. Ambrosio aurait bien voulu effacer de sa mémoire la scène qui venait de se passer. Sa compassion pour Antonia augmentait. Mais il sentait que si elle reparaissait dans le monde, le forfait qu'il avait commis serait révélé et sa punition inévitable. Quant à Antonia, elle ne pouvait présumer de s'établir avantageusement car elle serait marquée d'infamie et condamnée au chagrin et à la solitude pour le reste de son existence. Ambrosio se décida à laisser Antonia passer pour morte et à la retenir captive dans cette sombre prison. C'était le seul moyen d'empêcher Antonia de le perdre en publiant sa propre honte.
Ambrosio releva Antonia de terre et essaya de la consoler d'un malheur qui ne pouvait plus se réparer. Mais lorsqu'il lui annonça qu'elle serait retenue dans le caveau, elle se réveilla soudain de son insensibilité. Cette idée était trop terrible pour la supporter et triompha même de l'horreur d'Antonia pour le moine. Elle promit de cacher au monde les outrages qu'elle avait subis si Ambrosio la libérait. Ambrosio hésita. À ce moment-là, Matilda accourut pleine de trouble et d'effroi. Antonia poussa un cri de joie espérant être secourue. Mais le novice supposé n'exprima pas la moindre surprise de trouver une femme seule avec le prieur. Matilda révéla Ambrosio que le couvent était en feu et que la populace se révoltait contre les religieux. Les moines recherchaient Ambrosio et son absence excitait partout de l'étonnement et le désespoir. Ambrosio pensait qu'il suffisait de retourner dans sa cellule mais Matilda lui expliqua que Lorenzo et plusieurs officiers de l'Inquisition parcouraient le caveau et occupaient chaque passage. Matilda conseilla à Ambrosio de rester caché dans le caveau. Elle voulut assassiner Antonia pour que ces cris n'attirent pas Lorenzo. Ambrosio l'en empêcha. Alors Matilda répudia son alliance avec le moine. Elle lui dit que celui qui tremblait de commettre un crime si insignifiant ne méritait pas sa protection. Pendant ce temps, Antonia se précipita vers la sortie en direction des voix qu'elle entendait. Ambrosio se lance à sa poursuite. Elle appela au secours. Ambrosio plongea deux fois dans le sein d'Antonia le poignard que Matilda lui avait donné. Craignant d'être découvert, Ambrosio abandonna sa victime et s'enfuit au caveau où il avait laissé Matilda.
Don Ramirez arriva le premier est perçu partir une femme gagnée 200 et un homme qui s'enfuyait. Il le poursuivit avec les archers. Lorenzo et les autres archers soulevèrent Antonia qui s'était évanouie mais donna des signes de vie. Lorenzo la prit dans ses bras. Antonio sentait que ses blessures étaient mortelles et le peu d'instants qui lui restaient furent des instants de bonheur. Elle comprit qu'il l'aimait. Elle lui dit que si elle n'avait pas été souillée, elle aurait pu déplorer la perte de sa vie mais, déshonorée et vouée à l'opprobre, la mort pour elle était un bonheur. Elle n'aurait pu épouser Lorenzo et elle se serait résignée à mourir sans un soupir de regret. Elle lui déclara qu'il était le seul au monde qu'elle fût affligée de quitter. L'horloge du couvent sonna l'heure. Elle joignit les mains et tomba morte. Lorenzo était désespéré. Il se laissa emmener hors du caveau et transporter au palais de Medina. Beaucoup de temps s'écoula avant que la retraite d'Ambrosio fut découverte. Mais les archers découvrirent la porte du caveau qui avait été artistement dissimulée. Ils la forcèrent et entrèrent dans le caveau au grand effroi d'Ambrosio et de Matilda. Quand les archers comprirent qu'Ambrosio avait tué Antonia, ils purent à peine se persuader que ce qu'ils voyaient n'était pas une vision. Les deux coupables furent conduits dans les prisons de l'Inquisition. Don Ramirez pris soin que la populace restât dans l'ignorance des forfaits et de la profession des prisonniers. L'ordre et la tranquillité se rétablirent dans Madrid.
Virginia continua de s'occuper d'Inès. Inès réussie à triompher de la maladie. Quand elle raconta son histoire Virginia, cette dernière fut ravie d'apprendre qu’elle était la soeur de Lorenzo. Inès tenta tout pour convaincre Virginia de quitter le voile. Elle réussit en aiguisant les sentiments que Virginia avait pour Lorenzo. Inès ne pouvait pas souhaiter pour son frère un parti plus avantageux car Virginia était héritière de la famille Villa-Franca.
Le duc accepta que Virginia soit l'épouse de son neveu. Il fut donc convenu entre l'oncle et la nièce qu'Inès insinuerait cette idée à Lorenzo. Mais les malheureux événements qui eurent lieu dans l'intervalle l'empêchèrent d'exécuter son dessein. Le duc apprit que son neveu avait été affligé par la mort d’Antonia. Il tâcha de le consoler mais l'exhorta à résister à l'envahissement du désespoir.
Inès avait appris que Raimundo était malade. Mais elle triompha secrètement en songeant que sa maladie prouvait la sincérité de l'amour. Le duc se charge lui-même d'annoncer au malade le bonheur qui l'attendait. Dès qu'elle fut guérie, Inès accourut soigner son amant et il put surmonter les effets de sa maladie. Lorenzo n'était plus qu'une ombre après la mort d'Antonia. Rien ne pouvait le distraire. La société d'Inès était sa seule consolation. Le duc avait déclaré au marquis ses désirs au sujet de Virginia. Lorenzo accepta d'épouser Virginia. Peu à peu, Lorenzo recouvra ses forces. Il demanda à Inès comment elle avait pu survivre au poison que Sainte Ursule lui avait vu boire. Inès lui raconta que quand elle était revenue à la vie, son âme était encore sous l'impression des terribles idées que lui avait insufflées l'abbesse. Quand elle se réveilla elle se trouvait prisonnière dans le tombeau. Elle était couverte d'un drap et on lui avait laissé un petit crucifix et un rosaire. Près d’elle se trouvait le cadavre d'une nonne qu'Inès avait reconnue. Elle puisse échapper du tombeau il se retrouva dans un caveau assez spacieux. Il se retrouva près de la statue de Sainte clair. Inès réalisa que l'abbesse s'était trompée sur la nature de la liqueur qu'elle elle l’avait forcée à boire. Au lieu de poison elle lui avait administré un puissant narcotique. Alors elle comprit que sa destinée était de périr de faim. Elle en fut terrifiée car elle était enceinte. Elle ne réussit pas à s'échapper. Alors qu'elle pensait mourir de faim, Inès vit un panier sur une tombe voisine. Le panier contenait du pain et une bouteille d'eau. Elle se demanda pourquoi on la retenait dans ce lugubre caveau et de qui elle était redevable des provisions placées à sa portée. Inès pensait qu'une des religieuses avait pris parti pour elle et avait réussi à substituer un narcotique au poison et qu'elle lui avait apporté de la nourriture en attendant de pouvoir effectuer sa délivrance. Mais un jour, l'abbesse et ses quatre complices arrivèrent. L'abbesse lui dit qu'elle ne désirait pas sa mort mais son repentir. Elle avait délibérément décidé de lui faire boire un narcotique. Son intention était de lui faire ressentir les tortures d'une conscience coupable, qui se voit surprise par la mort avant l'expiration de ses crimes. L'abbesse espérait que les angoisses d'Inès deviendraient pour elle un bien éternel. Tout Madrid croyait Inès morte. L'abbesse avait organisé une cérémonie de funérailles. L'abbesse annonça à Inès quelle serait prisonnière pour toujours. On lui apporterait des aliments mais non suffisamment pour satisfaire son appétit. Elle serait enchaînée dans un des cachots secrets sans autre consolation que la religion pour tout le reste de ses jours.
Inès demanda à l'abbesse d'épargner son enfant à naître. L'abbesse refusa car il considérait l'enfant comme une créature conçue dans un péché monstrueux. Elle voulait le sacrifier car elle le considérait comme un être engendré dans le parjure qui ne pouvait manquer d'être un prodige de vice. Elle espérait même que le bébé meurt rapidement pour qu'Inès ne tire pas de consolation du prix de son iniquité.
Ce discours inhumain fut plus que le corps d'Inès ne put supporter et elle s'évanouit.
Chaque matin, Inès espérait quelque allégement à ses souffrances et chaque matin ses espérances étaient déçues. Elle finit par se résigner à sa destinée et n'attendit la liberté que comme compagne de la mort.
Cette torture avança le terme de sa grossesse. Elle fut délivrée de son déplorable fardeau dans la solitude et la misère. Inès ne pouvait que le baigner de ses larmes, le réchauffer dans son sein et prier pour son salut. Mais le manque de soins convenables, l'ignorance de ses devoirs de mer, le froid perçant du cachot et l'air malsain que respiraient ses poumons terminèrent la courte et pénible existence de son pauvre petit.
Il mourut peu d'heures après sa naissance. Inès assista à sa mort dans des angoisses impossibles à décrire.
Camilla venait régulièrement dans la prison d'Inès toutes les 24 heures lui apporter de la nourriture. Elle fut émue en voyant le bébé mort. Elle voulut enterrer le bébé mais Inès refusa. Inès continua de bercer son enfant en putréfaction. Tout le temps de son emprisonnement fut occupé à retrouver les traits de son enfant sous la corruption livide qui les cachait.
Quand Inès fut délivrée, elle emporta son enfant dans ses bras. Elle n'accepta de l'enterrer qu'avec les représentations de ces tendres amis la marquise et Virginia. Tous les jours Camilla avaient tenté de la consoler en l’encourageant à supporter avec patience son infortune temporaire et à s'engager à tirer sa consolation de la religion. Les nonnes obéirent aveuglement à l'abbesse car trop souvent la parole de la supérieure était un oracle pour les habitantes d'un couvent. Et elles suivirent ses injonctions à la lettre et furent pleinement convaincues que traiter Inès avec douceur ou montrer la moindre pitié pour ses maux serait le vrai moyen de lui ôter toute chance de salut.
Camilla fut chargée par l'abbesse de traités Inès avec dureté. Elle tâchait fréquemment de lui prouver la justice de son châtiment et l'énormité de son forfait. Parfois, elle la menaçait de la damnation éternelle.
Une seule fois, l'abbesse vint voir Inès dans son cachot. C'était pour l'accabler de reproches. Elle contempla même sans émotion le bébé mort. Camilla tomba malade. L'abbesse et les autres nonnes avaient complètement abandonné Inès. Inès pensait que les nonnes l'avaient oubliée ou que l'abbesse leur avait ordonné de la laisser périr. Inès était résignée à son sort et attendait l'instant de sa mort quand Lorenzo vint la sauver.
La bulle du pape avait pleinement relevé Inès de ses engagements religieux et le mariage fut donc célébré avec le marquis. Inès partit avec Raimundo pour le château qu'il avait en Andalousie. Inès récompensa Sainte Ursule en la faisant nommer surintendante des dames de charité. Flora fut récompensée de sa fidélité en recevant les moyens de s'embarquer pour Cuba où elle arriva en sûreté, comblée des présents de Raimundo et de Lorenzo.
Lorenzo visait toujours dans le souvenir d'Antonia. Mais quand le duc proposa une alliance avec Virginia, son neveu n'en rejeta pas l'offre. Virginia devint sa femme et ne lui donna jamais sujet de regretter son choix. L'image d'Antonia s'effaça peu à peu et Virginia devint seule maîtresse de ce coeur qu'elle méritait bien de posséder sans partage.
Le reste de leur jour, Raimondo et Inès, Lorenzo et Virginia furent aussi heureux qu'il est donné de l'être aux mortelles nés pour être la proie des malheurs et le jouet des mécomptes.
Chapitre XII
Le lendemain de la mort d'Antonia, tout Madrid fut dans l'étonnement et la consternation. Un archer, témoin de l'aventure, avait indiscrètement raconté les détails du meurtre. Le crime d'Ambrosio fut donc ainsi révélé. Les partisans du prieur l'abandonnèrent. Plus personne ne doutait de sa culpabilité. Ambrosio était en proie aux tortures d'une conscience criminelle et aux terreurs du châtiment suspendu sur sa tête.
Peu de semaines auparavant, il était pur et vertueux, recherché par les gens les plus sages et les plus distingués de Madrid ; il se voyait désormais souillé des forfaits les plus élaborés, les plus monstrueux et l'objet de l'exécration générale. Ambrosio fut jugé par le grand inquisiteur. Le procès d'Ambrosio avait été accéléré à cause d'un solennel autodafé qui devait avoir lieu à quelques jours de là et dans lequel les inquisiteurs avaient l'intention de faire jouer un rôle à ce prévenu remarquable.
Ambrosio fut accusé de viol, de meurtre et de sorcellerie. Matilda fut également accusée de sorcellerie. Elle avait été arrêtée comme complice de l'assassinat d'Antonia. Ramirez avait trouvé dans la cellule du moine le miroir étincelant que Matilda avait laissé chez lui et qui comportait d'étranges figures. Le grand inquisiteur avait pris une petite croix d'or et la déposa sur le miroir qui se brisa en 1000 morceaux. L'inquisition supposa que l'ancienne influence du moine sur l'esprit du peuple était due entièrement à des sortilèges.
Le moine protesta de son innocence et Matilda suivie son exemple. Le moine fut torturé. Il eut assez d'énergie pour persister dans son désaveu.
L'inquisition redoubla ses angoisses et en ne le laissa que lorsque, s'étant trouvée mal de douleur, l'insensibilité l'eut soustrait aux mains de ses bourreaux.
Matilda ne résista pas à la torture, tomba à genoux et avoua son commerce avec les esprits infernaux. Elle témoigna avoir vu l'assassinat d'Antonia par le moine.
Elle s'accusa du crime de sorcellerie et déclara qu'Ambrosio en était parfaitement innocent.
Matilda fut condamnée à expier son crime dans le feu au prochain autodafé.
Ambrosio, perdu dans un labyrinthe de terreurs, aurait bien voulu se réfugier dans les ténèbres de l'athéisme pour pouvoir nier l'immortalité de l'âme et se persuader que ses yeux une fois fermée ne se rouvriraient plus. Il s'affligea de la punition et non du crime. Dans son sommeil, il se trouva dans des royaumes sulfureux et dans des cavernes brûlantes, entouré de démons chargés d'être ses bourreaux. Il vit les fantômes d'Elvira et de sa fille qui lui reprochaient leur mort. Elles demandaient aux démons de lui infliger des tourments d'une cruauté encore plus raffinée.
Il vit Matilda qui avait quitté son costume religieux et portait un habit de femme à la fois élégant et splendide. Il lui demanda comment elle avait fait pour entrer dans sa cellule et elle lui répondit qu'elle avait vendu son âme pour être libre et échapper à toutes les mortifications de la honte et de l'infamie. Elle lui dit qu'il était condamné à la perdition éternelle et qu'il n'y aurait pour lui qu'un gouffre de flammes dévorantes. Elle lui proposa de fuir la vengeance divine. Il pourrait jouir du présent et oublier l'avenir qui se cachait derrière. Mais il refusa. Alors annuler sa un livre qui lui recommanda de lire à rebours les quatre premières lignes de la septième page. Alors, l'esprit qu'il avait déjà vu apparaîtrait à l'instant. Puis il fut sommé de paraître devant le grand inquisiteur. On lui demanda de nouveau s'il voulait avouer. Il répondit qu'il n'avait pas commis de crimes. Mais quand il fut menacé de torture, il fit une ample confession. Interrogé sur la fuite de Matilda, il révéla qu'elle s'était vendue à Satan et qu'elle était redevable de son évasion à la sorcellerie. La menace de la torture le força de se déclarer sorcier et hérétique et tout ce qu'il plût aux inquisiteurs de lui attribuer. Sa sentence fut immédiatement prononcée. Il fut condamné à l'autodafé qui devait se célébrer à minuit le soir même. Ainsi, l'exécution ferait un plus grand effet sur l'esprit du peuple.
Dans son cachot, Ambrosio envisagea le lendemain avec désespoir et ses terreurs redoublèrent à l'approche de minuit. Il brûla d'essayer le charme que Matilda lui avait proposé même s'il en craignait les suites. Il finit par céder à la tentation. Il tourna la septième page et commença à la lire à haute voix. Elles étaient écrites dans une langue dont la signification lui était totalement inconnue. On entendit un grand coup de tonnerre et la prison fut ébranlée jusque dans ses fondements, un éclair brilla dans le cachot. Lucifer reparut devant lui. Il se montra dans toute sa laideur. Ses mains et ses pieds étaient armés de longues griffes. Ses yeux étincelaient d'une fureur qui aurait frappé d'épouvante le coeur le plus brave. Il tenait un rouleau de parchemin et une plume de fer. Épouvanté, Ambrosio resta à contempler le démon. Lucifer demanda pourquoi il avait été appelé. Ambrosio lui demanda de l'emporter loin de son cachot. Alors Lucifer lui demanda s'il était prêt à vendre son âme. Ambrosio essaya de négocier la vente de son âme pour mille ans au lieu de l'éternité. Lucifer refusa. Il lui répondit que son sort était déjà fixé et qu'il était déjà marqué comme appartenant au diable dans le livre du destin. Ambrosio refusa de le croire car il ne voulait pas désespérer du pardon. Lucifer excita si puissamment les craintes et le désespoir d'Ambrosio qu'il le décida à recevoir le parchemin. Alors, Lucifer prit la plume de fer et piqua une veine de la main gauche d'Ambrosio. Mais Ambrosio refusa de signer. Le démon s'enfuit en proférant des blasphèmes. Le moine se réjouit d'avoir résisté aux artifices du séducteur et d'avoir triomphé de l'ennemi du genre humain. Mais quand l'heure du supplice approcha, son effroi se réveilla dans son coeur. Alors il fit appel à nouveau au démon et il signa le parchemin. Aussitôt le démon saisit un des bras d'Ambrosio et l'emporta dans les airs.
Les geôliers en découvrant le cachot évidé comprirent, par l'odeur du soufre, comment Ambrosio avait réussi à se libérer. Le bruit qu'un sorcier avait été emporté par le diable courut bientôt dans Madrid. Ambrosio fut bientôt aussi oublié que s'il n'avait jamais existé. Quoi que soustrait à l'inquisition, Ambrosio était insensible aux douceurs de la liberté. Le pacte qui le tenait pesait cruellement sur son esprit. Lucifer avait emporté Ambrosio au bord du précipice le plus escarpé de la Sierra Morena. Le moine demanda à être près de Matilda. Alors Lucifer lui révéla ses crimes : Ambrosio avait versé le sang de deux innocentes : Elvira qui était sa mère et Antonia qui était sa soeur. Ambrosio était donc à la fois parricide et incestueux. C'est Lucifer qui avait mis Matilda sur le chemin du moine et c'est lui encore qui lui avait procuré un accès dans la chambre d'Antonia. C'est Lucifer qui lui avait donné le poignard ayant servi à assassiner Antonia. C'est le diable qui avait averti Elvira des desseins d'Ambrosio. Enfin, Lucifer apprit à Ambrosio que s'il avait résisté une minute de plus, il aurait sauvé son corps et son âme car les geôliers étaient venus lui signifier sa grâce. Voyant Ambrosio tomber à genoux et lever les mains au ciel, le démon s'enleva avec lui de dessus le rocher. Alors il lâcha sa victime et le moine tomba. Il fut broyé et déchiré. Les aigles du rocher mirent sa chair en lambeaux. Malgré cela, le criminel languit six misérables jours.