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Humanisme : le Contrat social
7 mars 2024

Le Côté de Guermantes III (Proust)

Bloch pensait que la vérité politique pouvait être approximativement reconstituée par les cerveaux les plus lucides, mais il s’imaginait, tout comme le gros du public, qu’elle habitait toujours, indiscutable et matérielle, le dossier secret du président de la République et du président du Conseil, lesquels en donnaient connaissance aux ministres. Pourtant, quand se produisit un fait aussi éclatant que l’aveu d’Henry, suivi de son
suicide, ce fait fut aussitôt interprété de façon opposée par des ministres dreyfusards et par Cavaignac et Cuignet qui avaient eux-mêmes fait la découverte du faux et conduit l’interrogatoire.

Tout ce que Bloch put tirer de M. de Norpois c’est que, s’il était vrai que le chef d’état-major, M. de Boisdeffre, eût fait faire une communication secrète à M. Rochefort, il y avait évidemment là quelque chose de singulièrement regrettable.

Bloch ne put arriver à le faire parler de la question de la culpabilité de Dreyfus ni donner un pronostic sur le jugement qui interviendrait dans l’affaire civile actuellement en cours.

Si singulier que lui parût l’interlocuteur, M. de Norpois trouva que l’entretien n’avait que trop duré. Alors pour couper court à l’entretien avec Bloch, il demanda à Mme de Villeparisis si elle n’allait pas ce soir au bal de Mme de Sagan. Puis il voulut lui demander de l’aider à entrer dans le cercle de la rue Royale.

Bloch continua, au grand désespoir de M. de Norpois, à lui poser nombre de questions sur les officiers dont le nom revenait le plus souvent à propos de l’affaire Dreyfus. Norpois lui répondit que L’action gouvernementale devait s’exercer sans souci des surenchères. Il fallait mater les agitateurs de profession et les empêcher de relever la tête.

Bloch demanda à d’Argencourt s’il était dreyfusard comme devaient l’être tout le monde à l’étranger mais d’Argencourt répondit que c’était une affaire qui ne regardait que les Français entre eux.

Mme de Guermantes dit à l’oreille de M. d’Argencourt quelque chose qui devait avoir trait à la religion de Bloch, car il passa à ce moment dans la figure de la duchesse cette expression à laquelle la peur qu’on a d’être remarqué par la personne dont on parle donne quelque chose d’hésitant et de faux et où se mêle la gaieté curieuse et malveillante qu’inspire un groupement humain auquel nous nous sentons radicalement étrangers.

Ce que lui avait dit M. de Norpois n’ayant pas complètement satisfait Bloch, celui-ci s’approcha de l’archiviste et lui demanda si on ne voyait pas quelquefois, chez Mme de Villeparisis M. du Paty de Clam ou M. Joseph Reinach. L’archiviste ne répondit rien ; il
était nationaliste et ne cessait de prêcher à la marquise qu’il y aurait bientôt une guerre sociale et qu’elle devrait être plus prudente dans le choix de ses relations. Il se demanda si Bloch
n’était pas un émissaire secret du syndicat venu pour le renseigner et alla immédiatement répéter à Mme de Villeparisis ces questions que Bloch venait de lui poser. Elle jugea qu’il était au moins mal élevé, peut-être dangereux pour la situation de M. de Norpois.

Quand Bloch dit au revoir à Mme de Villeparisis, elle ne lui tendit pas la main pour lui signifier qu’il eût à ne pas revenir. Alors il lui cria adieu.

Plein de curiosité et du dessein d’éclairer un incident si étrange, il revint la voir quelques
jours après. Elle le reçut très bien parce qu’elle était bonne femme, que l’archiviste n’était pas là, qu’elle tenait à la saynète que Bloch devait faire jouer chez elle.

Une dame entra qui était la vicomtesse de Marsantes, la mère de Robert et la sœur du duc de Guermantes. Mme de Marsantes était considérée dans le faubourg Saint-Germain comme un être supérieur, d’une bonté, d’une résignation angéliques. Elle avait perdu, il y a trois semaines, son cousin M. de Montmorency, ce qui ne l’empêchait pas de faire des visites, d’aller à de petits dîners, mais en deuil. Elle fut plus qu’aimable avec le narrateur parce que il était l’ami de Robert et parce qu’il n’était pas du même monde que Robert.

Mme de Marsantes agaçait un peu dans la conversation parce que, chaque fois qu’il s’agissait d’un roturier, par exemple de Bergotte, d’Elstir, elle disait en détachant le mot, en le faisant valoir, et en le psalmodiant sur deux tons différents en une modulation qui était particulière aux Guermantes : « J’ai eu l’honneur, le grand hon-neur de rencontrer Monsieur Bergotte, de faire la connaissance de Monsieur Elstir », pour faire admirer son humilité. À la campagne, Mme de Marsantes était adorée pour le bien qu’elle faisait. Elle ne craignait pas d’embrasser une pauvre femme qui était malheureuse et lui disait d’aller chercher un char de bois au château. C’était, disait-on, la parfaite chrétienne. Elle tenait à faire faire un mariage colossalement riche à Robert.

Mme de Villeparisis dit à la duchesse de Guermantes qu’elle allait recevoir la visite de la femme de Swann. Elle savait que la duchesse ne voulait pas la connaître.

Mme Swann, voyant les proportions que prenait l’affaire Dreyfus et craignant que les origines de son mari ne se tournassent contre elle, l’avait supplié de ne plus jamais parler de l’innocence du condamné. Quand il n’était pas là, elle allait plus loin et faisait profession du nationalisme le plus ardent ; elle ne faisait que suivre en cela d’ailleurs Mme Verdurin chez qui un antisémitisme bourgeois et latent s’était réveillé et avait atteint une véritable exaspération. Mme Swann avait gagné à cette attitude d’entrer dans quelques-unes des ligues de femmes du monde antisémite qui commençaient à se former.

La duchesse de Guermantes, si amie de Swann, avait toujours résisté au désir qu’il ne lui avait pas caché de lui présenter sa femme.

Chaque fois que le duc avait délaissé trop ouvertement sa femme, Mme de Marsantes avait pris avec éclat contre son propre frère le parti de sa belle-sœur. Celle-ci gardait de cette protection un souvenir reconnaissant et rancunier, et elle n’était qu’à demi fâchée des fredaines de Robert. À ce moment, la porte s’étant ouverte de nouveau, celui-ci entra. Mme de Marsantes, qui tournait le dos à la porte, n’avait pas vu entrer son fils. Quand elle l’aperçut, en cette mère la joie battit véritablement comme un coup d’aile, le corps de Mme de Marsantes se souleva à demi, son visage palpita et elle attachait sur Robert des yeux émerveillés. Pendant ce temps Mme de Guermantes salua le narrateur. Robert intervint. Il dit que le narrateur n’allait pas très bien, il est un peu fatigué mais irait peut-être mieux s’il la voyait plus souvent, car Robert ne voulait pas cacher à sa tante que son ami aimait beaucoup la voir. Elle répondit qu’elle était très flattée.

Robert donna sa chaise au narrateur en le forçant ainsi à s’asseoir à côté Mme de Guermantes. Elle reconnut qu’elle le voyait quelquefois le matin et que cela faisait beaucoup de bien à la santé.

On vint annoncer que le prince de Faffenheim-Munsterburg-Weinigen faisait dire à M. de Norpois qu’il était là. Mme de Marsantes s’était renseignée. Le prince était l’antisémitisme en personne. M. de Guermantes, en expliquant qui était le prince, cita plusieurs de ses titres, et le narrateur reconnut le nom d’un village traversé par la rivière où chaque soir, la cure finie, il allait en barque.

Le prince n’avait plus qu’une ambition dans la vie, celle d’être élu membre correspondant de l’Académie des Sciences morales et politiques, raison pour laquelle il était venu chez Mme de Villeparisis. Il savait que M. de Norpois disposait à lui seul d’au moins une dizaine de voix aux- quelles il était capable, grâce à d’habiles transactions, d’en ajouter d’autres. Aussi le prince, qui l’avait connu en Russie quand ils y étaient tous deux ambassadeurs, était-il allé le voir et avait-il fait tout ce qu’il avait pu pour se le concilier mais il avait eu devant lui un ingrat. Il n’ignorait pas que dans le langage diplomatique causer signifie offrir. Et c’est pour cela qu’il avait fait avoir à M. de Norpois le cordon de Saint-André. Dans une affaire privée comme cette présentation à l’Institut, le prince avait usé du même système d’induction qu’il avait fait dans sa carrière, de la même méthode de lecture à travers les symboles superposés.

Il faut souvent descendre jusqu’aux êtres entretenus, hommes ou femmes, pour avoir à chercher le mobile de l’action ou des paroles en apparence les plus innocentes dans l’intérêt, dans la nécessité de vivre. Quel homme ne sait que, quand une femme qu’il va payer lui dit : « Ne parlons pas d’argent », cette parole doit être comptée, ainsi qu’on dit en musique, comme « une mesure pour rien », et que si plus tard elle lui déclare : « Tu m’as fait trop de peine, tu m’as souvent caché la vérité, je suis à bout », il doit interpréter : « un autre protecteur lui offre davantage » ? Mais M. de Norpois et le prince allemand avaient accoutumé de vivre sur le même plan que les nations, lesquelles sont aussi, malgré leur grandeur, des êtres d’égoïsme et de ruse, qu’on ne dompte que par la force, par la considération de leur intérêt, qui peut les pousser jusqu’au meurtre, un meurtre symbolique souvent lui aussi, la simple hésitation à se battre ou le refus de se battre pouvant signifier pour une nation : « périr ».

L’hiver suivant, le prince fut très malade, il guérit, mais son cœur resta irrémédiablement atteint. Il eut peur de mourir avant d’être nommé à l’Académie. Il fit sur la politique de ces vingt dernières années une étude pour la Revue des Deux Mondes et s’y exprima à plusieurs reprises dans les termes les plus flatteurs sur M. de Norpois. Celui-ci alla le voir et le remercia. Il ajouta qu’il ne savait comment exprimer sa gratitude. Le même soir, il rencontra M. de Norpois à l’Opéra. Le prince demanda à Norpois de lui présenter la marquise de Villeparisis. Il ajouta  que l’espoir de devenir l’un des habitués d’un pareil bureau d’esprit le consolerait, lui ferait envisager sans ennui de renoncer à se présenter à l’Institut. Chez la marquise aussi on tenait commerce d’intelligence et de fines causeries. M. de Norpois répondit que le salon de la marquise était une véritable pépinière d’académiciens. Il transmettrait sa requête à Mme de Villeparisis. Puis de Norpois lui annonça son intention de revenir à la charge auprès de Leroy-Beaulieu sans lequel on ne pouvait faire une élection. Il lui dirait très franchement les liens tout à fait cordiaux qui les unissaient et ne lui cacherait pas que, si le prince se présentait, il demanderait à tous ses amis de voter pour lui (le prince eut un profond soupir de soulagement). Norpois lui demanda de venir à six heures chez Mme de Villeparisis, il l’introduirait et il pourrait lui rendre compte de son entretien du matin.

La profonde désillusion du narrateur eut lieu quand le prince  parla. Il n’avait pas songé qu’une nationalité a des traits particuliers plus forts qu’une caste. En s’inclinant, petit, rouge et ventru, devant Mme de Villeparisis, le prince lui dit : « Ponchour, Matame la marquise » avec le même accent qu’un concierge alsacien.

Mme de Guermantes se leva sans dire adieu au narrateur. Elle venait d’apercevoir Mme Swann, qui parut assez gênée de rencontrer le narrateur. Elle se rappelait sans doute qu’avant personne elle lui avait dit être convaincue de l’innocence de Dreyfus.

Robert ne voulait pas que sa mère le présente à Mme Swann. C’était une ancienne grue selon lui. Son mari était juif et elle se prétendait nationaliste.

La présence de Mme Swann avait pour le narrateur un intérêt particulier dû à un fait qui s’était produit quelques jours auparavant.

Il avait reçu la visite de Charles Morel, le fils, inconnu de lui, de l’ancien valet de chambre de son grand-oncle. Ce grand-oncle (celui chez lequel il avait vu la dame en rose) était mort l’année précédente. Son valet de chambre avait manifesté à plusieurs reprises l’intention de venir le voir ; le narrateur ne savait pas le but de sa visite, mais il l’aurait vu volontiers car il avait appris par Françoise qu’il avait gardé un vrai culte pour la mémoire de son oncle et faisait, à chaque occasion, le pèlerinage du cimetière. Mais obligé d’aller se soigner dans son pays, et comptant y rester longtemps, il lui déléguait son fils. Le narrateur fut surpris de voir entrer un beau garçon de dix-huit ans, habillé plutôt richement et tint du reste, dès l’abord, à couper le câble avec la domesticité d’où il sortait, en apprenant au narrateur avec un sourire satisfait qu’il était premier prix du Conservatoire.

Le but de sa visite était celui-ci : son père avait, parmi les souvenirs de l’oncle Adolphe, mis de côté certains qu’il avait jugé inconvenant d’envoyer aux parents du narrateur, mais qui, pensait-il, étaient de nature à intéresser un jeune homme de l’âge du narrateur. C’étaient les photographies des actrices célèbres, des grandes cocottes que l’oncle avait connues.

Presque toutes les photographies portaient une dédicace telle que : « À mon meilleur ami ». Une actrice plus ingrate et plus avisée avait écrit : « Au meilleur des amis ».

Le jeune Morel avait beau chercher à s’évader de ses origines, on sentait que l’ombre de mon oncle Adolphe, vénérable et démesurée aux yeux du vieux valet de chambre, n’avait cessé de planer, presque sacrée, sur l’enfance et la jeunesse du fils.

Le jeune Morel remarqua que le narrateur n’avait pas de photos de son oncle dans sa chambre. Le narrateur fut obligé d’avouer qu’il n’en possédait aucune et Morel lui dit qu’il lui en enverrait une. Le narrateur comprit qu’il était en faveur de Morel parce que son oncle disait tous les jours qu’il serait une espèce de Racine et Morel le considérait à peu près comme un fils adoptif, comme un enfant d’élection de son oncle. Le narrateur se rendit vite compte que le fils de Morel était très « arriviste ».

Ainsi, ce jour-là, il demanda au narrateur, s’il ne connaissait pas de poète ayant une situation importante dans le monde « aristo ». Il lui en cita un. Morel ne connaissait pas les œuvres de ce poète et n’avait jamais entendu son nom, qu’il prit en note. Peu après il avait écrit à ce poète pour lui dire qu’admirateur fanatique de ses œuvres, il avait fait de la musique sur un sonnet de lui et serait heureux que le librettiste en fît donner une audition chez la Comtesse ***. C’était aller un peu vite et démasquer son plan. Le poète, blessé, ne répondit pas.

Morel voulut que le narrateur le présente à la nièce de Jupien qui avait produit une vive impression sur lui.

Comme le narrateur avais été très étonné de trouver parmi les photographies que lui envoyait le père de Charles Morel une photo du portrait de miss Sacripant (c’est-à-dire Odette) par Elstir, il dit à Charles, en l’accompagnant jusqu’à la porte cochère : « Je crains que vous ne puissiez me renseigner. Est-ce que mon oncle connaissait beaucoup cette dame ? ».

Morel répondit que son père lui avait recommandé d’attirer l’attention du narrateur sur cette dame. En effet, cette demi-mondaine déjeunait chez l’oncle Adolphe le dernier jour que le narrateur l’avait vu. Le père Morel ne savait pas trop s’il pouvait faire entrer le narrateur. Le narrateur avait plu beaucoup à cette femme légère, et elle espérait le revoir. Mais justement à ce moment-là il y avait eu de la fâche dans la famille et le narrateur n’avait jamais revu son oncle. »

Le narrateur pensa à Mme Swann, et se  dit avec étonnement, tant elles étaient séparées et différentes dans son souvenir, qu’il aurait désormais à l’identifier avec la « Dame en rose ».

M. de Charlus fut bientôt assis à côté de Mme Swann. Ce tête-à-tête, généralement avec quelque Altesse, procurait à M. de Charlus de ces distinctions qu’il aimait. Il avait, par exemple, pour conséquence que les maîtresses de maison laissaient, dans une fête, le baron avoir seul une chaise sur le devant dans un rang de dames, tandis que les autres hommes se bousculaient dans le fond. De plus, fort absorbé, semblait-il, à raconter, et très haut, d’amusantes histoires à la dame charmée, M. de Charlus était dispensé d’aller dire bonjour aux autres, donc d’avoir des devoirs à rendre.

Mme de Villeparisis n’était d’ailleurs qu’à demi contente d’avoir la visite de M. de Charlus. Celui-ci, tout en trouvant de grands défauts à sa tante, l’aimait beaucoup. Mais, par moments, sous le coup de la colère, de griefs imaginaires, il lui adressait, sans résister à ses impulsions, des lettres de la dernière violence, dans lesquelles il faisait état de petites choses qu’il semblait jusque-là n’avoir pas remarquées.

Il avait raconté à tout le monde l’histoire du mandat télégraphique à six francs soixante-quinze que Mme de Villeparisis lui avait retenus sur les trois mille francs que Charlus lui avait prêtés. Tout cela s’était apaisé, mais chacun des deux ne savait pas exactement l’opinion que l’autre avait de lui.

Dans les réunions un peu nombreuses comme était celle-ci, M. de Charlus gardait d’une façon presque constante un sourire sans direction déterminée ni destination particulière, et qui, pré-existant de la sorte aux saluts des arrivants, se trouvait, quand ceux-ci entraient dans sa zone, dépouillé de toute signification d’amabilité pour eux.

Le narrateur alla saluer M. de Charlus et Mme Swann qui furent froids avec lui.

Mme de Marsantes entraîna son fils dans le fond du salon.Mme Swann se trouvant seule et ayant compris que le narrateur était lié avec Saint-Loup lui fit signe de venir auprès d’elle. Ne l’ayant pas vue depuis si longtemps, il ne savait de quoi lui parler. Il parla de Norpois que Robert n’aimait pas. Mme Swann était d’accord avec Robert. Elle emmena le narrateur dans un coin pour lui dire que dernièrement Charlus avait dîné chez la princesse de Guermantes. M. de Norpois leur aurait dit que le narrateur était un flatteur à moitié hystérique.

Le narrateur fut ému d’apprendre que son émoi de ce jour ancien où il avait parlé de Mme
Swann et de Gilberte était connu par la princesse de Guermantes de qui il se croyait ignoré.

Quelques années auparavant, il aurait été bien heureux de dire à Mme Swann « à quel sujet » il avait été si tendre pour M. de Norpois, puisque ce « sujet » était le désir de la connaître.
Mais il ne le ressentait plus, il n’aimait plus Gilberte. D’autre part, il ne parvenait pas à identifier Mme Swann à la Dame en rose de son enfance. Aussi il parla de la femme qui le préoccupait en ce moment, Mme de Guermantes. Mais Mme Swann prétendit ne pas l’avoir vue ce soir-là.

Mme de Marsantes, qui faisait la dame d’honneur de la marquise, présenta le narrateur au prince, et elle n’avait pas fini que M. de Norpois le présenta aussi, dans les termes les plus
chaleureux.

Robert appela le narrateur dans le fond du salon, où il était avec sa mère. Le narrateur le remercia pour sa gentillesse et lui proposa de déjeuner le lendemain. Robert accepta et viendrait avec Bloch. Robert lui rapporta que Mme de Guermantes s’était demandée si le narrateur l’avait fuie et avait quelque chose contre elle. Mais le narrateur n’était pas dupe. Elle ne lui avait pas même offert d’aller voir les Elstir. Il savait qu’il ne lui plaisait pas, qu’il n’avait pas à espérer se faire aimer d’elle. De cette soirée, il garderait un souvenir mêlé d’anxiété et de tristesse.

La colère semblait s’être élevée en Robert, affleurant à son visage durci et sombre. Le narrateur  craignait qu’au souvenir de la scène de l’après-midi il ne fût humilié vis-à-vis de lui de s’être laissé traiter si durement par sa maîtresse, sans riposter.

Brusquement Robert s’arracha d’auprès de sa mère qui lui avait passé un bras autour du cou puis fit signe au narrateur de le suivre dans le petit salon. M. de Charlus, qui avait pu croire que le narrateur allait vers la sortie, quitta brusquement M. de Faffenheim avec qui il causait, fit un tour rapide qui l’amena en face du narrateur. Il lui proposa de faire deux pas avec lui mais le narrateur voulait d’abord dire quelques mots à Robert. Charlus lui conseilla de bien user de son influence sur Robert pour lui faire comprendre le chagrin qu’il causait à sa pauvre mère et à eux tous en traînant leur nom dans la boue eu égard à sa relation avec une femme qui le déshonorait. Afin de tâcher d’apporter quelque baume à Robert de qui le narrateur croyait la fierté blessée, il chercha à excuser sa maîtresse.

Robert dit au narrateur que sa maîtresse avait eu une enfance très dure. Pour elle il était tout de même le riche qui croit qu’on arrive à tout par son argent, et contre lequel le pauvre ne peut pas lutter. Sans doute elle avait été bien cruelle ; lui qui n’avait jamais cherché que son bien. Mais, il se rendait bien compte qu’elle croyait qu’il avait voulu lui faire sentir qu’on pouvait la tenir par l’argent, et ce n’était pas vrai. Quoi qu’il arrive Robert voulait pas qu’elle le prenne pour un mufle et courut chez Boucheron chercher le collier et après cela lui demander pardon.

Robert dit adieu à sa mère. Maintenant c’était un visage anxieux, des yeux désolés qu’elle attachait sur lui. Elle lui dit que ce n’était pas gentil de la laisser et Robert s’emporta. Il fit à sa mère les reproches que sans doute il se sentait peut-être mériter ; c’est ainsi que les égoïstes ont toujours le dernier mot ; ayant posé d’abord que leur résolution est inébranlable, plus le sentiment auquel on fait appel en eux pour qu’ils y renoncent est touchant, plus ils trouvent condamnables, non pas eux qui y résistent, mais ceux qui les mettent dans la nécessité d’y résiste.

Mme de Marsantes cessa d’insister, car elle sentait qu’elle ne le retiendrait plus. Robert laissa le narrateur avec sa mère. Le narrateur sentait bien que sa présence ne pouvait faire aucun plaisir à Mme de Marsantes, mais il aimait mieux, en ne partant pas avec Robert, qu’elle ne crût pas qu’il était mêlé à ces plaisirs qui la privaient de lui. Il aurait voulu trouver quelque excuse à la conduite de son fils, moins par affection pour lui que par pitié pour elle. Elle aurait voulu rattraper son fils, non pas pour le retenir certes, mais pour lui dire qu’elle ne lui en voulait pas, qu’elle trouvait qu’il avait eu raison.

Robert alla chez sa maîtresse en lui apportant le splendide bijou que, d’après leurs conventions, il n’aurait pas dû lui donner. Mais d’ailleurs cela revint au même car elle n’en voulut pas, et même, dans la suite, il ne réussit jamais à le lui faire accepter.

Certains amis de Robert pensaient que ces preuves de désintéressement qu’elle donnait étaient un calcul pour se l’attacher. Pourtant elle ne tenait pas à l’argent, sauf peut-être pour pouvoir le dépenser sans compter y compris pour des gens qu’elle croyait pauvres.

Robert ignorait presque toutes les infidélités de sa maîtresse et faisait travailler son esprit sur ce qui n’était que des riens insignifiants auprès de la vraie vie de Rachel, vie qui ne commençait chaque jour que lorsqu’il venait de la quitter. Il ignorait presque toutes ces infidélités.

Il y avait à Paris deux honnêtes gens que Saint-Loup ne saluait plus et dont il ne parlait pas sans que sa voix tremblât, les appelant exploiteurs de femmes : c’est qu’ils avaient été ruinés par Rachel.

Mme de Marsantes regretta d’avoir dit à son fils qu’il n’était pas gentil. Elle trouvait Robert adorable. Mme de Marsantes dit au revoir au narrateur avec anxiété. Ces sentiments se rapportaient à Robert, elle était sincère. Mais elle cessa de l’être pour redevenir grande dame :
– J’ai été intéressée, si heureuse, de causer un peu avec vous.

Le narrateur lui répondit qu’il attendait M. de Charlus avec qui il devait s’en aller. Mme de Villeparisis entendit ces derniers mots. Elle en parut contrariée. Pensant que cela pouvait produire une impression très favorable sur Mme de Villeparisis qu’il fût lié avec un neveu qu’elle prisait si fort, le narrateur lui dit que M. de Charlus lui avait demandé de revenir avec lui et qu’il en était  enchanté. De contrariée, Mme de Villeparisis sembla devenue soucieuse, elle lui conseilla de partir sans attendre son neveu. Ce premier émoi de Mme de Villeparisis eût ressemblé, n’eussent été les circonstances, à celui de la pudeur. Alors il obéit mais M. de Charlus le rattrapa. Charlus lui demanda s’il valait la peine qu’il lui donne de son temps. Le narrateur répondit qu’il était profondément touché qu’il veuille bien faire ainsi attention à lui et chercher à lui être utile. Charlus fut touché par ces propos. Charlus lui dit qu’il ne devait pas se méprendre sur le caractère purement désintéressé et charitable de la proposition qu’il allait lui adresser. Le narrateur était frappé combien sa diction ressemblait à celle de Swann encore plus qu’à Balbec. Charlus évoqua un article assez retentissant du Times dans lequel il était écrit que l’empereur d’Autriche avait déclaré naguère dans un entretien rendu public que, si M. le comte de Chambord avait eu auprès de lui un homme possédant aussi à fond que Charlus les dessous de la politique européenne, il serait aujourd’hui roi de France. Charlus affirma posséder un trésor d’expérience, une sorte de dossier secret et inestimable, qu’il n’avait pas cru devoir utiliser personnellement, mais qui serait sans prix pour un jeune homme à qui il livrerait en quelques mois ce que Charlus mit plus de trente ans à acquérir et qu’il était peut-être seul à posséder. Charlus donnerait au narrateur une explication inconnue non seulement du passé, mais de l’avenir. M. de Charlus s’interrompit pour lui poser des questions sur Bloch. Il lui demanda si son camarade était jeune, était beau, etc.

Charlus lui dit qu’il n’avait pas tort d’avoir parmi ses amis quelques étrangers. Le narrateur répondit que Bloch était Français. M. de Charlus rétorqua avoir cru que Bloch était Juif.  La déclaration de cette incompatibilité fit croire au narrateur que M. de Charlus était plus antidreyfusard qu’aucune des personnes qu’il avait rencontrées. Il protesta au contraire contre l’accusation de trahison portée contre Dreyfus. Pour Charlus le crime était inexistant, Dreyfus aurait commis un crime contre sa patrie s’il avait trahi la Judée, mais qu’est-ce qu’il avait à voir avec la France ? Le narrateur objecta que, s’il y avait jamais une guerre, les Juifs seraient aussi bien mobilisés que les autres. Charlus n’était pas certain que ce ne soit pas une imprudence.

Charlus voulait que le narrateur demande à son ami de faire assister Charlus à quelque belle fête au temple, à une circoncision, à des chants juifs. Le narrateur pouvait peut-être arranger même des parties pour faire rire. Par exemple une lutte entre Bloch et son père où il le blesserait comme David Goliath. Cela composerait une farce assez plaisante pour Charlus. En disant ces mots affreux et presque fous, M. de Charlus serrait le bras du narrateur à lui faire mal. Le narrateur répondit à Charlus qu’il se demandait jusqu’à quel point Bloch se plairait à un jeu qui pourrait parfaitement lui crever les yeux. . M. de Charlus sembla fâché.

À ce moment le narrateur aperçut M. Bloch père qui passait, allant sans doute au-devant de son fils. Il ne les voyait pas mais le narrateur à M. de Charlus de le lui présenter sans se douter de la colère qu’il allait déchaîner chez son compagnon. Charlus lui expliqua que dans le cas actuel l’inconvenance serait double à cause de la juvénilité du présentateur et de l’indignité du présenté. Toute cette affaire Dreyfus, reprit le baron qui tenait toujours le bras du narrateur, n’avait qu’un inconvénient : elle détruisait la société.

Cette frivolité de M. de Charlus l’apparentait davantage à la duchesse de Guermantes. Le narrateur lui souligna le rapprochement. Comme il semblait croire que le narrateur ne la connaissait pas, celui-ci lui rappela la soirée de l’Opéra où Charlus avait semblé vouloir se cacher de lui. M. de Charlus lui dit avec tant de force ne l’avoir nullement vu que le narrateur aurait fini par le croire si bientôt un petit incident ne lui avait donné à penser que trop orgueilleux peut-être il n’aimait pas à être vu avec lui.

M. de Charlus lui dit qu’il existait entre certains hommes une franc-maçonnerie dont il ne pouvait lui parler, mais qui comptait dans ses rangs en ce moment quatre souverains de l’Europe. Or l’entourage de l’un d’eux voulait le guérir de sa chimère.

Ayant une formidable avance sur sa propre vie, le narrateur serait peut-être ce qu’eût pu être un homme éminent du passé si un génie bienfaisant lui avait dévoilé, au milieu d’une humanité qui les ignorait, les lois de la vapeur et de l’électricité. Charlus prétendit chercher à racheter les fautes de sa vie en faisant profiter de ce qu’il savait une âme encore vierge et capable d’être enflammée par la vertu. Charlus avait eu de grands chagrins, il avait perdu sa femme qui était l’être le plus beau, le plus noble, le plus parfait qu’on pût rêver. Il avait de jeunes parents qui n’étaient pas capables de recevoir l’héritage moral dont il parlait au narrateur. Peut-être en lui apprenant les grandes affaires diplomatiques, Charlus y reprendrait goût de lui-même et se mettrait-il enfin à faire des choses intéressantes où le narrateur serait de moitié. Mais avant de le savoir, il faudrait qu’il vît le narrateur souvent, très souvent, chaque jour.

Charlus venait seulement d’apercevoir M. d’Argencourt qui débouchait d’une rue transversale. En les voyant, M. d’Argencourt parut contrarié, jeta sur le narrateur un
regard de méfiance, presque ce regard destiné à un être d’une autre race que Mme de Guermantes avait eu pour Bloch, et tâcha de les éviter. M. de Charlus tenait à lui montrer qu’il ne cherchait nullement à ne pas être vu de lui, car il l’appela et pour lui dire une chose fort insignifiante. Et craignant peut-être que M. d’Argencourt ne reconnût pas le narrateur, M. de Charlus lui dit que le narrateur était un grand ami de Mme de Villeparisis, de la duchesse de Guermantes, de Robert de Saint-Loup. Néanmoins le narrateur remarqua que M. d’Argencourt, à qui pourtant il avait été à peine nommé chez Mme de Villeparisis et à qui M. de Charlus venait de parler longuement de sa famille, fut plus froid avec lui qu’il n’avait été il y a une heure ; pendant fort longtemps il en fut ainsi chaque fois qu’il rencontrait le narrateur.

Charlus regretta cette rencontre. Cet Argencourt, bien né mais mal élevé, diplomate plus que médiocre, mari détestable et coureur, fourbe comme dans les pièces, était pour lui un de ces hommes incapables de comprendre, mais très capables de détruire les choses vraiment grandes. Le narrateur évoqua Mme de Guermantes. Charlus répondit que sa belle-sœur était une femme charmante qui s’imaginait être encore au temps des romans de Balzac où les femmes influaient sur la politique. Sa fréquentation ne pourrait actuellement exercer sur le narrateur qu’une action fâcheuse, comme d’ailleurs toute fréquentation mondaine. Charlus exigea un sacrifice du narrateur ce serait de ne pas aller dans le monde. Le « Sésame » de l’hôtel Guermantes et de tous ceux qui valaient la peine que la porte s’ouvre grande devant le narrateur, c’est Charlus qui le détenait. Il serait juge et entendait rester maître de l’heure. Le narrateur lui demanda ce que c’était que la famille Villeparisis.

La famille : « rien » lui répondit M. de Charlus. Mme de Villeparisis avait épousé par amour un M. Thirion, d’ailleurs excessivement riche, et dont les sœurs étaient très bien mariées et qui, à partir de ce moment-là, s’était appelé le marquis de Villeparisis.

Charlus supposait que c’était un monsieur né à Villeparisis, une petite localité près de Paris. Mme de Villeparisis avait prétendu qu’il y avait ce marquisat dans la famille, elle avait voulu faire les choses régulièrement. Du moment qu’on prenait un nom auquel on n’avait pas droit, le mieux était de ne pas simuler des formes régulières. Charlus trouvait injuste qu’une femme dont même le titre et le nom étaient presque tout récents pût faire illusion aux contemporains et dût faire illusion à la postérité grâce à des amitiés royales.

M. de Charlus dit au narrateur qu’en allant dans le monde, il ne ferait que nuire à sa situation, déformer son intelligence et son caractère. Il  pourrait avoir des maîtresses mais il faudrait surveiller, même et surtout, ses camaraderies. Charlus estimait que sur dix jeunes gens, huit étaient de petites fripouilles, de petits misérables capables de lui faire un tort que le narrateur ne réparerait jamais. Son neveu Saint-Loup serait à la rigueur un bon camarade pour le narrateur. Lui c’était un homme, ce n’était pas un de ces efféminés comme on en rencontrait tant de nos jours. Il n’était pas comme les autres, il était très gentil, très sérieux.

M. de Charlus avant de le quitter, donna quelques jours au narrateur pour réfléchir.  Il faudrait qu’il le voie chaque jour et qu’il reçoive du narrateur  des garanties de loyauté, de discrétion que d’ailleurs, le narrateur semblait offrir. Puis Charlus sauta à côté du cocher, au fond du fiacre qui partit au grand trot.

A peine rentré à la maison, le narrateur y retrouva le pendant de la conversation qu’avaient échangée un peu auparavant Bloch et M. de Norpois, mais sous une forme brève, invertie et cruelle : c’était une dispute entre son maître d’hôtel, qui était dreyfusard, et celui des Guermantes, qui était antidreyfusard. Les vérités et contre-vérités qui s’opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie française et celle des Droits de l’homme se propageaient en effet jusque dans les profondeurs du peuple.

Le maître d’hôtel du narrateur laissa entendre que Dreyfus était coupable,
celui des Guermantes qu’il était innocent. Le maître d’hôtel du narrateur, incertain si la révision se ferait, voulait d’avance, pour le cas d’un échec, ôter au maître d’hôtel des Guermantes la joie de croire une juste cause battue. Le maître d’hôtel des Guermantes pensait qu’en cas de refus de révision, le nôtre serait plus ennuyé de voir maintenir à l’île du Diable un innocent.

Le narrateur trouva sa grand’mère plus souffrante. Cottard essaya, pour calmer l’agitation de sa malade, le régime lacté. Mais les perpétuelles soupes au lait ne firent pas d’effet parce que ma grand’mère y mettait beaucoup de sel.

Elle avait 38°3 de fièvre et on lui donna un fébrifuge qui fit redescendre la température à 37°1-2.

Bergotte avait choqué l’instinct scrupuleux du narrateur qui lui faisait subordonner son in-
telligence, quand il lui avait parlé du docteur du Boulbon comme d’un médecin qui ne l’ennuierait pas, qui trouverait des traitements, fussent-ils en apparence bizarres, mais s’adapteraient à la singularité de son intelligence.

Malgré sa compétence plus particulière en matière cérébrale et nerveuse, comme le narrateur savait que du Boulbon était un grand médecin, un homme supérieur, d’une intelligence inventive et profonde, il supplia sa mère de le faire venir. Au lieu de l’ausculter, tout en posant sur elle ses admirables regards où il y avait peut-être l’illusion de scruter profondément la malade, Boulbon commença à parler de Bergotte.

Il lui avait ainsi fait parler littérature car il avait voulu se rendre compte par ses questions si la mémoire de la grand’mère était bien intacte. Il lui conseilla d’aller aux Champs-Élysées, près du massif de lauriers qu’aimait son petit-fils. Le laurier lui serait salutaire car il purifiait le corps.

En tant qu’« esprit supérieur », Boulbon croyait de son devoir de ne pas ajouter foi à la médecine, il reprit vite sa sérénité philosophique.  Il diagnostiqua une maladie nerveuse. Guérie de son nervosisme elle n’aimerait plus Bergotte. Elle devait donc utiliser son énergie nerveuse pour manger pour lire et pour sortir.

Quand, après avoir reconduit le docteur du Boulbon, le narrateur rentra dans la chambre où sa mère était seule, le chagrin qui l’oppressait depuis plusieurs semaines s’envola, il sentit que
sa mère allait laisser éclater sa joie et qu’elle allait voir la sienne.

Robert avait écrit au narrateur pour lui apprendre qu’il n’oublierait jamais la perfidie de sa conduite et qu’il n’y aurait jamais un pardon pour sa fourberie et sa trahison.

La grand’mère du narrateur ne voulut pas sortir, se trouvant fatiguée. Mais la mère du narrateur, instruite par du Boulbon, eut l’énergie de se fâcher et de se faire obéir.

Le narrateur trouva sa grand-mère bien égoïste d’être si longue à se préparer, de risquer de le mettre en retard quand elle savait qu’il avait rendez-vous avec des amis et devait dîner à Ville-d’Avray. Ils allèrent près du pavillon ancien des Champs-Elysées. Le narrateur vit la « marquise » qui percevait les entrées et discutait avec le garde forestier.

Une femme mal vêtue entra précipitamment. Mais elle ne faisait pas partie du monde de la « marquise », car celle-ci, avec une férocité de snob, lui dit sèchement :
– Il n’y a rien de libre, Madame.

Enfin la grand’mère du narrateur sortit du cabinet, et songeant qu’elle ne chercherait pas à effacer par un pourboire l’indiscrétion qu’elle avait montrée en restant un temps pareil, le narrateur battit en retraite pour ne pas avoir une part du dédain que lui témoignerait sans doute la « marquise ».

Il s’engagea dans une allée, mais lentement, pour que sa grand’mère pût facilement le re-
joindre et continuer avec lui. C’est ce qui arriva bientôt. Elle avait entendu toute la conversation entre la « marquise » et le garde. C’était on ne peut plus Guermantes et petit noyau Verdurin selon elle. Et elle ajouta encore, avec application, ceci de sa marquise à elle, Mme de Sévigné : « En les écoutant je pensais qu’ils me préparaient les délices d’un adieu. »

Elle sourit tristement et serra la main du narrateur. Elle avait compris qu’il n’y avait pas à lui cacher ce qu’il avait deviné tout de suite : elle venait d’avoir une petite attaque.

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