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Humanisme : le Contrat social
7 décembre 2020

Les Chouans (Honoré de Balzac).

chouans

 

 

Balzac voyait dans sa Comédie humaine non seulement une « concurrence à l'État civil », mais une explication philosophique de l'homme et de l'univers, il pensait que le plan général de l'oeuvre serait le mouvement de cette entreprise de connaissances. « Je vous aurai peint dans les Etudes de Moeurs les sentiments et leur jeu, la vie et son allure. Dans les Etudes Philosophiques je dirai pourquoi les sentiments, sur quoi la vie (…) Puis après les effets et les causes, viendront les Etudes analytiques, dont fait partie la physiologie du mariage, car après les effets et les causes doivent se chercher les principes. »

La première édition des Chouans, parue chez Canel en 1829, avec celui de Vimont publié cinq ans plus tard, ont conservé la même conception originale même si on peut constater quelques modifications. La plupart des modifications visent à épurer le texte de l'accessoire. Balzac aurait prêté certains traits de Mme Hanska à Marie de Verneuil et projeté sur l'histoire des deux amants le reflet de sa propre liaison avec la dame polonaise.

Avant la liquidation de son imprimerie, en 1828, Balzac a beaucoup lu. Des lectures historiques surtout. La mode, en France, à cette époque, est à Walter Scott et Balzac essaiera d'exploiter cet engouement. Il imagine donc de donner une vue complète et vivante de l'histoire de France dans une longue suite de romans. Dans la préface des Chouans, Balzac se présente sous un pseudonyme : Victor Morillon. Il esquisse une théorie du roman historique où l'on devine déjà quelques-uns des principes esthétiques de la Comédie humaine. Il souhaite donc dresser un état civil de la nation à l'aide d'individus choisis et représentatifs. Il veut montrer les oscillations produites par le fanatisme des religions. Il souhaite également renouveler la peinture des sentiments. Dès 1928, Balzac revendique donc l'observation directe de la société et des choses et la connaissance du coeur humain. En 1828, Balzac est ruiné. Il est accueilli par un ami, Gilbert de Pommereul à Fougères, en Bretagne. Ce bref séjour aura une importance incalculable car, en trois semaines, Balzac dévore la Bretagne. Il rapportera à Paris un manuscrit sérieusement ébauché avec la conscience éclatante d'avoir découvert l'univers et lui-même. Les Chouans et est un roman historique dans lequel pas un personnage historique ne fait partie des protagonistes principaux. Il n'est fait mention d'aucun fait d'armes connu. La chronologie des événements reste imprécise. Et le sujet historique ne tarde pas à être supplanté par l'histoire d'amour.

Balzac voyait ce roman comme « un magnifique poème ». Balzac a pu recueillir à Fougères, de la bouche même des gens qui avaient subi les contrecoups des combats, des souvenirs amers et encore vivants.

Dans la multiple richesse du décor historique des Chouans s'ébauche la psychologie de la Comédie humaine. Les personnages doivent déjà satisfaire à deux exigences fondamentales : être unique et, en même temps, dépasser leur caractère de strictes individualités en incarnant un groupe humain. Si bien que quelques individus privilégiés résumeront la société. Ainsi, le Gars est une gracieuse image de la noblesse française, Hulot une image vivante de cette énergique république, tandis que Gudin représentera le clergé borné et fanatique. Marie inaugure dans la Comédie humaine cette longue procession d'êtres passionnés, consumés jusqu'à la mort comme Antoinette de Navarreins ou le père Goriot. L'amour de Marie est donc le vrai sujet de l'oeuvre et autour de lui s'ordonne le récit de la guerre. La Bretagne lui offre un décor sauvage à sa mesure. Le titre initial du roman, le Gars, ne lui avait jamais convenu ; Le Dernier Chouan ou la Bretagne en 1800 avait corrigé quelque peu cette erreur de perspective ; Les Chouans ou la Bretagne en 1799 mettait l'accent sur l'ensemble.

Dans la première édition de la Comédie humaine (Furne 1842-1848), Balzac révèle que l'idée première de celle-ci fut d'abord chez lui comme un rêve, comme un de ses projets impossibles que l'on caresse et qu'on laisse s'envoler ; une chimère qui sourit, qui montre son visage de femme et qui déploie aussitôt ses ailes en remontant dans un ciel fantastique. Cette idée vint d'une comparaison entre l'Humanité et l'Animalité. Balzac vit que, sous ce rapport, la Société ressemblait à la Nature.

Balzac estimait qu'il existait de tout temps des espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques. Cependant, Balzac pensait que l'État social a des hasards que ne se permet pas la Nature. Balzac voulait que son oeuvre ait une triple forme : les hommes, les femmes et les choses, c'est-à-dire les personnes et la représentation matérielle qu'ils donnent de leurs pensées ; enfin l'homme et la vie. Balzac avait remarqué une immense lacune dans le champ de l'histoire, l'histoire des moeurs n'y est pas relatée.

Balzac avoue s'être inspiré de Walter Scott pour commencer sa Comédie humaine. Il estime que Walter Scott a élevé à la valeur philosophique de l'histoire le roman. Selon Balzac, Walter Scott avait mis l'esprit des anciens temps dans ses romans et y réunissait à la fois le drame, le dialogue, le portrait, le paysage, la description. Il y faisait entrer le merveilleux et le vrai. Mais Walter Scott n'avait pas songé à relier ses compositions l'une à l'autre de manière à coordonner une histoire complète. C'est en apercevant ce défaut de liaison que Balzac vit à la fois le système favorable à l'exécution de son ouvrage et la possibilité de l'exécuter.

Pour Balzac, le hasard est le plus grand romancier du monde et pour être fécond, il n'y a qu'à l'étudier. La Société française allait être l'historien et Balzac ne devait être que son secrétaire.

Il songea à dresser l'inventaire des vices et des vertus en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la société, enfin en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes. Balzac voulait ainsi écrire l'histoire des moeurs.

Balzac voulait dépeindre la Société pour définir la raison de son mouvement.

Il pensait qu'un écrivain devait avoir en morale et en politique des opinions arrêtées. Pour Balzac, l'homme n'est ni bon ni méchant, il naît avec des instincts et des attitudes ; la Société, loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur ; mais l'intérêt développe ses penchants mauvais. Balzac voyait dans le christianisme un système complet de répression des tendances dépravées de l'homme et le plus grand élément d'Ordre social. Selon lui, la passion (qui comprend la pensée et le sentiment) est l'élément social et l'élément destructeur.

Pour lui, la pensée ne pouvait être préparée, domptée, dirigée que par la religion. Et pour Balzac, l'unique religion possible, c'est le christianisme. Balzac estime que l'élection, étendue à tous, provoque le gouvernement par les masses, le seul qui ne soit pas responsable et où la tyrannie est sans bornes, car elle s'appelle la loi. Balzac affirmait que le système électif de l'Empire était incontestablement le meilleur.

Balzac pense que l'histoire n'a pas pour loi, comme le roman, de tendre vers le beau idéal. Balzac ne partageait pas la croyance à un progrès indéfini mais il croyait aux progrès de l'homme sur lui-même. Balzac signale qu'il tient à accorder aux faits constants, quotidiens, secrets ou patents, aux actes de la vie individuelle, à leurs causes et à leurs principes autant d'importance que jusqu'alors les historiens en ont attaché aux événements de la vie publique des nations. Balzac a voulu diviser la Comédie humaine en six classements : scènes de la vie privée, de province, parisienne, politique, militaire et de campagne. Dans ces classements figurent toutes les études de moeurs qui forment l'histoire générale de la Société, selon l'écrivain. Les Scènes de la vie privée représentent l'enfance, l'adolescence et leurs fautes, comme les Scènes de la vie de province représentent l'âge des passions, des calculs, des intérêts et de l'ambition. Puis les Scènes de la vie parisienne offrent le tableau des goûts, des vices et de toutes les choses effrénées qui excitent les moeurs particulières aux capitales ou se rencontrent à la fois l'extrême bien et l'extrême mal. Les Scènes de la vie politique montrent les existences d'exception qui résument les intérêts de plusieurs ou de tous. Les Scènes de la vie militaire montrent la société dans son état le plus violent. Enfin, les Scènes de la vie de campagne sont en quelque sorte le soir de cette longue journée qu'est le drame social selon Balzac.

C'est dans les Scènes de la vie de campagne que Balzac a voulu placer les plus purs caractères et l'application des grands principes d'ordre, de politique et de moralité.

Balzac avait pour projet la rédaction de quatre ouvrages de morale politique sous le titre Etudes analytiques de la Comédie humaine. Seul le premier volet fut publié et les trois autres restèrent inachevés : Pathologie de la vie sociale, Anatomie des corps enseignants, Monographie de la vertu et Traité complet de la vie extérieure.

L'immensité d'un plan qui embrasse à la fois l'histoire et la critique de la Société, l'analyse de ses maux et la discussion de ses principes ont autorisé Balzac à donner à son ouvrage le titre la Comédie humaine.

Dans le catalogue que Balzac avait prévu, le roman Les Chouans devait prendre place parmi une vingtaine d'autres projets de romans militaires qui ne seront jamais réalisés.

Chapitre premier : l'embuscade.

Dans les premiers jours de l'an VII, au commencement de vendémiaire (vers la fin du mois de septembre 1799) une centaine de paysans accompagnés d'un grand nombre de bourgeois gravissaient la montagne de la Pèlerine à mi-chemin environ de Fougères à Ernée. Quelques-uns des paysans allaient pieds nus, ayant pour tout vêtement une grande peau de chèvre et un pantalon de toile blanche. Ils avaient de longs cheveux qui s'unissaient aux poils de la peau de chèvre de leurs vêtements. On pouvait facilement confondre ces malheureux avec les animaux dont les dépouilles leur servaient de vêtements. Mais leurs regards annonçaient l'intelligence humaine causant certainement plus de terreur que de plaisir. Les paysans portaient une sale toque en laine rouge semblable à ce bonnet phrygien que la République adoptait alors comme emblème de la liberté. Tous avaient sur l'épaule un gros bâton de chêne avec au bout un baluchon. Quelques-uns d'entre eux marchaient avec des sabots tandis que d'autres tenaient leurs souliers à la main. Les bourgeois portaient des pantalons de toile bleue, les gilets rouges ou jaunes ornés de deux rangées de bouton de cuivre parallèles. Quelques-uns portaient des sabots mais presque tous avaient de gros souliers ferrés et des habits de drap fort grossier. Le col de leur chemise était attaché par des boutons d'argent qui figuraient des coeurs ou des ancres. Leurs baluchons étaient plus fournis que ceux des paysans. De plus, les bourgeois avaient une gourde sans doute pleine d'eau de vie.

Il y avait enfin quelques citadins coiffés de chapeaux ronds, de claques ou de casquettes ayant des bottes à revers ou des souliers maintenus par des guêtres. Une dizaine d'entre eux portaient cette veste républicaine connue sous le nom de carmagnole. Il y avait aussi de riches artisans vêtus de de la tête aux pieds  en drap de la même couleur. Un observateur initié au secret des discordes civiles qui agitaient alors la France aurait pu facilement reconnaître le petit nombre de citoyens sur la fidélité desquels la République devait compter dans cette troupe, presque entièrement composée de gens qui, quatre ans auparavant, avaenit guerroyé contre elle. Les républicains seuls marchaient avec une sorte de gaieté. Quant aux autres individus de la troupe, ils montraient sur leurs figures et dans leurs attitudes cette expression uniforme que donne le malheur. Bourgeois et paysans gardaient l'empreinte d'une mélancolie profonde. Leur silence avait quelque chose de farouche et ils semblaient courbés sous le joug d'une même pensée. Seulement la lenteur peu ordinaire de leur marche pouvait trahir de secrets calculs.

Quelques-uns portaient des chapelets suspendus à leur cou malgré le danger qu'ils couraient à conserver ce signe d'une religion plutôt supprimée que détruite. Une autre troupe formait la tête du détachement. 150 soldats marchaient en avant avec armes et bagages, sous le commandement d'un chef de demi-brigade. Cette dénomination remplaçait le titre de colonel, proscrit par les patriotes comme trop aristocratique. Les habitants de l'Ouest avaient appelé tous les soldats de la République, des Bleus. Ce surnom était dû à leurs premiers uniformes bleus et rouges. Cette colonne était le contingent péniblement obtenu du district de Fougères. Le gouvernement avait demandé 100 millions et 100 000 hommes afin d'envoyer de prompts secours à ses armées, alors battues par les Autrichiens en Italie, par les Prussiens en Allemagne, et menacées en Suisse par les Russes. Les départements de l'Ouest, connus sous le nom de Vendée, la Bretagne et une portion de la Basse-Normandie, pacifiés depuis trois ans par les soins du général Hoche après une guerre de quatre années, paraissaient avoir saisi ce moment pour recommencer la lutte. En présence de tant d'agressions, la République retrouve sa primitive énergie. La République avait d'abord pourvu à la défense des départements attaqués en en remettant le soin aux habitants patriotes grâce à la loi de messidor. Le gouvernement espérait peut-être que cette mesure, en armant les citoyens les uns contre les autres, étoufferait l'insurrection dans son principe. Mais cette loi fit prendre à l'Ouest une attitude si hostile que le Directoire désespéra d'en triompher de prime abord. Le gouvernement décida alors d'organiser en légions ces faibles levées d'hommes.

Les légions devaient porter les noms des départements de la Sarthe, de l'Orne, de la Mayenne, d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan, de la Loire inférieure et de Maine-et-Loire. Les départements de la Mayenne et de d'Ille-et-Vilaine étaient alors commandés par un vieil officier qui voulut essayer d'arracher à la Bretagne ses contingents et surtout celui de Fougères qui était l'un des plus redoutables foyers de la chouannerie.

Quoique la Bretagne refusa alors toute espèce de service militaire, l'opération réussit tout d'abord sur la foi de la promesse d'un mois de solde. Aussitôt qu'il vit accourir au district une partie des contingents, il soupçonna quelque motif secret à cette prompte réunion d'hommes. Il devina que ces hommes voulaient se procurer des armes. Il prit alors des mesures pour tâcher d'effectuer sa retraite sur Alençon afin de se rapprocher des pays soumis. Cet officier avait donc tenté d'arriver par une marche forcée à Mayenne. Les conscrits de la République avaient été auparavant appelés les réquisitionnaires. Avant de quitter Fougères, le commandant avait fait prendre secrètement à ses soldats les cartouches et les rations de pain nécessaires à tout son monde afin de ne pas éveiller l'attention des conscrits sur la longueur de la route. Le chef de demi-brigade s'appelait Hulot. Les officiers ne se lassaient pas d'examiner le splendide paysage. Les officiers pensaient que les paysans qu'ils escortaient abandonnaient à regret leur pays et leurs chères coutumes pour aller mourir peut-être en des terres étrangères. Ils leur pardonnèrent involontairement un retard qu'ils comprirent. Hulot se demandait pourquoi les paysans tardaient à venir. Un être bizarre interpella le commandant. Il était au roux et portait un fouet. Cet homme avait un accent si. Il expliqua à Hulot que si les hommes tardaient c'est qu'ils se trouvaient à la frontière entre le Maine et la Bretagne.

En voyant le roux, Hulot se dit que c'était un joli coco qui avait l'air d'être l'ambassadeur de gens qui s'apprêtaient à parlementer à coups de fusil. Il lui demanda d'où il venait. L'inconnu répondit qu'il venait du pays des Gars. Il prétendit s'appeler Marche-à-terre. Il faisait croire à une absence si complète de toute intelligence que les officiers le comparèrent à un des animaux qui broutaient les gras pâturages de la vallée. Le mot « gars » venait de la langue celtique. Il désignait l'arme principale des Gaulois. Les Bretons conservaient de profonds vestiges des croyances et des pratiques superstitieuses des anciens temps. Les coutumes féodales étaient encore respectées. La Bretagne ressemblait à un charbon glacé qui resterait obscur et noir au sein d'un brillant foyer. Les efforts tentés par quelques grands esprits pour conquérir à la vie sociale et à la prospérité cette belle partie de la France, si riche de trésors ignorés, même les tentatives du gouvernement mouraient au sein de l'immobilité d'une population vouée aux pratiques d'une immémoriale routine. L'esprit de la population ignorante était livré à des préjugés dont les dangers seraient accusé par les détails de cette histoire.

Le recteur, sorte de prêtre, était l’âme de la contrée. Ce fut à la voix de ce prêtre que des milliers d'hommes se ruèrent sur la République et fournirent à la chouannerie des milliers de soldats. Les chouans de Bretagne firent de la guerre un brigandage. La proscription des princes et la religion détruite ne furent pour les chouans que des prétextes des pillages.

En Bretagne, le lieu du combat était partout. Les fusils attendaient au coin des routes les Bleus que de jeunes filles attiraient en riant sous le feu des canons. Les Bretons étaient des sauvages qui servaient Dieu et le roi, à la manière dont les Mohicans font la guerre. Au moment où la paix de Hoche fut signée, la contrée entière redevint riante et amie.

À l'instant où Hulot reconnut les perfidies secrètes que trahissait la peau de chèvre de Marche-à-terre, il resta convaincu de la rupture de cette heureuse paix due au génie de Hoche et dont le maintien lui parut impossible. La Révolution allait peut-être reprendre le caractère de terreur qui la rendit haïssable aux bons esprits. Hulot crut apercevoir dans l'apparition de Marche-à-terre l'indice d'une embuscade habilement préparée.

Le capitaine Merle et l'adjudant Gérard ne comprenaient pas la crainte dont témoignait la figure de leur chef. Mais le visage de Hulot s'éclaircit bientôt. Tout en déplorant les malheurs de la République, il se réjouit d'avoir à combattre pour elle, se promit joyeusement de ne pas être la dupe des chouans et de pénétrer l'homme si ténébreusement rusé qu'ils lui faisaient l'honneur d'employer contre lui. Il examina la position dans laquelle ses ennemis voulaient le surprendre. Il expliqua la situation à Merle et à Gérard. Les armées républicaines étaient battues sur tous les points. Les chouans avaient déjà intercepté deux fois les courriers. Fouché avait découvert que le tyran Louis XVIII avait été averti par des traîtres de Paris d'envoyer un chef à ses canards de l'intérieur. Les princes avaient envoyé en Bretagne un homme vigoureux qui voulait réunir les efforts des vendéens à ceux des chouans. Le Gars était le nom qu'il s'était donné. La présence de marche-à-terre prouvait à Hulot que le Gars était sur leur dos. Hulot demanda à Gérard de surveiller étroitement Marche-à-terre. Hulot ordonna à Merle de choisir 10 hommes d'élite et de les donner à un sergent pour les poster au sommet de la côte où le chemin s'élargissait en formant un plateau. Ainsi le sergent pourrait surveiller la campagne. Puis Hulot ordonna à ses hommes de reprendre les armes.

Il appela quatre soldats qui avaient servi avec lui sous Hoche. Il leur ordonna de battre la route des deux côtés et de suivre le détachement. Hulot mit alors le reste de sa troupe en bataille au milieu du chemin et ordonna de regagner le sommet de la Pèlerine où stationnait sa petite avant-garde. Hulot atteignit l'endroit où Gérard gardait Marche-à-terre. Celui-ci avait suivi toutes les manoeuvres du commandant. Il se mit à siffler trois ou quatre fois de manière à produire le cri clair et perçant de la chouette. De là était venu le surnom de chuin qui signifie chouette dans le patois de ce pays. Ce mot corrompu servit à nommer ceux qui dans la première guerre imitèrent les allures et les signaux de trois célèbres contrebandiers qui utilisaient le sifflement précité.

Alors Hulot plaça à 2 soldats à quelques pas de Marche-à-terre et leur ordonna de se tenir prêts à le fusiller au moindre signe qui lui échapperait. Marche-à-terre ne laissa paraître aucune émotion et le commandant s'aperçut de cette insensibilité. Gérard demanda à Hulot dans quelle crise nouvelle se trouvait la République. Hulot répondit que l'Europe était contre la France. Les membres du Directoire se battaient entre eux. Les armées françaises étaient battues en Italie. Hulot pensait que le seul général qui pouvait sauver la situation était Bonaparte. Mais Bonaparte était en Égypte. Gérard lui répondit que la France était comme un voyageur chargé de porter une lumière, elle la gardait d'une main et se défendait de l'autre. Jamais depuis 10 ans, les républicains n'avaient été entourés de plus de gens qui cherchaient à la souffler.

Hulot n'avait plus confiance qu'en Fouché. C'est d'ailleurs Fouché qui l'avait prévenu d'une insurrection en Bretagne. Deux des quatre soldats que Hulot avait envoyés revinrent pour faire leur rapport. Hulot cessa de surveiller Marche-à-terre qui en profita pour siffler et il fouetta ses surveillants. Aussitôt, des cris surprirent les républicains. Une décharge terrible abattit sept ou huit soldats. Marche-à-terre disparue dans le bois après avoir grimpé le talus. Aux premiers cris jetés par les chouans, tous les conscrits sautèrent dans le bois. Hulot commanda de tirer sur eux. Mais ils avaient eu le temps de disparaître. Les deux autres soldats qui étaient partis en éclaireur revinrent. L'un des deux était blessé. Hulot ordonna à sa compagnie de se porter rapidement à l'endroit élevé et découvert où le piquer avait été placé.

Il mit sa compagnie en bataille mais n'aperçut aucune démonstration hostile de la part des chouans. Alors Hulot voulut emmener la compagnie jusqu'à Ernée au pas accéléré. Mais un conscrit patriote dit à Hulot que les chouans avaient sans doute apporté des armes aux hommes avec lesquels ils venaient de se recruter. Le conscrit pensait que les chouans iraient les attendre à chaque coin de bois et les tueraient jusqu'au dernier avant que les républicains arrivent à Ernée. Hulot demanda son nom au patriote. Il répondit qu'il s'appelait Gudin. Alors Hulot le nomma caporal et le chargea de choisir celui de ses camarades qu'il faudrait envoyer à Fougères. Les intrépides Fougerais allèrent chercher la dépouille de morts et la compagnie entière les protégea par un feu bien nourri dirigé sur le bois de manière qu'ils réussirent à dépouiller les morts sans perdre un seul homme. L'émissaire de Gudin partit en courant par un sentier détourné dans les bois de gauche. 300 chouans débouchèrent par les bois de la droite pour occuper toute la route devant le faible bataillon des Bleus. Hulot rangea ses soldats en deux parties égales qui présentaient chacune un front de 10 hommes. Il plaça au milieu de ces deux troupes ses 12 réquisitionnaires équipés il se mit à leur tête. Cette petite armée était protégée par deux ailes de 25 hommes chacune. Il se fit une décharge à bout portant qui répandit la mort dans les deux troupes.

Les chouans l'auraient emporté de prime abord si les deux ailes, commandées par Merle et Gérard, n’avaient réussi à opérer deux ou trois décharges qui prirent en écharpe la queue de leurs ennemis. Les 12 réquisitionnaires défendaient avec courage le commandant. Hulot remarqua le chef des chouans. Il aperçut Marche-à-terre qui, placé à côté de son général, répétaient les ordres d'une voix rauque. Alors Hulot chargea au centre des chouans et il put se retrouver en face de leur chef. C'était un jeune homme qui portait une veste de chasse et des pistolets. Il portait une décoration royale. Il avait les cheveux blonds. Quand les deux ailes commandées par Merle et Gérard se séparèrent du gros de la mêlée, chaque petit bataillon fut alors suivi par des chouans obstinés et bien supérieurs en nombre. La victoire aurait pu rester indécise pendant des heures entières. Bleus et chouans déployaient une égale valeur. Lorsque dans le lointain un tambour résonna faiblement. C'était la garde nationale de Fougères.

Les chouans opérèrent leur retraite. La garde nationale de Fougères arriva sur le lieu du combat et sa présence terminale l'affaire. Merle fut chargé d'ensevelir les morts dans un ravin de la route. D'autres soldats s'occupèrent du transport des blessés. Avant de partir, la garde nationale de Fougères remit à Hulot un chouan dangereusement blessé qu'elle avait attrapé au bas de la côte. Le prisonnier se nommait le Gars. Le prisonnier déclara qu'il était envoyé par Dieu et le roi. Deux soldats tirèrent à bout portant et le prisonnier tomba. Mais il n'était pas mort et cria encore : « vive le roi ! ». Beau-pied, un soldat républicain dépouilla le blessé. Il avait une espèce de tatouage de couleur bleuâtre représentant un coeur enflammé sur sa poitrine. C'était le signe de ralliement des initiés de la confrérie du Sacré-Coeur. Hulot put lire au-dessous de cette image : Marie Lambrequin. Hulot pensait que c'était le nom du chouan.

Selon les conjectures de Hulot, le jeune royaliste qu'il avait aperçu devait être le Gars, nouveau général envoyé en France par les princes, et qui, selon la coutume des chefs royalistes, cachait son titre et son nom sous un de ces sobriquets appelés noms de guerre.

Hulot se demandait pourquoi les chouans avaient attaqué. Merle lui répondit que ce devait être pour libérer les réquisitionnaires. Mais Hulot pensait que les réquisitionnaires auraient sauté comme des grenouilles dans le bois de toute façon.

Hulot remarqua que Marche- à-terre s'était placé avec les chouans au sommet de la Pèlerine. À ce moment-là, Marche- à-terre était en train de se disputer avec les autres chouans. Mais le marquis qui était le chef demanda des explications sur cette dispute. Marche- à-terre répondit qu'il avait laissé en arrière Pille-Miche qui saurait peut-être sauver la voiture des griffes des voleurs.

Le marquis était en colère car il ne voulait pas voir ses hommes attaquer simplement pour voler des diligences. Il menaça ceux qui se rendraient coupables d'attaques honteuses de ne pas recevoir l'absolution et de ne pas profiter des faveur réservées aux braves serviteurs du roi. Il était facile de voir que l'autorité du nouveau chef, si difficile à établir sur ces hordes indisciplinées, allait être compromise. Une jeune femme arriva à cheval. Le marquis dit à la jeune femme que les chouans attendaient la correspondance de Mayenne à Fougères dans l'intention de la piller. La jeune femme ne voyait pas où était le mal. Le courrier portait de l'argent et les royalistes en manquaient toujours. Les chouans approuvèrent le discours de la jeune femme. Pour elle, voler les républicains n'était pas une mauvaise action car les Bleus avaient pris tous les biens de l'Eglise et ceux de la noblesse.

Le marquis voulut s'en aller mais la jeune femme le retint. Il ne voulait pas cautionner le brigandage. Et elle ne réussit pas à le convaincre. La jeune femme ne put toutefois refuser son admiration au noble dédain et à la loyauté du jeune chef. La voiture qui entrait pour quelque chose dans l'attaque des chouans avait quitté la petite ville d'Ernée quelques instants avant l'escarmouche de deux parties. Dans la voiture se trouvait un patriote qui transportait 300 écus. Il était armé de deux pistolets. Dans la voiture, il y avait un autre voyageur, un recteur. C'était l'abbé Gudin. Il existait au fond de la voiture un troisième voyageur qui gardait le plus profond silence. Il paraissait ne craindre que ses compagnons de voyage et ne se soucier fort peu des chouans. En ce moment la fusillade de la Pèlerine commença. Coupiau, le conducteur, déconcerté, arrêta sa voiture. Le patriote demanda au conducteur d'entrer la voiture dans une auberge en attendant le résultat de la bataille. Le patriote aida le conducteur à cacher la voiture à tous les regards, derrière un tas de fagots. Le prétendu recteur saisit l'occasion pour demander tout bas à Coupiau si le patriote avait réellement de l'argent. Le conducteur ne le pensait pas. Les républicains passèrent devant l'auberge sans y entrer. L'ecclésiastique courut vers un soldat qui restait en arrière. C'était son neveu. Le caporal Gudin avait juré de défendre la France. Le recteur dit à son neveu qu'il perdait son âme. Il menaça de le déshériter. Le neveu s'en alla. Coupiau en apprenant que les bleus avaient eu l'avantage se remit en route. En regardant la vallée qu'il allait quitter pour entrer dans celle d'Ernée, Hulot remarqua la voiture de Coupiau. Marche- à-terre reconnue aussi la voiture de Coupiau et la signala à ses camarades. Quand la voiture arriva sur le plateau, les chouans fondirent alors sur leur proie avec une avide célérité. Le voyageur muet se laissa couler au fond de la voiture en cherchant à garder l'apparence d'un ballot. Coupiau descendit de son siège. Le patriote s'appelait Cibot dit Pille-Miche. Il aida l'abbé à quitter la voiture. Les chouans s'agenouillèrent devant le prêtre et lui demandèrent sa bénédiction. L'abbé dit que sans Pille-Miche, les Bleus les auraient interceptés. Marche-à-terre ouvrit lestement le coffre du cabriolet qui contenait des rouleaux d'or. Il distribua à chacun sa part. La jeune dame et le prêtre acceptèrent les 6000 fr. que leur proposait Marche- à- terre. Coupiau se lamentait et disait qu'il était ruiné. Alors Marche-à-terre lui proposa de les rejoindre. Mais il refusa ne voulant pas qu'on croit qu'il avait fait exprès de se laisser voler. Alors Marche- à- terre ordonna qu'on tire sur la voiture pour que l'attaque soit prouvée. Le troisième voyageur poussa un cri lamentable et les chouans reculèrent d’effroi. Coupiau demanda comme condition à son enrôlement qu'on le laisse conduire le troisième voyageur sain et sauf à Fougères. Pille-Miche demanda qui était ce voyageur. Coupiau ne pouvait le lui dire. Marche- à- terre voulait voir le visage du voyageur mystérieux.

Le marquis revint. Il apporta à la jeune femme une lettre qui venait de la mère de celle-ci. Il lui annonça que les royalistes de Paris l'avaient informé que la République voulait essayer de les combattre par la ruse et par la trahison.

Marche-à-terre avait expulsé la troisième voyageur de la voiture. Le voyageur s'appelait Jacques Pinaud. Il prétendait être un pauvre marchand de toile. Mais Marche-à-terre ne le croyait pas et menaça de le tuer s'il ne donnait pas son vrai nom. Alors le voyageur répondit qu'il s'appelait d'Orgemont de Fougères. Marche-à-terre lui demanda de payer 300 écus pour sa rançon. D'Orgemont prétendit avoir été ruiné par la République. C'était un banquier. Il avait dû accepter un emprunt forcé par la République. Marche-à-terre lui donna 15 jours ou livrés la rançon. Après quoi, Marche-à-terre annonça à Coupiau qu'il serait surnommé Mène-à-bien.

Hulot et ses soldats s'arrêtèrent à Ernée pour déposer les blessés à l'hôpital. Puis ils arrivèrent sans encombre à Mayenne. Hulot apprit le pillage de la voiture. Peu de jours après, les autorités dirigèrent sur Mayenne assez de conscrits patriotes pour que Hulot pût y remplir le cadre de sa demi-brigade. En Bretagne, les royalistes s'étaient rendus maîtres de Pontorson afin de se mettre en communication avec la mer. Ils paraissaient vouloir faire de Saint-James leur place d'armes. Le chef subalterne parcourait la Normandie et le Morbihan pour y soulever les partisans de la monarchie. Messieurs l’abbé Vernal, le compte de Fontaine, de Châtillon Suzannet menaient les intrigues en Vendée. Le chef du vaste plan d'opérations qui se déroulait lentement étaient réellement le Gars, surnom donné par les chouans à M. le marquis de Montauran. Hulot ne recevait aucune réponse aux demandes et aux rapports réitérés qu'il adressait à Paris.

Mais le bruit du magique retour du général Bonaparte et des événements du 18 Brumaire ne tarda pas à se répandre. En apprenant que le général Bonaparte avait été nommé premier consul de la République, les militaire éprouvèrent une joie très vive.

La proclamation du premier consul ne fit que raffermir chacun dans son parti. Le nouveau ministre de la guerre informa Hulot que le général Brune était désigné pour aller prendre le commandement des troupes dans l'ouest de la France. Hulot reçut provisoirement l'autorité dans les départements de l'Orne et de la Mayenne.

Chapitre II : une idée de Fouché.

Hulot reçut une dépêche qui le contraria. Il ordonna à ses hommes de se diriger sur Mortagne. Les périls qui devaient se rencontrer dans le trajet de Mortagne à Alençon et d'Alençon à Mayenne étaient la cause du départ de Hulot. Le secret de sa colère finit par lui échapper

Hulot avoua à Merle et à Gérard que c'était pour accompagner deux cotillons dans un vieux fourgon que le général les avait détachés de Mayenne. Pour Hulot c'était un déshonneur de devoir escorter des femmes. Merle avait envie de se laisser tenter par une des femmes qui étaient dans la voiture. Un petit homme sec et maigre semblait accompagner les deux voyageuses privilégiées. Il était habillé à la mode du Consulat. Hulot trouvait cette mode ridicule. Une des femmes demanda à Merle en quel endroit de la route ils se trouvaient. Merle essaya d'examiner la voyageuse mais fut désappointé car un voile jaloux lui en cachait les traits. Il répondit qu'ils étaient à une lieue d'Alençon.

La femme qui accompagnait la voyageuse lui dit que sa compagne pourrait bientôt revoir le pays.

La compagnie de la voyageuse avait environ 26 ans et était blonde. Son regard n'annonçait pas d'esprit mais une certaine fermeté mêlée de tendresse. D'un coup d'oeil, Merle sut deviner en elle une de ces fleurs champêtres qui, transportée dans les serres parisiennes où se concentrent tant de rayons flétrissants, n'avait rien perdu de ses couleurs pures ni de sa rustique franchise. Elle s'appelait Francine. Sa maîtresse s'appelait Marie. Leur cavalier s'appelait Corentin. Francine usa de séduction pour obtenir des informations sur le voyage où l'avait entraînée sa maîtresse. Mais Marie ne voulut rien lui dire sinon qu'elle avait accepté ce voyage car elle avait un rôle à jouer dans une tragédie. Les plates vicissitudes de la vie domestique l'ennuyaient. Après avoir semé à pleine main sans rien récolter, Marie était restée vierge, mais irritée par une multitude de désirs trompés. Lassée d'une lutte sans adversaire, elle arrivait alors dans son désespoir à préférer le bien au mal quand il s'offrait comme une jouissance, le mal ou bien quand il présentait quelque poésie. Hulot apprit à Gérard et Merle que la voyageuse s'appelait Mlle de Verneuil. Marie et Francine s'installèrent à l'Hôtel des Trois-Maures à Alençon. L'hôtelier leur proposa de déjeuner avec une dame et son fils qui habitaient l'hôtel. Mais un petit homme trapu sortit sans bruit d'un cabinet voisin et menaça l'hôtelier de représailles s'il commettait une imprudence. Francine reconnut à son énorme fouet à sa démarche rampante le chouan surnommé Marche-à-terre.

Francine accepta la proposition de l'hôtelier. Le voyageur que l'hôtelier voulait présenter à Francine et à Marie était un polytechnicien. En lui, tout décelait une vie dirigée par des sentiments élevés et l'habitude du commandement. Mlle de Verneuil trouva ce jeune homme singulièrement distingué pour un républicain. Puis Francine et Marie disparurent dans l'escalier. Le polytechnicien demanda à l'hôtelier qui était la jeune femme. Corentin répondit que c'était une ci-devant. Le polytechnicien s'appelait du Gua-Saint-Cyr. Saint-Cyr pensait que Corentin était un espion de Fouché. La mère du polytechnicien arriva. Il lui parla de Mlle de Verneuil. Corentin était un de ces êtres portés par leur caractère à toujours soupçonner le mal plutôt que le bien et il conçut des doutes sur le civisme de Saint-Cyr et de sa mère.

Saint-Cyr dit à l'oreille de l'hôtesse qu'elle tâche de savoir qui était Corentin. La mère du polytechnicien demanda à Corentin s'il était sûr que Mlle de Verneuil existait bien car elle avait en mémoire l'exécution d'une demoiselle de Verneuil durant la Révolution. Corentin répondit que Mlle de Verneuil existait aussi certainement en chair et en os que le citoyen du Gua-Saint-Cyr. Cette réponse renfermait une profonde ironie dont le secret n'était connu que de la dame, et tout autre qu'elle en aurait été déconcertée. Mme Saint-Cyr évoqua l'attaque des chouans contre la voiture. Corentin lui demanda les détails car il pensait que tout le monde avait péri dans cette attaque. Mais l'hôtelier interrompit la conversation en annonçant que le déjeuner était servi. Une fois Corentin partie, le polytechnicien reprocha à sa mère de les avoir exposé aux dangers en évoquant l'attaque des chouans. L'aubergiste s'était mis en quatre afin de plaire aux étrangers. Comme Mlle de Verneuil se faisait attendre, Saint-Cyr alla la chercher dans sa chambre. Il la conduisit à sa table. Mlle de Verneuil s'était changée. Elle avait choisi une robe qui dessinait ses formes avec une affectation peu convenable à une jeune fille. Mlle de Verneuil demanda l'autorisation d'associer sa servante au déjeuner. Mme Saint-Cyr se penchant à l'oreille de son fils lui dit qu'elle ne pouvait pas être Mlle de Verneuil mais une fille envoyée par Fouché.

Mlle de Verneuil dit à Corentin que la République n'avait pas eu la magnanimité de lui donner du tuteur en envoyant ses parents à l'échafaud. Elle lui demanda de ne plus l'escorter car elle se sentait en sûreté. Saint-Cyr se demandait si Mlle de Verneuil était prisonnière ou protégée du gouvernement. La rencontre de personnes qui ne paraissaient pas destinées à se lier n'éveilla aucune sympathie bien vive. Saint-Cyr tellement contrarié regretta avec une sourde colère d'avoir partagé son déjeuner avec Mlle de Verneuil.

Mais sa mère avait ses raisons pour apprivoiser l'inconnue.

Elle demanda à Mlle de Verneuil si elle avait souffert en prison et celle-ci lui répondit qu'il lui semblait qu'elle n'avait pas cessé d'y être.

Mme Saint-Cyr lui demanda si son escorte était destinée à la protéger ou à la surveiller. Mlle de Verneuil s'effaroucha de cette question et répondit qu'elle ne connaissait pas la nature de ses relations avec la République. Saint-Cyr prit la parole pour dire à la jeune femme qu’elle faisait peut-être trembler la République. Mme Saint-Cyr continua la conversation pour apprendre ce qu'elle voulait savoir. Elle parla de Bonaparte en demandant s'il allait arrêter l'effet des lois contre les émigrés. Mlle Verneuil répondit qu'elle ne comprenait pas pourquoi alors on soulevait la Vendée et la Bretagne. Soudain, une curiosité invincible attacha Saint-Cyr à Mlle Verneuil vers laquelle il était attiré déjà par de violents désirs.

Mlle Verneuil demanda à Mme Saint-Cyr si elle allait à Mayenne. C'est son fils qui répondit que tel était le cas. Alors Mlle de Verneuil proposa son escorte pour les accompagner jusqu'à Mayenne. Le fils et la mère hésitèrent. Puis Saint-Cyr demanda à Mlle de Verneuil si elle était la reine ou l'esclave de son escorte républicaine. Mlle de Verneuil répondit qu'elle n'épousait pas les haines politiques.

Elle ne voyait pas de périls dans ce voyage. Saint-Cyr pensait qu’elle lui tendait quelque piège. En ce moment, on entendit le cri perçant d'une chouette. Saint-Cyr dit à Mlle de Verneuil qu'il refusait sa proposition. C'est à ce moment-là que Hulot entra. Mlle de Verneuil lui proposa de s'asseoir. Saint-Cyr pensait avoir déjà vu Hulot à l'école polytechnique. Mais Hulot éprouvait une aversion insurmontable pour les officiers sortis de cette savante pépinière. Hulot demanda à Saint-Cyr quel était son nom de famille. Le jeune homme lui répondit. Hulot connaissait ce nom et pensait que Saint-Cyr avait été assassiné à Mortagne. Mme Saint-Cyr répondit que son fils avait reçu 2 balles. Hulot demanda à Saint-Cyr ses papiers. Saint-Cyr offrit au commandant des papiers que Hulot se mit à lire lentement. Pendant cet examen, le cri de la chouette recommença et il n'était pas difficile d'y distinguer l'accent et les jeux d'une voix humaine.

Hulot rendit ses papiers à Saint-Cyr en lui ordonnant de l'accompagner au District.

Mlle de Verneuil demanda au commandant pourquoi il voulait emmener Saint-Cyr. Hulot répondit que cela ne la regardait pas. Alors la jeune femme quitta tout à coup l'attitude de candeur et de modestie dans laquelle elle s'était tenue jusqu'alors et elle se leva. Elle demanda au commandant six Saint-Cyr avait satisfait à tout ce qu'exigeait la loi. Hulot répondit que c'était le cas, en apparence. Alors Mlle de Verneuil lui ordonna de laisser le jeune homme tranquille. Elle dit au commandant qu'il pourrait escorter Saint-Cyr avec elle jusqu'à Mayenne. Le commandant ne tint pas compte des remarques de la jeune femme et ordonna à Saint-Cyr de se lever. Mais la jeune femme protégea Saint-Cyr par un geste plein de dignité. Puis elle présenta au commandant une lettre ouverte. Elle lui demanda de la lire. Par un seul regard, Mme Saint-Cyr parut attribuer bien plus à l'amour qu'à la charité la générosité de Mlle de Verneuil. La lettre était contresignée des ministres enjoignant à toutes les autorités d'obéir aux ordres de cette mystérieuse personne. Énervé, Hulot tira son épée du fourreau et la cassa sur son genou. Il dit à Mlle de Verneuil qu'il ne savait pas servir là où les belles filles commandaient. Il annonça qu'il allait démissionner. Alors Mlle de Verneuil dit au commandant qu'il pouvait l'embrasser car il était un homme. Hulot répondit qu'il s'en flattait et il baisa gauchement la main de la jeune femme. Saint-Cyr accepta de suivre le commandant au District.

Hulot lui demanda s'il viendrait avec son siffleur invisible, Marche-à- terre. Saint-Cyr prétendit n'avoir rien de commun avec ce sifflement. Surpris de l'étonnement naturel du marin, le commandant flottait entre 1000 soupçons. Il demanda à Mlle de Verneuil quel était son âge et elle répondit qu'elle avait 38 ans.. Hulot annonça qu'il allait faire entièrement fouiller l'auberge. On entendit encore un sifflement mais c'était celui d'un postillon qui attelait ses chevaux. Alors le commandant compris sa confusion. Il présenta ses excuses à Saint-Cyr. Il expliqua à Mme Saint-Cyr qu'il avait pris son fils pour le chef envoyé aux chouans et aux Vendéens par le cabinet de Londres, le marquis de Montauran que l'on surnommait le Gars.

La subite altération des manières de Marie de Verneuil, en entendant prononcer le nom du général royaliste, ne furent sensibles que pour Francine, la seule à qui fussent connues les imperceptibles nuances de cette jeune figure. Hulot continua malgré tout d'annoncer sa démission. D'un ton solennel, Mlle de Verneuil lui demanda pourquoi il soupçonnait Saint-Cyr d'être le Gars. Hulot répondit que le fantassin qui accompagnait la jeune femme était venu la prévenir que les voyageurs et le courrier avaient été assassinés par les chouans. Les voyageurs s'appelaient du Gua Saint-Cyr ! Mlle de Verneuil répondit qu'elle n'était pas étonnée par ce que pouvait raconter Corentin. La dangereuse beauté de Mlle de Verneuil troublait déjà le coeur du commandant. Alors il s'éloigna. S'il était resté deux minutes de plus, il aurait fait la sottise de reprendre son épée pour l'escorter se disait-il.

Mme Saint-Cyr reprocha à son fils de s'être laissé séduire par Mlle de Verneuil. Elle lui prédit qu'il périrait que par la femme. Elle pensait que la jeune femme était une de ces mauvaises créatures à l'aide desquelles Fouché voulait s'emparer de son fils et que la lettre qu'elle avait montrée était donnée pour requérir les Bleus contre lui. Il lui répondit que l'intérêt seul du roi les rassemblait.

Francine crut percevoir de la violence dans le regard de Mme Saint-Cyr. Elle frémit en prévoyant les terribles chocs qui devaient survenir entre deux esprits de cette trempe et frissonna Cantelli Mllequand elle vit  de Verneuil aller vers le jeune officier. Mlle de Verneuil demanda à Saint-Cyr s'il était vraiment le citoyen du Gua-Saint-Cyr. Il répondit que c'était le cas. Il lui dit qu'il aurait toujours une reconnaissance pour ce qu'elle avait fait. Elle avait cru sauver un émigré mais elle l'aimait mieux républicain.

Puis elle s'en alla dans sa chambre avec Francine. Elle avoua à sa servante qu'elle s'était laissée séduire par Saint-Cyr. Pour la première fois de sa vie, elle sentit un avenir de bonheur dans la passion. Il saurait bien garder, vivant ou mort, l'homme dont le coeur lui aurait appartenu. Le capitaine Merle se montra bientôt. Il était envoyé par Gérard. Mlle de Verneuil lui demanda si elle pouvait gagner Mayenne pour y trouver de nouveaux soldats et repartir sans s'y arrêter. Merle répondit que c'était possible. Pendant la conférence de Mlle de Verneuil avec le capitaine, Francine était sortie dans l'intention d'examiner un point de la cour à laquelle l'entraînait sa curiosité. Elle aperçut Mme Saint-Cyr se dirigeant vers Marche-à-terre avec précaution d'un chat. Le chouan se leva et garda devant telle l'attitude du plus profond respect. Francine se cacha derrière la porte de l'écurie et réussie à se poser près de Marche-à-terre sans avoir excité son attention. Mme Saint-Cyr disait au chouan qu'après toutes ces informations, si ce n'était pas son nom, il pourrait tirer dessus sans pitié. Marche-à-terre vit Francine s'éloigner. Il s'approcha d'elle. Tous deux se connaissaient. Elle lui demanda si Mme Saint-Cyr lui parlait de Mlle de Verneuil. Il n'était pas difficile de deviner que Mme Saint-Cyr avait ordonné à Marche-à-terre de tuer Marie. Le chouan baissa la tête et pour Francine ce fut une réponse.

Alors elle le menaça. S'il touchait un cheveu de sa maîtresse, ce serait la dernière fois que tous les deux se verraient. Car elle serait au paradis et lui en enfer. Francine avait été jadis sa maîtresse. Il lui demanda si elle était libre et elle répondit qu'elle avait 200 livres de rente et une maison que Mlle de Verneuil lui avait achetée. Mais cela n'intéressait pas Marche-à-terre. Il voulait donner sa vie pour sa cause. Les deux amants avaient été séparés pendant sept ans et Francine lui en voulait de ne penser qu'à sa cause. Il lui baisa la main et fit un signe de croix. Puis il s'en alla avec une trentaine de chouans. Francine vit sa maîtresse dans la voiture avec à côté d'elle celle qui venait d'en ordonner la mort. Aussitôt qu'elle fut montée, la lourde voiture partit au grand trot. Saint-Cyr se plut à contempler le visage de Mlle de Verneuil durant le voyage. Le soi-disant marin attendait avec bonheur le mouvement répété des paupières et les jeux séduisants que la respiration donnait au corsage. Plusieurs regards où les yeux de Mlle de Verneuil rencontrèrent ceux de Saint-Cyr apprirent à la jeune femme que le silence allait la compromettre alors elle parla à Mme Saint-Cyr. Elle lui dit que son fils lui ressemblait. Cela fit sourire le jeune homme et inspira à sa prétendue mère un nouveau dépit. La conversation qui anima les voyageurs cacha les désirs, les passions et les espérances qui les agitaient. Mme Saint-Cyr comprit que seules la calomnie et la trahison pourraient la faire triompher d'une rivale aussi redoutable par son esprit et sa beauté. La voiture atteignit une côte et le jeune homme proposa à Mlle de Verneuil une promenade. Après avoir été séduit par la contemplation de la beauté, Saint-Cyr fut donc entraîné vers cette âme inconnue par une curiosité que Marie se plut à exciter. Il lui dit qu'au milieu des dangers, les étreintes devaient être plus vives que dans le train ordinaire de la vie. Il lui demanda ce qu'elle pensait de lui. Marie heurta tout à coup une pierre et fit un faux pas. Alors il lui proposa son bras qu'elle accepta. Il lui demanda si elle était ange ou démon, fille ou femme. Elle répondit qu'elle était l'un et l'autre. Elle pensait qu'il y avait toujours quelque chose de diabolique et d'angélique chez une jeune fille qui n'avait pas aimé, qui n'aimait pas et qui n'aimerait peut-être jamais. Elle pensait que les femmes luttaient plus ou moins contre une destinée incomplète.

Marie voulut regagner la voiture et Saint-Cyr lui serra le bras par un mouvement peu respectueux pour exprimer tout à la fois d'impérieux désirs et de l'admiration. Il risqua tout pour arracher une première faveur à cette femme. Il lui proposa un secret. Il lui révéla qu'il n'était pas au service de la République. Marie fut choquée d'avoir été trompée. Elle lui demanda alors qui il était. Elle le soupçonnait d'être le Gars. Elle lui dit qu'elle était républicaine et qu'il était royaliste. Elle l’aurait livré si elle ne l'avait déjà sauvé une fois. Il répondit qu'il était un marin tout prêt à quitter l'océan pour la suivre partout où son imagination voudrait le guider. Elle lui dit qu'elle n'avait pas le droit d'exiger sa confiance et qu'il ne connaîtrait jamais l'étendue de ses obligations envers elle.

L'obstination que la voyageuse mettait à connaître son secret fit hésiter le prétendu marin entre la prudence et ses désirs. Malgré sa passion, Saint-Cyr eut la force de se défier d'une femme qui voulait lui violemment arracher un secret de vie ou de mort. Elle lui redemanda quel était son nom. Comme il refusait de lui dire elle lui annonça qu'elle donnerait des ordres à l'adjudant pour sa sûreté. Quant à elle, elle pourrait regagner Alençon à pied avec sa femme de chambre et quelques soldats. Elle lui conseilla de fuir l'horrible muscadin qu'il avait vue dans l'auberge s'il ne voulait pas être livré aussitôt. Elle lui dit adieu en retenant ses pleurs.

Alors Saint-Cyr inventa une déplorable ruse pour tout à la fois cacher son nom et satisfaire la curiosité de Mlle de Verneuil. Il lui raconta qu'il était émigré condamné à mort et qu' il s'appelait le vicomte de Bauvan. Il espérait être radié de la liste par l'influence de Mme de Beauharnais. S'il échouait, il voulait combattre auprès de Montauran, son ami.

Son passeport lui servait à savoir s'il avait conservé quelques propriétés en Bretagne. Mlle de Verneuil et l'examina d'un oeil perçant. Elle essaya de douter de la vérité de ces paroles mais reprit lentement une expression de sérénité. Il mentit encore en disant que tout ce qu'il venait de dire était parfaitement vrai et elle lui répondit qu'elle s'en trouvait bien heureuse.

Elle savait que Montauran était en danger. Elle avait congédié son surveillant de crainte qu'ils ne reconnaissent l'identité réelle de Saint-Cyr. Elle savait qu'un véritable officier républicain sorti de l'école polytechnique ne se croirait pas près d’elle en bonne fortune.

Elle lui dit que s'il était capable de lui prouver un véritable amour, aucune puissance humaine ne pourrait les séparer. Elle lui demanda s'il était libre. Il répondit qu'il l'était sauf la condamnation à mort. Ils retournèrent dans la voiture. Ils semblaient avoir un égal intérêt à s'observer et à se cacher un secret important mais ils se sentaient entraînés l'un vers l'autre par un même désir. Ils avaient réciproquement reconnu chez eux des qualités qui rehaussaient encore à leurs yeux les plaisirs qu'ils se promettaient de leur lutte ou de leur union. Saint-Cyr se demanda comment Mlle de Verneuil pouvait allier tant de connaissances acquises à temps de fraîcheur et de jeunesse. Il ne voulait plus voir dans cette inconnue qu'une habile comédienne et il avait raison. Mlle de Verneuil se dit qu'un être aussi puissant devait être généreux. Elle le voyait comme un homme condamné à mort qui venait de jouer lui-même sa tête et faire la guerre à la République.

Ils arrivèrent à Mayenne. Les soldats de l'escorte changèrent. Marie partit pour Fougères. Francine connaissait Marie aussi bien que l'étrangère connaissait le jeune homme. Quand les quatre voyageurs eurent fait environ une lieue hors de Mayenne, ils entendirent un homme à cheval qui se dirigeait vers eux avec une excessive rapidité. Il se pencha vers la voiture pour regarder Mlle de Verneuil. C'était Corentin. Saint-Cyr parut désagréablement affecté de cette circonstance et Marie le pressa légèrement. Il savoura l'émotion que lui fit éprouver le geste par lequel sa maîtresse lui avait révélé l'étendue de son attachement. Quand ils arrivèrent à Ernée, Francine aperçut d'étranges figures. Une décharge générale apprit aux voyageurs que tout était positif dans cette apparition. L'escorte tomba dans une embuscade. Merle regretta de n'avoir pris qu'une soixantaine d'hommes. Il divisa sa troupe en deux colonnes pour tenir des deux côtés de la route. Mlle de Verneuil sauta hors de la calèche et courut loin en arrière pour s'éloigner du champ de bataille puis elle demeura immobile pour examiner froidement le combat.

Saint-Cyr la suivit, lui prit la main et la plaça sur son coeur. Francine cria à Marie de prendre garde. Saint-Cyr pu connaître le prénom de Mlle de Verneuil à cette occasion et il lui dit que grâce à Francine, il prononcera désormais le prénom de Marie dans la joie. Marche-à-terre arriva. Il se tourna brusquement vers Mme du Gua et échangea avec elle de vives paroles. Elle lui répondit en lui donnant des ordres et en désignant au chouan les deux amants. Avant d'obéir, Marche-à-terre jeta un dernier regard à Francine. Il aurait voulu lui parler mais son silence lui était imposé.

Mme du Gua vint prendre Marie en criant. Puis elle dit à l'un des membres du comité royaliste d'Alençon de se défier de Mlle de Verneuil. Le feu des chouans se ralentit car leur chef reçut un message. Le seul but de leur escarmouche avait été atteint.

Mlle de Verneuil put retourner dans la voiture avec Saint-Cyr et Mme du Gua. Mme du Gua conseilla à Saint-Cyr de feindre l'amour avec Mlle de Verneuil jusqu'à ce qu'ils aient gagné la Vivetière. Francine avait compris, par le regard de Marche-à-terre, que le destin de Mlle de Verneuil était en d'autres mains que les siennes. Mlle de Verneuil comprit que Mme du Gua n'était pas la mère de Saint-Cyr quand cette dernière la combla de prévenance après lui avoir témoigné tant de froideur. Mlle de Verneuil comprit que Mme du Gua avait peur d'elle. Pour la première fois depuis la matinée, Mlle de Verneuil réfléchit sérieusement à sa situation. Elle comprit que les événements de cette journée appartenaient à un mirage de l'âme qui venait de se dissiper. Son présent ne trouvait plus de liens pour se rattacher au passé, ni dans l'avenir.

Elle sentit alors dans son coeur des troubles inconnus car elle aimait réellement et pour la première fois. Alors pour cacher sa souffrance, elle entama une conversation avec Merle. Merle évoqua le sommet de la Pèlerine. Saint-Cyr tressaillit en entendant prononcer ce mot. Merle expliqua que c'était sur ce sommet que les républicains s'étaient battus à la fin de vendémiaire avec le Gars et ses brigands.

Mlle de Verneuil lui demanda s'il avait vu le Gars. Tout en posant cette question, elle ne quitta pas des yeux la figure du faux vicomte de Bauvan. Merle répondit qu'il ressemblait beaucoup au citoyen du Gua-Saint-Cyr. Si Saint-Cyr n'avait pas porté l'uniforme de l'école polytechnique, Merle aurait gagé que c'était le même homme. Mlle de Verneuil ne perçut rien dans le regard immobile de Saint-Cyr mais elle l'instruisit par un sourire amer de la découverte qu'elle faisait en ce moment du secret si traîtreusement gardé par lui. Merle ajouta compter bien solder son compte avec le Gars. Saint-Cyr répondit qu'il n'avait rien à craindre car les soldats républicains étaient trop fatigués. De plus, sa mère descendait à la Vivetière et il comptait y inviter Merle et ses hommes. Comme Mlle de Verneuil ne semblaient plus croire que Saint-Cyr était le fils de Mme du Gua, cette dernière répondit qu'elle avait eu son fils à 15 ans. Mlle de Verneuil lui demanda si ce n'était pas plutôt à 30 ans. Mme du Gua pâlit en dévorant ce sarcasme.

Elle dit que jamais les chouans n'avaient eu de chef plus cruel mais Mlle de Verneuil répondit que ce chef savait mentir mais le croyait fort crédule. Un chef de parti ne devait être le jouet de personne. Quand Saint-Cyr lui demanda si elle ne connaissait, elle répondit avec un regard de mépris qu'elle croyait le connaître…

Quoi que Mlle de Verneuil était certaine que l'amant qui la dédaignait était ce chef dangereux, elle ne voulait pas encore s'en assurer par son supplice. Elle se mit à jouer avec le péril. Elle se plaisait à lui faire durement sentir que sa vie dépendait d'un seul mot. Elle savourait une vengeance tout innocente et punissant comme une maîtresse qui aime encore. Mais le jeune général sourit et de l'air le plus calme soutenait sans trembler la torture que Mlle de Verneuil lui faisait subir. Son regard semblait lui dire : « voici l'occasion de venger votre vanité blessée, saisissez la ! Je serai au désespoir de revenir de mon mépris pour vous. »

Mlle de Verneuil admirait le courage et la tranquillité du jeune homme.

Elle lui demanda à quoi elle devait l'honneur d'attirer ces regards et il lui répondit que c'était à un sentiment qu'un galant homme ne saurait exprimer à quelque femme que se puisse être. Il avait vu des filles faisant office du bourreau et enchérissant sur lui par la manière dont elle jouait avec la hache au temps de la Révolution. Mlle de Verneuil regarda Montauran fixement, ravie d'être insultée par cet homme au moment où elle en tenait la vie entre ses mains. Elle lui dit à l'oreille qu'il avait une trop mauvaise tête et que les bourreaux n'en voudraient pas.

Le marquis stupéfait contempla pendant un moment cette inexplicable fille dont l'amour triomphait de tout même des plus piquantes injures. Sa passion était déjà plus forte qu'il ne le croyait lui-même. Ils arrivèrent au château de la Vivetière. Le château semblait abandonné depuis longtemps. Mlle de Verneuil le contempla toute seule avec terreur. Montauran expliqua à Mlle de Verneuil que ce château avait été ruiné par la guerre comme les projets qu'il avait pour leur bonheur l'avaient été par elle. Alors elle s'élança vers le portail par un mouvement de fierté blessée et de dédain. Il la rattrapa. Il lui dit qu'elle avait son secret et qu'il n'avait pas le sien. Il lui promit qu'elle n'avait rien à craindre dans son château et que les républicains non plus. L'arrivée de Mme du Gua imposa silence. Elle regarda les deux amants réconciliés s'en allant lentement vers le perron. Elle comprit qu'elle les gênait. Elle espérait que l'étang serait le tombeau de Mlle de Verneuil. À ce moment-là, Marche-à-terre arriva. Elle lui imposa le silence en mettant un doigt sur ses lèvres. Elle lui demanda combien ils étaient. Il répondit qu'ils étaient 87. Les hommes du marquis de Montauban accoururent. Il leur indiqua l'endroit où débouchaient les soldats républicains. Il leur expliqua que c'était l'escorte de la jeune femme dont la générosité les avait miraculeusement délivrés d'un péril auquel ils avaient failli succomber dans une auberge d'Alençon. Il leur ordonna de recevoir cette escorte et Mlle de Verneuil en amis. Mlle de Verneuil entra dans le salon dont les meubles étaient délabrés. Elle remarqua des cartes géographiques et des plans déroulés sur une grande table. Elle remarqua également des armes et des carabines amoncelées. Tout témoignait d'une conférence importante entre les chefs des Vendéens et ceux des chouans. Montauran s'empressa d'ordonner à ses chefs de cacher les armes et les cartes. Il recommanda la plus grande discrétion. Puis il s'en alla pour recevoir les Bleus. Les gentilshommes se groupèrent autour de la dame inconnue qui s'était fait passer pour la mère de Montauran. Elle leur expliqua que Montauban s'était amouraché d'une jeune femme et que tous les royalistes de Paris l'avaient prévenu qu'on essayait de lui tendre un piège en lui jetant à la tête une créature. Mais aucun des gentilshommes n’osa parler à Mlle de Verneuil. Il comprit que la physionomie des gentilshommes paraissait annoncer d'abord plutôt un besoin d'intrigue que l'amour de la gloire. Cette assemblée nocturne, au milieu de ce vieux castel en ruine la fit sourire, elle voulut y voir un tableau symbolique de la monarchie. Elle pensait que le seul mérite de ces gens était de se dévouer à une cause perdue. Montauran revint. Ses hommes s'empressèrent d'affecter l'ordre et le silence. Le baron du Guénic, surnommé l’Intimé prit Montauran par le bras et l'emmena dans un coin. Il voulut l'avertir du piège qu'on lui avait tendu en lui jetant cette créature. Montauran répondit que cette créature était une femme de distinction. Mme du Gua intervint. Elle pensait que Mlle de Verneuil était l'envoyée de Fouché. Montauban avertit qu'elle avait intérêt à ne rien entreprendre contre Mlle de Verneuil, ni contre son escorte ou il se vengerait contre elle.

Montauran alla de groupe en groupe pour assurer ses hommes que l'inconnue était réellement Mlle de Verneuil. Aussitôt, toutes les rumeurs s'apaisèrent. Puis il retourna voir Mlle de Verneuil. Elle lui demanda des explications sur les hommes qui l'entouraient. Il répondit. Après quoi il lui expliqua que les royalistes de Paris l'avaient averti de se défier de toute espèce de femme qui se trouverait sur son chemin en lui annonçant que Fouché voulait employer contre lui une Judith des rues.

Mlle de Verneuil voulut s'en aller car elle croyait Montauran dans le doute sur son identité. Il la retint en lui offrant sa vie. Alors elle décida de rester. Le marquis continua de lui présenter ses hommes. Mlle de Verneuil était horrifiée que Montauran commande à de pareilles gens. Elle pensait que le marquis était le seul noble qui faisait son devoir en attaquant la France avec des Français et non à l'aide de l'étranger. Après quoi, le marquis remarqua de l'agitation et quitta Mlle de Verneuil. Mme du Gua le remplaça. Francine, effrayée, s'enfuit. Francine crut voir Marche-à-terre près du lac alors elle courut se blottir dans la voiture. Elle vit Pille-Miche qui sortait de l'écurie. Il discuta avec Marche-à-terre. Ils préparaient le meurtre des Bleus.

Puis ils mirent la voiture dans la grange. Marche-à-terre passa le long de la calèche pour se retirer et fermer la porte quand il se sentit arrêté par une main. Il reconnut les yeux de Francine. Celle-ci sauta vivement de la voiture. Elle lui demanda ce qu'il comptait faire. Alors il sortit un vieux chapelet de dessous sa peau de bique. Il lui demanda de jurer sur cette relique de leur amour. Elle répondit qu'elle n'avait pas besoin de jurer le silence. Francine reconnut plus son amant. C'était devenu une bête féroce. Il était persuadé que Francine était venue avec sa maîtresse pour les trahir. Elle lui dit que cela était faux. Elle lui demanda de jurer de ne pas faire de mal à sa maîtresse. Alors il promit de la sauver s'il le pouvait. En échange, Francine devait promettre de rester avec sa maîtresse dans le château. Elle promit.

Merle et Gérard en arrivant au château s'empressèrent de placer des sentinelles pour s'assurer de la chaussée et du portail. Les soldats républicains se divisèrent en groupes auxquels deux paysans commencèrent à distribuer du beurre et du pain de seigle. Les deux officiers furent invités au salon par le marquis. Gérard ordonna à deux de ses hommes de faire une reconnaissance dans les jardins. Le côté gauche des jardins fut négligé par un des hommes de Merle et Gérard. C'était malheureusement la berge dangereuse où Francine avait observé un mouvement d'hommes. Gérard s'empressa d'aller voir Mlle de Verneuil pour lui dire qu'il valait mieux se retirer promptement car il ne se sentait pas en sûreté dans ce château. Mlle de Verneuil le rassura. Elle leurs regarda en pensant qu'il se battait pour son pays alors que le marquis se battait pour un homme, le roi. Mais elle était arrivée par le sentiment au point où l'on arrive par la raison, à reconnaître que le roi, c'est le pays.

Gérard et Merle comprirent qu'ils se trouvaient dans une assemblée de chouans. Ils se révélèrent leurs communes pensées par le regard car Mme du Gua les avait séparés. Ils ne savaient pas s'ils étaient maîtres du château où s'ils avaient été attirés dans une embûche ; si Mlle de Verneuil était la dupe ou la complice de cette aventure. Mais un événement imprévu précipita la crise. Un gentilhomme qui manquait de tact se moqua de la relation du marquis avec Mlle de Verneuil en faisant circuler quelques mots outranciers autour de la table.. Alors, le marquis se tourna vers le convive pour lui demander des explications. Le mépris général pour Mlle de Verneuil qui se voyait sur toutes les figures mit le comble à l'indignation des deux républicains qui se levèrent brusquement.

À ce moment-là, une décharge retentit dans la cour. Les chouans avaient déjà commencé à tirer sur les républicains. Pille-Miche était en train de viser Gérard et Marche-à-terre tenait Merle en respect. Alors Gérard s'emporta contre le marquis. Puis il demanda au marquis de leur faire la grâce au moins de les fusiller sur-le-champ.

Alors Gérard s'élança fièrement vers la muraille et Pille-Miche le tua. Le marquis proposa à Merle d'achever de souper. Se parlant à lui-même, Gérard se demanda ce que Hulot penserait de cette diablesse de fille qui était la cause de tout cela. Le marquis fut furieux que l'on traite encore Mlle de Verneuil de fille.

Pendant ce temps, Mme du Gua désigna au gentilhomme Mlle de Verneuil comme la femme qui avait essayé de livrer le marquis à la République. Elle s'empara de la lettre que Mlle de Verneuil cachait dans son spencer. Elle en profita pour laisser des traces sanglantes sur la poitrine de Mlle de Verneuil. Le tressaillement de la honte la livra frémissante au regard des convives. Mme du Gua montra la lettre qui était signée de Laplace et Dubois. Puis elle lut la lettre. Cette lettre prouvait que la citoyenne Marie de Verneuil travaillait pour les républicains.

Mlle de Verneuil lui demanda comment elle pouvait vivre encore et cette sanglante épigramme imprima une sorte de respect pour une si fière victime et imposa silence à l'assemblée. Mme du Gua ordonna à Pille-Miche d'emmener Mlle de Verneuil en guise de butin. Mlle de Verneuil ressaisit la lettre que tenait Mme du Gua et s'élança vers la porte où l'épée du Merle était restée. Elle rencontra le marquis immobile comme une statue. L'homme qui lui avait témoigné tant d'amour avait donc entendu les plaisanteries dont elle venait d'être accablée et resta le témoin glacé de la prostitution qu'elle venait d'endurer. Elle brandit l'épée sur le marquis et la lui enfonça mais l'épée ayant glissé entre le bras et le flanc, le marquis arrêta Marie et l'entraîna hors de la salle. Francine suivit sa maîtresse. Sur le perron, le marquis demanda à Mlle de Verneuil ce qu'elle avait à venger contre Mme du Gua. Mlle de Verneuil vit les cadavres des républicains et se moqua de la foi de gentilhomme du marquis. Alors le marquis laissa à Pille-Miche sa victime. En retournant dans le salon, le marquis dit au capitaine Merle qu'il était libre. Merle partit à la recherche de Mlle de Verneuil. Il trouva Francine qui lui montra la direction où les chouans étaient partis. Alors ils s'acheminèrent vers le portail ou se trouvaient les chouans et Mlle de Verneuil. Francine ne voulut pas continuer car elle pensait que Marche-à-terre tuerait Merle en voyant Francine avec lui. Merle fut tué par Pille-Miche. Francine retrouva Marche-à-terre et lui demanda de sauver Mlle de Verneuil. Marche-à-terre retrouva Pille-Miche qui s'apprêtait à partir avec Mlle de Verneuil dans la voiture. Il lui proposa d'acheter son butin. Il lui proposa 30 livres. Pille-Miche accepta. Pille-Miche demanda à Marche-à-terre s'il y avait de l'or dans la voiture. Marche-à-terre demanda à Marie qui lui répondit posséder 100 écus. Alors Marche-à-terre proposa à Pille-Miche les 100 écus de sa part de la rançon de d'Orgemont. C'est à ce moment-là que Pille-Miche, après avoir accepté le marché, partit chercher le postillon, tomba sur Merle et le tua. Marche-à-terre se précipita après avoir entendu le coup de feu et remarqua que le capitaine portait le gant que le marquis lui avait laissé comme sauf-conduit. Il comprit que les jours de Pille-Miche étaient comptés. Alors il arracha le gant pour le donner à Mlle de Verneuil. Il accepta de laisser Francine avec sa maîtresse pour huit jours. Le marquis quitta le salon au moment où la lignée commune des opérations militaires était décidée. Mme du Gua demanda à M. de Fontaine de rejoindre le marquis sachant qu'il serait déprimé après avoir perdu Mlle de Verneuil. Mais en allant à la fenêtre, Mme du Gua eut le temps de voir le voile de Mlle de Verneuil qui sortaient de la calèche. Furieuse, elle quitta l'assemblée.

Le marquis regardait les chouans qui jetaient les corps des républicains dans le lac. M. de Fontaine lui demanda ce qu'il comptait faire avec de semblables bêtes. Le marquis répondit qu'il n'espérait pas grand-chose de leur part. Mais il espérait tout de même obtenir Fougères en trois jours et toute la Bretagne en 10 jours.

Mlle de Verneuil ordonna au postillon de se diriger vers Fougères. Un fantassin républicain était monté à l'arrière de la voiture. Le postillon ne trouva pas d'autre asile que l'auberge de la Poste.

Le soldat que Mlle de Verneuil avait sauvé lui promit d'administrer un coup de sabre à un particulier si elle en avait besoin. Il s'appelait Jean Falcon.

Le lendemain matin, Corentin se présenta pour voir Marie. Elle lui dit qu'elle voulait rester à Fougères. Corentin avait trouvé une maison. Marie voulait y loger le soir même. Elle voulait se venger tu marquis. Elle avait compris qu'on pouvait vivre pour aimer et comprenait aujourd'hui qu'on pouvait mourir pour se venger. Le lendemain, Corentin proposa à Mlle de Verneuil de se rendre dans l'hôtel qu'il avait improvisé pour elle. Le lendemain, un homme se présenta brusquement devant elle sans être annoncé. C'était Hulot. Il demandait compte de ses amis. Elle lui raconta qu'ils avaient été tués. Elle voulait les venger en amenant sous l'échafaud une tête qui valait des milliers de têtes. Elle voulait amener le marquis dans son lit et il en sortirait pour marcher à la mort. Corentin ne comprenait pas car Marie avait eu le marquis entre ses mains. Elle répondit qu'elle ne savait pas que c'était le Gars. Hulot comprit que Marie ne lui livrerait jamais Montauran. Il avait compris qu'elle était amoureuse du marquis. La démission de Hulot avait été refusée et le massacre de la Vivetière avait contribué à lui faire reprendre le commandement de sa demi-brigade. Il avait reçu une lettre ministérielle dans laquelle on l'instruisait de la mission de Mlle de Verneuil qui devait être secondée.

Chapitre III : un jour sans lendemain.

Les derniers événements de l'histoire se déroulèrent en haut de la promenade de Fougères.

Sur la promenade, Mlle de Verneuil put reconnaître plusieurs convives de la Vivetière parmi lesquels se trouvait le marquis.

Mme du Gua tira et la balle siffla près de Marie. Alors elle prit le gant du marquis que Marche-à-terre lui avait donné comme un passeport et retourna sur la promenade. Le marquis était encore à la même place en train de regarder les différents passages du Nançon. Elle portait un poignard. Elle entendit à une faible distance des bruits étranges. C'étaient des chouans. Elle arriva, non sans peine, dans un jardin dévasté. Une sentinelle l'arrêta et elle lui montra le gant du marquis. Elle put alors continuer son chemin. Elle vit Mme du Gua avec les chefs convoqués à la Vivetière. Le marquis était près d’elle. En le voyant abattu et découragé, elle se flatta d'être une des causes de sa tristesse. Puis sa colère se changea en commisération, sa commisération en tendresse et elle comprit qu'elle n'avait pas été amenée jusque-là par la vengeance seulement. Le marquis se leva et resta stupéfait en apercevant la figure de Mlle de Verneuil. Il s'écria : « je vois donc partout cette diablesse, même quand je veille ! ». Alors il s'élança vers la croisée et Mlle de Verneuil se sauva.

Elle descendit un escalier qui l'amena au fond d'une cave. Elle entendit des gémissements. Elle vit bientôt un inconnu couvert de peaux de chèvre descendant au-dessous d'elle. Mlle de Verneuil put voir un petit homme très gros. Il était attaché avec précaution. L'homme couvert de peaux portait une torche. Le captif poussa un gémissement profond en voyant l'inconnu à la torche. C'était Pille-Miche. Le captif était d'Orgemont.

Trois autres chouans entrèrent tout à coup dans la cuisine. Parmi eux, il y avait Marche-à-terre. Il venait de voir Lambrequin ressuscité. Les chouans pensaient que cela était dû à un péché. Marche-à-terre annonça à un de ses compagnons qu'il avait intérêt à ne pas les trahir sinon il ne le manquerait pas. Puis il ordonna à ses compagnons de torturer d'Orgemont en lui brûlant les pieds. Il lui avait donné 15 jours pour payer. Mais d'Orgemont était avare. Mais sous la torture il accepta de donner 200 écus. Mlle de Verneuil trouva la voix du torturé si lamentable qu'elle laissa échapper une exclamation. Les chouans crurent que c'était un esprit qui venait de parler. D'orgemont dit qu'il avait caché 500 écus sous un pommier dans son jardin. À ce moment-là, Mlle de Verneuil s'écria courageusement d'un son de voix grave : « ne craignez-vous pas la colère de Dieu ? Détachez-le, barbares ! ». Les chouans aperçurent dans les airs des yeux qui brillaient comme deux étoiles et s'enfuirent épouvantés.

Mlle de Verneuil tira violemment d’Orgemont du feu. Elle coupa les cordes avec lesquelles il avait été garrotté. Il se mit à rire car il avait envoyé les chouans dans un endroit où ne se trouvait aucun trésor. À ce moment-là, une voix de femme retentit au-dehors. C'était Mme du Gua. Elle avait vu un esprit est proposée Bill écus à celui qui lui apporterait la tête de Mlle de Verneuil.

D'Orgemont conduisit Mlle de Verneuil dans une cachette qui se trouvait derrière la cheminée. Les chouans arrivèrent trop tard. Ils crurent que l'esprit avait emmené d'Orgemont et se mirent à prier. Après quoi, ils voulurent s'en aller mais Mme du Gua avait compris que l'avare s'était caché avec Mlle de Verneuil. Alors ils cherchèrent la cachette tandis que le Mlle de Verneuil et d'Orgemont réussirent à s'enfuir. L'avare emmena Mlle de Verneuil dans un petit cabinet. Mlle de Verneuil vit dans un angle d'une sorte de construction dont la forme lui arracha un cri de terreur car elle devina qu'une créature humaine avait été enduite de mortier et placée là debout. D'orgemont lui expliqua que c'était son frère, le premier recteur qui avait accepté de prêter serment à la République. D'orgemont avait caché son frère pour que les chouans ne le trouvent pas. Il espérait pouvoir l'ensevelir en terre sainte.

Il demanda à Mlle de Verneuil si elle était mariée. Elle lui dit non. Mlle de Verneuil devina que l'avare ne songeait à l'épouser que pour enterrer son secret dont le coeur d'un autre lui-même. Elle lui expliqua que l'argent n'était rien pour elle.

Mlle de Verneuil toucha du doigt une petite gravure enluminée qui représentait Louis XV à cheval et cela provoqua l'ouverture d'un petit panneau dans le plafond de la chambre voisine. Cela permit à Mlle de Verneuil de voir le marquis occupé à charger un tromblon.

D'orgemont repoussa avec les plus grandes précautions la vieille estampe et reprocha à Marie sa curiosité. Il expliqua que le marquis de Montauran possédait pour 100 000 livres de revenus en terre affermées. Mais elle méprisait le marquis elle voulait se venger. Elle entendit le marquis discuter avec l'abbé Gudin. L'abbé reprochait aux marquis de vouloir organiser un bal à Saint-James. Le marquis voulait réunir les Vendéens pour examiner leurs physionomies et connaître leurs intentions. Mlle de Verneuil tressaillit en entendant ces paroles car elle conçut le projet d'aller à ce bal et de s’y venger. Puis le marquis et l'abbé s'en allèrent. D'orgemont emmena Marie dans la chambre que le marquis venait de quitter. Il lui donna 10 écus et lui indiqua le chemin qui conduisait à la ville. Il lui annonça que les chouans étaient à Fougères. Il conseilla de se rendre dans une ferme où demeurait Galope-chopine en disant à sa femme : « bonjour, Bécanière ! ». Ainsi Barbette pourrait la cacher. Mlle de Verneuil jeta un regard de remerciement à cet être singulier et s'en alla. Mlle de Verneuil crut renaître en marchant dans la campagne et la fraîcheur du matin ranima son visage. Elle attendit l'aurore avec de vives anxiétés car elle entendit un bruit d'armes, de chevaux et de voix humaines. Elle rendit grâce à la nuit qui la préservait du danger de tomber entre les mains des chouans.

Mlle de Verneuil put apercevoir sept à 800 chouans armés qui s'agitaient dans le faubourg Saint-Sulpice. Les environs du château occupés par 3000 hommes arrivés comme par magie furent attaqués avec fureur. Fougères aurait succombé si Hulot n'avait pas veillé. Une batterie cachée sur une éminence des remparts répondit au premier feu des chouans. Puis une compagnie sortie de la porte Saint-Sulpice et profita de l'étonnement des chouans. Fougères était attaquée sur tous les points car elle était entièrement cernée.

Les chouans incendiaient les faubourgs. Mais les républicains chassèrent l'ennemi. Le combat ne dura pas une demi-heure et ne coûta pas cent hommes aux Bleus. Hulot désirait donner une leçon sévère au marquis. Le marquis ne voulut pas faire tuer inutilement ses chouans et il se hâta d'envoyer huit émissaires porter des instructions pour opérer promptement la retraite.

Malgré sa haine, Mlle de Verneuil épousa la cause des hommes que commandait son amant. Elle regarda le combat. En voyant les Bleus presque maîtres des chouans, le marquis et ses amis s'élancèrent dans la vallée du Nançon. Mlle de Verneuil eut peur de se trouver au milieu des belligérants et quitta son refuge en pensant à mettre à profit les recommandations du vieil avare. Elle se rendit dans la ferme que l'avare lui avait indiquée. Un petit garçon l'accueillit. Elle lui demanda d'aller chercher sa mère.

Barbette arriva et Mlle de Verneuil lui adressa la phrase que l'avare lui avait conseillée de prononcer. Barbette comprit que Marie venait envoyée par d'Orgemont. Elle conduisit Marie dans une cachette. Peu de temps après, un chouan demanda lui aussi à être caché. C'était le comte de Bauvan. Mlle de Verneuil tressaillit en reconnaissant la voix du convive dont quelques paroles avaient causé la catastrophe de Vivetières. Barbette le laissa dans la pièce où se trouvait Marie. Il déposa légèrement son fusil auprès de la colonne ou Marie se tenait debout et elle s'en empara. Le comte reconnut Marie et se mit à rire. Elle le déclara son prisonnier. Au-dehors, on entendait des  chouans crier. Barbette leur conseilla de se sauver.

Puis un Bleu sauta dans le marais. C'était Beau-pied. Marie lui ordonna de conduire son prisonnier à Fougères. Après quoi, elle s'élança dans le sentier. Elle revint à Fougères. La ville était devenue tranquille. Les habitants attendaient le retour de la garde nationale pour reconnaître l'étendue de leurs pertes. Francine avait attendu sa maîtresse pendant toute la nuit et quand elle la revit, elle voulut lui parler mais Marie la rassura. Après avoir déjeuné, Marie fit sa toilette. Francine ne s'expliquait pas la gaieté moqueuse de sa maîtresse. Marie demanda à Francine de se procurer des fleurs pour donner à sa chambre un air de fête. Puis elle lui demanda de partir pour réclamer son prisonnier chez le commandant. Elle brûla des parfums afin de répandre dans l'air de douces émanations. Quelque temps plus tard, Hulot se présenta à Paris. Il lui annonça qu'il avait commandé un piquet de 12 hommes pour fusiller le comte.

Elle lui demanda d'annuler l'exécution et de lui rendre son prisonnier. Une demi-heure après, Hulot amena le comte de Bauvan à Mlle de Verneuil. Elle les accueillit avec une politesse parfaite. Rien ne trahissait sa préméditation ou ses desseins. Bientôt, il sembla au comte ridicule d'avoir peur de la mort devant une jolie femme. Le désir que le comte se promettait de feindre pour Mlle de Verneuil devint un violent caprice que cette dangereuse créature se plut à entretenir. Elle lui annonça qu'elle avait trop de curiosité pour le faire fusiller maintenant. Elle lui rendit sa carabine. Mais elle expliqua à Hulot que le marquis de Montauran n'avait pas pu tenir sa parole de protéger Marie et ses hommes à cause des paroles que Bauvan avait répandues contre Mlle de Verneuil. Bauvan reconnut avoir dit que Mlle de Verneuil était la maîtresse du marquis de Lenoncourt. Pourtant, Mlle de Verneuil lui affirma qu'elle ne se sentait pas offensée. Puis, elle lui dit quelques mots à l'oreille. Il laissa échapper une sourde exclamation de surprise. Elle lui dit qu'il était venu chez son père le duc de Verneuil. Alors il se mit à genoux. Il lui demanda pardon. Elle lui répondit qu'elle n'avait rien à pardonner car il n'avait pas plus raison dans son repentir que dans son insolente supposition à la Vivetière. Cette intrigue parut moins clair pour Hulot. Alors Mlle de Verneuil lui fit un signe d'intelligence comme pour avertir qu'elle ne s'écartait pas de son plan.

Mlle de Verneuil amena fort adroitement la conversation sur le temps qui était, en si peu d'années, devenu l'ancien régime. Par la complaisante finesse avec laquelle elle lui ménagea des réparties, le comte finit par trouver qu'il n'avait jamais été si aimable. Elle se plut à essayer sur le comte tous les ressorts de sa coquetterie. Elle ressemblait parfaitement à un pêcheur qui de temps en temps lève sa ligne pour reconnaître si le poisson mord à l’appât.

 

Le pauvre comte se laissa prendre.  L'émigration, la République, la Bretagne et les chouans se trouvèrent à 1000 lieues alors milieu de sa pensée. Hulot se tenait immobile et silencieux. Son défaut d'instruction le rendait tout à fait inhabile à ce genre de conversation. Il cherchait à comprendre s'ils ne complotaient pas à mots couverts contre la République. Le comte chercha à dénigrer l'image du marquis. Il prétendait que le marquis n'avait pas l'art aimable de dire aux femmes de ces jolis riens qui, après tout, leur conviennent mieux que ces élans de passion par lesquels on les a bientôt fatiguées. Mlle de Verneuil lui répondit qu'elle s'en était aperçue.

En sortant de table, Mlle de Verneuil ordonna à Hulot de la laisser seul avec le comte. Elle saurait bientôt tout ce qu'elle avait besoin d'apprendre. Elle annonça au comte qu'il était libre. Mais elle attendait quelque chose de lui en échange. Elle lui parla du bal que le comte comptait donner à Saint-James. Il répondit que le bal aurait lieu le lendemain soir. Elle lui annonça qu'elle comptait s'y rendre rendre pour obtenir une éclatante réparation des injures qu'elle avait subies. Elle lui demanda de lui accorder sa protection du moment où elle se rendrait au bal jusqu'au moment où elle en sortirait. Il devait promettre de réparer son tort en proclamant qu'elle était bien la fille du duc de Verneuil mais en taisant tous les malheurs qu'elle avait dus à un défaut de protection paternelle.

Le comte lui promit sa protection mais il voulut savoir si elle venait au bal pour Montauran. Mais elle ne lui répondit pas. Elle l'accompagna jusqu'au Nid-aux-Crocs.

Puis elle se rendit vers la porte Saint-Léonard où l'attendaient Hulot et Corentin. Elle dit à Hulot que dans deux jours le comte tomberait sous ses fusils. Elle lui annonça qu'elle allait se rendre au bal à Saint-James. Puis elle rentra pour aller choisir sa robe. Elle demanda à Francine de coudre un ruban vert sur le gant que le marquis lui avait donné. Puis elle l'envoya chercher des écus de six francs. Mlle de Verneuil s'entraîna à imiter le cri de la chouette et parvint à imiter le signal de Marche-à-terre. Après quoi, elle sortit par la porte Saint-Léonard et s'aventura suivie des Francine à travers le val de Gibarry.

Francine joignit les mains et dites un ave à Sainte-Anne-d'Auray en la suppliant de rendre ce voyage heureux. Elles arrivèrent devant la maison de Galope-chopine. Mlle de Verneuil siffla le cri de la chouette et Galope-chopine montra sa mine ténébreuse.

Elle lui montra le gant du marquis et lui demanda de l'emmener à Saint-James. Ils partirent aussitôt.

En regardant regardant les difficultés du terrain, Mlle de Verneuil comprit alors la nécessité où se trouvait la République d'étouffer la discorde plutôt par des moyens de police et de diplomatie que par l'inutile emploi de la force militaire. Galope-chopine les emmena dans un bassin demi circulaire entièrement composé de quartiers de granit qui formait un amphithéâtre au centre duquel s'élevaient trois énormes pierres druidiques, vaste autel sur lequel était fixée une ancienne bannière d'église. Une centaine d'hommes agenouillés priaient avec ferveur dans cette enceinte où un prêtre disait la messe. Mlle de Verneuil resta frappée d'admiration.

Elle reconnut l'abbé Gudin. La messe se termina et les assistants firent tous pieusement le signe de la croix. L'abbé commença son sermon. Il prétendit que Sainte-Anne-d'Auray lui était apparue et qu'elle lui avait demandé de dire aux hommes qu'il n'y aurait pas pas de salut à espérer pour eux s’ils ne s'armaient pas. L'abbé devait donc refuser aux hommes l'absolution de leurs péchés à moins qu'ils ne servent Dieu. Il les exhorta à obéir au marquis. Il leur promit de bénir leur fusil avec la grâce de Sainte-Anne-d'Auray.

L'abbé avait jeté sur la foule un charme. Mlle de Verneuil ne fut pas médiocrement surprise de voir Francine partager cet enthousiasme. Les paysans s'avancèrent un à un et s'agenouillèrent devant l'abbé pour offrir leurs fusils. Le prédicateur les remit sur l'autel. Après la cérémonie, Galope-chopine emmena Mlle de Verneuil dans un village où ils mangèrent. Il raconta aux villageois qu'elle était la bonne amie du Gars.

Vers le coucher du soleil, Mlle de Verneuil, Francine et Galope-chopine arrivèrent à Saint-James. Cette petite fille devait son nom aux Anglais par lesquels elle fut bâtie au XIVe siècle, pendant leur domination en Bretagne. Cinq à 6000 paysans étaient campés dans un champ. Mlle de Verneuil craignit d'être reconnu par quelques-uns de ses ennemis. Des hurlements accueillirent l'arrivée des gars de Marignay. À la faveur du mouvement que cette troupe et les recteurs excitèrent dans le camp, Mlle de Verneuil, put le traverser sans danger et s'introduisit dans la ville. Elle prit une chambre dans une auberge. Elle donna à Galope-chopine quatre écus de six francs. Puis elle le renvoya. Francine ne comprenait pas pourquoi sa maîtresse avait renvoyé leur protecteur. Alors Mlle de Verneuil lui montra son poignard. Après s'être habillée, Mlle de Verneuil offrit une ressemblance parfaite avec les plus illustres chefs-d'oeuvre du ciseau grec. Elle posa sur sa tête une couronne de houx. Elle plaça soigneusement son poignard au milieu de son corset. Francine accompagna sa maîtresse au bal. Au moment où Mlle de Verneuil arriva au bal, le marquis fut contraint d'apaiser une querelle entre ses hommes. Le chevalier du Vissard conseilla au marquis de prendre garde car il traitait trop légèrement des hommes qui avaient quelque droit à la reconnaissance du roi. Le chevalier voulait plaider pour ses frères d'armes dont les services avaient besoin d'être constatés.

Chacun des chefs trouva le moyen de faire savoir au marquis, d'une manière plus ou moins ingénieuse, le prix exagéré qu'il attendait de ses services. Le marquis remarqua un homme assis dans un coin qui semblait ne prendre aucune part à la scène et semblait mépriser les quémandeurs. C'était le major Brigault. Le marquis s'adressa à lui. Le major n'avait rien à réclamer et disait qu'il serait content si le roi revenait. Alors le marquis demanda à Mme du Gua de ne pas oublier ce brave homme si elle voyait la Restauration. Le marquis s'adressa aux quémandeurs. Il tenait à la main une lettre déployée revêtue du sceau et de la signature royale.

C'était la patente par laquelle le roi l'autorisait à gouverner les provinces de Bretagne, de Normandie, du Maine et de l'Anjou et à reconnaître les services des officiers qui se seraient distingués dans ses armées.

Les chouans s'avancèrent vers le marquis en décrivant autour de lui un cercle respectueux. Alors le marquis jeta les lettres dans le feu où elles furent consumées en un clin d'oeil. Il annonça aux quémandeurs qu'il ne voulait plus commander qu'a ceux qui verraient un roi dans le roi et non une proie à dévorer.

Alors Mme du Gua, l'abbé Gudin et le major Brigault scier entendre les cris de vive le roi ! Les quémandeurs prièrent le marquis d'oublier ce qui venait de se placer et l'assurèrent qu'il serait toujours leur chef. Quand le bal commença, le marquis pensait encore à Mlle de Verneuil. Mme du Gua lui dit qu’elle donnerait son sang pour mettre Mlle de Verneuil entre les mains du marquis et le voir heureux avec elle. Alors il lui demanda pourquoi elle avait tiré sur Mlle de Verneuil avec tant d'adresse. Mme du Gua répondit qu'elle voulait Mlle de Verneuil soit morte soit dans les bras du marquis. Elle était triste de le voir séparé de la gloire par le coeur nomade d'une fille d'Opéra.

C'est à ce moment-là que Mme du Gua aperçu Mlle de Verneuil. Le compte de Bauvan assura Mme du Gua que Mlle de Verneuil était bien la fille du duc de Verneuil. Mais le marquis se rappelait de ce que le comte avait dit lors de la soirée à la Vivetière. Le comte s'élança vers la porte pour accueillir Mlle de Verneuil et la présenter à travers la foule curieuse. Il demanda au marquis de ne croire que sa parole d'aujourd'hui. Mlle de Verneuil rechercha les convives de la Vivetière. Le comte la fit asseoir à côté de Mme du Gua. La beauté de Mlle de Verneuil excita un moment les murmures de l'assemblée. Les ennemis étaient donc en présence.

Mme du Gua demanda à Mlle de Verneuil si elle était venue toute seule. Marie le lui confirma. Ainsi elle n'aurait qu'elle ce soir à tuer. Mme du Gua prétendit être accablée par le souvenir de ses torts envers Mlle de Verneuil. Mlle de Verneuil prétendit lui excuser tout, y compris l'assassinat des Bleus. Le marquis accusa le comte de l’avoir indignement trompé et ainsi compromis jusqu'à son honneur. Le comte était prêt à lui donner toutes les explications qu'il voudrait. Alors le marquis l'emmena dans une pièce voisine. Mlle de Verneuil dit à Mme du Gua que lui devait un service. Elle l'avait éclairé sur le caractère du marquis de Montauran.

Elle affirma qu'elle le lui abandonnait volontiers. Mme du Gua lui demanda ce qu'elle était venue chercher au bal. Marie répondit qu'elle voulait l'estime et la considération que Mme du Gua lui avait retirées à la Vivetière. Mme du Gua explique à Marie que le marquis ne voulait épouser personne. Le marquis avait accepté sa dangereuse mission pour mériter la main de Mlle d’Uxelles. Le chevalier du Vissard qui avait donné le signal des injures à la Vivetière invita Mlle de Verneuil à danser pour se faire pardonner sa plaisanterie. Le marquis pardonna intérieurement au comte tous ses torts. Le marquis voulut s'approcher de Mlle de Verneuil mais elle s'élança pour danser. Le marquis sentit s'élever dans son coeur un tourbillon d'amour, de rage et de folie. Tous les gentilshommes de la Vivetière vinrent entourer Marie et chacun d'eux sollicita le pardon de son erreur par des flatteries plus ou moins débitées. Elle refusa de danser. Elle s'appuya sur les bras du comte de Bauvan auquel elle se plut à témoigner quelque familiarité. Mme du Gua raconta l'aventure de la Vivetière à toute l'assemblée dans l'espoir de mettre un obstacle de plus à la réunion de Mlle de Verneuil et du marquis. Ainsi les deux amants brouillés étaient-ils devenus l'objet de l'attention générale.

Montauran n'osait aborder sa maîtresse car le sentiment de ses torts et la violence de ses désirs rallumés la lui rendait presque terrible. Mlle de Verneuil se fit emmener par le comte dans le salon voisin. Le marquis la suivit. Il lui demanda si elle ne le pardonnerait pas. Elle répondit que l'amour ne pardonnait rien ou pardonnait tout. Elle reprit le bras du comte pour s'élancer dans une espèce de boudoir. Le marquis la suivit. Elle menaça de se retirer s'il continuait sa poursuite.

Alors il saisit un morceau de charbon de la cheminée et le serra violemment. Mlle de Verneuil rougit et dégagea vivement son bras de celui du comte pour regarder le marquis avec étonnement. Le comte s'éloigna doucement et laissa les deux amants seuls.

Une si folle action avait ébranlé le coeur de Marie. Elle lui dit qu'il était extrême en tout et que sur la foi d'un sot et les calomnies d'une femme, il avait soupçonné celle qui venait de lui sauver la vie d'être capable de le vendre. Il lui dit que maintenant il ne voulait plus croire qu'elle. Elle lui ordonna de lâcher le charbon. Elle fit de la charpie avec son mouchoir pour couvrir la plaie peu profonde que le marquis couvrit bientôt de son gant. Mme Du Gua arriva sur la pointe du pied dans le salon de jeuxet regarda les deux amants.

Le marquis demanda à Mlle de Verneuil pourquoi elle était venue. Elle répondit qu'elle était venue pour lui et pour elle-même. Elle lui montra son poignard. Elle était heureuse d'avoir reconquis l'estime de l'homme qui représentait à ses yeux le monde entier et qu'elle pouvait mourir. Elle lui dit que le comte de Bauvan lui avait promis son nom et sa fortune pour la remercier de l'avoir sauvé. Elle reprocha au marquis de n'avoir pas fait la même proposition. Elle lui demanda une dernière preuve de son affection. Elle lui demanda de tout préparer pour leur départ et s'il l'emmenait à Fougères il il saurait bien qu'elle l'aimait.

Elle lui proposa de danser avec elle. L'assemblée laissa échapper un murmure d'admiration en voyant les deux amants danser. Mme du Gua ordonna au comte d'aller chercher Pille-niche.

Quelques moments plus tard, le marquis emmena Mlle de Verneuil dans sa berline. À la première montagne, les deux amants descendirent de voiture et gravir à pied la colline, comme en souvenir de leur première rencontre. Arrivés au sommet, Mlle de Verneuil dit au marquis de ne pas aller plus avant car son pouvoir ne le sauverait plus des Bleus aujourd'hui.

Mlle de Verneuil dit au marquis que tout ce qu'il avait soupçonné sur elle était vrai. Elle était vraiment la fille du duc de Verneuil mais sa fille naturelle. Sa mère, une demoiselle de Casteran, expia sa faute par 15 années de larmes et devint religieuse pour échapper aux tortures qu'on lui préparait dans sa famille. Sur son lit de mort, elle implora pour sa fille l'homme qui l'avait abandonnée. Le duc accueillit donc Marie avec plaisir et la reconnut. Elle fut introduite dans la société de son père dans laquelle on enseignait un mépris spirituellement formulé pour tout ce qui était religieux. La vie que Mlle de Verneuil avait menée alors eut pour résultat d'établir une lutte perpétuelle entre les sentiments naturels et les habitudes vicieuses qu'elle y  avait contractées. Quelques gens supérieurs s'étaient plu à développer en elle cette liberté de penser, ce mépris de l'opinion publique qui ravissent à la femme une certaine modestie d'âme. Le duc diminua considérablement la fortune de son fils pour avantager Mlle Verneuil. Son frère attaqua le testament. Un ami de son père, le maréchal duc de Lenoncourt s'offrit de lui servir de tuteur. Elle accepta. Elle apprit que tout Paris la croyait la maîtresse de ce pauvre vieillard. Un jour, elle se trouva mariée à Danton. Elle accepta l'odieuse mission d'aller, pour 300 000 fr., se faire aimer d'un inconnu qu'elle devait livrer. C'était le marquis. Elle eut la folle simplicité de croire que l'amour qu'elle avait pour le marquis lui donnerait un baptême d'innocence. Elle lui demanda d'être digne de son avenir et de la quitter sans regret. Elle ne le livrerait jamais. Elle retournerait à Paris. Elle disparue avant que le marquis n'est eu le temps de le retenir. Mais elle revint sur ses pas et se cacha pour regarder le marquis qui paraissait accablé. Elle retrouva Francine. Hulot et Corentin vinrent voir Marie pour qu'elle fasse son rapport.

Elle leur expliqua que le Gars était plus que jamais épris de sa personne et l'avait contraint à les accompagner jusqu'aux portes de Fougères. Elle leur expliqua également qu'elle avait vu 6000 hommes à Saint-James. Mais que deviendraient ces gens sans le marquis ? Elle pensait, comme Fouché, que la tête du marquis était tout. Quand ils furent tous les deux, Corentin expliqua à Hulot que Mlle Verneuil aimait le Gars et peut-être en était-elle aimée. Corentin avait deviné que les deux amants auraient vraisemblablement un rendez-vous.

Mais Hulot résolut de contrarier Corentin en tout ce qui ne nuirait pas essentiellement aux voeux du gouvernement et de laisser à l'ennemi de la République les moyens de périr avec honneur les armes à la main.

Corentin traçait un cercle autour de Mademoiselle de Verneuil depuis cinq ans. Il pensait la tenir et avec elle il arriverait dans le gouvernement aussi haut que Fouché. Il espérait que la douleur la lui livrerait corps et âme. Galope-chopine annonça à Mlle Verneuil que le marquis serait chez lui et l'y attendrait. Corentin arriva et Mlle de Verneuil indiqua au chouan le danger que l'espion représentait. Le chouan prétendit alors qu'il était venu pour vendre du beurre. Corentin ne le crut pas. Corentin avait compris que Galope-chopine était un émissaire du marquis alors il lui demande où il habitait. Mais Mlle de Verneuil lui demanda de le laisser tranquille. Et le chouan s'en alla. Mlle Verneuil comprit une lutte secrète commençait entre elle et Corentin. Corentin lui redemanda sa main en lui certifiant qu'il arriverait à une haute position dont les honneurs la flatterait. Il prétenait qu'il l’aimait depuis cinq ans. Il lui dit que si elle épousait Montauban, il serait charmé de servir utilement la cause des Bourbons. Il serait prêt à abandonner les intérêts d'une République qui marchait à sa décadence.

Il offrit à Mlle de Verneuil ses services pour tromper la surveillance de Hulot.

Mlle Verneuil pensa que rien ne prouvait la sincérité de cet artificieux langage et elle ne se fit donc aucun scrupule de tromper son surveillant. Elle lui affirma qu'elle aimait le marquis mais n'en était pas aimée. Elle affirma qu'il lui avait donné rendez-vous et que ce rendez-vous semblait cacher quelque piège. Elle dit à Corentin que le marquis l'attendait sur la route de Mayenne dans une maison de Florigny.

La naïveté de Mlle de Verneuil était si bien jouée qu'elle trompa l'espion qui lui proposa sa protection. Elle accepta.

Il baisa les mains de sa victime et la quitta en lui faisant un salut qui n'était pas dénué de grâce. 3 heures plus tard plus tard, Mlle Verneuil qui craignait le retour de Corentin sortit furtivement par la porte Saint-Léonard et gagna le petit sentier du Nid-aux-Crocs qui conduisait dans la vallée du Nançon. Elle se rendit à la cabane de Galope-chopine. Pendant ce temps, Corentin était à la recherche du commandant. Hulot s'était déguisé et avait coupé ses cheveux et sa moustache. Ses hommes étaient également déguisés en chouans. Il apprit que les chouans étaient déjà à Florigny. Alors il dit au commandant que le marquis n'était pas un Florigny et lui demanda de garder avec lui quelques-uns de ses contre-chouans.

Hulot donna l'ordre du départ à son bataillon. Ils marchèrent silencieusement le long du faubourg étroit menant à la route de Mayenne. Mais il reste sur la petite place avec Gudin et une vingtaine des plus adroits jeunes gens de la ville en attendant Corentin. Francine apprit elle-même le départ de Mlle Verneuil à cet espion sagace dont tous les soupçons se changèrent en certitude. Les soldats de garde au poste Saint-Léonard instruisirent Corentin du passage de Mlle Verneuil par le Nid-aux-Crocs. Corentin courut pour rejoindre Marie. Corentin devina alors à peu près le lieu du rendez-vous des deux amants. Puis il courut sur la place au moment où Hulot allait rejoindre ses troupes. Il informa le militaire. Hulot comprit que les brigands faisaient une fausse attaque. Il ordonna à Gudin d'avertir le capitaine Lebrun qu'il pourrait se passer de lui à Florigny. À son retour, Gudin trouva la petite troupe d'Hulot augmentée de quelques soldats. Hulot lui ordonna de se diriger par la porte Saint-Léonard pour aller jusqu'à la cabane de Galope-chopine. Puis il se mit lui-même à la tête du reste de la troupe et sortit par la porte Saint-Sulpice.

Corentin se rendit promptement sur la promenade pour mieux saisir l'ensemble des dispositions militaires de Hulot. Les deux troupes se déployaient sur deux lignes parallèles. Corentin s'est dit que si Marie avait livré le marquis, il aurait pu s'unir à elle par le plus fort des liens mais il se promit qu'elle serait à lui.

Gudin tomba sur des faux chouans mais il s'en rendit compte avant de commettre un massacre. Il leur ordonna de se replier sur les rochers de Saint-Sulpice. Il lui expliqua qu'il pourrait reconnaître les contre-chouans à leurs cravates roulées en corde sans noeud.

Puis Gudin se dirigea vers la maison de Galope-chopine. Hulot aperçut une jeune femme d'une trentaine d'années accompagnée d'un petit garçon. Il lui demanda où était le Gars. Vingt contre-chouans rejoignirent Hulot. Mais la jeune femme jeta un regard de défiance sur la troupe. Elle leur conseilla de retourner sur leurs pas. Elle leur demanda de quelle paroisse ils étaient en alors les contre chouans répondirent qu'ils étaient de Saint-Georges. Rassurée la femme les guida vers Galope-chopine et leur expliqua qu'il était chargé de faire le guet pour avertir le Gars. Elle entendit le juron si peu catholique du soi-disant chouan qui commandait la troupe et se mit à pâlir. Alors elle envoya son enfant prévenir Galope-chopine qui était son père.

Mlle Verneuil n'avait rencontré sur sa route aucun des partis Bleus ou chouans qui se pourchassaient les uns les autres. En apercevant une colonne bleuâtre s'élevant du tuyau à demi détruit de la cheminée de la maison de Galope-chopine, son coeur éprouva de violentes palpitations. Galope-chopine l'accueillit. Puis il s'en alla sur le sentier. Mlle Verneuil sentit qu'il y avait du malheur dans l'air. Elle vit un jeune homme sautant les barrières comme un écureuil et courant avec une étonnante rapidité. Le Gars était simplement vêtu comme un chouan. Tous deux se trouvèrent sans voix et craignirent de se regarder. Une même espérance unissait leur pensée. C'était une volupté.

Elle dit au marquis que tant qu'elle resterait à Fougères sa vie était compromise. Elle partirait donc le soir même. Il voulait la suivre. Son amour pour elle était sans bornes et il lui semblait qu'il ne pouvait plus se passer d'elle. Elle lui répondit qu'une maîtresse était la seule femme qui soit sur des sentiments qu'un homme lui témoignait. Elle ne voulait pas faire son malheur et lui interdisait de la suivre. Alors il lui tendit les bras et elle tomba mollement sur le sein du marquis. Elle entendit un bruit dehors. C'était Beau-pied. Elle lui fit un signe que le soldat comprit à merveille. Le pauvre garçon tourna brusquement sur ses talents en feignant de n'avoir rien vu. Puis Mlle Verneuil rentra dans le salon en invitant le marquis à garder le plus profond silence. Elle lui annonça que les Bleus étaient arrivés. Alors il la saisit froide et sans défense et cueillit sur ses lèvres un baiser plein d'horreur et de plaisir car il pouvait être à la fois le premier et le dernier. Puis ils allèrent ensemble sur le seuil de la porte. Le marquis aperçut Gudin. Hulot commandait sa troupe. Mlle Verneuil jeta un cri de désespoir car elle entendait les trépignements des trois détachements réunis autour de la maison. Le marquis lui demanda de sortir la première pour le préserver. Elle accepta. Le marquis arma son tromblon. Il se jeta devant les Bleus et se fit un passage au milieu d’eux. Il se mit à courir dans les champs. Hulot ordonna de tirer. Mais c'était déjà trop tard. Puis une vingtaine de chouans se montrèrent. Les contre-chouans mêlés aux Bleus dirigés par Hulot vinrent soutenir Gudin. Gaudin se lance à la poursuite du marquis. Les chouans gagnèrent le chemin qui longeait le champ dans l'enceinte duquel cette scène eut lieu et s'emparèrent des hauteurs que Hulot avait commis la faute d'abandonner. Le marquis sauvé, les chouans et les Bleus reconnurent mutuellement la force de leurs positions respectives et l'inutilité de la lutte en sorte que chacun ne songea plus qu'à se retirer. Après la bataille, Hulot ordonna à ses soldats de laisser les haillons de leurs ennemis. Gudin reconnut son oncle parmi les victimes et jeta un cri étouffé. La troupe de Bleus se mit en route.

La femme et le fils de Galope-chopine rentrèrent chez eux dans la nuit. Barbette était inquiète car son mari n'était pas là. L'enfant comprit qu'on s'était battu dans la pièce qui dépendait de la Béraudière alors Barbette lui demanda d'aller voir. L'enfant ne trouva pas son père dans le monceau de cadavres. Le lendemain, Galope-chopine revint chez lui. Sa femme poussa un cri de joie. Elle lui apprit que les bleus et les contre-chouans étaient venus. Galope-chopine ne comprenait pas comment ils avaient pu savoir que le marquis était chez lui. Barbette dut lui expliquer qu'elle avait été dupée par les contre-chouans. Galope-chopine frappa violemment sa femme pour la punir. En se relevant, elle lui demanda si Marche-à-terre serait mis au courant. Galope-chopine pensait que le marquis chercherait à savoir d'où venait la trahison. Mais Marche-à-terre était à Florigny. Barbette respira plus librement. Galope-chopine expliqua à sa femme que le lendemain il faudrait amasser des fagots sur les rochers de Saint-Sulpice pour y mettre le feu car c'était le signal convenu entre le marquis et le vieux recteur de Saint-Georges pour que celui-ci dise une messe. Le marquis comptait donc se rendre à Fougères. Le lendemain, Galope-chopine s'acquitta des commissions que le marquis lui avait confiées. Il rencontra Pille-miche et marche-à-terre. Il les invita chez lui. Ils mangèrent. Puis Marche-à-terre ordonna à Galope-chopine d'apporter son couperet. Il lui dit qu'il était jugé. Galope-chopine prétendit n'avoir rien dit. Mais il avoua que sa femme avait été dupée par les contre chouans. Galope-chopine demanda qu'adviendrait-il de son fils et Marche-à-terre promit de s'en occuper. Galope-chopine demanda à se confesser avant de mourir. Pille-miche demanda à Galope-chopine de lui confier tous ses péchés. Après quoi, il pourrait les répéter un prêtre qui lui donnerait l'absolution. Galope-chopine obtint quelque répit par sa manière d'accuser ses péchés. Après quoi, il fut exécuté. Sa tête fut pendue à un clou dans le grossier chambranle de la porte. Après cela, les deux chouans s'en allèrent au bout du champ en sifflant l'air de la ballade du Capitaine.

En rentrant chez elle, Barbette réprima un cri en voyant la tête de son mari. Elle annonça à son fils qu'il n'avait plus ni père ni mère. L'enfant poussa un cri en voyant la tête clouée. Le corps de Galope-chopine avait été couché sur un banc. Un de ses souliers était tombé sous son cou de manière à se remplir de sang. Barbette demanda à son fils de mettre son pied dedans. Elle lui demanda de toujours se souvenir du soulier de son père et de tuer les chouans. Elle décida de vouer son fils aux Bleus. Il deviendrait soldat pour venger son père.

Puis elle emmena son fils à Fougères. Quand ils arrivèrent sur le sommet du rocher de Saint-Sulpice, Barbette attisa le feu des fagots. Au même moment, Mlle Verneuil avait les yeux attachés sur cette roche dans l'attente du signal annoncé par le marquis. Mais le brouillard l'empêchait de voir le paysage. Elle avait la certitude d'être aimée. Elle se voyait marquise agissant dans la sphère qui lui était propre. La vertu devenait pour elle une nouvelle séduction.

Francine n'arrivait pas à y croire tant que ce ne serait pas fait. Elle prépara sa chambre dans l'attente du marquis. 20 fois, elle souleva le rideau, en espérant voir une colonne de fumée s'élever au-dessus des rochers.

Au même moment, Barbette montra à Corentin la fumée au-dessus des rochers de Saint-Sulpice et en expliqua le sens.

Hulot lui demanda pourquoi elle trahissait son parti. Alors elle lui expliqua ce qu'il était advenu de son mari. Elle demande à Hulot de prendre son fils pour qu'il puisse tuer beaucoup de chouans. Elle lui donna 200 écus pour l'éducation de son enfant. Hulot préférait que Babette concerne l'argent. Mais elle répondit qu'elle n'avait plus besoin de rien. Elle embrassa son enfant avec une sombre expression de douleur. Puis elle disparut.

Corentin déconseilla à Hulot de faire cerner la maison de Mlle de Verneuil. Cela risquait de donner l'éveil au marquis. Hulot ne tint pas compte de ce conseil. Puis Corentin s'en alla par l'escalier qui regagnait la porte Saint-Léonard. Hulot pensait que Corentin lui livrerait le citoyen Montauran pieds et poings liés et il se trouverait embêté d'un conseil de guerre à présider. Mais après tout, Hulot trouverait là l'occasion de venger Gérard.

Chez elle, Mlle Verneuil était arrivée au dénouement du drame qu'elle était venue chercher. Elle faisait passer devant elle les scènes d'amour et de colère qui avaient si puissamment animé sa vie pendant les 10 jours écoulés depuis sa première rencontre avec le marquis.

Elle entendit le bruit d'un pas d'homme et elle tressaillit. C'était Corentin. Il la traita de petite tricheuse en riant. Il l'invita à regarder la colonne de fumée et lui expliqua que c'était le signal de l'arrivée du marquis à Fougères. Corentin admira l'arrangement de la chambre et comprit pourquoi Mlle de Verneuil attendait le marquis. Ce n'était sûrement pas pour le livrer. Mlle de Verneuil pâlit en voyant la mort du marquis écrite dans les yeux de ce tigre à face humaine. Elle se jeta à ses pieds pour le supplier de sauver le marquis. Alors il lui demanda à quelle heure devait venir le marquis. Mlle de Verneuil n'en savait rien.

Corentin avait pour principe de ne jamais croire un mot de ce que disaient les femmes. C'était pour lui le moyen de ne pas être leur dupe. Il cherchait aussi si les femmes n'avaient pas quelque intérêt à faire le contraire de ce qu'elles avaient dit et se conduire en sens inverse des actions dont elles voulaient bien confier le secret. Alors Mlle de Verneuil lui proposa 300 000 fr. pour que Corentin mette le marquis en sûreté. Elle ajouta que le marquis pourrait lui offrir davantage pour sa rançon. En échange Corentin devait prouver qu'il avait les moyens de garantir le marquis de tout danger.

Il lui demanda de promettre de le dédommager de tout ce qu'il perdrait en la servant et en échange il endormirait Hulot pour que le marquis soit libre. Alors elle fit le serment sur sa mère de dédommager Corentin.

Corentin s'en alla en se disant qu'il ne pourrait obtenir cette femme quand la plongeant dans un bourbier. Mais il n'osait prendre une résolution. Corentin croisa le fils de Galope-chopine. Il lui demanda s'il connaissait le Gars. L'enfant le connaissait. Alors Corentin lui promit des gros sous s'il lui obéissait. Corentin savait que Mlle de Verneuil ne connaissait pas l'écriture du marquis. Il avait donc l'intention de lui tendre un piège. Pour assurer le succès de sa ruse, Corentin avait besoin de Hulot.

Francine et Mlle de Verneuil entendirent une détonation violente produite par la décharge d'une douzaine de fusils. Un caporal se présenta chez Mlle de Verneuil. Il lui donna des lettres qui venaient de la part du commandant Hulot. Hulot annonçait que ses contre-chouans venaient de s'emparer d'un des messagers du Gars qui venait d'être fusillé. Il y avait également un billet du marquis adressé à Mme du Gua. Dans ce billet, le marquis annonçait qu'il ne retournerait pas à la Vivetière et qu'il songeait s'en aller en Angleterre avec Mme du Gua. Marie se sentit trahie. Elle alla au poste de la porte Saint-Léonard. Après quoi, Corentin entra. Il demanda où était partie Mlle de Verneuil et Francine lui répondit qu'elle était partie se livrer. Corentin s'en alla après avoir emporté la lettre. Le fils de Galope-chopine indiqua à Corentin où était partie Mlle de Verneuil. Au même moment, quatre hommes déguisés entrèrent chez Mlle de Verneuil sans avoir été vus par Corentin.

Corentin ordonna à l'enfant de retourner à son poste. Puis il retrouvera Mlle de Verneuil au poste Saint-Léonard. Elle s'adresse à Hulot en lui demandant de prendre des mesures pour que le gars ne puisse pas s'échapper. Elle lui demanda de lui donner un homme sur qui avertirait le commandant de l'arrivée du marquis. Corentin pensait qu'un soldat effarouchait le marquis. Mais un enfant inspirerait de défiance. Mlle de Verneuil avait l'intention de faire sortir le marquis de sa maison et elle voulait donc qu'un soldat surveille celle-ci. Hulot décida d'envoyer Gudin avec 10 hommes.. Gudin devrait s'arranger pour que le marquis ne le voie pas avec ses hommes. Hulot promit à Gudin que s'il arrivait à tuer le marquis il le nommerait lieutenant. Corentin demanda tout bas à Mlle de Verneuil si elle savait ce qu'elle faisait. Elle lui répondit pas. Elle demande à Hulot de placer également des hommes près des maisons qui étaient près de la sienne. Hulot pensait que Mlle de Verneuil était enragée. Elle retourna chez elle. Corentin la suivit. Il la rattrapa et lui conseilla d'emmener avec elle le fils de Galope-chopine qui servirait d'émissaire quand le marquis arriverait. Après quoi, Corentin se rendit sur la Promenade. La nuit arriva et Corentin éprouvait le martyre de trois passions terribles : l'amour, l'avarice, l'ambition. Tout était devenu solennel, les hommes et la nature. Pille-miche disputait avec marche-à-terre. Pille-miche comptait retirer un fier butin mais marche-à-terre le sermonna car les chouans étaient présents pour sauver le Gars et pas pour autre chose. Minuit sonna. Marche-à-terre avait entrevu Corentin. Corentin entendit un bruit très distinct à l'autre extrémité de la Promenade. Il aperçut une femme. C'était la prétendue mère un du marquis. Il lui conseilla d'aller vers la gauche si elle ne voulait pas être fusillée. Alors Mme du Gua se dirigea vers La Tour du Papegaut. Corentin la suivit de loin avec une adresse diabolique.

Pendant cette fatale rencontre, Marche-à-terre avait guidé les chouans jusqu'à Mme du Gua. Elle s'adressa à lui pour lui conseiller de trouver une échelle dans la maison qui se trouvait à six pieds au-dessous du fumier. À l'aide de celle-ci il pourrait monter dans un cabinet de toilette attenante à la chambre à coucher de la maison de Mlle de Verneuil.

Elle lui donna l'ordre de poignarder Mlle de Verneuil si elle avait le malheur de suivre le marquis. Corentin aperçut des chouans et alla sur-le-champ au poste de la porte Saint-Léonard. Il alerta Hulot de la présence des chouans. Hulot se rendit sur la Promenade et Corentin lui montra dans l'ombre la singulière position occupée par les chouans. Hulot prit des précautions militaires sévères afin de saisir les chouans commandés par Marche-à-terre.

La maison de Mlle de Verneuil était devenue le centre d'une petite armée. Corentin avait deviné que le marquis s'était réfugié dans la tour du Papegaut. Corentin ordonna à Hulot de s'y rendre mais Hulot refusa. Il était indigné de recevoir des ordres d'un être qu'il trouvait si méprisable. Le fils de Galope-chopine vint leur annoncer que le Gars était en route. Hulot ordonna à ses hommes de se rendre à la tour. Mlle de Verneuil avait tout ordonné pour que le marquis ne put échapper à sa vengeance. Mais quand elle vit sa maison soigneusement entourée par des soldats, une lueur soudaine brilla dans son âme. Elle pensa qu'elle venait de commettre un crime. Francine lui annonça que le marquis était arrivé. Mlle de Verneuil demanda à Francine d'emmener le petit garçon en prenant bien garde qu'il ne s'évade pas.

Le marquis l'attendait devant la cheminée. Abattue par la violence de ses sentiments, elle tomba sur le sofa qui se trouvait auprès de la cheminée. Il se mit à genoux devant elle et lui prenant les deux mains il les couvrit de baisers. Elle le repoussa violemment et se leva. Elle sauta vivement sur le poignard qui se trouvait auprès d'un vase de fleurs et menaça le marquis. Puis elle jeta l'arme n'estimant pas assez le marquis pour le tuer. Alors elle mentionna la lettre et le marquis fut surpris. Il pensa que c'était un piège tendu par Mme du Gua. Mlle de Verneuil voulut lui montrer la lettre mais ne la retrouva pas. Alors elle appela Francine qui avait vu Corentin emporter la lettre. Marie comprit que cette lettre était l'oeuvre de Corentin.

Elle se mit à pleurer. Alors le marquis le pressa contre son coeur. Elle se laissa prendre par la main et conduire jusque sur le seuil de la porte. Elle aperçut au fond du salon un autel dressé à la hâte pendant son absence. Un prêtre les attendait. Le comte de Bauvan et le baron du Guénic seraient les témoins. Mlle de Verneuil demanda à rester seul avec le prêtre. Elle demanda à Dieu de faire un miracle ou de prendre sa vie. Après quoi elle se maria avec le marquis. Après quoi, Marie alarme devança son domestiqué Jérémie et laissa le marquis dîner seul. Puis revenant, elle demanda au prêtre, au baron et au comte de rester chez elle pour la nuit en raison du danger qu'il y avait à sortir de Fougères. Marie et son mari goûtèrent les plaisirs de la nuit conjugale. Mais Marie quitta le lit en annonçant au marquis qu'elle l'avait conduit à la mort.

Elle l'amena près de la fenêtre et lui montra du doigt sur la place une vingtaine de soldats. Malgré tout, il lui dit qu'il l'aimait toujours. Francine vint leur annoncer que Pierre était arrivé.

La marquise et Francine revêtirent Montauran d'un costume de chouan. Francine conduisit le marquis dans le cabinet de toilette. Francine avait confectionné une corde avec des draps. Mais une grosse figure noire remplit l'ovale de l'oeil-de-boeuf. Le marquis jeta un cri en reconnaissant sa femme avec ses propres habits. Il voulut la retenir mais elle s'arracha brusquement de ses bras. Hulot ordonna à ses hommes de tirer. Corentin envoya le fils de Galope-chopine chercher des torches. Mais Hulot et Corentin se doutaient d'un subterfuge. Le caporal de Hulot lui annonça que le marquis avait tenté de fuir et avait été abattu. Mais c'était Mlle de Verneuil que le factionnaire de la porte Saint-Léonard avait embrochée avec sa baïonnette. Le marquis, quant à lui, avait reçu des balles dans les cuisses et les bras. Il fut déposé sur le lit de camp auprès de sa femme. Il trouva la force de lui prendre la main par un geste convulsif. La mourante tourna péniblement la tête, reconnut son mari, et murmura ces paroles d'une voix presque éteinte : « un jour sans lendemain ! Dieu m'a trop bien exaucée »

Le marquis demanda à Hulot d'annoncer sa mort à son jeune frère qui se trouvait à Londres. Puis Hulot ordonna à Corentin de ficher le camp.

 

Avertissement du Gars.

Cet avertissement, véritable avant-propos à la Comédie humaine avant la lettre, n'avait pas été retenu par Balzac pour la publication. C'est un autoportrait de Balzac à 29 ans.

Dans cet avertissement, Balzac affirme qu'il est pour les tableaux signés, la littérature est une arène où l'on ne veut plus de visières baissées. Balzac se présente sous le pseudonyme de Victor Morillon. Il révèle son goût immodéré pour la lecture et la méditation. Grâce à son imagination fantasmagorique, Balzac séduisit un vieux professeur du collège de Vendôme.

M. Buet, le professeur, engagea Balzac à venir au collège de Vendôme. On créa pour lui une chaire de langues orientales au collège et il put se livrer, sans de grands dérangements, à son amour immodéré pour l'étude et la contemplation.

Un roman de Sir Walter Scott tomba entre les mains de Balzac et il demeura ravi de cette composition dans le secret de laquelle il entra pleinement. Il s'en inspira pour peindre les costumes des seigneurs, dessiner l'université, les bourgeois, les soudards, les gens d'église, les usages et les monuments de Paris, sa populace et ses libertés avec des couleurs si vives que son professeur l'engagea à lire les oeuvres de Sir Walter Scott pour marcher sur ses traces et se pénétrer de la poétique et des règles de ce genre de composition. Alors Balzac se mit à écrire ses rêves.

Balzac ne voulait pas prendre en compte les critiques sur son projet de Comédie humaine. Il écrit :

un homme qui travaille consciencieusement à mettre l'histoire de son pays entre les mains de tout le monde, à la rendre populaire par l'intérêt de la composition secondaire, à inspirer le goût des études historiques par l'attrait de livres qui satisferont, avant tout, au besoin renaissant qu'a créé la civilisation actuelle, de nourrir l'esprit comme on nourrit le corps, un homme qui essaye de servir à cette faim des mets plus substantiels, qui tente de présenter à ces imaginations lassées du mauvais, des tableaux de genre où l'histoire nationale soit peinte dans les faits ignorés de nos moeurs et de nos usages, de rendre sensibles et familiers à toutes les intelligences les contrecoups que ressentaient les populations entières des discordes royales, des débats de la féodalité, ou de vengeance populaire ; d'offrir les résultats d'institutions de lois érigées au profit d'intérêts particuliers, de besoins éphémères ou des systèmes royal et féodal aux prises, un homme qui tâche de configurer les rois par les peuples, les peuples par certaines figures plus fortement empreintes de leur esprit ; de dessiner les immenses détails de la vie des siècles, de donner une idée des oscillations produites par le fanatisme des religions amplifiées, de ne plus faire enfin, de l'histoire un charnier, une gazette, un état civil de la nation, un squelette chronologique, cet homme-là, doit marcher longtemps sans s'embarrasser des criailleries jusqu'à ce qu'il ait été compris.

Balzac pensait que l'histoire tragi-comique entreprise par lui, était assez vaste pour imposer le respect, assez noble dans son but pour n'être pas injuriée.

Les deux rêves.

Bodard de Saint-James, trésorier de la marine, était en 1786, celui des financiers de Paris dont le luxe excitait l'attention de la ville.

Il possédait le magnifique hôtel de la place Vendôme. Il fit une faillite de 14 millions. Il mourut dans un grenier. Mme de Saint-James avait pour ambition de ne recevoir chez elle que des gens de qualité. Elle avait réussi à obtenir les bontés et l'attention de quelques membres de la famille de Rohan. Un jour, elle reçut un avocat et un homme qui se faisait passer pour chirurgien. Le narrateur avait rencontré chez Mme de Saint-James le contrôleur général, M. de Calonne et Beaumarchais.

Le narrateur trouva que le souper commençait à être ennuyeux à mourir. Il décida de s'amuser en se moquant de l'avocat. M. de Calonne sourit à son projet. Mme de Saint-James avait placé la conversation sur le chapitre des merveilleux soupers du comte de Cagliostro chez le cardinal de Rohan. Elle prétendit avoir vu la reine Cléopâtre à cette occasion. L'avocat répondit que lui avait pu parler à Catherine de Médicis. Alors Calonne lui demanda comment était là feue reine. L'avocat répondit qu'il pouvait jurer que cette femme ressemblait autant à Catherine de Médicis que si elle avait été sa soeur. Il avait été confondu. Cette confidence éveilla une excessive curiosité chez tous les convives. L'avocat, en apparence froid et compassé, semblait contenir en lui-même un foyer secret dont la flamme agissait sur les convives. Après le souper, l'avocat avait revu Catherine de Médicis dans sa chambre. Elle s'était penchée sur lui. Il avait dit à la reine qu'elle avait commis un bien grand crime. Celui de la Saint-Barthélemy. Elle lui répondit que ce n'était pas un crime mais juste un malheur. Elle avait trouvé l'entreprise mal conduite car les ordres avaient été mal exécutés. Si le 25 août il n'était pas resté l'ombre d'un huguenot en France, Catherine de Médicis serait demeurée jusque dans la postérité la plus reculée comme une belle image de la Providence. L'avocat avait perçu Catherine de Médicis comme un mauvais génie et il lui avait semblé qu'elle voulait pénétrer dans sa conscience pour s'y reposer. Catherine de Médicis prétendit n'avoir sur la conscience que deux têtes tranchées. Elle avait condamné les huguenots sans pitié car ils étaient, selon elle, l'orange pourrie de sa corbeille. Elle pensait que pour que son pouvoir persiste, il fallait dans l'État un seul Dieu, une seule foi, un seul maître. Alors l'avocat lui avait demandé pourquoi, au lieu d'ordonner cet horrible assassinat, elle n'avait pas employé les vastes ressources de sa politique à donner aux protestants les sages institutions qui rendirent le règne de Henri IV si paisible. Elle répondit qu'Henri IV avait commis deux fautes irréparables : il ne devait pas abjurer le protestantisme ni laisser la France catholique après l'être devenu lui-même. Il ne pouvait pas laisser dans un gouvernement deux principes ennemis sans que rien les balance. Catherine de Médicis pensait qu’en appelant l'attention de tous les bourgeois sur les abus de l'église romaine, Luther et Calvin avaient fait naître en Europe un esprit d'investigation qui devait amener les peuples à vouloir tout examiner. L'examen conduit au doute. Au lieu d'une foi nécessaire aux sociétés, ils avaient traîné après eux et dans le lointain une philosophie curieuse, armée de marteaux et avide de ruines. L'avocat lui demanda si le protestantisme aurait eu le droit de raisonner comme elle. Et Catherine de Médicis avait disparu.

Beaumarchais demanda au chirurgien si lui aussi avait rêvé d'une reine. Le chirurgien répondit qu'il avait rêvé d'un peuple. Il devait opérer un de ses patients et il avait rêvé que tout un peuple se trouvait dans le corps de cet homme et les autres dans sa pensée. Le chirurgien avait compris qu'il existait deux univers, l'univers visible et l'univers invisible et que la terre avait, comme l'homme, un corps et une âme. Le chirurgien abattit un millier d'êtres en opérant son patient. Le patient, épouvanté, voulait interrompre l'opération en entendant les cris de ces animalcules. Le chirurgien lui répondit que des animaux malfaisants lui rongeaient déjà les os. Le patient fit un mouvement de résistance et le bistouri dérapa. Après le souper, le narrateur entier à Beaumarchais que la province recélait encore de bonnes gens qui prenaient au sérieux les théories politiques et l'histoire de France. C'était un levain qui fermenterait. L'avocat était Robespierre et le chirurgien était Marat.

 

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