La ligne verte (Stephen King).
Premier épisode : deux petites filles mortes.
1
En 1932, le pénitencier de l'État à Cold Mountain. Naturellement, la chaise électrique était là. Les détenus en blaguaient comme on blague des choses qui font peur et auxquelles on ne peut échapper. Ils la surnommaient Miss Cent Mille Volts, la Veuve Courant, la Rôtisseuse. Le narrateur a été le directeur de la prison. Il avait présidé à 78 exécutions pendant tout le temps qu'il avait servi à Cold Mountain. Il se souvenait que les condamnés disaient leur dernière parole, des phrases souvent bizarres pendant qu'on leur passait une cagoule noire sur la tête. Le narrateur pensait que c'était surtout pour épargner au personnel de la prison le dernier regard des condamnés. La chaise électrique ne se trouvait pas dans un couloir de la mort à proprement parler mais dans le bloc E qui était à l'écart des quatre autres blocs. Il y avait six cellules à l'intérieur, trois de chaque côté d'un large corridor. Jamais une seule fois, durant toutes ses années comme gardien chef, le narrateur n'avait vu ces six cellules occupées en même temps. Le maximum avait été quatre cellules occupées, moitié Blancs moitié Noirs car Cold Mountain, il n'y avait pas de ségrégation parmi les condamnés à mort. Il y avait même eu une femme pour pensionnaire, Beverly McCall. Elle avait enduré pendant six ans un époux qui la battait mais n'avait pas supporté que son mari la trompe une seule fois. Il était mort, saigné à blanc. Deux jours avant d'être exécuté, elle avait demandé à Paul Edgecombe, le narrateur, de rejeter son nom d'esclave et de mourir sous son nom de femme libre, Matuomi. C'était son père spirituel africain qui lui avait dit en rêve de rejeter son nom d'esclave. Paul n'avait jamais rien refusé à un condamné à mort. La veille de l'exécution de Beverly, le gouverneur avait appelé Paul pour lui annoncer que la condamnation à mort de Mme McCall avait été commuée en détention à vie. Paul en avait été très content.
Elle était morte 35 ans plus tard. Elle avait passé les 10 dernières années de sa vie en femme libre et avait sauvé de l'abandon la bibliothèque municipale de la petite ville de Raines Falls. Paul reconnaissait toujours les assassins, même s'il finissait comme vieilles bibliothécaires dans des petites villes paisibles. Il n'avait douté qu'une seule fois. C'est d'ailleurs ce qui le motiva à écrire un livre. Le large couloir qui traversait le bloc E était recouvert d'un linoléum vert que les détenus avaient surnommé la ligne verte. Le couloir faisait une trentaine de mètres. Au bout du couloir, il y avait une bifurcation. Prendre à gauche signifiait vivre, si on pouvait ainsi qualifier le fait de tourner en rond dans la cour de la prison.
2
En octobre 1932, John Caffey arriva dans la prison. Il faisait aussi le choc au mois d'août. Au mois d'août, précisément, arriva le petit français Delacroix. Caffey avait été condamné à mort pour le viol et le meurtre des jumelles Detterick. Dans le bloc E, il y avait quatre ou cinq gardes à chaque permanence. Ils s'appelaient Dean Stanton, Harry Terwilliger, Brutus Howell et Percy Wetmore. Ce dernier était brutal stupide. Il était apparenté au gouverneur par sa femme et donc indéboulonnable. C'est lui qui avait amené Caffey au bloc en donnant l'appel prétendument traditionnel : « place au mort ! Place au mort ! ».
Caffey était l'homme le plus grand que Paul avait jamais vu. Caffey était noir il faisait 2 m 50. Il avait l'air fort capable de briser ses chaînes comme on fait sauter le ruban d'un cadeau de Noël mais, quand on voyait son visage, on sentait bien qu'il ne ferait pas une chose pareille.
Il n'était pas débile. Il regardait seulement autour de lui avec l'air de se demander où il était. Et peut-être bien qui il était. Quand Paul l'aperçut pour la première fois, il lui avait fait penser à un Samson noir après que sa Dalila lui a rasé la tête de ses petites mains infidèles, dérobant l'espoir et la joie. Paul accueillit Caffey dans sa cellule. Harry avait peur de laisser son chef tout seul dans la cellule avec le géant. Paul demanda à Caffey s'il allait lui causer des problèmes. Caffey avait secoué lentement sa grosse tête puis ses yeux se posèrent sur Paul et ne le quittèrent plus. Percy avait sorti sa matraque avec l'air d'un type que ça démangeait de s'en servir. Paul ne pouvait plus le supporter. Il ordonna à Percy de filer à l'infirmerie pour donner un coup de main. Percy était un petit coq, le genre de merdeux qui aimait déclencher une bagarre. Mais Paul insista et Percy obéit. Delacroix observait la situation en parlant à la souris qu'il avait adoptée. Paul lui demande gentiment de piquer un petit somme. Delacroix avait violé une jeune fille avant de la tuer puis il avait traîné le cadavre derrière la maison où elle habitait pour le brûler. L'incendie s'était communiqué au bâtiment et six personnes avaient péri. Paul pensait que la chaise électrique ne brûlait jamais ce qu'il y avait chez les meurtriers. Paul ordonna à Harry d'enlever les chaînes de Caffey. Il remarqua qu'il y avait une espèce de paix dans les yeux du géant. Harry avait obéi car il avait l'intuition que Caffey n'était pas dangereux. Paul demanda au prisonnier s'il pouvait parler et celui-ci répondit avec une voix de basse profonde. Il y avait dans ses yeux une espèce d'absence sereine, comme si Caffey avait été loin, très loin. Il était illettré. Paul lui servit une version abrégée de son discours de bienvenue. Il pensait déjà que le bonhomme ne lui créerait pas d'ennuis. En cela, Paul avait tort et raison à la fois.
Paul se présenta à Caffey. Il lui expliqua les règles de la prison. Il lui demanda si quelqu'un serait susceptible de venir le voir le jour des visites, le dimanche. Caffey répondit que ce n'était pas le cas. Apparemment, Caffey n'annonçait pas d'ennuis et c'était une bonne chose parce que comme force de la nature, il se posait là. Caffey demanda si la lumière était laissée après le coucher. C'était la première fois que Paul entendait cette question. Caffey expliqua qu'il avait peur dans le noir quand il ne connaissait pas l'endroit. Paul était touché. Il répondit que la lumière était laissée toute la nuit. Paul fit une chose qu'il n'avait jamais faite avec aucun prisonnier avant lui. Il lui tendit la main. Cela surprit Harry. Caffey prit la main de Paul avec une douceur surprenante. Une fois la porte de la cellule refermée, Paul entendit Caffey dire quelque chose. Cela le fit frissonner. Caffey avait dit : « j'ai pas pu faire autrement, patron. J'ai essayé, mais c'était trop tard ».
3
Harry avait dit à Paul qu'il aurait des ennuis avec Percy. Il était arrivé à la prison quatre mois plus tôt. On aurait dit qu'il essayait de découvrir comment se comporter et qu'il pensait trouver la recette dans des revues bon marché. Harry conseilla à Paul de trouver une bonne raison d'avoir expédié Percy à l'infirmerie. Mais Paul n'y comptait pas. Paul demanda à Harry et à Dean s'ils savaient d'où venait Caffey avant d'arriver à Tefton pour commettre un crime. Dean répondit que personne ne le savait. Il lui conseilla d'aller chercher dans les journaux à la bibliothèque. C'est ce que fit Paul. La bibliothèque de la prison était située à l'arrière du bâtiment destiné à devenir l'atelier de mécanique automobile. Mais cet atelier ne vit jamais le jour car la prison avait été transférée 100 km plus loin. Il faisait 40° dans la bibliothèque si Paul souffrait d'une infection urinaire. Il n'avait pas eu de mal à trouver l'affaire des jumelles Detterick dans les journaux parce qu'elle occupait les premières pages depuis l'arrestation de l'assassin jusqu'à son jugement en juillet. Paul n'eut aucun mal à oublier la chaleur en lisant les articles sur le meurtre des deux petites filles. Caffey avait été retrouvé au bord d'une rivière. Il avait eu de la chance de ne pas se faire lyncher.
4
Le père des deux petites filles, Klaus était propriétaire d'une ferme produisant du coton. Sa femme et lui avaient trois enfants : Howard, un garçon de 12 ans et les jumelles Cora et Kathe.
Une chaude nuit de juin, les deux petites filles avaient reçu la permission de dormir sous la véranda. Le lendemain matin, Howard découvrit que ses soeurs avaient disparu. La moustiquaire avait été arrachée et jetée dans l'herbe. Le plancher et les marches de la véranda étaient tachés de sang. Klaus décrocha son fusil et donna à son fils une carabine. Ils s'en allèrent à la recherche des deux petites filles. Ils découvrirent que leur chien avait été tué. Le tueur avait laissé des traces dans l'herbe qu'il avait piétinée. Klaus et son fils suivirent la piste. Un bout de pyjama de Kathie était resté accroché un buisson. 20 m plus loin, ils trouvèrent un morceau de tissu appartenant à Cora. Marjorie, la mère des deux petites filles appela ses voisins pour raconter son malheur. Puis elle téléphona au shérif. Le shérif en plus d'être hypocrite était incompétent. C'est son adjoint qui répondit à Marjorie. Pendant ce temps, Klaus et Howard avaient perdu la piste du ravisseur. Entre-temps, ils avaient découvert le haut du pyjama de Kathe et un autre morceau de la chemise de nuit de Coral. Les deux étoffes étaient imprégnées de sang. Le shérif Cribus et son adjoint McGee avait rassemblé une troupe de volontaires à la recherche des petites filles dans les bois. Robert McGee ordonna à Klaus et à son fils de décharger leurs armes. Il venait ainsi de sauver la misérable existence de Caffey. Le shérif et sa troupe finirent par entendre des cris glaçants. McGee et les choses en main. Il passa devant et les autres le suivirent. Il fit signe à Sam Hollis de ne pas lâcher Klaus. La troupe découvrit un Noir vêtu d'une salopette maculée de sang assis au bord de la rivière. C'était Caffey. Il portait sur la tête un foulard rouge. Sur chacun de ses bras gisait le corps dénudé d'une fillette. Le crâne des fillettes étaie rouge de sang. Caffey lançait vers le ciel une plainte terrible. Il pleurait. Caffey se balançaient d'avant en arrière avec les fillettes dans ses bras. Klaus s'élança en hurlant sur le monstre mais Hollis savait ce qu'il avait à faire. Klaus se défit de son étreinte et balança un coup de pied à la tête de Caffey. Caffey ne broncha pas. Il fallut quatre hommes pour maîtriser Klaus. La rage de Klaus disparut sitôt qu'il fut écarté de Caffey comme si ce dernier avait été la source de quelque étrange courant galvanisant. Il tomba à genoux dans la boue et éclata en sanglots et son fils le rejoignit dans la même étreinte affligée.
McGee plongea son regard dans celui de Caffey. Plus tard, il confia à la presse que les yeux du géant étaient comme les yeux d'un animal qui n'aurait encore jamais vu d'homme. Il demanda à Caffey ce qui s'était passé. Caffey avait répondu qu'il n'avait pas pu faire autrement. Il avait essayé, mais c'était trop tard. McGee l'arrêta et lui crache au visage.
5
Au cours de la nuit suivant sa visite à la bibliothèque, Paul n'arriva pas à dormir. Sa femme se réveilla à 2:00 du matin et lui demanda ce qu'il faisait dans la cuisine à fumer une cigarette. Il mentit en disant qu'il avait eu un accrochage avec Percy. C'était vrai, mais ce n'était pas la raison de son insomnie. Elle lui proposa de faire l'amour et il lui expliqua qu'il avait une infection urinaire et ne souhaitait pas lui transmettre.
En s'endormant, il rêva de fillettes aux doux sourires et aux cheveux de sang.
6
Le lendemain matin, Paul reçut une convocation au bureau du directeur. Il décida de remettre à plus tard. Il n'avait jamais été partisan du « réglons ça sur-le-champ ». Il consulta le cahier de permanence pour voir ce que Brutus avait écrit. Caffey n'avait pas dormi mais était resté tranquille. Brutus avait tenté d'engager la conversation avec lui mais le géant n'avait pas trop envie de parler. Entamer la conversation était une nécessité élémentaire et vitale surtout pour les gardiens. Et c'était l'une des raisons pour lesquelles Percy était une catastrophe. Tout le monde le haïssait, hormis lui-même, ses relations politiques et peut-être sa propre mère. Paul le considérait comme un accident en attente de se produire. Paul apprit que Delacroix allait être bientôt exécuté. L'information venait de Curtis Anderson, le sous-directeur. Anderson avait également écrit dans le cahier qu’un certain William Wharton, un gosse à emmerdes, selon Curtis, serait bientôt accueilli à la prison. Wharton n'avait que 19 ans et était susceptible de séjourner longtemps au bloc E. Paul décida d'aller voir le directeur Moores. Le directeur était honnête et franc. Paul commença par lui demander des nouvelles de sa femme avec sincérité. La fin du directeur était malade depuis quelque temps. Le directeur le remercia de sa sollicitude puis il en vint à parler de Percy. Le directeur avait reçu un appel du secrétaire du gouverneur qui s'était plaint de la conduite de Paul. Paul expliqua que Percy était stupide et mauvais. Il ne pensait pas pouvoir le supporter encore longtemps. Le directeur lui recommanda d'être patient. Percy avait déposé une demande de mutation qui avait toutes les chances d'être acceptée. Le directeur lui dit que Paul ferait bien de placer Percy en première ligne avec Delacroix. Cela permettrait à Percy de vider le plancher. Paul n'en revenait pas. Il ne savait pas que Percy avait envie d'être au premier rang pour l'exécution de Delacroix. Il le croyait capable de tout faire rater. C'était justement ce que souhaitait le directeur pour que cela soit fidèlement rapporté dans le dossier de Percy et qu'il perde ainsi l'oreille du gouverneur. Alors Paul accepta de suivre les conseils du directeur. Le directeur demanda si Caffey pouvait causer un problème. Paul répondit qu'il ne le pensait pas.
7
La souris de Delacroix avait été un des mystères de Dieu. Paul n'en avait encore jamais vu une seule dans le bloc E avant 1932. Il n'en vit pas d'autre après la mort de Delacroix. Delacroix prétendait avoir dressé la souris mais Paul et Brutus pensaient que c'était la souris qui avait dressé Delacroix. La souris n'entrait que dans les cellules vides. Elle n'avait manifestement pas peur des gardiens. Paul avait décelé de l'intelligence dans les yeux de la souris. Paul se mit à la place de la souris pendant un instant et il empêcha Dean de la tuer.
Brutus avait donné un morceau de son sandwiche à la souris. Ils étaient fascinés par sa façon de manger. La souris s'était assise devant le morceau de sandwich comme un clébard faisant le beau. Elle avait écarté le pain pour prendre la viande. Et, pendant qu'elle se régalait, ses yeux ne quittaient pas les gardiens. Pour blaguer, Brutus indiqua l'heure d'arrivée et de départ de la souris dans le registre. Comme si elle était une simple visiteuse. Il lui avait trouvé un nom : Steamboat Willy, ce qui était le surnom de Mickey Mouse en ce temps-là. Dean pensait que Brutus pouvait avoir des ennuis si quelqu'un regardait le registre. Il pensait notamment que Percy pouvait dénoncer son collègue. La souris réapparut trois nuits plus tard. Percy tenta de la tuer et elle se réfugia dans la cellule de contention.
8
Longtemps après ces événements, Brutus était venu voir Paul pendant la nuit. Percy avait obtenu sa mutation. Brutus avait enfin trouvé l'endroit par où entrait et sortait la souris. Il y avait un trou au plafond de la cellule de contention. Avant de mourir, Delacroix avait demandé à Paul d'empêcher Percy de faire du mal à la souris et il avait promis. C'est à ce moment précis que Paul comprit que ce métier n'était plus fait pour lui. Brutus lui aussi voulait quitter la prison et il allait demander son transfert pour le centre de redressement des mineurs. Dans le trou de la souris, il y avait des morceaux de bobines qui sentaient la menthe.
Paul et Brutus quittèrent la prison après l'exécution de Caffey.
Deuxième épisode : Mister Jingles.
1
Paul avait écrit son livre à la maison de retraite qui s'appelait Giorgia Pines et était située à 90 km d'Atlanta. C'était un cul-de-sac aussi mortel que l'était le bloc E. Là aussi il y avait une sorte de Percy qui s'appelait Brad Dolan. Dans son genre, il était tout aussi borné que Percy. Il avait à présent 80 ans. Il se souvenait de tout. Il se souvenait que Delacroix aimait la souris. Percy avait à peine posé le regard sur la souris qu'il la haïssait déjà.
2
La souris était revenue trois jours après que Percy avait tenté de la tuer. Parmi les détenus il y avait un ancien directeur régional d'un consortium immobilier qui avait tué son père et touché l'assurance sur la vie de celui-ci. Les gardiens avaient surnommé le président. Dean donna un morceau de cracker à la souris. La souris s'assit et commença à grignoter le biscuit. Bill essaya lui aussi de faire manger la souris mais elle refusa le morceau qu'il lui avait donné. Percy essaya de tuer la souris avec sa matraque mais elle s'enfuit dans la cellule de contention. Dean se moqua de Percy et celui-ci répondit qu'on n'avait pas besoin de souris dans le bloc. Bill arriva pour calmer le jeu. Il tenta de paraître grave et sérieux auprès de Percy. Mais Percy était incapable d'apprendre quoi que ce soit. Dean avait raconté à Paul ce qui s'était passé cette nuit-là car Paul était absent. Dean pensait que Percy n'avait pas compris qu'il ne pourrait jamais rendre la vie des prisonniers pire qu'elle ne l'était déjà car ils ne pouvaient être électrocutés qu'une seule fois.
3
La souris était reparue le lendemain soir, qui se trouvait être la première des deux nuits au Percy n'était pas de service. Paul discutait avec le Chef (l'Indien) car il voyait bien que l'angoisse de la fin croissait en lui puisque son échéance se rapprochait. Le chef lui avait parlé de sa première femme et de la cabane qu'il avait construite dans le Montana. Le chef avait demandé à Paul si un homme qui se repentait du mal qu'il avait fait pouvait retourner là où il avait été le plus heureux pour y vivre pour l'éternité. Paul lui avait répondu que c'était exactement comme cela qu'il voyait le paradis. Paul avait menti car il avait reçu une éducation religieuse et il pensait que les criminels allaient en enfer. Puis Paul allait discuter avec Dean. Dean avait eu un petit accrochage la veille avec Percy. C'est à ce moment-là que la souris apparut. Le chef appela la souris et elle s'arrêta pour le regarder. Il lui jeta un petit morceau de fromage en lui demandant si elle n'était pas un chaman. La souris ne touche pas au morceau de fromage. Le prisonnier qu'on appelait le président pensait que la souris savait quand Percy n'était pas là. Paul le croyait aussi mais il ne le reconnaîtrait pas tout haut. La souris s'arrêta devant le bureau et leva la tête vers les gardiens. Harry jeta un petit morceau de pomme à la souris. Elle s'en empara d'un coup de patte. Le vieux Toot-Toot qui servait la nourriture tenta de jeter un petit morceau de salami à la souris mais elle n'en voulait pas. Alors Paul jeta lui aussi un petit morceau de salami et elle le ramassa pour le dévorer. Toot-Toot recommença l'expérience mais en vain. Dean essaya lui aussi. Ça commençait à devenir une sorte de rituel. La souris mangea de bon coeur le morceau que Dean lui avait donné. À la longue, la souris apparaissait uniquement les soirs où Percy était de congé ou de service ailleurs. Les gardiens finirent par en conclure que la souris devait être avertie par la voix ou par l'odeur de Percy. La souris avait choisi de ne donner confiance qu’à Paul, Dean et Harry. Harry pensait que ce ne serait pas bon d'en parler aux autres et Paul pensait qu'il avait raison.
4
Et puis vint le jour de mourir pour Arlen Bitterbuck qui, en réalité, n'était pas chef mais le premier des anciens de sa tribu dans la réserve de Washita et aussi membre du conseil des Cherokees. Il avait tué un homme alors qu'il était fin saoul. Tout ça pour une paire de bottes. L'exécution était prévue pour le 17 juillet. Le 16 juillet, Bitterbuck reçut la visite de sa seconde femme et de ceux de ses enfants qui ne l'avaient pas renié. C'est Bill il emmena au parloir pendant que Paul procéda à de répétition. Percy fut affecté à la cabine des commandes avec Jack Van Hay pour l'électrocution. Avec les années, Toot était devenue la doublure officielle des condamnés. La plupart des matons appréciaient Toot car son drôle d'accent les amusait, un accent canadien. Même Brutus avait un faible pour le vieux. Mais Paul ne l'appréciait pas car il le voyait comme une version allégée et moins virulente de Percy. Brutus serait celui qui poserait la calotte et répondrait au téléphone s’il sonnait. Il ferait appel au médecin si besoin était et donnerait l'ordre de balancer le jus quand il le faudrait. Si ça foirait, Brutus serait blâmé par les témoins et Paul par le directeur. Paul procéda à la répétition. Ces répétitions n'avaient qu'un but : faire que l'exécution se déroule sans le moindre accroc. Toot connaissait son texte et mieux que la plupart des gardiens car cela faisait un sacré bail qu'il fréquentait l'établissement. Devant la chaise électrique, les chaises pliantes, une quarantaine, étaient déjà en place. Bitterbuck devrait gagner la plate-forme en se tenant le plus loin possible de la première rangée des témoins ; une demi-douzaine de gardes armées qui seraient sous la responsabilité de Bill. Le jour de l'exécution, Brutus devrait dire à l'Indien qu'il avait été reconnu coupable par un jury composé de ses pairs et demanderait s'il avait quelque chose à dire avant que la sentence soit exécutée. Toot répondit alors qu'il voulait du poulet frit baignant dans la sauce, qu'il voulait chier dans les casquettes des gardiens et que Mae West vienne s'asseoir sur sa pomme parce qu'il était un foutu chaud lapin. Cela fit rire les gardiens sauf Paul qui lui ordonna d'arrêter ses conneries. Tout à coup, les gardiens se rendirent compte que la souris observait la scène de ses petits yeux de jais.
5
La fille aînée d'Arlen fut autorisée à refaire une coiffure digne d'un sage à son père. Elle aurait voulu ajouter des plumes de faucons, l'oiseau totem du chef, mais c'était peu recommandé. Elles pouvaient prendre feu. Paul ne lui dit pas ça, bien sûr, il lui fit simplement comprendre que c'était contre le règlement. Elle se conduisit avec une grande dignité. Le chef quitta sa cellule sans protester. Il marcha bien droit le long de la ligne verte jusqu'au bureau de Paul. Il s'agenouilla pour prier avec le frère Schuster. Le chef pleura en écoutant un psaume qui chantait le moment de se coucher près des eaux tranquilles. Bien des hommes n'arrivaient pas à se remettre debout sans aide après la prière, mais là encore Bitterbuck s'était comporté comme un chef. Presque toutes les chaises étaient occupées et les gens chuchotaient. Ce fut le seul moment où le chef faiblit. Il avait peut-être repéré une tête qui lui remuait le couteau dans la plaie. Alors Paul lui demanda d'avoir du courage. Il lui dit que le souvenir que tous ces gens garderaient de lui, c'était comment il était parti. Il fallait leur montrer comment un Washita affrontait la fin. Le chef embrassa une de ses tresses et s'assit sur la chaise électrique. Il fut exécuté. Il y avait une odeur après l'exécution, par horrible en soi mais pénible par ce qu'elle évoquait. À tel point que Paul ne put jamais descendre à la cave quand il rendait visite à sa petite fille et à son mari. Dans cette cave leur petit garçon avait installé son train électrique. L'odeur du transformateur était insupportable pour Paul car elle lui rappelait, après bien des années, ce relent de brûlé de la chaise électrique. Harry et Dean était arrivé avec le brancard. C'était le boulot de Percy mais personne n'avait pris la peine de le lui dire. De la fumée montait du trou dans la cagoule et il s'en dégageait une odeur épouvantable. C'était la tresse gauche du chef qui se consumait. Paul étouffa le feu avec ses mains. Paul et Brutus emmenèrent le corps dans le tunnel. C'est alors que Percy flanqua une baffe sur la joue du mort. Puis il regarda Paul et Brutus en souriant. Percy recula quand Brutus s'avança vers lui. Puis Brutus poussa le chariot vers le bout du tunnel. À ce moment-là, Dean et Harry prirent chacun un bout du drap qui recouvrait le corps pour le rabattre sur le visage de Bitterbuck.
6
Paul avait 18 ans quand ses parents l'emmenèrent à Chicago pour assister à l'enterrement de son oncle. Il est éperdument amoureux de la jeune fille qui allait devenir sa femme deux semaines après ses 19 ans. Il lui avait écrit une longue lettre. Il s'était souvent demandé si Janice avait conservé cette lettre. Il n'avait jamais eu le courage de lui demander. Il n'avait pas trouvé la lettre après avoir rangé les affaires de sa femme après ses obsèques. Cette lettre faisait quatre pages et Paul pensait qu'il n'écrirait jamais rien de plus long. Jusqu'à ce qu'il écrive un livre sur la prison. Il voulait que ses lecteurs n'oublient pas John Caffey quand il contemplait le plafond de sa cage en pleurant en silence. On aurait dit que c'était sur le monde entier qu'il pleurait et que sa peine était beaucoup trop vaste pour qu'il en soit jamais soulagé. Parfois Paul s'asseyait à côté de lui pour le réconforter. Il ne pensait pas y être une seule fois parvenu. Paul pensait que Caffey méritait de souffrir.
7
Le président mourut noyé à la blanchisserie de la prison en 1944. Ce n'était pas la blanchisserie de Cold Mountain car cette prison avait fermé ses portes en 1935. Quelqu'un avait plongé la tête du président dans une cuve de solvant. Tout compte fait, il aurait eu une fin plus douce sur la chaise électrique. Mais il avait obtenu 12 ans de plus. C'est Harry qui raconta cela à Paul. Après le départ du président, Harry et Dean avaient été temporairement affectés ailleurs. Pendant un moment il ne restait que Paul, Brutus et Percy. Il y avait eu quelques semaines calmes et sereines puis Paul s'était retrouvé assis sur la couchette d'une cellule ouverte à attendre Édouard Delacroix.
C'est Percy qui amena Delacroix en le traitant de pédé de Français. Paul se précipita juste à temps pour empêcher Delacroix de s'étaler. Percy avait frappé Delacroix à l'épaule. Paul lui donna l'ordre d'arrêter. Mais Percy continua. Bien plus tard, Paul regretta de ne pas avoir donné à Percy la tannée qu'il aurait méritée 100 fois. Ça aurait peut-être changé bien des choses qui arrivèrent par la suite. Pour protéger Delacroix, Paul l'emmena dans sa cellule. Pendant ce temps-là Brutus empoigna Percy et le balança de l'autre côté du couloir. Paul comprit à ce moment-là à quel point Percy était incontrôlable et dangereux.
Percy prétendit que Delacroix avait essayé de lui toucher la bite quand il l'avait sorti du fourgon. Paul lui ordonna de déguerpir. Percy eu le temps de demander s'il comptait faire un rapport. Paul répondit seulement qu'il voulait que Percy dégage de sa vue. Paul dit à Delacroix qu'il serait bien traité s'il se tenait bien. Après cela, Paul demanda à Brutus ce qui s'était vraiment passé. Brutus répondit que Delacroix était entravé avec des chaînes et Percy l'avait tiré trop vite du fourgon. Delacroix avait trébuché et dans sa chute avait tendu les mains en avant. C'est alors qu'il avait effleuré le pantalon de Percy sans le faire exprès. Paul demanda si Percy avait trouvé ce prétexte pour essayer sa matraque. Brutus le pensait aussi. Brutus se demandait pourquoi Percy n'avait pas obtenu un meilleur emploi grâce au gouverneur. Paul ne savait pas pourquoi. À cette époque-là, Paul était naïf et il y avait beaucoup de choses qu'il ne savait pas.
8
Percy frappa encore Delacroix deux fois. Paul n'attendit pas qu'il recommence pour lui redonner de le suivre dans son bureau. Il lui ordonna de ne plus approcher Delacroix. Paul menaça de faire un rapport sur son attitude. Cela fit rire Percy. Alors Paul lui expliqua que Brutus ne l'aimait pas des masses. Et quand Brutus n'aimait pas quelqu'un, il était connu pour faire son rapport à sa façon. Le petit sourire satisfait de Percy s'effaça vite fait. Pendant un temps, cela fonctionna. Puis la souris arriva dans la cellule de Delacroix. La souris était perchée sur l'épaule de Delacroix. Harry était stupéfait car Delacroix avait déjà appris un tour à la souris. Elle pouvait passer d'une épaule de Delacroix à l'autre. Delacroix avait trouvé un nouveau nom à la souris. Ce ne serait plus Steamboat Willie mais Mister Jingles. Delacroix réclama une boîte pour sa souris. Percy arriva. Il avait l'air calme. Il remarqua que Delacroix avait adopté la souris. La souris regardait Percy comme on jauge un vieil ennemi.
Percy se contenta de regarder la souris sur l'épaule de Delacroix. Paul lui demanda s'il était d'accord pour donner un Delacroix la boîte qu'il réclamait. Harry était stupéfait que Paul demande l'avis de Percy. Percy répondit avoir vu une boîte à cigares sur le chariot de Toot-Toot. Harry était ébahi. Il ne devait pas s'attendre à une telle réponse de la part de Percy. Percy réclama simplement quelques pièces pour payer la boîte à cigares. Quand Percy s'en alla, Harry demanda à Paul si Percy était malade. Paul n'en savait rien. Paul ne découvrit la vérité que plus tard. Hal Moores il raconta que Percy était venu se plaindre de Paul et de la vie à la prison. C'était juste après l'arrivée de Delacroix quand Brutus et Paul l'avaient de matraquer le Français. Moores s'était efforcé d'amadouer Percy mais en voyant que Percy était fermement décidé à faire virer Paul, il l'avait pris à part et lui avait promis que, s'il abandonnait son projet de représailles, il veillerait personnellement à ce qu'il soit en première ligne pour l'exécution de Delacroix. Percy accepta donc de ne pas chercher à nuire à Paul en haut lieu. Il laissa même Delacroix garder sa souris dans sa cellule.
9
Toot-Toot refusa de vendre la boîte à cigares pour seulement quatre cents à Delacroix. Alors Dean ajouta un penny et Paul également. Brutus promis de restituer la boîte à Toot le lendemain de l'exécution de Delacroix. Delacroix pu recevoir sa boîte et deux jours plus tard, Percy apporta du coton de l'infirmerie pour tapisser la boîte. La souris ne fit jamais ses excréments dans la boîte. Paul découvrit plus tard qu'elle faisait ses crottes dans la cellule de contention. Cette bestiole était l'un des mystères de Dieu. Une semaine plus tard, Delacroix appela les gardiens pour leur montrer la souris avec un bonbon à la menthe bien calé entre ses pattes. Elle croquait dedans avec ardeur. Delacroix avait reçu un énorme paquet de bonbons à la menthe que sa vieille tante lui avait envoyé. Les gardiens avaient décidé de ne lui en donner que 15 par jour car le paquet devait faire deux kilos cinq et Delacroix aurait eu capable d'en manger jusqu'à s'en rendre malade. Les gardiens trouvèrent cela tordant de voir la souris en train de manger son bonbon. Elle en était déjà à son deuxième alors Brutus conseilla à Delacroix d'arrêter de lui en donner. La souris s'affala dans sa boîte d'un air las et repu qui fit rire les gardiens. Après ça, les gardiens avaient pris l'habitude de voir la souris assise à côté de Delacroix en grignotant sa sucrerie aussi proprement qu'une vieille dame invitée pour le thé. Bien plus tard, Paul devait sentir l'odeur mentholée dans le trou de la solive par où était entrée la souris pour s'installer dans la prison. Une semaine plus tard, Delacroix montra à Paul que la souris était capable de ramener une bobine de fil comme un chien allant chercher la baballe.
Paul en poussa une exclamation de stupeur.
Delacroix prétendit que c'était la souris qui lui avait chuchoté à l'oreille qu'elle voulait une bobine et qui lui avait également chuchoté son nom. Delacroix montra le tour aux autres gardiens sauf Percy. Quatre jours plus tard, Harry fouilla parmi les articles de papeterie conservés dans la cellule capitonnée et trouva des crayons de couleur. Il les donna à Delacroix. C'était pour que Delacroix colorie la bobine comme cela, Mister Jingles aurait l'air d'une souris de cirque. Paul pensa que Delacroix était peut-être heureux pour la première fois de sa misérable vie. Delacroix et la souris à la bobine étaient devenus la principale attraction de la prison. Puis William Wharton arriva pour apporter l'enfer avec lui.
10
La date d'exécution de Delacroix avait été avancée de deux jours : le 25 octobre, au lieu du 27. Le vieux Toot pourrait récupérer sa boîte à cigares plus tôt que prévu. Wharton eut du retard sur son horaire d'arrivée. Son procès dura cinq jours de plus que ne l'avaient prédit les sources d'Anderson. Après sa condamnation, Wharton fut emmené à l'hôpital pour y subir des examens. Son avocat prétendait que son client souffrait d'épilepsie. L'accusation criait à la simulation et voyait là l'échappatoire scandaleuse d'un lâche qui cherchait à sauver sa peau. Le juge s'était rangé à l'avis des jurés et du procureur mais n'en avait pas moins ordonné une série d'examens avant de prononcer sa sentence. Les médecins ne lui trouvèrent rien d'anormal il fut déclaré bon pour Cold Mountain. Quand Wharton arriva, Paul subit à nouveau une infection urinaire. Il aurait voulu se faire porter pâle mais il ne voulait pas laisser Harry et Dean s'occuper seuls de Wharton. Le rapport de Curtis Anderson disait que Wharton était une catastrophe ambulante qui se foutait de tout. Il arriva à la prison à 6:00 du matin. Le directeur était déjà dans son bureau. Mais Moores, que Paul avait toujours vu soigné, bien peigné, avait les cheveux en bataille et les yeux rougis. Gêné, Paul voulut le laisser tranquille mais le directeur lui dit qu'il n'avait jamais eu autant besoin de sa vie de voir quelqu'un. Il venait d'apprendre que sa femme était condamnée et qu'elle ne passerait pas Noël. Il n'avait pas osé l'annoncer à sa femme. Il éclata en sanglots. Paul était empli de chagrin et de crainte à la fois car le directeur était un homme réservé. Il passa son bras autour des épaules du directeur. Il décida d'attendre avant d'annoncer au directeur qu'il voulait prendre quelques jours pour se faire soigner. Mais Paul ignorait encore que le pire, dans toute cette journée de malheur, n'avait pas encore pointé son groin.
11
Wharton avait agressé Dean en arrivant à la prison. Sept gardien étaient venus chercher Wharton à l'hôpital. Ils avaient pris la fourgonnette. Harry était responsable des opérations. Wharton avait l'air shooté à la morphine. Alors Harry lui donna l'ordre d'enfiler la tenue réglementaire de la prison. Wharton paraissait avoir du mal à enfiler le caleçon. Dean finit par l'aider. Aucun des gardiens n'avait remarqué que Wharton simulait. C'est au moment où Dean ouvrit la porte d'entrée du bloc E que Wharton attaqua. Il avait passé la chaîne de ses poignets par-dessus la tête de Dean et avait commencé de serrer. Harry se jeta sur Wharton et le frappa. Mais Wharton se débarrassa de Harry en tournoyant sur le même. Percy était resté paralysé avec sa matraque à la main. Il était trop paniqué pour réagir. Pendant ce temps Wharton continuait de cisailler le coût de Dean. Paul intervint en sortant son revolver. Alors Wharton tourna Dean dans la direction de Paul pour ne pas être atteint par une balle.
Troisième épisode : les mains de Caffey.
1
Paul était en train d'écrire son livre dans sa maison de retraite. Il n'aimait pas regarder la télé avec les autres résidents. Il s'était fait une amie : Elaine Connelly qui avait 80 ans. La nuit, quand il n'arrivait pas à dormir, il descendait et allumait la télé. Il regardait des vieux films. Une nuit, Elaine vint le rejoindre. Elle s'inquiétait pour lui. Alors il lui expliqua qu'il repensait à Wharton. Paul n'avait pas réussi à trouver le sommeil à cause de Wharton. Il avait passé l'après-midi à écrire l'arrivée de Wharton à la prison dans son livre. Il expliqua à Elaine cet épisode. Elle en frissonna. Mais elle lui conseilla de continuer d'écrire son livre. Paul en fut surpris.
2
Brutus arriva. Il venait de terminer de déménager l'infirmerie et il passait voir si ses collègues voulaient du café. En voyant Wharton étrangler Dean, il réagit sans hésiter. Il repoussa Percy contre le mur, dégagea sa matraque et frappa Wharton sur le crâne. Après quoi Wharton fut emmené dans sa cellule. 3 heures plus tard, Wharton se réveilla. Il regardait Paul en souriant. Paul essaya de dissimuler sa stupeur. Wharton menaça de l'étrangler lui aussi. Paul répondit qu'il pouvait s'épargner le discours de bienvenue au club. Wharton ne s'attendait pas à ce genre de réplique. Pendant que Wharton était inconscient, il s'était passé quelque chose d'essentiel, peut-être la seule raison qui poussa Paul à raconter son histoire.
3
Dean fut emmené à l'infirmerie. Paul ordonna à Percy de faire un compte rendu de ce qui était arrivé au directeur. Caffey rappela Paul. Pour la première fois, pas une seule larme n'embuait les yeux de Caffey. Caffey voulait que Paul rentre dans sa cellule alors que les autres gardiens étaient absents. Paul dérogea à la règle de sécurité et accepta d'entrer dans la cellule de Caffey. Delacroix lui dit que ce n'était peut-être pas une bonne idée. Paul lui répondit de s'occuper de ses affaires. Paul avait l'impression que Caffey l'avait hypnotisé. Caffey passa son bras autour des épaules de Paul. Puis il plaqua sa main sur le bas-ventre de Paul. Paul lui demanda de retirer sa main. Tout à coup, Paul eut l'impression d'encaisser un grand coup dans le ventre mais sans éprouver la moindre douleur. Puis sa souffrance disparut. Caffey se tenait le buste penché en avant, le visage grimaçant, la gorge gonflée. Paul lui tapota le dos et Caffey exhala un nuage de petits insectes qui ressemblaient à des moucherons. Ils tourbillonnèrent puis disparurent. Soudain, Paul se sentit vidé de ses forces. Delacroix hurla que Caffey était en train d'assassiner Paul. Caffey était penché au-dessus de Paul mais pour s'assurer qu'il allait bien. Paul ordonna à Delacroix de se taire. À présent, Paul allait vraiment mieux. Il était guéri. Il demanda à Caffey ce qu'il lui avait fait. Caffey ne savait pas. Delacroix lui dit que Caffey était un homme grigri. Il s'était bien rendu compte que Paul n'était plus le même. C'est la souris qui le lui avait dit. Paul retourna dans son bureau. Il avait peur que son trouble se lise sur son visage. Puis il alla aux toilettes. Il n'avait plus mal. Il avait grandi dans une tradition de guérison miraculeuse parmi des gens qui faisaient confiance aux grigris.
Mais il n'acceptait pas que Caffey soit un homme grigri. Être touché par lui, c'était comme être touché par quelque étrange et merveilleux docteur. Il pensait que Caffey avait reçu son pouvoir de guérison par Dieu. Il se demanda ce que Dieu attendait de lui si fort pour placer le pouvoir de guérir entre les mains d'un meurtrier d'enfants. Paul décida de ne rien dire de cette histoire. Mais sa curiosité était à son comble.
4
Le lendemain, Paul décida de se rendre à Tefton. Janice n'aimait pas beaucoup que Paul s'inquiète pour ce Caffey. Il rencontra Hammersmith, un journaliste. Il avait écrit la plupart des articles relatant le procès de Caffey. Paul remarqua que Hammersmith et sa femme partageaient une hérédité cachée à laquelle ils ne pouvaient échapper. Plus tard, sur le chemin du retour, il comprit qu'ils n'étaient nullement semblables. Ce qui leur donnait cette apparente similitude était le malheur qui les avait frappés et le chagrin qui ne partirait plus. Paul se présenta. Le journaliste lui demanda ce qui pouvait bien amener le grand manitou de la ligne verte à faire 100 km pour parler à l'unique journaliste à plein temps du canard local. Paul répondit qu'il voulait parler de Caffey. Paul expliqua au journaliste que Caffey pleurait beaucoup. Il voulait savoir ce que le journaliste n'avait pas écrit dans ses articles. Hammersmith avait peur que Paul lui demande des détails sur la mort des fillettes mais il le rassura à ce sujet. Hammersmith se détendit alors. Il avait rencontré beaucoup de vautours dans son métier. Il voulait seulement s'assurer que Paul n'était pas de cette espèce. Hammersmith raconta les détails de l'histoire sans quitter des yeux ses enfants qui jouaient au fond du jardin. Après avoir terminé son récit, Hammersmith demanda à Paul pourquoi il ne voulait pas lui dire la vérité. Il voulait connaître la véritable intention de Paul quant à sa visite.
Paul aurait pu lui dire que Caffey avaient posé ses mains sur lui et l'avait guéri. L'homme qui avait violé et assassiné deux petites filles avait fait ça alors de se poser des questions sur lui. Il se demandait même si Caffey n'était pas innocent. Mais Paul savait que dire cela ne marcherait pas. Alors il dit à Hammersmith qu'il se demandait si Caffey avait déjà commis ce genre de crime. Hammersmith se tourna vers lui, le regard soudain vice et luisant d'intérêt. Ce type était intelligent et ça se voyait. Il demanda à Paul si Caffey avait parlé de son passé. Paul répondit qu'en règle générale les hommes qui avaient commis des crimes recommençaient parce qu'ils avaient aimé ça. Ça ne devait donc pas être trop dur de voir s'il y avait des antécédents. Hammersmith avait cherché et n'avait rien trouvé. Il savait que Caffey avait traîné dans le dépôt de Knoxville deux jours avant le meurtre des petites filles. Un homme avait employé Caffey au début du printemps dans le Kentucky. Il trouvait cela bizarre. C'était comme si Caffey était tombé du ciel. Hammersmith avait remarqué que Caffey avait dit cicatrice sur son dos. L'avocat de la défense avait demandé à Caffey d'enlever sa chemise pour montrer ses cicatrices au jury. Mais les jurés de ce comté se fichaient pas mal qu'un type ait été maltraité et qu'à ce titre il puisse avoir des excuses. Hammersmith partageait ce point de vue. Paul avait remarqué lui aussi les cicatrices et il pensait qu'elles ne dataient pas d'hier. Il pensait que Caffey avait été fouetté quand il était gosse. Hammersmith pensait que ceux qui avaient fouetté Caffey auraient peut-être mieux fait de le noyer dans la rivière comme une portée de ça. Paul aurait voulu partir après cette remarque mais il ne pouvait pas faire ça. Il répondit que pour lui Caffey n'était pas un homme violent. Hammersmith comprit que Paul voulait savoir s'il avait des doutes quant à la culpabilité de Caffey. Alors Paul lui demanda si lui-même avait des doutes. Hammersmith raconta avoir eu un chien très gentil. Un jour, le chien avait mordu son fils. Il lui avait crevé un oeil et lacéré une joue. Paul savait que l'enfant connaîtrait l'enfer à l'école parce que les autres seraient impitoyables avec lui. Plus tard, devenu un homme, il ne coucherait jamais avec une femme sans devoir la payer. Il resterait à jamais en dehors du cercle de ses pairs et ne pourrait jamais se regarder dans la glace sans y voir ce masque de cauchemar. Le petit garçon avait tenu le chien par la queue mais le chien n'avait jamais bronché, à peine un petit grognement de temps en temps. Hammersmith se mit à pleurer. Il raconta que le drame était arrivé sans raison. Il avait vu le chien attaqué son fils sans raison. Il pensait que la même chose était arrivée avec Caffey. Il avait vu les petites filles sur la véranda et les avait violées et tuées. Son chien n'avait jamais mordu personne et peut-être qu'il n'aurait pas recommencé. Mais Hammersmith ne s'était pas interrogé là-dessus. Il avait pris son fusil et avait tué son chien. Hammersmith avait étudié l'histoire, le journalisme et la philosophie à l'université. Il se considérait comme un humaniste. Il ne voulait pas voir l'esclavage revenir pour tout l'or du monde. Il pensait que Caffey mordrait, comme mordrait un chien si l'occasion s'en présentait. Il était convaincu que Caffey avait tué les petites filles. Il lui conseilla à Paul de ne jamais lui tourner le dos. Il leva une main devant Paul et, refermant brusquement les quatre doigts joints sur le pouce, il mima une morsure. Il lui demanda de veiller à ce que Caffey ne recommence plus. Paul remercia Hammersmith de lui avoir accordé cet entretien sur le chemin du retour, Paul n'arrêtait pas de revoir le visage défiguré de ce pauvre petit garçon et la main d'Hammersmith mordant brusquement l'air devant lui.
5
Wharton avait été placé dans la cellule d'isolement. Puis il avait pissé sur les pieds de Harry. Il était temps de montrer à Wharton qui commandait. Paul décida de mettre à Wharton la camisole de force. Wharton riait dans sa cellule. Brutus le menaça de son revolver et de sa matraque. Wharton menaça Paul. Paul lui répondit que ce n'était pas lui qui pouvait lui donner des ordres. Brutus donna un coup de matraque entre les yeux de Wharton. Puis la lance incendie fut actionnée. Harry cala la lance entre ses mains et la pointa comme un fusil. Wharton reçut l'eau en pleine poitrine et il fut projeté sous la couchette. Wharton était groggy. Brutus l'empoigna par les aisselles. Il le força à s'asseoir sur la couchette et pendant ce temps Paul mit la camisole de force. Brutus boucla les sangles dans le dos.
Bien que saucissonné dans sa camisole, Wharton se jeta sur Brutus. Percy voulut le frapper avec sa matraque mais Dean l'en empêcha. Percy lui lança un regard perplexe et vaguement indigné, comme pour dire qu'après ce que Wharton lui avait fait celui-ci aurait dû être le dernier enclin à l'indulgence. Wharton fut placé dans le mitard capitonné. Paul lui dit que sa carrière de bagarreur était terminée. Mais Wharton répondit qu'il lui garantissait qu'il allait le faire chier. Puis il simula une crise d'épilepsie. Brutus et Paul n'étaient pas dupes et le laissèrent dans la cellule capitonnée. Le lendemain, Wharton fut ramenée dans sa cellule. Paul lui annonça que s'il recommençait, ce serait 48 heures d'isolement. Le lendemain, Wharton avait acheté une tarte au chocolat à Toot-Toot et, tant brutal commença son service, Wharton tourna la tête vers lui et lui cracha en pleine poire un jet épais de bouillie chocolatée. Une fois de plus, Wharton retourna dans la cellule capitonnée avec la camisole. Pour deux jours. Il se faisait oublier pendant quelque temps, et puis il recommençait. Paul avait peur qu'un gardien ait un moment de distraction qui lui coûte cher. Et cette situation pouvait durer longtemps.
6
Melinda, la femme du directeur de la prison fut renvoyée chez elle avec une voix de pilules à base de morphine. Le directeur avait pris tout ce qui lui restait de jours de congé afin d'être auprès de sa femme. Paul et Janice allèrent la voir. Janice était aussi choquée que Paul mais elle avait réagi magnifiquement, comme souvent les femmes savent si bien le faire. Paul regarda le tapis bleu près de la cheminée. Il lui avait semblé alors que le tapis aurait dû être d'un vert pisseux, parce que ce salon n'était plus qu'une version de la ligne verte. Paul repensa à Caffey et à ce qu'il lui avait fait. Hal avait emmené Paul dans sa cuisine pour lui offrir de l'eau-de-vie. Il lui confia qu'il ne savait pas combien de temps il pourrait tenir ainsi. Il y avait une femme qui venait le matin pour l'aider. Les médecins lui avaient dit que sa femme risquait de perdre le contrôle de ses intestins. Paul lui demanda de tenir bon. Sur le chemin du retour, Janice disait que c'était terrible car il n'y avait rien qu'on puisse faire. Mais Paul continuait à penser à Caffey. C'était de la folie et il s'efforça de chasser pareille idée de son esprit. Janice lui demanda si son infection urinaire était vraiment guérie. Paul le lui confirma. Alors ils firent l'amour.
7
Les gardiens demandèrent à Delacroix de montrer la souris à Curtis Anderson, le sous-directeur de la prison. Anderson avait entendu parler de la souris et il voulait voir ce qu'elle pouvait faire. Delacroix en fut très fier. Pendant ce temps-là, Paul prépara la répétition pour l'exécution de Delacroix.
8
Il y eut deux répétitions. Percy s'était montré à son avantage dans son nouveau rôle. Paul pensait que tout allait bien se passer. Les gardiens étaient contents que Percy se soient mis à écouter leurs suggestions sur la manière d'améliorer sa prestation. Personne n'avait remarqué que Wharton ne contemplait plus le plafond de sa cellule. Les gardiens avaient gardé le silence sur les répétitions. Delacroix était ravi d'avoir pu montrer la souris à des gens importants. Percy avait fait trébucher Delacroix en le faisant regagner sa cellule. Il ne l'avait pas fait exprès et avait voulu s'excuser. Seulement, il avait reculé sans se rendre compte qu'il s'était approché de la cellule de Wharton. Wharton avait agrippé Percy par la manche de son blouson et lui avait passé son bras autour de la gorge. Percy avait cru sa dernière heure arrivée. Wharton embrassa Percy dans le cou. Paul et Harry s'avancèrent avec la matraque à la main. Dean avait sorti son revolver. Mais avant que les choses aillent plus loin, Wharton avait libéré Percy et avait reculé en levant les mains en l'air. Percy avait l'air de quelqu'un qui vient d'échapper à un viol. Il avait enfin appris qu'il valait mieux rester au milieu de la ligne verte. Delacroix se mit à rire. Il avait vu que Percy avait pissé dans son froc. Wharton se moqua aussi de Percy. Percy menaça les gardiens de les envoyer à la soupe populaire s'ils parlaient de ce qui venait de se passer. Percy, la tête basse, alla chercher un pantalon propre.
9
La veille de l'exécution de Delacroix, il faisait plus chaud que jamais alors qu'on était à la fin du mois d'octobre. Bill n'aimait pas beaucoup l'orage. Il avait dans l'idée qu'il allait se passer quelque chose de moche. Il ne croyait pas si bien dire. Cette nuit-là, Percy avait tué Mister Jingles.
10
Ce qui avait inquiété Delacroix, c'était le sort de sa souris quand il ne serait plus là pour s'en occuper. Pendant sa dernière nuit, Delacroix s'amusa à envoyer la bobine pour que la souris lui rapporte. Plusieurs fois, Paul avait failli demander à Delacroix d'arrêter avec sa bobine mais comme il n'avait plus que cette nuit-là et le lendemain pour jouer avec sa souris, il s'était abstenu. Mais à la fin, Paul en avait assez de ce bruit qui se répétait, il avait à peine ouvert la bouche que quelque chose lui fit tourner la tête vers le couloir. Caffey se tenait à la porte de sa cellule et l'avait regardé en secouant la tête comme s'il avait lu dans ses pensées et qu'il lui demandait de ne rien dire à Delacroix. Paul essaya de trouver une solution pour la souris mais Delacroix n'était pas d'accord avec ses propositions. Brutus proposa alors à Delacroix d'emmener sa souris dans un parc d'attraction pour touristes, en Floride. C'était une histoire qu'il avait inventée pour le tranquilliser. Paul embraya sur cette idée. Ils avaient inventé l'histoire d'un parc d'attractions qui s'appelait Sourisville. Paul admirait Brutus qui racontait à Delacroix une belle histoire capable de lui faire oublier que son exécution était pour le lendemain. Les yeux de Delacroix étincelaient et le feu lui était monté aux joues. Paul pensa à ce moment-là que Brutus était une espèce de saint. Puis Delacroix lança fort la bobine qui rebondit follement contre le mur et traversa la cellule puis passa les barreaux et termina sa course sur la ligne verte. La souris se lança à sa poursuite et Percy avait vu sa chance. Brutus hurla à Percy de ne rien faire. Mais Percy ne l'avait pas écouté. La souris n'avait pas remarqué la présence de Percy trop pris par le jeu pour s'apercevoir que son vieil ennemi l'attendait. Percy écrasa la souris. Paul eut le temps de voir une expression d'agonie et de stupeur qui était bien trop humaine dans les yeux de la souris. Delacroix poussa un hurlement d'effroi qui contenait toute la souffrance du monde. Percy souriait. Puis il tourna les talons et remonta la ligne verte, sans se presser en laissant la souris qui gisait dans son sang sur le lino.
Quatrième épisode : la mort affreuse d'Édouard Delacroix.
1
Les petits-enfants de Paul, Christopher et Lisette, l'avaient plus ou moins forcé à se retirer dans une maison de retraite. Cela faisait plus d'un an qu'il y était. Il avait perdu la notion du temps à cause de la routine de la maison de retraite. Il pensait que ce genre d'endroit agissait comme un acide doux qui rongeait d'abord la mémoire et après le désir de vivre. Paul se sentait beaucoup mieux depuis qu'il avait entrepris d'écrire ce qui s'était passé en 1932, l'année où John Caffey était entré au bloc E. Il faisait également de l'exercice autant qu'il le pouvait. Le matin avant de faire sa course, il s'arrêtait à la cuisine pour mendier deux tranches de pain grillé à l'un des cuistots. Il faisait très attention à Brad Dolan, un garçon de salle de la maison de retraite qui lui faisait penser à Percy. Paul détestait que Brad l'appelle Paulie et Brad le savait très bien mais Paul ne lui montrait jamais car cela lui aurait fait bien trop plaisir. Un jour, Brad le sermonna car il avait pris un ciré sur un portemanteau. C'était interdit par le règlement car ces manteaux appartenaient aux employés. Paul avait l'impression qu'en racontant les événements de ce maudit automne 1932 il avait ouvert une porte reliant le passé et le présent-Percy et Brad, Janice et Elaine, le pénitencier et la maison de retraite. Brad lui avait serré très fortement le poignet en s'assurant que personne ne le verrait molester l'un des petits vieux dont il était censé s'occuper. Il lui avait demandé ce qu'il allait faire sur le sentier tous les matins. Brad ne savait pas que Paul se rendait jusqu'à une remise. Paul refusa de lui dire ce qu'il faisait tous les matins. Elaine se demandait ce que Brad avait après Paul. Brad l'avait interrogée à ce sujet. Elle révéla à Paul que Brad était persuadé qu'il avait un secret. Elle le croyait également mais elle respectait l'intimité d'autrui et ne demanderait pas à Paul quel était ce secret. Paul lui demanda si elle aurait envie de lire son livre quand il l'aurait terminé. Elle répondit que ce serait un honneur. Paul le croyait que Brad pensait qu'un vieil homme ne devait pas avoir de secret.
2
Dean avait interpellé Percy. Il l'avait traité d'ordure. Percy n'avait pas répondu. La souris respirait encore. Brutus avait ramassé la bobine et avait élevé sur Paul un regard plein de stupeur. À présent, la peur de Delacroix s'était emparée de lui. Caffey avait demandé à Paul la souris. Il y avait dans son geste une prière et une intensité qui frappèrent Paul. Et sa voix exprimait une urgence. Caffey ne semblait plus porter sur ses épaules toute la misère du monde. Alors Paul posa délicatement la souris dans la main de Caffey. Caffey avait joint ses mains en coupe et les avait portées à son visage tout en écartant les doigts, de façon à créer des espaces. Brutus se rapprocha de Paul pour regarder. Dean et Harry s'approchèrent également. Caffey pressa sa bouche entre deux de ses doigts et aspira profondément. Il semblait frappé d'un mal subit et terrible. Caffey émit un puissant hoquet puis il exhala par la bouche et les narines une nuée d'insectes noirs. Puis les insectes disparurent. La souris quitta la main de son sauveur et trottina vers les barreaux. Elle alla se réfugier dans la cellule de Delacroix Delacroix se mit à rire et à pleurer en même temps et il embrassa sa souris. Les gardiens étaient ébahis. Brutus rendit la bobine à Delacroix. Il lui demanda la lancer. La souris courut après, mais pas à la vitesse qu'on lui connaissait. La souris boitait un peu.
3
20 minutes plus tard, Paul et Brutus allèrent cherchait Percy dans la réserve. La méchanceté se lisait sur son visage. Percy y avait goûté et il était accro. Il avait joui de la douleur de Delacroix. Paul lui annonça que la souris allait bien. Il lui dit aussi qu'il n'arrivait pas plus à tuer une souris qu'à faire quoi que ce soit de bon de ses 10 doigts. Comme Percy ne voulait pas le croire, Paul l'insulta. Il n'avait jamais été pris d'une telle colère envers quelqu'un. Brutus l'insulta Percy lui aussi. Percy commença à avoir peur. Il partit vérifier si la souris était bien vivante. Quand il revint, Percy semblait tenir à peine sur ses jambes. Il croyait que la souris avait été remplacée par une autre. Il menaça Paul et Brutus de les envoyer à la soupe populaire mais Paul ne fut pas impressionné. Il lui dit qu'il ne resterait pas longtemps avec eux. Brutus lui serra la main droite et le força à écouter Paul. Paul l'obligea à s'asseoir sur la chaise électrique. La méchanceté et l'arrogance de Percy s'envolèrent aussitôt. Il était paniqué. Paul lui demanda de promettre que si on le plaçait le lendemain en première ligne de l'exécution, il demanderait son transfert. Percy menaça encore de faire jouer ses relations mais Paul rétorqua qu'il pouvait très bien annoncer au gouverneur que Percy n'avait pas bougé quand Wharton avait attaqué Dean. Percy risquait un mauvais rapport qui pourrait le poursuivre pendant très longtemps. Alors Percy réfléchit et accepta la proposition. Mais il avait une lueur dans les yeux et Paul n'y attacha pas d'importance. Il était trop soulagé pour cela. Merci tendit la main à Paul et à Brutus. Ils acceptèrent la main tendue. Pauvres couillons qu'ils étaient…
4
Le jour de l'exécution de Delacroix, il y eut une tempête et un orage. Plus tard, Paul se demanda si ce déchaînement des éléments, ce n'était pas les Cieux qui protestaient contre la mort affreuse d'Édouard Delacroix. Le matin, le frère Schuster avait récité en cajun le Notre-Père avec Delacroix. Les témoins arrivèrent à 11 heures. Parmi les témoins se trouvaient la soeur de fille que Delacroix avait violée et assassinée et la mère d'une des victimes de l'incendie. Les condamnés n'étaient pas les seuls à perdre le sourire quand l'heure venait. Les témoins également. Curtis Anderson, qui représentait le directeur, fut le dernier à prendre place. À 11:30, Paul, suivi de Brutus et de Dean, alla chercher Delacroix dans sa cellule. Il pleurait. Il y avait toutes les chances que Mister Jingles ne coure plus après la bobine et cela avait pincé le coeur de Paul. Delacroix lui donna sa souris en lui demandant d'en prendre soin. Paul promit de ne pas laisser Percy approcher la souris. Paul se demanda ce qu'il allait faire de la souris durant l'exécution et Caffey lui proposa de la prendre comme s'il avait lu dans ses pensées. Delacroix dit à Paul et à Brutus qu'ils étaient des hommes bons. Il dit au revoir à sa souris en se mettant à pleurer.
Après avoir prié avec le frère Schuster, Delacroix lui adressa quelques paroles en français. Puis il regarda le pasteur avec espoir. Le pasteur expliqua à Paul que Delacroix voulait dire une autre prière. Mais le pasteur ne pourrait pas la réciter avec lui, à cause de sa foi. Paul fut d'accord. Après cela, Delacroix dit qu'il n'avait plus peur. Mais Paul voyait bien qu'il mentait. Quand Delacroix vit que Percy était posté près de la chaise électrique il refusa d'aller plus loin. Mais Paul l'encouragea alors il accepta. Il s'assit sur la chaise. Paul s'agenouilla à sa gauche et Brutus à sa droite. Dean fit signe à Percy de déclencher la phase 1. Puis Percy se plaça avec solennité devant la chaise. C'était son grand moment. En première ligne. Avec tous les regards sur lui. Il prononça le discours sans bafouiller. Il demanda à Delacroix s'il avait quelque chose à dire avant que la sentence soit exécutée. Delacroix déclara qu'il regrettait ce qu'il avait fait. Puis il demanda à Paul s'il respecterait sa promesse d'envoyer Mister Jingles à Sourisville. Paul le rassura. Mais Percy dit du coin de la bouche comme le font les voyous, pendant qu'il bouclait la large sangle du dossier en travers de la poitrine de Delacroix, que c'était une invention et que cette ville n'existait pas. Paul ne pouvait rien faire devant les témoins. Percy enfila la cagoule sur la tête de Delacroix. Mais il se trompa par la suite. L'opération suivante consistait à sortir l'éponge du seau et à la placer dans la calotte. Il prit la calotte pour la plonger dans le seau. Paul était trop troublé pour s'apercevoir de cette erreur. Pourtant lui et les autres gardiens savaient que quelque chose d'anormal était en train de se passer. Paul et ses collègues ne pouvaient pas savoir que Percy avait posé à Van Hay bien des questions. Percy voulait savoir quel était le rôle exact de l'éponge. Il avait plaqué durement la calotte sur la tête de Delacroix. De l'eau aurait dû couler de la calotte sur le visage masqué de Delacroix. Et de l'eau, il n'y en avait pas une goutte. Paul ne s'en était pas rendu compte. Quand il finit par s'en rendre compte, c'était trop tard. Il essaya de le dire à Brutus en articulant les mots en silence même Brutus ne comprit pas. Paul essaya de saisir Percy par le coude mais celui-ci s'écarta en lui jetant un regard froid. Plus tard, Percy raconterait ses mensonges et on le croirait. Sauf les gardiens, bien sûr. Percy savait exactement ce qu'il faisait. Paul ne pouvait rien faire à cause des témoins. Quand le courant fut envoyé, de la fumée s'échappa de la calotte. Delacroix commença à gigoter et à se tordre sur la chaise, en balançant la tête d'un côté et de l'autre et puis ses jambes se mirent à pistonner de haut en bas en de courtes secousses.
Il y eut un éclatement étouffé sous la calotte. Paul s'avança vers la fenêtre de la cabine mais Brutus l'attrapa par le coude. Il ne voulait pas que Paul demande à Jack d'arrêter car c'était trop tard. Les gardiens avaient entendu les hurlements de douleur de Delacroix mais pas les témoins à cause de la pluie qui battait au-dessus de leurs têtes sur le toit en tôle. Paul put entendre le craquement de l'épaule droite de Delacroix quand elle se brisa. Les cris de Delacroix furent si terriblement perçants qu'ils finirent par couvrir le vacarme de la tempête et les témoins s'en inquiétèrent. Percy regarda Delacroix, bouche bée d'horreur. Il s'était attendu à quelque chose, mais pas à cela. Enfin, la cagoule prit feu. Brutus courut à l'évier pour aller chercher de l'eau. Van Hay demanda à Paul s'il pouvait couper le courant mais Paul refusa car Delacroix vivait encore. Quand Brutus revint avec son seau d'eau, Paul lui ordonna de s'arrêter. Jeter de l'eau sur un homme qui prenait le courant n'était pas une bonne idée. Alors Brutus comprit qu'il fallait utiliser l'extincteur chimique. Dean s'approcha de Delacroix en espérant pouvoir éteindre le feu avec ses mains. Heureusement, Paul l'en empêcha. Toucher à Delacroix revenait à prendre le relais du courant. Les témoins furent pris de panique. Curtis Anderson demanda à Paul ce qui se passait. Paul lui expliqua. Cela dura encore deux minutes et Paul pensait que Delacroix était encore conscient. La fumée lui sortait par les narines et par la bouche qui avait pris une couleur prune. Les témoins se serraient dans le fond de la réserve tandis que Delacroix brûlait et le ciel en furie déversait ses trombes d'eau dans un vacarme de fin du monde. Le docteur s'était évanoui. Percy était figé d'effroi et contemplait son oeuvre. Enfin, le corps de Delacroix s'affaissa sur la chaise. Alors Paul ordonna à Jack de couper le courant. Brutus flanqua l'extincteur dans les bras de Percy et lui ordonna d'éteindre le corps de Delacroix. Anderson essaya de convaincre les témoins que tout allait bien et que ce n'était rien qu'une surcharge de puissance due à l'orage. Puis Paul ordonna à Dean de prendre le stéthoscope du médecin pour vérifier que Delacroix était bien mort. Paul ordonna à Percy de descendre dans le tunnel et d'attendre près de la civière. Paul put vérifier que Delacroix était bien mort. Alors il demanda à Brutus et à Dean d'apporter la civière.
5
Pendant que Curtis Anderson calmait les témoins, Paul dirigeait son équipe dans le tunnel. Il réussit à empêcher Brutus de frapper Percy. Il expliqua à Brutus ce que s'il frappait Percy, tout le monde trinquerait. Percy prétendit qu'il ne savait pas qu'il fallait mouiller l'éponge. C'était la misérable défense qu'il avait préparée. Brutus l'insulta. Paul lui dit que Percy ne valait pas la peine d'être frappé. Percy fut choqué qu'on parle de lui comme s'il n'était rien du tout. Et Paul le lui confirma qu'il n'était rien du tout. Il rappela sa promesse de demande de transfert. Harry rajouta qu'il avait intérêt à partir sinon il ferait plus ample connaissance avec Wharton et que les gardiens pourraient même y veiller. Curtis Anderson arriva. Il demanda des explications. Brutus bluffa en disant que l'exécution avait réussi. Anderson était outré car les témoins n'étaient pas prêts de retrouver le sommeil après ce qu'ils venaient de voir. Mais Brutus rétorqua que la plupart des témoins diraient à leurs copains que ce n'était que justice car Delacroix avait brûlé vif un tas de gens. Paul expliqua à Anderson que Percy avait déconné et rien d'autre. Il valait mieux qu'Anderson croie à une grave erreur qu'à une intention malveillante. Anderson exigea un rapport détaillé pour le lendemain. Anderson voulait être le premier à annoncer au directeur l'événement. Puis il se tourna vers Percy en affichant une expression de profond dégoût. Il le traita de petit merdeux. Il lui annonça qu'il était dans la merde. Paul annonça à Anderson que Percy allait demander son transfert et qu'en attendant il se ferait porter pâle, ajouta à Dean. Percy n'avait pas apprécié car il savait ne pas avoir travaillé assez longtemps à la prison pour avoir droit à un congé de maladie.
6
Paul avait ordonné à Percy de nettoyer la réserve. Il rédigea le rapport qu’Anderson lui avait commandé. Il entendit Wharton qui avait composé une chanson pour se moquer de la mort de Delacroix. Il lui ordonna de se taire. Puis il alla voir Caffey. Celui-ci avait les yeux rouges et semblait épuisé. Mister Jingles ne reparut pas.
7
Paul rentra chez lui. Janice l'attendait, comme elle le faisait toujours après une exécution. Elle lui demanda comment cela s'était passé. Alors il lui raconta. Au milieu de son récit, il éclata en sanglots. Janice prit sa tête contre son sein. Il se sentit un peu mieux. Pour la première fois, il eut une conscience claire de son projet. Il avait remarqué que Caffey et Melinda, la femme du directeur, avaient exactement le même regard : perdu et empli d'une grande tristesse. Un regard mourant. Paul rêve de Caffey. Dans son rêve, Paul s'agenouillait devant Caffey et lui prenait les mains. Ses poings se détendaient et révélaient leurs secrets. Dans l'un, la bobine coloriée en vert, rouge et jaune. Dans l'autre, la chaussure d'un gardien de prison. Caffey disait qu'il n'avait pas pu faire autrement, qu'il avait essayé mais que c'était trop tard. Et, cette fois, dans son rêve, Paul comprit ce que Caffey voulait dire.
8
Le lendemain, Hal téléphona à Paul. Il avait appris ce qui s'était passé. Paul voulait savoir qui avait informé le directeur mais celui-ci refusa donner le nom de son informateur. Le directeur avait appris la demande de transfert de Percy. Il comptait la signer dans l'après-midi même. Il faudrait attendre encore un mois avant le départ de Percy. Paul en eut le coeur serré. Il avait en tête son projet. Le directeur savait que Paul avait peur que Percy sont encore présents pour l'exécution de Caffey. Alors il conseilla à Paul de remettre Percy à la cabine. Paul voulait savoir comment allait Melinda et le directeur répondit qu'elle était en train de sombrer. Le directeur expliqua à Paul que la maladie avait provoqué quelque chose de surprenant chez Melinda. À présent, elle disait des gros mots. À cause de cela, Hal n'osait pas inviter chez lui le Pasteur Donaldson. Avant de raccrocher, Hal demanda à Paul de prier pour Melinda. Paul pensa qu'il ferait peut-être beaucoup plus que prier. Janice avait deviné que Paul préparait quelque chose. Il lui dit qu'il valait mieux qu'elle ne le sache pas tout de suite. Elle voulut simplement savoir si ce projet pouvait lui attirer des ennuis et il répondit que c'était possible. Elle voulut savoir s'ils auraient des invités à déjeuner et il répondit qu'il l'espérait.
9
Paul invita Brutus, Harry et Dean à déjeuner chez lui. Janice prépara le repas mais elle ne voulut pas manger avec Paul et ses collègues car elle ne voulait pas savoir ce qu'ils complotaient. Paul leur parla de Mister Jingles et de Caffey. Brutus avait vu la souris ressusciter dans les mains de Caffey. Paul leur expliqua que Caffey l'avait guéri son infection urinaire. Brutus demande à Paul si lui aussi avait vu des moucherons quand Caffey l'avait guéri. Paul le lui confirma. Il pensait que ces moucherons étaient le mal lui-même. Harry pensait que Caffey prenait le mal en lui et le relâchait en l'air pour ne pas mourir lui-même. Brutus demanda à Paul si Caffey avait aspiré le mal comme il l'avait fait avec la souris. Paul répondit que Caffey avait simplement posé sa main sur son ventre. Brutus expliqua que les prêcheurs dans les églises chantaient que Dieu guérissait par les mains et par le souffle. Dean pensait que Caffey était peut-être l'instrument de Dieu. Mais il se demandait ce qu'ils avaient à voir là-dedans, eux. Alors, Paul leur expliqua ses intentions. Il voyait la stupeur envahir le visage de ses collègues. Après quoi, Brutus dit que s'ils se faisaient prendre, ils risquaient de perdre plus que leur boulot. Paul avait l'intention de demander à Caffey de guérir Melinda. Brutus pensait que Paul voulait compenser ce qui était arrivé à Delacroix. Il avait raison. Ils étaient tous responsables de ce qui était arrivé à Delacroix parce qu'ils avaient laissé Percy rester au bloc. Il n'était peut-être pas trop tard pour laver la boue de leurs mains. Harry demanda si Caffey accepterait de guérir la femme du directeur. Paul le croyait. Brutus leur rappela que Percy était toujours présent à la prison. Alors Paul leur confia son petit projet concernant Percy. Brutus et Dean furent admiratifs. Harry demandait encore à être convaincu. Paul comptait sur le fait que Percy auraient peur de parler. Brutus pensait que le projet pouvait fonctionner mais il pensait que ce serait mieux d'amener Melinda à Caffey plutôt que le contraire. Paul pensait que c'était impossible car Hal refuserait. Il espérait bénéficier de l'effet de surprise en amenant Caffey chez le directeur. Paul voulait faire sortir Caffey avec sa propre voiture. Mais Dean affirma que sa voiture était trop petite. Paul comprit que le transport de Caffey ne serait pas aussi simple qu'il l'avait espéré. Alors Harry proposa de prêter son camion. Dean avait peur que Caffey s'échappe du camion et alors les gardiens seraient obligés de l'abattre. Et si par malheur Caffey arrivait à leur échapper, il pourrait assassiner quelqu'un d'autre. Dean ne voulait pas avoir une petite fille morte sur la conscience. Paul voulait les convaincre que Caffey était innocent. Alors Paul leur expliqua qu'il y avait deux choses. Et l'une d'elle était sa chaussure.
Cinquième épisode : l'équipée nocturne.
1
Paul découvrit qu'écrire était une manière particulière et plutôt terrifiante de se souvenir et qu'il pouvait y avoir dans le processus une violence s'apparentant au viol. Il croyait que l'alliance de la plume et de la mémoire engendraient une espèce de magie dangereuse. En écrivant le récit de la mort de Delacroix, l'odeur immonde de la chair humaine calcinée lui était revenue. Il avait écrit toute la journée, la veille. Le lendemain matin, il fit sa promenade et s'arrêta à l'endroit où se trouvaient deux remises. Il pénétra dans la seconde et y resta un petit moment. Le soir, il se coucha tôt et réussit à dormir facilement. Il savait que Dolan cherchait à savoir quel était le but de sa promenade matinale. Il avait peur de se faire prendre. Elaine entra dans sa chambre le lendemain matin. Il s'était réveillé en retard. La voiture de Dolan était déjà dans le parking. Elaine avait compris que Dolan était un sale petit fouineur et que Paul le redoutait. Elle lui annonça qu'il n'était pas dans l'aile Ouest. Il était encore dans la cuisine. Elle avait compris que Paul ne pouvait pas remettre sa promenade mal à plus tard. Elle lui demanda s'il connaissait M. Howlan. Paul acquiesça. Howland faisait parti des cinq résidents qui avaient encore le droit de fumer. Elaine lui avait demandé une cigarette. Elle avait l'intention de la fumer. Elle avait l'intention de déclencher l'alarme incendie. Paul la regarda avec admiration et il l'embrassa sur la bouche. Il lui dit qu'il l'aimait. Elle était contente.
Paul attendit que l'alarme se déclenche et il sortit. Trois garçons de salle se dirigèrent à l'ouest, là où l'alarme s'était déclenchée. Les résidents reçurent l'ordre de sortir dans le jardin. Quand Paul passa devant et les cuisines, Georges, le cuistot, lui annonça que Dolan le cherchait. Alors Paul s'en alla après avoir demandé au cuistot ses deux tranches de pain habituelles. Sur le chemin, il repensa à la réponse qu'il avait donnée à Dean quand celui-ci lui avait dit ne pas vouloir la mort d'une petite fille sur la conscience.
2
Paul chercha à convaincre ses collègues de l'innocence de Caffey. Il leur expliqua que la veille au soir, il avait enlevé une de ses chaussures pour la donner à Caffey. C'était après l'exécution de Delacroix, quand le calme était un peu revenu. Il avait demandé à Caffey de renouer le lacet. Les détenus portaient tous des pantoufles car un homme qui voulait se suicider pouvait y arriver avec des lacets. Caffey avait posé la chaussure sur ses genoux mais n'avait pas réussi à renouer le lacet. Il avait appris à faire ses lacets mais il avait oublié le geste. Après quoi, Paul leur raconta l'histoire de l'enlèvement et du meurtre des petites filles grâce à tout ce qui, à la bibliothèque de la prison et à tout ce que Hammersmith lui avait dit. Quand le shérif adjoint avait arrêté Caffey, il lui avait demandé ce qu'il y avait dans sa poche de salopette. C'était un sandwich mais Caffey ne se souvenait pas de la personne qui le lui avait donné, à part que c'était une femme portant un tablier. Il n'y avait pas de saucisses dans le sandwich alors que le suspect était censé avoir attiré le chien des petites filles avec des saucisses. Dean pensait que Caffey avait donné les saucisses de son sandwich. Paul pensait que si Caffey avait déballé son casse-croûte pour appâter le chien avec les saucisses, il n'aurait pas été capable de reficeler le paquet contenait le sandwich. Et quand le shérif adjoint avait arrêté Caffey, il l'avait vu sortir de la poche de sa salopette un paquet ficelé. Brutus demanda à Paul comment cela se faisait que personne n'en avait parlé au procès. Paul répondit que personne n'y avait pensé. Paul revoyait Hammersmith qui était allé à l'université et qui aimait se présenter comme un homme éclairé et avait pourtant dit que les chiens bâtards et les nègres étaient pareils car ils pouvaient vous mordre sans raison. En ce temps-là, le Sud grouillait de Hammersmith. Paul pensait que personne n'était assez objectif pour avoir seulement l'idée d'innocenter Caffey, pas même son avocat. Harry annonça qu'ils avaient devant eux Sherlock Holmes en personne. Il avait dit ça en rigolant mais ses yeux, eux, ne riaient pas. Paul se souvenait de ce que Caffey lui avait dit après l'avoir guéri. Caffey avait dit : « j’ l'ai fait. J’ l'ai fait, pas vrai ? ». Paul avait lu dans les journaux que Caffey avait répondus au shérif adjoint, quand celui-ci lui avait demandé ce qui s'était passé, il n'avait pas pu faire autrement, qu'il avait essayé, mais c'était trop tard. Paul pensait qu'un homme qui disait ça alors qu'il avait le cadavre ensanglanté d'une fillette sous chaque bras, les fillettes blanches et blondes et lui nègre et grand comme une maison ; ce n'était pas étonnant que la police et la justice l'aient compris de travers. Ils avaient traduit ses paroles en fonction de ce qu'ils avaient sous les yeux, c'est-à-dire un Noir. Ils avaient pensé que Caffey avouait son crime et avait tenté de s'arrêter avant qu'il soit trop tard. Paul pensait que Caffey avait essayé de leur dire qu'il les avait découvertes et s'était efforcé de les guérir mais qu'il n'avait pas pu parce qu'elles étaient trop abîmées ou déjà mortes.
Harry demanda à Paul quelle était l'autre raison qui avait convaincu Paul de l'innocence de Caffey. Paul répondit que les hommes qui étaient partis à la recherche des petites filles avaient trouvé près de la rive sud de la rivière le reste de la chemise de nuit de Cora. C'était au même endroit que le chien s'était disputé sur la direction à prendre. Sur les six chiens, les limiers et les fox-hounds tiraient vers l'aval mais les deux bâtards (qu'on appelait des « chiens à nègre » car ils étaient dressés pour traquer des esclaves ensuite) voulaient se diriger en amont. C'était Bobo Marchant qui dirigeait les chiens. Brutus comprit que les chiens bâtards s'étaient trompés de lièvre. Ils avaient oublié ce que beaucoup leur avait fait sentir au départ. Quand les bâtards étaient arrivés à la rivière, ce n'était plus l'odeur des fillettes qu'ils avaient sentie, mais celle du tueur. Et il n'y aurait jamais eu de problème si le tueur avait encore été avec les petites. Paul pensait que jamais Caffey n'aurait eu l'idée de faire taire le chien des petites filles avec de la nourriture jusqu'à ce qu'il puisse lui rompre le cou. Paul pensait que Caffey ne s'était jamais approché de la ferme mais devait traîner le long de la rive. Caffey avait dû entendre le viol des petites filles. Le véritable tueur s'était dirigé au nord, là où les chiens bâtards voulaient aller. Caffey avait dû essayer de sauver les petites filles mais ça n'avait pas marché et s'était effondré en pleurant et en poussant des grands cris. Brutus demanda à Paul pourquoi Caffey n'était pas resté là où il avait découvert les petites filles mais les avait emmenées avec lui plus bas au bord de la rivière. Paul pensait que Caffey avait peut-être paniqué en voyant qu'il ne pouvait rien faire pour les petites filles. Ou il avait peut-être pensé que le tueur était encore tout près, à le guetter. Caffey n'était pas très courageux. Harry se souvenait que Caffey avait demandé si la lumière était laissée la nuit après le coucher. Il avait trouvé ça drôle de la part d'une baraque pareille. Dean Martin demanda à Paul qui avait tué les petites filles. Paul pensait que ce devait être un Blanc Brutus demanda ce qu'on pouvait faire pour Caffey. Paul n'en savait rien. Pour le moment, la question était de savoir ce qu'on pouvait faire pour Melinda.
Tous les collègues de Paul acceptèrent de l'aider dans son projet. Alors Paul demanda à Dean d'être celui qui resterait au bloc. Dean était furieux et voulait savoir pourquoi ce devait être lui qui resterait. Brutus lui expliqua que celui qui devait prendre le moins de risques c'était Dean car ses enfants allaient encore à l'école. Il dit à Paul que s'ils arrivaient à faire sortir Caffey et à l'amener jusqu'à Melinda mais qu'il soit incapable de la guérir, ce serait le directeur en personne qui les livrerait à la police. Paul savait que Dean obéirait car l'argument des enfants était convaincant. Le projet serait exécuté la nuit même. Janice revint à ce moment-là et demanda à Paul dans quoi il entraînait ses amis. Puis elle lui dit qu'elle ne voulait pas le savoir.
3
Janice demanda si le projet était en rapport avec Melinda. Paul acquiesça. C'était peut-être la seule chance qui restait à Melinda. Alors Janice lui demanda de saisir cette chance.
4
Ce soir-là serait la soirée la plus folle de toute la vie de Paul. Harry avait amené le camion à l'endroit prévu. Dean s'était rendu à l'infirmerie comme convenu. Les gardiens avaient bu du café tout en espérant que Percy serait en retard ou qu'il ne viendrait pas du tout. C'était possible, vu les réactions d'hostilité qu'il avait récoltées après l'électrocution de Delacroix. Mais Percy arriva à 19:06. Il regarda les gardiens d'un air méfiant. Pendant les prochaines heures, les gardiens devraient adopter à l'égard de Percy une conduite ni trop hostile ni trop amicale. Percy ne devait pas suspecter la moindre marque d'amabilité. Il importait pour Paul que personne ne soit blessé. Pas même Percy. Paul lui demanda d'aller à la réserve pour laver le sol après quoi il pourrait rédiger son rapport sur la nuit d'avant. Paul alla voir Wharton. Jusqu'ici, les gardiens ne lui avaient pas accordé le respect auquel il s'attendait mais, ce soir-là, Paul tenait à ce que Wharton soit le plus maniable possible. Il était donc prêt à lui passer la pommade. Paul remarqua que pour une fois Caffey était assis sur son lit, les mains croisées sur les genoux. Pour une fois, il avait les yeux secs. Caffey dit à Brutus qu'une balade lui plairait. Caffey savait qu'elle était le projet de Paul. Paul n'en était pas étonné.
5
Vers 20:45, les gardiens achetèrent assez de saloperies à Toot-Toot pour le faire sourire d'avarice.
Percy revint de la réserve vers 22:45. Il rendit son rapport à Paul. Dean et Harry jouaient aux cartes tout en regardant la pendule toutes les cinq secondes. Il y avait de la tension dans l'air. Seuls Percy et Wharton semblaient ne rien remarquer. Paul offrit un Coca-Cola à Wharton pour le récompenser de s'être bien tenu pendant toute la soirée. Il y avait assez de somnifère dedans pour mettre Wharton hors circuit pendant deux jours. À 0:40, Paul décida qu'il était temps d'y aller. Harry alla chercher la camisole de force et la donna à Brutus. Ensemble, ils se rendirent dans le bureau de Paul où se trouvait Percy. Il était en train de lire une bande dessinée pornographique dissimulée dans un livre. Cela fit rire Brutus. Percy était rouge comme une tomate. Puis il se mit à crier au secours. Les gardiens hésitèrent, sauf Brutus qui ordonna à Percy de se taire.
Mais Percy refusa qu'on lui passe la camisole de force alors Brutus lui tordit les oreilles. Percy hurla. Pour la première fois de sa vie, Percy réalisait que les malheurs n'arrivaient pas seulement aux autres, ceux qui n'avaient pas la chance d'être apparentés au gouverneur. Après quoi, Paul n'eut aucun mal à enfiler la camisole sur Percy. Mais il refusa de bouger car il croyait que les gardiens voulaient le mettre dans la cellule de Wharton. Il était persuadé que sa punition serait un enfilage à sec par Wharton. Paul comprit que Percy les jugeait d'après ce qu'il aurait fait lui-même à leur place. Paul lui expliqua qu'il serait placé dans la cellule d'isolement pendant trois ou quatre heures à penser à ce qu'il avait fait à Delacroix. Percy marmonna que les gardiens le regretteraient mais il avait quand même l'air plutôt soulagé et rassuré.
Quand les gardiens débouchèrent avec Percy dans le couloir, Dean mima la stupeur et l'innocence. Il leur dit que la plaisanterie était allée trop loin. Brutus lui ordonnant de se taire. Ce dialogue faisait partie du scénario concocté au déjeuner. Caffey dit à Percy qu'il était un mauvais homme et qu'il méritait d'aller dans la pièce noire. Harry retira l'arme et la matraque de Percy avant de l'enfermer dans la cellule d'isolement. Puis Paul plaqua du chatterton sur la bouche de Percy. Les armes de Percy furent confiées à Dean. Les gardiens libérèrent Caffey.
Puis ils demandèrent à Dean de réciter son texte dans le cas où quelqu'un débarquerait dans la prison. Il devait expliquer que Caffey avait été placé à l'isolement. Il dirait également que Paul était allé l'administration pour faire son rapport sur Delacroix. Quant à Harry et Percy ils étaient allés laver le linge à la blanchisserie. Tout à coup, Wharton qui était censé baigner dans un quasi coma, se leva pour saisir la manche de Caffey. Caffey aspira l'air entre ses dents et ouvrit de grands yeux. Pendant un moment, il parut étrangement éveillé, lucide et conscient à Paul. Caffey regarda Wharton puis son regard descendit sur la main et remonta sur le visage. Wharton ne se souviendrait de rien plus tard. Puis Brutus retira la main de Wharton du bras de Caffey. Les yeux de Caffey reprirent leur expression éteinte comme si on venait de couper la méchante lumière qui les éclairait l'instant d'avant. Puis Brutus ordonna à Wharton d'aller se coucher. Brutus demanda à Caffey s'il savait ou les gardiens le conduisaient. Caffey répondit que c'était pour aider une dame. Brutus lui demanda comment il pouvait le savoir. Caffey répondit qu'il ne le savait pas et qu'il ne savait pas grand-chose.
6
Caffey regarda la chaise électrique en rejoignant Brutus. Paul remarqua que Caffey avait la chair de poule. Caffey ne voulait plus bouger. Il dit quelque chose d'une voix basse, comme absent. Il dit que des morceaux des condamnés étaient encore présents. Il pouvait les entendre qui hurlaient. Paul n'oublia jamais ce que Caffey avait dit à ce moment-là. Pour la deuxième fois en moins de cinq minutes, Paul sentit que son projet était sur le point de s'effondrer. Alors il intervint. Quand le désastre menacerait à la troisième occasion, un peu plus tard, ce serait Harry qui relèverait le gant. Paul claqua des doigts et se plaça devant la chaise électrique sur la pointe des pieds pour être sûr de la masquer aux yeux de Caffey. Il ordonna à Caffey de marché et Caffey obéit. Pour aller plus vite, Paul demanda à Caffey de s'allonger sur un chariot et ils longèrent ainsi le long tunnel Caffey trouvaient cela marrant. Ils sortirent de la prison. Caffey était heureux de marcher dehors. Ils trouvèrent le camion d'Harry que celui-ci avait pris le soin de camoufler. Caffey monta à l'arrière du camion avec Paul. Caffey sourit car il était content que la balade commence. Il s'assit le dos à la cabine, sans jamais détacher les yeux du ciel nocturne. Sur son visage dansait une expression d'insouciant bonheur. Ses larmes éternelles s'étaient taries.
7
La maison de Hal n'était qu'a 40 km de la prison mais le trajet dura plus d'une heure avec l'antique camion d'Harry. En regardant John contempler les étoiles, Paul constata avec horreur qu'il n'avait plus la moindre foi en ses dons. De plus il commençait à se rendre compte que le directeur n'accepterait pas qu'un condamné à mort pour le viol et le meurtre des deux petites filles pose les mains sur sa femme. Paul se disait qu'il n'avait qu'à taper la vitre du chauffeur et demander Harry de foutre le camp dare-dare mais Caffey lui saisit l'avant-bras et le força à se rasseoir. Il lui annonça que quelqu'un était réveillé dans la maison. En effet, il y avait de la lumière à l'une des fenêtres de derrière. La lumière de la cuisine fut également allumée. Puis ce fut celle du salon. Caffey entraîna Paul. Il était enthousiaste. Paul se rendit compte que Brutus et Harry étaient aussi déboussolés que lui. Il était trop tard pour reculer. Paul demanda à Harry de rester près du camion avec Caffey. Il ne voulait pas que Moores le voie avant de lui avoir tout expliqué. Hal (d'entrée. Il était armé d'un pistolet. Quand il se rendit compte qu'il était en face de Paul et d'Harry, sa colère fit place à la stupeur. Il leur demanda la raison de leur présence. Son expression se durcit quand il s'aperçut qu'il y avait d'autres personnes près du camion. Paul fut incapable de parler. Il avait soigneusement préparé son texte mais à présent son petit discours bien rodé était emporté dans une sarabande d'images folles. Il voyait Delacroix brûler et la souris mourir. Puis Harry avança avec Caffey. Le directeur leur ordonna d'arrêter. Au même moment, Melinda demanda à son mari ce qu'il faisait dehors en le traitant de suceurs de bites. Cela surprit Hal. Harry ne lui donna pas le temps de faire feu. Il se planta devant Caffey pour le couvrir. Harry expliqua au directeur qu'ils étaient là pour aider. Au même moment, Melinda demanda à son mari de revenir pour lui défoncer l'anus. Et d'amener ses potes pour qu'ils lui barattent un bon coup, eux aussi. Paul était bouleversé même si Hal lui avait bien dit que la tumeur de Melinda la faisait jurer comme un charretier et proférer des obscénités. Caffey souleva gentiment Harry et le reposa sur le côté. Il se plaça entre Brutus et Paul. Soudain, le monde reprit sa place pour Paul. Paul comprit pourquoi Harry avait été le seul capable de réagir. C'était parce qu'il était près de Caffey et l'esprit du bien qui s'opposait au démoniaque était du côté de Caffey, cette nuit-là. L'esprit du bien venait de prendre le contrôle de la situation. Caffey dit au directeur qu'il voulait aider. Le directeur, la bouche ouverte, leva vers Caffey un regard fasciné. Caffey le délesta de son pistolet et le donna à Paul sans se retourner. Caffey dit au directeur qu'il voulait aider sa femme. Melinda ordonna à son mari de faire partir les intrus. Quelque chose se brisa, un verre peut-être puis Melinda se mit à sangloter. Moores expliqua à Caffey que personne ne pouvait l'aider. Brutus rétorqua que lui et ses collègues pensaient Caffey capable d'aider. Les gardiens n'avaient pas risqué leur boulot en plus d'un séjour de l'autre côté des barreaux pour venir jusqu'à la maison du directeur et faire demi-tour sans donner à Caffey une chance d'essayer. Et puis Caffey prit les rênes. Il entra dans la maison et se dirigea vers la chambre de Melinda. Les gardiens venaient de comprendre que l'affaire ne les concernait plus, elle repose désormais entre les mains de Caffey.
8
La chambre de Melinda empestait à cause de ses déjections. Paul pensa qu'ils étaient arrivés trop tard. Il avait suffi de quelques jours pour que la tumeur resserre sa prise et défigure sa proie. Paul remarqua le visage de Melinda qui exprimait la peur et l'horreur. Melinda étaie fascinée. Elle demanda à Caffey de baisser son pantalon car elle avait entendu toute sa vie parler des braquemars des nègres sans jamais en voir un. Caffey ne broncha pas. Il observa Melinda pendant un moment et il s'approcha. Tandis que John Caffey s'avançait, l'expression de Melinda se modifiait. Paul pouvait reconnaître peu à peu sur son visage, cette gentillesse qu'il avait pu apprécier durant toutes ces années. Elle demanda à John qui il était. Elle avait remarqué ses cicatrices et lui avait demandé qui lui avait fait du mal. Il répondit qu'il ne s'en souvenait pas. Elle trouvait cela merveilleux de ne pas se souvenir de qui lui avait fait du mal. Caffey répondit que cela lui permettait de pouvoir dormir. Melinda se mit à rire. À ce moment-là, Hal serra très fort le bras de Paul. Melinda demanda à Caffey quel était son nom et quand il lui dit, elle répondit : « comme la boisson ». Il précisa que cela ne s'écrivait pas pareil. Quelque chose allait se passer. Quelque chose d'incroyable. Tous le ressentaient. Caffey s'inclina vers Melinda. Il dit qu'il voyait le mal et qu'il pouvait aider. Il leva une main, les doigts écartés, comme pour demander à Melinda d'attendre. Il s'approcha du visage de Melinda et ses lèvres douces pressèrent celles de Melinda. Paul remarqua l'expression de stupeur sur le visage de Melinda. Caffey aspira l'air des poumons de Melinda. La maison entière frémit, au même moment. Une vitre vola en éclats et la vieille horloge tomba. Paul vit de la fumée qui s'élevait du couvre-lit. Il dégagea son bras de l'étreinte de Hal pour saisir le verre d'eau sur la table de nuit et éteignit le feu naissant. Caffey maintenait son baiser intime et profond, aspirant sans cesse, une main toujours levée, l'autre en appui sur le lit pour soutenir son poids. Soudain, Melinda arqua le dos et bâtit l'air d'une de ses mains. Et puis un hurlement déchira la nuit. Une rafale de vent ébranla la maison. John s'écarta de Melinda. Le côté droit du visage de Melinda ne penchait plus. Elle semblait avoir rajeuni de 10 ans. Caffey fut pris d'un accès de toux. Il tomba par terre. Paul s'attendait à ce que Caffey recrache le nuage d'insectes mais Caffey continuait de tousser. Alarmé, Brutus se précipita auprès de lui et passa un bras autour des larges épaules secouées de spasmes. Hal alla s'asseoir à côté de sa femme. Brutus cria à John de cracher les insectes. Mais John continuait de tousser et de s'étrangler. Caffey était en train de s'étouffer. Il fut pris d'un hoquet très violent. Et sa toux parut se calmer un peu. Il demanda à Paul de s'occuper de la dame. Paul réalisa que les cheveux de Melinda avaient retrouvé leur couleur châtaine. Elle demanda pourquoi elle était dans sa chambre. Elle croyait qu'elle devait aller à l'hôpital mais son mari lui dit que tout cela était fini. Il lui dit qu'elle n'avait rien. Hal et éclata en sanglots. Elle demanda qui était ce nègre et pourquoi il était là. Paul demanda à John de regarder la dame. John obéit. Son visage était couleur de cendre et il paraissait 10 ans de plus. Melinda lui demanda de nouveau son nom et il lui répondit. Melinda lui dit qu'elle avait rêvé de lui. Il errait dans l'obscurité et elle l'avait rencontré. Melinda se leva. Elle passa ses bras autour de John et le serra contre elle. Caffey lui caressa la tête. Paul le regarda. Il lui trouva l'air terriblement malade.
Melinda remercia John. Harry signala à Paul qu'il était prêt de 3:00 du matin. Il fallait repartir sans tarder. Paul annonça au directeur qu'il allait s'en aller et lui dit de retenir une chose : il n'avait jamais vu les gardiens ni Caffey cette nuit-là.
Le directeur remercia Paul. Paul répondit que c'était John qu'il fallait remercier. Alors Hal serra la main de John et le remercia de tout son coeur. Melinda reconnut enfin les gardiens et leur demanda de rester pour prendre le thé. Brutus la remercia en lui disant qu'ils étaient obligés de s'en aller. Melinda serra John de nouveaux dans ses bras. Elle lui offrit une médaille en argent. C'était une médaille de saint Christophe. Caffey ne toussait plus mais il avait l'air plus gris et plus malade que jamais. Il remercia Melinda. Elle le remercia également.
9
Paul était dans la cabine avec Harry pendant le trajet du retour. Ils firent une pause pipi. Paul pouvait entendre la respiration sèche et chuintante de John qui n'avait pas voulu sortir du camion. Brutus dit tout bas à Paul que Caffey ne s'assiérait jamais sur la chaise électrique. Il pensait que comme Caffey avait avalé le mal au lieu de le recracher, il devait avoir une raison. Paul se dit que Brutus avait raison. Si Caffey devait mourir, Paul préférait que ce ne soit pas par lui.
Paul s'endormit et rêva pas Golgotha. Il se voyait avec ses camarades habillés en centurions regardant trois croix qui se dressaient sur la colline avec trois crucifiés : Percy, Delacroix et Caffey. Lui-même tenait un marteau maculé de sang. Brutus criait qu'il fallait décrocher Caffey de la croix. Il fallut aider Caffey à sortir du camion. Il toussait encore. Paul pensait que Caffey voulait empêcher le mal de s'échapper. Longtemps plus tard, quand il repensa à cette nuit, Paul se disait qu'il avait deviné juste et faux à la fois. Ils ramenèrent Caffey dans sa cellule mais leur nuit était loin d'être terminée. Négocier avec Percy serait plus facile et plus dur qu'ils ne s’y attendirent.
Sixième épisode : Caffey sur la ligne.
1
Paul s'était endormi au moment où il était en train d'écrire le passage dans lequel Harry avait dit à ses camarades que la nuit ne serait pas terminée tant qu'ils n'auraient pas réglé le cas de Percy. Il s'était endormi sur la table. Il décida de remettre à plus tard sa petite promenade matinale. Il ne se sentait pas d'humeur à jouer au chat et à la souris avec Dolan. Il voulait terminer son histoire. Il voulait se libérer du fantôme envahissant de John Caffey. Il retourne au solarium pour continuer son récit. Mais Dolan arriva et le regarda en souriant. De là lui reprocha d'avoir passé la nuit à écrire. Paul lui demanda ce qu'il lui avait fait. Dolan répondit que c'était peut-être sa gueule qu'il n'aimait pas. Dolan voulait savoir ce que Paul écrivait. Il obligea Paul à lui montrer ses feuillets. Il serra très fort le poignet de Paul. À ce moment-là, Elaine intervint. Paul décela de la rage dans le regard d'Elaine. Elle ordonna à Dolan de partir. Elle le traita de rat. Dolan était furieux. Il savait qui avait déclenché le détecteur de fumée. Il lui ordonna de s'en aller. Mais au lieu de cela, elle lui dit que s'il appelait Paul encore une fois Paulie elle lui garantissait qu'il serait viré. Elle était la grand-mère du président de la chambre des représentants de Géorgie. Elle avait donc les moyens de menacer Dolan. Le sourire de Dolan s'effaça immédiatement de son visage. Paul se mit à rire car il repensait aux menaces de Percy. C'était la première fois qu'il entendait de nouveaux la même mise en garde mais proférée à son bénéfice. Dolan regarda Paul avec un air mauvais. Mais il obéit à Elaine quand elle lui ordonna de sortir.
Elle caressa le front de Paul. Il ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, il avait pris une décision. Il donna à Elaine son récit. De plus, quand elle aurait fini de lire, il lui montrerait l'objet de ses promenades matinales.
Elle se leva, se pencha vers Paul et l'embrassa au-dessus du sourcil, là où ça lui donnait toujours des frissons. Elle lui souhaita bonne chance pour qu'il réussisse à vaincre ce qui le tourmentait depuis si longtemps. Il se remit à écrire avec l'espoir que ce serait pour la dernière fois. La dernière ligne droite.
2
Les gardiens avaient reconduit John dans sa cellule en lui faire sans parcourir le chemin du retour sur un chariot. Paul remarqua avec horreur que le coin droit des lèvres de Caffey présentait le même rictus que chez Melinda. Dean les avait entendus et accourut à leur rencontre. Il fut interloqué par la faiblesse de Caffey. Dean n'avait pas vu un chat de la nuit. Il demanda des nouvelles de Melinda. Il apprit qu'elle allait bien. Brutus accompagna Caffey jusque dans sa cellule en lui demandant de se reposer car il l'avait bien mérité. John semblait avoir pris la place de celle qu'il avait «tirée de la tombe » comme avait dit Harry. Paul ordonna à Dean d'aller chercher le pistolet et la matraque de Percy. Puis ils se dirigèrent vers la cellule d'isolement. Percy avait réussi à desserrer notablement son bâillon. Paul lui montra le pistolet et la matraque. Il lui demanda s'il voulait récupérer ses armes. Paul pensait qu'il avait tous les atouts en main pour amener Percy là où il voulait. Il enleva le bâillon de Percy après lui avoir fait jurer de rester tranquille.
Percy leur ordonna d'enlever la camisole mais Paul le gifla. Dean poussa un hoquet de stupeur. Puis Paul menaça Percy de le faire molester par des gens qui avaient des amis ou des frères derrière les barreaux s'il refusait de se taire. Mais il promit de laisser Percy tranquille jusqu'à son départ si celui-ci acceptait d'en rester là. Percy accepta. Brutus le menaça de le retrouver si Percy trahissait sa promesse. Après quoi, Paul demanda à Harry de retirer la camisole. Paul pensait que Percy resterait tranquille peut-être une semaine mais à la fin, il retrouverait fois en ses protecteurs et il parlerait. Percy réclama ses armes. Paul les lui rendit. Percy remonta la ligne verte, oubliant dans son émoi pourquoi ce couloir était si large. Il avait déjà commis cette erreur une fois et s'en était tiré. Il n'aurait pas une seconde chance. Paul le rattrapa en cherchant un moyen de le calmer et les trois autres le suivirent. Caffey attrapa Percy et le plaqua contre la grille de sa cellule. Percy eut le temps de le frapper à la tempe avec sa matraque mais John n'avait pas bronché et il avait collé ses lèvres contre celles de sa proie. Paul perçut très nettement le chuintement d'une expiration longtemps retenue. Percy hurla et tenta de se dégager. Pendant un instant, leurs lèvres se décélèrent légèrement et Paul put voir le tourbillon de points noirs qui surgissait de la bouche de Caffey et pénétrait dans celle de Percy. Paul eut l'impression que le sol tremblait comme dans la chambre de Melinda. Un des plafonniers grillagés explosa dans une pluie de verre brisé. Ce que Caffey avait pris à Melinda, c'était maintenant Percy qui l’avait. Brutus voulut aider Percy à marcher mais Paul l'en empêcha. Avant même que les gardiens réalisent ce qui se passait, Percy dégaina son pistolet et vida les six coups de son barillet sur Wharton. Dean se précipita sur Percy pour lui arracher son pistolet mais il ne n'eut pas à le faire car Percy lâcha son arme. Paul regarda en direction de la cellule de Caffey. Il était assis au bout de son lit et il n'avait plus du tout l'air malade. Soudain, Percy ouvrit grand la bouche et vomit un nuage noir. Puis la nuée vira au blanc et l'instant d'après, il n'y avait plus rien. Les gardiens s'entendirent tous pour affirmer qu'ils n'avaient rien vu. Paul leur expliqua l'histoire simple qu'ils devraient raconter.
3
Paul avait raconté ces événements à Janice le lendemain matin. Ce qui sauva les gardiens, c'était qu'ils n'eurent pas vraiment à mentir. Percy fut placé en hôpital psychiatrique jusqu'à la destruction de l'hôpital par un incendie en 1944. 18 pensionnaires trouvèrent la mort dans le sinistre mais Percy eut la vie sauve. Il fut interné dans une autre institution et mourut en 1965.
Percy avait brutalement perdu la raison et l'ironie de l'histoire était que les gardiens n'avaient jamais eu à expliquer quoi que ce soit.
Curtis Anderson était venu écouter les gardiens expliquer ce que Percy avait fait. Puis Hal avait pris le relais. L'homme rongé par l'inquiétude et le chagrin n'existait plus ; c'était de nouveau le directeur qui s'était avancé vers Percy et l'avait secoué durement. Mais Percy n'avait pas dit un mot. Anderson avait souhaité s'entretenir avec le directeur pour savoir comment gérer cette l'affaire mais Moores avait écarté d'un geste impatient. Il avait entraîné Paul dans le couloir. Il lui demanda si ce que Percy avait fait avait quelque chose à voir avec ce qui est arrivé chez lui. Paul lui rapporta ce qui s'était passé. Toutefois, il ne précisa pas que les gardiens avaient passé la camisole de force à Percy. Puis le directeur demanda à Paul si les gardiens diraient tous la même chose. Paul acquiesça. Janice reprocha à Paul d'avoir menti. Paul lui expliqua qu'il ne voulait pas mettre le directeur mal à l'aise. Janice aurait bien voulu voir le miracle que Caffey avait opéré sur Melinda. Janice avait compris que Paul croyait vraiment que Caffey avait tué Wharton en se servant de Percy comme d'un pistolet. Et c'était le cas mais Paul ne savait pas pourquoi. Janice savait que Caffey n'était pas un violent. Elle cherchait une raison à son comportement. Puis elle demanda à son mari comment il pourrait laisser Caffey être exécuté alors qu'il le savait innocent. Il était devenu soudainement une idée à Paul. Il en fit tomber son bol de soupe sur le carrelage.
4
La commission d'enquête se révéla être aussi inoffensive qu'insignifiante. En d'autres circonstances, le gouverneur aurait exigé que des têtes tombent, mais pas cette fois. Son neveu par alliance avait pété les plombs en tuant un tueur pendant que ce dernier dormait. Le gouverneur n'avait qu'une envie, c'était que l'on classe l'affaire le plus vite possible. La virée nocturne chez Moores resta un secret bien gardé. Le fait que Percy avait été enfermé dans la cellule d'isolement pendant tout le temps que les gardiens étaient sortis n'avait jamais été révélé non plus. Après quoi, le 12 novembre, Paul reçut l'ordre d'exécution de John Caffey. Curtis Anderson l'avait signé à la place de Moores.
La date d'exécution était fixée au 20 novembre. Trois jours après en avoir été informé, Paul demanda à Janice d'appeler l'administration pour dire qu'il était malade. Puis il prit sa voiture pour rouler jusqu'au fin fond de la cambrousse. Il se rendit au tribunal du comté de Purdom pour consulter certains dossiers. Le shérif Catlett lui demanda ce qu'il était venu faire. Paul le lui dit et le shérif lui confia quelque chose d'intéressant. C'était une fameuse piste et Paul y pensa pendant tout le chemin du retour. Le lendemain, Paul se rendit au comté de Trapingus pour parler au shérif adjoint McGee. Il fallut insister mais il finit par accepter d'aller poser quelques questions à Klaus Detterick. Le shérif adjoint l'invita chez lui pour lui faire son rapport. Pour lui, cela ne prouvait rien mais son visage exprimait le malaise. De plus, John Caffey était un Noir et dans le comté on n'aimait pas redonner leur chance aux nègres. Il reprocha à Paul d'avoir ouvert la boîte de Pandore. Paul se défendit de l'avoir ouverte. Quand il rentra chez lui, Paul était content que sa femme l'attende alors qu'il était très tard. Ils firent l'amour et Paul pleureur. Paul n'était pas un homme qui pleurait d'ordinaire. Janice fut à la fois choquée et effrayée. Il lui expliqua qu'il savait tout ce qu'il y avait à savoir. Il était censé électrocuter Caffey dans moins d'une semaine mais c'était Wharton qui avait tué les petites filles.
5
Le lendemain, Paul convoqua ses collègues. Mais cette fois Janice resta pour parler avec eux. C'était jadis qui avait convaincu Paul de convoquer les autres. Elle voulait qu'il annonce aux autres que c'était Wharton le vrai coupable. Dean demanda à Paul si John avait surpris Wharton en train de tuer les gamines ou de les violer. Paul pensait que si ça avait été le cas, John serait intervenu. Paul avait compris que la seule chose assez horrible pour motiver le geste de Caffey, c'était le meurtre des deux petites filles. Paul s'était souvenu de la note que lui avait adressée Anderson disant que Wharton avait été vu dans tous l’Etat avant le meurtre des deux petites filles. Paul était donc allé vérifier le dossier de Wharton pour connaître le commencement de sa carrière criminelle. C'est là qu'il avait appris que Wharton avait des antécédents d'agressions sexuelles. Le shérif et ses adjoints avaient donné à Wharton une leçon et trois mois plus tard, Wharton avait commencé son équipée qui s'était terminée par le hold-up.
C'est que McGee avait raconté à Paul était qu'un mois avant l'arrestation de Wharton, Klaus Detterick avait repeint sa grange et avait loué les services d'un jeune homme. C'était Wharton. Il avait été invité à manger à la table des Detterick et avait enregistré tous les détails des conversations. Paul avait appris que Wharton s'était présenté aux Detterick sous le nom de Will Bonney, le nom de famille de Billy The Kid. Et Wharton était un fan de Billy The Kid. Jadis pensait qu'il suffirait de montrer à Klaus Detterick une photo de Wharton pour innocenter Caffey. Les gardiens étaient tous gênés par cette remarque. McGee était certainement un brave homme est un excellent officier mais il ne pesait pas lourd dans le comté. C'était le shérif Cribus qui détenait le pouvoir et il refuserait certainement de rouvrir le dossier de l'affaire Detterick. Paul expliqua à sa femme que si McGee intervenait, il risquerait de perdre sa place même s'il était maintenant persuadé que Wharton était le vrai coupable. Et puis, lui aussi n'était pas tellement différent du shérif, il pensait que Caffey n'était rien qu'un nègre et que ce n'était pas comme s'ils allaient passer un Blanc à la chaise électrique. Alors Janice ordonna à son mari d'aller trouver Cribus et le juge et de leur dire ce qu'il avait découvert. Il n'aurait qu'à mentir en disant que Wharton avait avoué avoir violé et tué les deux petites filles. Mais Harry expliqua à Janice que rien de tel n'avait été mentionné dans le cahier de permanence. Il aurait été reproché aux gardiens de n'avoir pas mentionné ses aveux dans le cahier de permanence. De plus, Wharton n'arrêtait pas de mentir et aurait très bien pu se vanter d'avoir tué les petites filles sans que les gardiens l'aient cru.
Alors Janice leur annonça qu'il ne restait plus qu'à faire sortir Caffey de la prison. Mais Paul lui expliqua que même libre, Caffey serait incapable de se débrouiller tout seul, dehors. Agacée, Janice balaya d'un geste tout ce qu'il y avait sur la table. Elle les traita de lâches. Il dit à son mari que dans une semaine, il serait un assassin et ne vaudrait pas mieux que Wharton. Paul ramassa les débris avec l'aide de ses collègues. Puis ses collègues s'en allèrent.
6
Durant la nuit, Paul s'installa dans le salon pour écouter la radio. Jadis vint le rejoindre pour lui dire qu'elle regrettait de l'avoir traité de lâche. Dans sa maison de retraite, Paul rêvait encore de Janice. Il pleurait en se réveillant en réalisant que ce n'était qu'un rêve. Janice demanda si Moores était au courant de l'innocence de Caffey. Paul lui répondit non. Elle lui demanda de ne rien lui dire. Elle savait que son mari ne pourrait pas échapper à l'exécution de Caffey. Elle le plaignit. Elle lui demanda de parler à John et de savoir ce qu'il voulait. Paul comprit que Janice avait raison. Elle avait toujours raison.
7
deux jours plus tard, le 18 novembre, la répétition de l'exécution eut lieu. Pas question, cette fois, de laisser Toot-Toot jouer les doublures, ça aurait été comme une obscénité. C'est Paul qui prit sa place. Il paniqua et demanda à ses collègues de le détacher de la chaise électrique. Brutus lui dit tout bas, pour que Dean et Harry n'entendent pas, que c'était la première fois qu'il se sentait vraiment en danger d'aller en enfer. Il savait qu'ils s'apprêtaient à tuer un don de Dieu. Quelqu'un qui n'avait jamais fait de mal à personne.
8
Paul alla s'asseoir à côté de John dans sa cellule. Il lui parla de l'exécution. Il ne restait plus que deux jours. Quelque chose avait déjà commencé d'arriver à Paul mais il était trop pris dans sa tête et dans son coeur par les devoirs de sa charge pour s'en apercevoir. Il demanda à John ce qu'il voulait dîner avant l'exécution. John demanda un pain de viande. Paul avait l'intention de demander à Janice de faire une tarte aux pêches pour le dessert de John. Il demanda à Caffey s'il avait envie d'un pasteur mais John refusa. Il se contenterait d'une prière de Paul. Il resserrera ses mains autour de celles de Paul et Paul ressentit une impression de picotement. C'était la même sensation que le jour où John l'avait guéri de son infection à la différence de ce que, cette fois, John ne savait pas qu'il agissait sur lui. Soudain, Paul étouffa, il avait presque besoin de sortir de cette cellule. John lui dit qu'il avait envie de mourir. Il était fatigué à cause de toute la souffrance qu'il entendait et qu'il sentait. Il était fatigué de voir les gens se battre entre eux. Il était fatigué de toutes les fois où il avait voulu aider et qu'il n'avait pas pu. Paul avait l'impression qu'il allait exploser si John ne lui lâchait pas les mains. John il lui dit qu'il n'exploserait pas mais il relâcha les mains de Paul. Quelque part, une ampoule explosa avec le fracas d'une bombe. Paul demanda à John ce qu'il lui avait fait. John le rassura. John savait que Paul se demandait encore pourquoi les deux petites filles n'avaient pas crié. À présent, Paul était capable de distinguer chaque pore de la peau de John et pouvait ressentir sa souffrance. Il découvrait aussi les ténèbres dont il avait parlé. Il ressentit Paul John de la pitié en même temps qu'un grand soulagement. Il comprit qu'en exécutant John, ils lui rendraient un service. John avait compris que Wharton était l'assassin quand ce dernier lui avait attrapé les mains dans sa cellule. Il avait oublié l'avoir vu avec les deux petites filles et il s'était rappelé de tout quand Wharton l'avait touché. John expliqua à Paul que si les deux petites n'avaient pas crié, c'est parce que Wharton avait dit à l'une que si elle faisait du bruit, il tuerait sa soeur. Il avait dit la même chose à l'autre. Quand Paul sortit de la cellule, il l'avait toujours cette impression d'être dans un rêve et cette certitude incroyable qu'il pouvait percevoir les pensées de Brutus. Paul rapporta à Brutus ce que John lui avait dit. Sauf ce que le contact des mains de John lui avait fait. Il n'en parla à personne, même pas à Janice. Elaine serait la première à le savoir en lisant son récit. En rentrant chez lui, Paul raconta à Janice se que lui avait dit John, qu'il était prêt à mourir et qu'il en avait envie. Elle en fut soulagée. À présent, Paul ne pouvait plus lire dans les pensées des gens. Il avait fallu quelques heures pour que ce pouvoir disparaisse. Maintenant, il comprenait pourquoi John était tellement fatigué. Un don comme le sien aurait brisé n'importe qui.
9
Le jour de l'exécution de John, il faisait un froid de saison. Brutus était en première ligne, cette fois. Il poserait la calotte sur la tête de John et donnerait le signal pour envoyer le courant. Paul, Dean et Harry allèrent voir John dans sa cellule. Moores s'était fait remplacer par Anderson. Il avait demandé si Caffey tenait le coup. Il se demandait comment l'homme qui avait guéri sa femme pouvait être celui qui avait tué des petites filles. Il n'était pas au courant de l'innocence de John. Il pourrait dormir cette nuit-là dans la chaleur de sa compagne tandis que le corps de John serait allongé sur une table de marbre de l'hôpital, se refroidissant. Et pour toutes ces raisons, Paul haïssait Moores. Ça lui passerait mais c'était bien de la haine.
John était prêt. Paul débita le laïus habituel jusqu'au dernier mot. Harry tendit la main à John. Dean en fit de même. Paul était obligé de demander à John sa médaille de saint Christophe. Il promit de la remettre sur lui après…
John il lui dit qu'il avait rêvé de la souris de Delacroix. Paul était à sa gauche et Harry s'était placé à sa droite tandis que Dean suivait. Ils avaient descendu la ligne verte. C'était la dernière fois que Paul accompagnait un condamné. John avait rêvé que la souris était allée à Sourisville. Dans son rêve, il y avait les deux petites filles et elles s'amusaient bien, elles aussi. Paul pria avec John pour trouver la force. John demanda à faire une prière dont il se souvenait. En l'écoutant, Paul pleura. John lui dit qu'il ne fallait pas. John aida Paul à se relever.
10
Il n'y avait que 14 témoins pour l'exécution. Le shérif Cribus était là sans son adjoint. Les parents des deux petites filles étaient présents. Brutus escorta John jusqu'à la chaise électrique aussi gentiment un garçon entraînant sa fiancée sur la piste pour leur première danse ensemble. John sentait qu'il y avait des gens qui lui en voulaient très fort. Ça lui faisait mal. Alors Brutus lui conseilla de penser à eux, ceux qui l'aimaient. Marjorie Detterick se mit à hurler qu'il fallait tuer deux fois John. Cela fit tressaillir et gémir John. Harry se mit à pleurer. Brutus posa la main sur l'épaule de John. Ce n'était pas réglementaire mais personne ne le remarqua. John puisait du réconfort dans cette main. Quand on demanda à John s'il avait quelque chose à dire avant que la sentence soit exécutée répondit qu'il regrettait d'être ce qu'il était.
La mère des deux petites filles répondit qu'il pouvait regretter car elle le voyait comme une espèce de monstre.
Paul regarda John et sentit sa peur, sa misère, son désespoir et son incompréhension. John fut terrifié quand Brutus voulut mettre la cagoule car il avait peur du noir. La cagoule était une tradition, pas une règle. Paul décida qu'on n'avait pas à épargner les témoins, pas cette fois. Il accepta donc la dernière requête de John et lui épargna la cagoule. Le shérif protesta et Paul lui ordonna de se calmer. Quand Brutus plaça l'éponge dans la calotte, Paul éprouva une violente envie de vomir qu'il maîtrisa au prix d'un pénible effort. Dean allait mourir quatre mois plus tard après avoir été transféré au bloc C. Un prisonnier lui avait planté dans la gorge un manche de bois affûté. Harry mourut en 1982 ; il avait presque 80 ans. Brutus mourut d'une crise cardiaque 25 ans plus tard. Brutus fut incapable de donner l'ordre d'exécution alors Paul s'en chargea même si cela devait lui valoir l'enfer. Il le devait. Pendant un instant, les yeux de John rencontrèrent ceux de Paul. Puis ce fut fini. Une volute de fumée montait des joues encore humides de John de l'eau salée de l'éponge… et de ses larmes. Les dernières larmes de John Caffey.
11
C'est en rentrant chez lui que Paul fut submergé par le second plus grand chagrin de sa vie. Il repensa à la peur du noir de John et pleura. Janice s'assit à côté de lui et passa son bras autour de ses épaules.
12
Elaine avait dû pleurer en lisant le récit de Paul car elle avait les yeux rouges. Paul avait redouté qu'elle le haïsse après avoir lu son livre mais il y avait de la tristesse et de l'étonnement dans son regard et pas autre chose. Elle avait besoin de savoir comment le récit se terminait et avant elle voulait connaître l'âge de Paul. Il lui répondit qu'il avait 104 ans. Elle resta sans voix. Il lui conseilla de lire la suite du récit pour comprendre. Pendant ce temps, il descendit au parcours de croquet. Il vit que Dolan marchait seul pour rentrer chez lui. Cela le rassura. Peut-être que le monde n'était pas encore devenu complètement mauvais. Comme promis, Elaine rejoignit Paul à 16:00. Elle semblait avoir beaucoup pleuré. Elle passa ses bras autour de Paul pour le serrer fort. Elle lui demanda qu'était devenue la femme du directeur, Melinda. Il répondit qu'elle était devenue la huitième merveille du monde pour les médecins qui l'avaient soignée. Paul emmena Elaine vers la remise. Il il lui raconta que Melinda était morte 11 ans plus tard d'une crise cardiaque. Moores était mort le jour de l'attaque de Pearl Harbour. Ironie du sort, Melinda lui avait survécu deux années.
Elle voulut savoir quand était morte de Janice mais Paul n'était pas encore prêt à en parler.
Mais Elaine mourut trois mois plus tard, d'une crise cardiaque, sans que Paul trouve le temps de lui en parler. Paul avait emmené Elaine dans la seconde remise. Il voulait lui montrer Mister Jingles qui attendait dans sa boîte à cigares. La blessure que lui avait infligée Percy était revenue avec l'âge. Son poil était devenu tout gris. Paul sortit une bobine de son sac pour la faire rouler sur le plancher et la souris courut après. Elle aimait toujours courir après la bobine, après toutes ces années. C'était pour la souris que Paul demandait du pain grillé, chaque matin. Il proposa à Elaine de donner du pain grillé à la souris. La souris accepta le morceau qu'Elaine lui donna. Elle n'était pas un bleu. Paul ne savait pas d'où la souris était venue. Un jour qu'il sortait pour faire sa promenade matinale, la souris était sur les marches de la cuisine. Il avait tout de suite su que c'était bien Mister Jingles mais il était allé chercher une bobine de fil pour en être sûr. Il pensait que la souris était revenue pour lui faire comprendre qu'il était temps de raconter son histoire. Elaine avait compris que John avait touché la souris comme il avait touché Paul. Tous deux étaient devenus résistants. À ce moment-là, Dolan les interrompit. Paul n'en fut pas vraiment surpris. Elaine lui ordonna de s'en aller mais il refusa. Il découvrit la souris, les yeux écarquillés. Ce n'était plus Dolan qui se tenait sur le seuil de la remise, mais Percy. Paul Paul devinait que Dolan allait écraser la souris sous sa chaussure. Et cette fois, il n'y aurait pas plus de John Caffey pour la ramener à la vie qu'il n'y en avait eu quand Paul avait eu besoin de lui ce maudit jour de pluie en Alabama. Paul se précipita sur Dolan. Il lui parla de laisser la souris tranquille en l'appelant Percy. C'est à ce moment-là que la souris mourut. Elaine la ramassa. Cela fit sourire Dolan. Elaine lui ordonna de se taire et de sortir ou elle le ferait renvoyer sur-le-champ. Dolan, comme Percy, était lâche. Il avait probablement vérifié les dires d'Elaine et découvert qu'elle avait bien un neveu influent. Mais, surtout, sa curiosité avait été satisfaite. Elle lui dit que le peu d'esprit qu'il avait était laid et tordu. Il rougit et s'en alla. Paul recueillit la souris dans ses mains et pleura. Elaine l'aida à enterrer la souris.
13
En 1956, Paul avait 64 ans et Janice 59. Ils étaient partis en car d'Alabama pour assister à la remise de diplômes de leur troisième petite-fille en Floride. L'autocar eut un accident. Il n'y eut que quatre survivants. Paul comptait parmi ces derniers et il était le moins touché.
Janice n'était pas encore morte. Paul cria au secours. Paul pensa que Janice était électrocutée sous ses yeux et qu'il fallait à tout prix qu'il coupe le courant avant qu'il soit trop tard. Paul crut voir John se tenir vers le passage sous le pont. Mais ce n'était qu'un souvenir. Janice mourut dans les bras de Paul.
Paul apprit une chose terrible : il n'y a parfois aucune différence entre le salut et la damnation. En 1932, John lui avait inoculé la vie. Il l'avait épargné de toutes les graves maladies. Paul appelait la mort de tous ses voeux depuis qu' Elaine n'était plus. La seule chose dont il souffrait, c'était l'insomnie. Quand la lune était visible de sa fenêtre, il la contemplait et il pensait à Brutus, à Dean et à Elaine. Il attendait la mort en se disant que la ligne verte était longue.