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Humanisme : le Contrat social
5 juin 2023

Mourir (Arthur Schnitzler)

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C'est l'histoire de la lente agonie et de la mort d'une jeune phtisique, Félix. Histoire désespérée, dépouillée de tout motif sentimental, de tout élément de tendresse ou de pathétique. Le jeune malade n'a pas de parents, pas de famille, pas d'amis, pas d'attaches sociales de quelque importance, et sa position sociale elle-même est assez mal définie. Il n'a près de lui que sa maîtresse, Marie, une jeune fille "comme tant d'autres". La tragédie, tout inétierieure, se joue dans l'âme du moribond. Homme serviable à l'origine, la solitude et la maladie l'entraînent vers une issue où bonté et générosité vont peu à peu céder le pas à un égoïsme féroce et une terreur animale. Quelques éclairs de conscience seront bientôt submergés par une morne désolation, révélant la profondeur de sa fiblesse et de sa misère. Ce récit frappe par sa froide objectivité, son détachement, un ton volontairement insensible aux misères humaines. On peut y voir une manifestation de ce réalisme pessimiste, propre aux individualités uniquement rattachées à la vie et à leurs semblables par un hédonisme superficiel et, partant, murées dans une solitude totale, impitoyablement dévoilée par la déchéance physique.

En 1890. Marie et Félix s’aiment. Marie attend Félix depuis déjà une demi-heure. Il est en retard. À son arrivée, il parle précipitamment, plus fort que de coutume. Il paraît ailleurs, plus soucieux que d’habitude, plus silencieux. Son teint est plus pâle qu’à l’ordinaire, sa voix saccadée. Est-ce en raison de son travail ? Est-ce parce qu’il ne l’aime plus, sans oser lui avouer ? Inquiète, torturée par l’angoisse, Marie ne comprend pas et lui demande ce qui se passe : « Dis-moi Félix, qu’as-tu ? Je t’en prie dis-le-moi ! ». Tout d’abord rassurant, Félix s’avérera très vite agacé par l’insistance de Marie à lui expliquer ce qu’il a, avant de lui confier, en pleurs, qu’il vient d’apprendre d’un éminent spécialiste qu’il n’en a plus que pour un an à vivre : « Marie, Marie, je n’ai pas voulu te le dire. Plus qu’un an et c’est fini »Il va d'abord s'efforcer de faire bonne figure, se prétendre de taille à affronter en philosophe un destin cruel, tout en souhaitant le bonheur de sa compagne. Bientôt, pourtant, le masque stoïque se fissure. A mesure qu'approche l'issue fatale, Félix ne veut plus admettre que Marie puisse jouir de la vie après sa disparition et lui demande de mourir avec lui. Entre l'amour et la mort, la jeune femme devra choisir...

Dans son roman Mourir, A. Schnitzler raconte cette dernière année de vie de Félix, atteint d’une maladie qui n’est jamais réellement explicitée et de l’évolution de la relation de ce couple que forment Marie et Félix, de leurs sentiments avec en toile de fond ces interrogations : Comment continuer à vivre et à investir le temps présent pour chacun d’eux en sachant qu’il ne reste plus qu’un an à vivre à Félix ?

Si dans les premiers temps Félix et Marie goûtèrent « à une paix merveilleuse dont ils avaient peine à prendre conscience », ne se souciant que d’eux-mêmes et profitant de la touffeur qui les enveloppait, cela ne fut que de courte durée. L’état de Félix s’aggrava rapidement. Des crises de suffocation de plus en plus nombreuses l’obligeront de plus en plus à rester alité et le laisseront très faible. Les traits de son visage seront de plus en plus creusés, sa peau flétrie, blafarde, sa bouche sèche, son odeur douceâtre écœurante. Des gémissements affreux s’échapperont de sa gorge. Il deviendra tout aussi hâtivement dans l’incapacité de se déplacer et de s’habiller seul. Des hémorragies apparaîtront au fil du temps laissant Félix sans force. Son moral oscillera entre espoir et désespoir. Là où les symptômes de la maladie se feront le moins ressentir, Félix s’imaginera une guérison possible. Il lui paraîtra alors incompréhensible qu’il pût être malade. Il n’y croit pas/plus. La peur de la mort le quitte. Il se sent léger. Il est persuadé qu’il est de ceux qui guérissent. Il veut vivre aussi bien que possible ce « lambeau de vie ». À l’inverse, dans les jours les plus sombres, Félix se sent assailli par le doute, la désillusion et des peurs ancestrales s’emparent de lui. Il devient irritable, acerbe, haineux à l’égard de ceux qui seront encore jeunes et vivants quand lui ne sera plus là, qui riront quand lui ne pourra plus rire, ni pleurer. Il préfère renoncer à une année de vie plutôt que vivre dans l’angoisse et la détresse du lendemain, que d’infliger une lente dégradation à Marie. Il pense au suicide. Marie, à ses côtés, est prise quant à elle de sentiments contradictoires face à la dégradation de l’état de Félix, entre dévotion, pitié, fuite et souhait de mort. Elle culpabilise. Elle a honte d’aimer la vie, d’éprouver du plaisir lors de ses sorties ; honte de ne plus supporter cette lente agonie qui n’en finit plus alors que Félix devient lui-même de plus en plus égoïste. Bien qu’elle ne puisse alors envisager sa vie sans Félix et songe mourir avec lui au début, « j’ai vécu avec toi, je mourrai avec toi » lui dit-elle, son désir de vivre, de s’évader, de sortir se fait paradoxalement plus ardent au fil des jours tandis que Félix s’affaiblit de jour en jour. La fin sera tragique. Félix décédera seul alors que Marie, l’aimante dévouée, s’est absentée après qu’il l’a agressée physiquement et lui a demandé de mourir avec lui, de tenir sa promesse.

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