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Humanisme : le Contrat social
3 mai 2023

1984 (George Orwell)

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Le roman d’anticipation 1984 a été publié en 1949. A Londres, capitale de la première région aérienne de l’Océania, en 1984 ; Londres encombrée de ruines des guerres passées, de monuments délabrés, d’immeubles vétustes, et dominée par les quatre immenses bâtiments des ministères de la vérité, de la paix, de l’amour et de l’abondance. Partout, le visage d’un homme de 45 ans, à l’épaisse moustache, aux traits accentués et beaux : Big Brother, le chef suprême du Parti, dont le regard vous fixe de quelque côté qu’on le considère ; partout des télécrans qui scrutent vos gestes, vos réflexes, votre visage, pour renseigner la police de la pensée.

Trois slogans régissent ce monde : « La guerre c’est la paix. La liberté c’est l’esclavage. L’ignorance c’est la force. »

Winston Smith, 39 ans, est las. Il appartient au Parti extérieur et travaille au ministère de la vérité ; il est accablé de froid, d’inconfort, de solitude. Que peut-il ? Se révolter, tenir un journal intime, avoir des pensées personnelles, rompre intérieurement avec la discipline. Que sait-il ? Rien, ou presque. Nul ne se souvient de l’époque qui précéda la Révolution, nulle trace n’en subsiste. Le passé est mort, le futur inimaginable, le présent absolument contrôlé par le Parti. Et ce contrôle lui donne aussi bien celui du passé que celui de l’avenir ; il a immobilisé l’histoire en récrivant perpétuellement archives, livres et journaux pour qu’ils soient toujours conformes à la situation présente en vertu de la « mutabilité du passé ».

Winston Smith collabore lui-même à cette réécriture, mais comment être assuré d’une contradiction corrigée hier, quand il n’en reste plus aujourd’hui la moindre trace vérifiable ? Rien n’existe qu’un présent éternel dans lequel le Parti a toujours raison ; le Parti qui encourage la délation et décourage l’amitié et l’amour ; le Parti qui est en train de forger une nouvelle langue, le Nov-langue, qui rendra « littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer ». Ainsi le ministère de la vérité authentifie des mensonges, celui de la paix s’occupe de la guerre, celui de l’amour de la police et celui de l’abondance du rationnement. Par ailleurs, une guerre permanente règne l’Océania et l’une des deux autres puissances mondiales : l’Eurasia et l’Estasia, guerre qui facilité l’emprise du Parti, car elle permet de mobiliser et de canaliser les énergies individuelles en les défoulant dans la haine. L’adversaire change parfois brusquement mais, grâce à la mutabilité du passé, il devient aussitôt l’adversaire héréditaire/

 

Au premier temps de sa révolte, Winston Smith cherche à percer le mécanisme du mensonge, puis il rencontre Julia. Le Parti interdit l’amour, aussi l’amour de Julia devient-il un acte politique doublé du plaisir de la transgression. Quand Julia se donne à lui, il la voit arracher ses vêtements « avec un geste magnifique qui semble anéantir une civilisation ». Leur commune révolte les pousse ensuite à essayer de s’insérer dans un mouvement clandestin, la « Fraternité », dont l’inspirateur et le chef serait cet Emmanuel Goldstein, le traître contre lequel le Parti se déchaîne quotidiennement. Depuis longtemps, Winston se sent attiré par O’Brien, un haut fonctionnaire du Parti intérieur, chez lequel il a cru lire les mêmes préoccupations que les siennes. O’Brien le convoque un jour en secret, lui confirme l’existence de la Fraternité et lui déclare qu’il en fera désormais partie avec Julia ; recommandations : « Il vous faudra vous habituer à vivre sans obtenir de résultat et sans espoir. Vous travaillerez un bout de temps, vous serez pris, vous vous confesserez et vous mourrez. Ce sont les seuls résultats que vous verrez jamais. » Winston et Julia sont en effet arrêtés bientôt, et séparés.

Durant des semaines, Winston est battu, torturé, réduit à l’état de « chose grise et squelettique » ; il avoue tous les crimes mais garde, ultime refuge, son amour pour Julia. Maintenant, il vit sur un appareil de torture dont il suffit de pousser une manette pour lui infliger une douleur déchirante, atroce, et l’homme qui dirige cette douleur, qui s’en sert pour le rééduquer, c’est O’Brien – un O’Brien par qui il ne se sent pas trahi et auquel le lie toujours un étrange sentiment d’amitié, un O’Brien qui lui explique : « Nous ne détruisons pas l’hérétique parce qu’il nous résiste. Tant qu’il nous résiste, nous ne le détruisons jamais. Nous le convertissons. Nous captons son âme, nous lui donnons une autre forme… Avant de le tuer, nous en faisons un des nôtres. » Malgré tout, Winston n’accepte pas, ne se convertit pas. Il est alors finalement conduit à la salle 101, lieu destiné à l’application du principe qu’ « il y a pour chaque individu quelque chose qu’il ne peut supporter, qu’il ne peut contempler ». Et Winston ne peut supporter la vue de la cage pleine de rats affamés qui, grâce à un dispositif en forme de masque, va lui être appliquée sur le visage pour que ces rats le dévorent. Il crie : »Faites-le à Julia ! Pas à moi ! »

Désormais, il est brisé. On n’exige plus rien de lui, on le relâche et il est libre d’errer de par la ville à sa guise. Il rencontre même Julia, mais ils se quittent sans un geste sur l’aveu mutuel de leur trahison, rien ne pouvant plus les émouvoir, les réunir. Puis, un soir que Winston écoute distraitement un bulletin de victoire, il sent brusquement son doute se transformer en une bienheureuse certitude. Il se voit longer un couloir carrelé de blanc, un garde armé derrière lui ; il sent la balle tant attendue lui entrer dans la nuque. Il regarde le visage de Big Brother et une grande tendresse l’envahit : »La lutte était terminée. Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother. »

George Orwell, qui avait déjà écrit des essais politiques (par exemple : Le quai de Wigan, Hommage à la Catalogne), avait voulu crier sa colère contre les révolutions trahies, il l’avait fait sous la forme d’une fable swiftienne : La ferme des animaux.

Dès sa parution en 1949, l’ouvrage donna lieu à des interprétations diverses (et Orwell lui-même hésita sur le sens qu’il avait voulu lui donner). Ce n’est pas surprenant tant l’auteur l’a surchargé d’intentions, y a entrelacé les thèmes et multiplié les réminiscences. « Utopie sous forme de roman », « satire », « parodie des conséquences intellectuelles du totalitarisme » : ainsi Orwell a-t-il lui-même caractérisé son roman. Lorsque certains critiques voulurent y voir (certains avec reproche) non seulement une critique du communisme soviétique mais aussi du socialisme anglais (il avait baptisé Angsoc le « régime d’Oceania ») ; Orwell dicta à son éditeur une mise au point catégorique : ce qu’il avait décrit dans 1984 ne concernait pas tel pays précis, « c’est la direction que prend le monde actuellement » et « quelque chose comme 1984 pourrait arriver […]. La morale à tirer de cette situation dangereuse et cauchemardesque est simple : ne permettez pas que cela arrive. Cela dépend de vous »

Roman d’anticipation, 1984 l’est surtout par son titre (en fait simple anagramme de 1948, date d’achèvement du livre ( Orwell avait songé à un autre titre, beaucoup plus significatif : Le dernier homme en Europe.), mais beaucoup moins que La guerre des mondes de H. G. Wells (1898), Nous autres d’Eugueni Zamiatine  (Orwell s’en est très fortement inspiré pour 1984), ou Brave New World [Le meilleur des mondes] d’Aldous Huxley (1932).

L’action de 1984 se déroule certes dans un temps futur mais pas dans un lieu utopique : dans un Londres bien réel où Orwell a décrit de façon très réaliste les pubs des quartiers prolétaires, les ruines des bombardements récents et les privations des temps de guerre.

Il est indéniable que dans 1984 on retrouve la structure du dispositif de contrôle des individus du panoptique. Les deux termes du roman devenus expressions communes sont « 1984  » et « Big Brother ». Ainsi, le slogan « Big Brother vous regarde » qui ouvre le roman et les modalités concrètes qui mettent en œuvre cette surveillance peuvent être considérés, sans difficultés, comme une traduction romancée du panoptique décrit par Bentham. Bentham est un juriste anglais, un théoricien du droit, et tout au long de sa vie il s’attachera à la réforme théorique et pratique du droit. Cependant, Jeremy Bentham a été aussi le chef de file de la ­doctrine utilitaire, le « grand homme » de l’utilitarisme, pour avoir donné au principe d’utilité la dimension d’une arithmétique morale qui, espérait-il, devait permettre de fonder une science intégrale de l’homme.

La description du panoptique est inséparable du contexte de cette époque où se fonde notre modernité. Contexte philosophique de la recherche d’une arithmétique morale (fin de la transcendance). Contexte de l’émergence de la révolution industrielle et du problème du contrôle des masses par un petit nombre, d’où l’acuité de la question de la surveillance.

La leçon politique de 1984 est simplement celle-ci : le politique commence au noyau le plus élémentaire et le plus simple de la conscience morale.

Sa participation à la guerre d’Espagne dans les milices du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste) en 1936 et 1937 marque un tournant décisif dans l’existence d’Orwell et dessine définitivement et jusqu’au bout l’engagement de sa vie et de son œuvre. Ce désormais socialiste libertaire observe avec horreur le développement du fascisme en Europe ainsi que le dévoiement du socialisme à travers le stalinisme. Homme préoccupé, de façon concrète et engagée, par les inégalités économiques et sociales, il questionne, sur un mode lucide et acéré mais sans cynisme ni mépris, avec l’attitude des hommes passionnés par la vérité,  le problème pour lui fondamental de l’asservissement des individus, dans ses modalités économiques, sociales et politiques, à l’intérieur des sociétés occidentales en crise du milieu du XXe siècle.

 

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